L’homme stochastique et la capacité à analyser et interpréter les données

Je suis en train de lire actuellement l’homme stochastique de Robert Silverberg. Vous le trouverez d’occasion ou dans toute bonne bibliothèque.
Je suis tombé sur un passage qui m’a fortement interpellé, tant il décrit une relation aux objets et aux données proche de celles que l’on connait actuellement :
« Ce que j’accomplissais était sophistiqué et purement technique, mais constituait également une espèce de sorcellerie. Je plongeais dans les procédés harmoniques, les biais positifs, les valeurs modales, les paramètres de dispersion. Mon bureau était un labyrinthe d’écrans et de diagrammes. J’avais une batterie d’ordinatrices fonctionnant jour et nuit sans arrêt, et ce que l’on aurait pu prendre pour un bracelet-montre fixé à mon poignet droit (au lieu du gauche) était en réalité un récepteur de données qui chômait rarement. Mais les mathématiques supérieures, tout comme la puissante technologie de Hollywood, n’étaient que de simples aspects des phases préliminaires – le stade d’information. Quand il me fallait passer aux conjectures proprement dites, IBM ne pouvait plus rien pour moi. Je devais opérer sans rien d’autre que mon cerveau livré à ses seuls moyens. J’étais là, debout sur la falaise dans un isolement terrible, et même si le sonar m’indiquait la configuration des fonds marins, même si les appareils les plus perfectionnés enregistraient la violence des courants dominants, la température de l’eau et l’indice de turbidité, je restais tout seul au moment crucial de la réalisation. Je scrutais l’océan de mes yeux mi-clos, pliant les genoux, balançant les bras, aspirant le plus d’air possible, attendant la minute où j’allais voir, la minute où je voyais véritablement. Et quand je sentais cette vertigineuse, cette splendide confiance implantée derrière mes cils, alors je plongeais enfin. Je piquais tête la première dans les flots houleux, à la recherche du doublon d’or. Je me lançais nu, sans défense et sans la moindre erreur de trajectoire pour atteindre mon objectif. »
La stochastique est un mot peu employé et qui correspond à la capacité à établir des prédictions.  Robert Silverberg nous explique d’ailleurs longuement le concept :
« Stochastique. Selon le Grand Dictionnaire d’Oxford, le mot fut créé en 1662, et il est maintenant rarement utilisé, ou périmé. N’en croyez rien. C’est le Grand Dictionnaire d’Oxford qui est périmé, et non la stochastique, car ce terme perd chaque jour de son archaïsme. Son sens primitif est « objectif », ou « but à atteindre », d’où les Grecs ont fait dériver un verbe signifiant « viser une cible » et, par extension métaphorique « réfléchir, penser ». Il passa dans la langue anglaise, d’abord comme une manière fantaisiste de condenser « moyens propres à conjecturer », ainsi que le prouve la réflexion de White-foot au sujet de sir Thomas Browne en 1712 : « Bien qu’il n’eût point de don de prophétie… il excellait pourtant dans une connaissance qui y touche de fort près, je veux dire la stochastique, grâce à quoi il se trompait rarement au sujet d’événements futurs. »
 
Il me semble qu’il est également important pour les SHS de ne pas se contenter d’être des sciences du passé ou du jeune présent, mais il leur faut porter davantage leurs analyses de façon stochastiques...
 
 

3 réflexions au sujet de « L’homme stochastique et la capacité à analyser et interpréter les données »

  1. J’avais beaucoup aimé ce bouquin lu il y a bien longtemps déjà. Je ne me souvenais pas en revanche qu’il décrivait aussi bien le contexte actuel. Tu m’as donné envie de le relire 🙂 et peut-être de compléter un certain article sur la capacité des auteurs de SF à anticiper notre société.

  2. Oui, le passage est étonnant. La question n’est donc pas celle des big data uniquement, mais de la capacité à en tirer du sens, ce qui suppose de nouvelles habiletés et la mobilisation de savoirs dans cette entreprise.
    Sinon, il y a pas mal de choses à explorer dans la SF

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