La veille n’est pas homophobe

L’expression de « veilleurs » appartient à tout le monde. Toutefois, on ne peut que déplorer l’usage qui en est fait par des personnes qui n’ont rien à voir avec un champ professionnel existant, et encore moins avec une certaine éthique de la veille.

Le fait d’associer l’expression et de fait le concept de la veille avec une visée homophobe ne peut qu’ajouter de la confusion autour d’un concept qui mérite bien mieux, d’autant que des formations, des professionnels et des associations (notamment l’Adbs, l’Association des professionnels de l’information et de la documentation) tentent de valoriser la veille. Or désormais, les résultats des moteurs de recherche sont pollués par des veilleurs qui se réfèrent davantage à des veillées funèbres qu’à la traditionnelle veillée paysanne d’antan, bien décrite d’ailleurs par Noël du Fail (voir l’extrait sur wilkipédia).

La veille est un secteur professionnel qui prend diverses formes depuis la veille informationnelle, la veille technologique ou bