Quelques explications à la crise des banlieues

Le texte suivant a été envoyé une liste de diffusion concernant les chercheurs en information-communication. Un des membres de la liste s’interrogeait de l’absence de réactions et de débats suite aux évènements qui ont frappé les banlieues françaises. Je tente ici d’apporter quelques explications.

Finalement, si’l n’y a pas eu de réponses c’est peut-être pour éviter une réaction trop rapide et non scientifique. Le risque eut été sans doute de répondre selon ses convictions politiques. Il faut donc tenter d’analyser les causes de façon globales. Après réflexion et évolution des évènements, j’ai le sentiment qu’il y a des responsabilités multiples voire des coresponsabilités. Les actes de violence sont donc inexcusables mais néanmoins explicables et étaient sans doute prévisibles.

 

Outre les explications traditionnelles qui remontent aux années 60, d’autres peuvent être avancées et qui sont plus récentes.

 

D’une part le phénomène correspond à une microgénération. (des 15-20 principalement) dont on sait que les visions politiques et technologiques sont très différentes de leurs ainés de 25-30 ans. Ils n’ont pas connu et compris la chute du mur de Berlin. Leur monde n’est pas idéal mais très pragmatique et fortement influencé par une culture américaine. (Il y a sans doute des manipulations islamiques mais elles ne sont que des facteurs aggravants et non déclenchants).Ils ont surtout des désirs matériels. L’échec de l’intégration de la masse des diplomés qui a concerné tout le monde et pas seulement les jeunes d’origine immigrée explique ce sentiment. Les français d’origine étrangère ont vécu plus fortement cette exclusion. Dès lors quel intérêt pour un gamin de croire en la réussite scolaire quand cette dernière n’est pas forcemment source de réussite sociale ? En clair, ces jeunes traversent une crise de la culture.

 

La deuxième cause est plus évidente. La diminution de l’encadrement socioéducatif et sportif dans ces zones résultent de la suppression des emplois jeunes et des moyens alloués par le gouvernement. L’encadrement devenant uniquement répressif et surtout provocateur, la violence ne peut qu’engendrer que la violence. Cette crise est aussi un échec politique évident.

 

La troisième explication vient du fait que les instances de pouvoir sont exercées par des personnes qui défendent leur pré carré. La france est devenue extrémement corporatiste et cette crise n’est qu’un révèlateur. Beaucoup de diplomés aujourd’hui occupent des emplois bien inférieurs à leur niveau d’études et leurs capacités. Les générations moins compétentes résistent et rusent pour rester en place prônant l’expérience. Elles n’ont donc fait que dévaloriser les diplômes et l’enseignement en remettant en cause sa qualité. Ce travail de sape porte ses fruits car le système scolaire devient il est vrai moins performant. De plus elles n’ont eu que trop peu l’habitude de vivre et de partager des moments avec des gens d’origine étrangère. Dès lors il n’y a pas pu avoir d’intégration. Je crois sérieusement que le sentiment d’amertume n’est pas présent que chez les français d’origine immigrée mais chez des générations de diplomés de moins de 35 ans.

 

La crise est donc bien plus grande. Une meilleure reconnaissance du système scolaire via une réforme réelle et une revalorisation de l’Université est une des solutions. Sinon ne nous étonnons pas que certains qui semblent si français d’apparence ne le soient plus vraiment et succombent aux sirènes de l’étranger.

 

Je m’excuse d’avoir été si long. Je propose sur mon site personnel en ce moment quelques propositions sur la réforme de l’éducation nationale qui ne peut être que le socle de la résolution de la crise. Faut-il encore que tout le monde joue le jeu.

Propositions pour une réforme de l’Education Nationale

 Suite au débat lancé par le café pédagogique, j’ai décidé de me lancer dans une contribution. La mienne se voulant d’abord globale, elle s’étale sur cinq pages.

Reforme de l’Education Nationale : quelques propositions au niveau institutionnel.

 

 

 

Préambule :

Ma contribution est certes personnelle mais se veut également la plus globale possible. Je tente donc modestement de prendre en compte le maximum d’éléments possibles. Il est clair que les propositions que je vais faire peuvent être discutées et suscitées de gros désaccords. Malgré tout mon but est d’aller au delà du traditionnel affrontement entre pédagogues et républicains qui demeure trop souvent stérile.

Même si je suis plutôt proche des pédagogues, comme en témoigne mon appartenance au mouvement pour le collège unique, je partage tout de même certains constats des dits « républicains ». Mes propositions se veulent pragmatiques et tentent de répondre à la problématique : comment permettre à chaque individu d’obtenir la meilleure formation possible de la manière la plus égalitaire.

 

1. Constats et questions

 

Par conséquent, à la traditionnelle question : est-ce que le niveau baisse ? Je répondrai hélas par l’affirmative notamment en ce qui concerne la maîtrise de la lecture-écriture. Et ce phénomène ne fait que s’accroître. Le niveau baisse donc fortement actuellement. Qu’importe si cela choque, je pense que ce constat est partagé par beaucoup d’enseignants. Plus aucun ouvrage ne paraît désormais pour nous prouver le contraire. Je parle ici donc de générations très récentes. Et c’est d’ailleurs un problème pour l’Education Nationale qui doit faire face à des « micro-générations » fort différentes et qui ont vécu en peu de temps des évolutions techhnologiques : portables, Internet, jeux video accaparants…Bref la concurrence face à la lecture et à l’enseignant s’est accrue et diversifiée.

 

Quel est la situation de la France par rapport aux autres pays de l’Ocde ?

Pas terrible. Malgré un budget important, nos performances sont insuffisantes. Il est même probable que des élèves de pays défavorisés possèdent un niveau de base supérieur à celles de nos jeunes élèves.

 

Faut-il revenir aux vieilles méthodes ?

Globalement non. Il y a certes de bonnes idées ou stratégies à reprendre ou à poursuivre mais le mythe de l’Ecole Républicaine est un vaste mensonge que les sociologues et les historiens ont déjà démontré. Dès lors, il faut sortir du dogmatisme pour privilégier le pragmatisme. C’est à dire qu’il ne faut pas non plus passer du mythe républicain à la tendance gauchiste. Je crois sérieusement que les idéaux passéistes issus du communisme doivent être une fois pour toutes également abandonnés. L’histoire a déjà démontré leur erreur. Il ne s’agit donc pas pour les porteurs de propositions de véhiculer des idées faciles et d’être porteur d’illusions malhonnêtes. C’est pourquoi l’hostilité d’une partie du monde enseignant au traité européen est une caractéristique très nette d’une inadaptation au changement. Le mur de Berlin est tombé et c’est tant mieux. Malgré tout la réelle égalité des chances doit être défendue. Beaucoup de nos propositions vont dans ce sens.

 

 

Faut-il réformer alors ?

Oui et mille fois oui. J’étais plutôt favorable au débat sur l’Ecole ainsi qu’aux conclusions du rapport Thélot. Actuellement nous en sommes à appliquer la réforme Fillon qui n’a pas tenu du compte du rapport et qui est mis en ouvre par Gilles de Robien visiblement incompétent en la matière. En clair, la nouvelle loi n’a aucun sens ni aucune volonté politique. C’est du mauvais bricolage.

Il faut donc une vraie réforme qui prennent de vraies décisions donc de réels changements.

 

Faut-il quand même se battre pour plus d’égalité ?

Oui, je le crois et je pense que des solutions sont possibles. Il faut pour cela chercher à être plus efficace.

 

2. Propositions

 

2.1 Les enseignants.

 

La Finlande est parvenu au premier rang du classement Pisa en grande partie grâce à ses enseignants.

Il faut donc revoir la formation de ces derniers. L’idéal serait de ramener la formation à deux ans après la licence. Le concours ne concernerait pas seulement la discipline mais aussi les questions éducatives et pédagogiques. La licence pourrait proposer aux étudiants qui se destinent à ces métiers des modules spécialisés. Dés lors l’étudiant chercherait d’abord à devenir enseignant général avant d’être enseignant de discipline. L’idéal serait donc une formation non plus étalée sur un an mais sur deux et bien sûr rémunérée. De nombreuses sessions seraient communes aux différents enseignants qu’ils soient de collège, de lycée ou de primaire. La polyvalence serait encouragée ainsi que les spécialisations en master ou en thèse.

Dès lors le système changerait. A la fin de la première année de formation, l’enseignant choisirait son type d’établissement selon son classement à la fin de la première année :

         Primaire

         Collège

         Lycée.

Ceux qui auront fait le choix du lycée auront l’obligation d’avoir ou de suivre une formation complémentaire (master) dans la discipline qu’ils auront choisie.

 

En clair, ce nouveau mode de recrutement serait attractif et plus adapté. Il marquerait aussi la suppression de l’agrégation devenue inutile et désuète. Il symboliserait également l’unité de l’éducation depuis la maternelle jusqu’à l’arrivée à l’université. Il y aurait également ainsi moins de disparités salariales entre enseignants. Les enseignants resteraient plus de temps au sein de l’établissement et effectuerait sur leur temps de service des heures de remédiation ou de tutorat pour au moins 25% de leur temps de présence. Pour cela, il faut que les locaux soient adaptés pour que les professeurs puissent travailler de manière correcte et agréable au sein de l’établissement. Sinon, c’est impossible. Des locaux agréables sont source de motivation pour les élèves et leurs professeurs.

 

Il va sans dire que le salaire des enseignants se doit d’être revalorisé et ce d’au moins 25% dans les 5 années qui viennent. L’écart entre le salaire enseignant et le smic ne cesse de diminuer sans compter le fait que les impôts et les avantages sociaux diminuent encore cet écart. Il ne peut y avoir de réussite si les enseignants ne sont pas bien considérés sur l’échelle sociale. Apparemment les gouvernants français ne semblent pas l’avoir compris. Il ne peut y avoir de réformes sans revalorisation de la profession.

 

2.2 Les établissements.

 

Ecole maternelle :

Je n’ai pas d’avis tranché sur la question. Il est peut-être souhaitable de revenir parfois à des objectifs plus modestes. Les référentiels sont trop exigeants et irréalistes.

 

Ecole Primaire :

Les exigences sont souvent trop grandes si bien que la maîtrise des bases est grandement insuffisante. Peu importe la méthode d’apprentissage, seuls les résultats devront compter. Par conséquent, un examen devra être organisé en fin de cm2 pour l’entrée en sixième. Cet examen permettrait ainsi de mieux se consacrer à l’essentiel. Seuls les élèves l’ayant réussi pourront entrer au collège. Ceux qui auront échoué auront le choix entre le redoublement ou bien l’orientation en classe spécialisée ou SEGPA. Cette mesure peut sembler une sélection bien précoce mais je pense qu’elle a surtout pour but d’obliger l’Ecole à être plus efficace. A priori au moins 90% des élèves de CM2 devraient être capables de le réussir. Ceux qui n’y parviendraient pas serait suivis alors de manière plus individualisés afin qu’ils parviennent à acquérir un niveau de compétences minimum pour une orientation efficace. Beaucoup trop d’élèves n’ont rien à faire dans la filière générale du collège. Ils n’auront jamais un niveau suffisant et pire nous perdons beaucoup d’énergie souvent inutile à tenter de les aider en soutien.

Le soutien en collège doit être consacré aux élèves qui ont des difficultés mais qui ont le potentiel pour réussir dans la voie générale.

 

Quant au B2i premier niveau, il devrait s’étalonner clairement en 2 ans entre le cm2 et la sixième.

 

Collège :

Je reste convaincu de l’utilité du collège unique. L’intégration de classes spécialisées et Segpa dans l’établissement collège me paraît également plausible. Des enseignants peuvent intervenir d’ailleurs avec les deux types de public.

Mais il faut que les élèves qui entrent au collège aient acquis un niveau de base contrôlé par l’examen. Les enseignants perdent trop de temps à revenir sur ce qui n’a pas été acquis.

La sixième doit constituer un prolongement efficace du cm2. Par conséquent, le nombre d’enseignants intervenant en sixième sera limité. L’idéal serait donc d’encourager les polyvalences comme cela se fait en Finlande. Un enseignant sera chargé des disciplines scientifiques, un autre des disciplines littéraires. Le tout étant modulable. Le but est d’encourager la transdisciplinarité et d’éviter la segmentation. Le même système serait reconduit en cinquième. Dès la quatrième, la division disciplinaire pourrait être étendue.

 

Notation

 Le système de notation doit aussi évoluer. Une note de participation et d’activité sera crée et qui mesurera les compétences de travail en classe, de coopération, de dynamisme et de citoyenneté. Elle sera présente dans chaque pôle de compétences. Elle sera une sorte de contrôle continu. Chaque trimestre un examen commun à chaque niveau serait effectué. Nous y reviendrons dans des propositions pédagogiques notamment avec la perspective du portfolio.

 

Soutien, tutorat et études du soir

Le redoublement serait désormais extrêmement rare. Par contre des modules de niveau et de remédiation serait mis en place afin que les élèves puissent travailler leurs points faibles. Aucun groupe ne devrait excéder 10 personnes. Les études du soir devraient alors être effectuées par des professeurs qui prendraient ainsi des petits groupes d élèves pour les aider à faire leurs devoirs. Il ne s’agit donc pas de supprimer les devoirs mais de permettre au plus grand nombre de les effectuer au sein de l’établissement avec des personnels compétents. Des stagiaires de première ou deuxième année d’enseignement pourraient également renforcer le dispositif ainsi que des étudiants préparant les concours d’enseignants(assistants pédagogiques) Ce système ne doit pas fonctionner sur le bénévolat, il doit être rémunéré. Seul un tel système peut diminuer les inégalités sociales et permettre aux élèves motivés d’y parvenir.

Par conséquent ces petits groupes pourront être parfois de niveau afin que les meilleurs potentiels soient encouragés. Les moyens financiers devront être mis en œuvre notamment dans les zones défavorisées.

 

Post-collège :

Si le travail de suivi individuel s’améliore ainsi, le niveau des élèves devraient être meilleur au lycée. De même les lycées professionnels, agricoles ou les CFA verront des élèves motivés et qui auront fait le choix de leur orientation.

Le travail de préparation à l’orientation devra se poursuivre y compris pour les élèves de section générale. Un bon résultat au bac général n’est plus un rempart anti-chômage.

Tous les niveaux post-collège devront avoir une formation juridique de formation de citoyen.

Je n’ai pas de propositions précises en matière structurelle ici si ce n’est des prolongements avec le collège en matière de suivi des élèves.

 

Universités.

 

1. L’inégalité sociale bat encore ici son plein à cause de l’éclatement du système entre grandes écoles, formation de courte durée et université classique. L’université en pâtit beaucoup en termes de moyens et surtout de reconnaissance sur le marché du travail. L’exception française n’a pas lieu d’être. Les sections de khâgne, de BTS et de la plupart des grandes écoles devront être…supprimées.

Il est évident que cela peut faire hurler mais elles sont totalement inégalitaires et de plus elles dévalorisent le baccalauréat.

Les Bts n’ont rien à faire en lycée. Les lycées doivent avant tout s’occuper des lycéens.

Les formations courtes seront rassemblés à l’université sous forme de DUT. La sélection s’il y a lieu se fera sur les notes au bac et sur la motivation du candidat.

 

2. La première année d’université se verra doté d’un tronc commun comprenant des enseignement de méthodologie et de culture générale. Les autres modules seront de spécialisation. La plupart des universités commencent d’ailleurs à développer ces perspectives.

 

3. Des modules de préparation aux concours d’ingénieurs ou d’écoles spécialisées seront ouverts aux meilleurs élèves de l’université afin de permettre la formation d’une élite de pointe dans ces domaines. Ces dernières se verront rattachées d’ailleurs à l’université.

 

4. Chaque étudiant recevra une formation sur la gestion d’une entreprise afin que les créations d’entreprise par les universitaires soient encouragées et favorisées.

Le but est de permettre à l’étudiant d’obtenir une formation générale performante et d’acquérir des compétences recherchées sur le marché de l’emploi mondialisé.

 

5. La remise des diplômes seraient effectuée par les directeurs de sections. C’est le minimum de respect à donner à un étudiant qui trop souvent apprend son résultat sur une feuille bien terne au milieu de la bousculade.

 

6. L’étudiant serait encouragé à enrichir son CV qui répondrait à la norme du CV européen. Les institutions publiques veilleront donc à recruter des étudiants en tant que surveillant, assistant pédagogique, moniteur de bibliothèque, médiateur socio-culturel. Aucun de ces travaux ne pourra être effectué à plein-temps. Des modules de validation d’acquis professionnels pourront être insérés aux diplômes. De même les stages pourront être valorisés grâce à des attestations de réussite en milieu de travail.

 

 

Conclusion

D’autres idées peuvent encore être ajoutées. Je les formulerai peut-être de manière postérieure.

Je m’arrête ici en matière de fonction institutionnel. Je proposerai quelques pistes pédagogiques dans un autre texte car la réussite éducative tient à la fois à l’institution et à la pédagogie.

 

 

 

Fougères, le20-11-2005

Olivier Le Deuff

oledeuff@gmail.com

Enseignant-documentaliste.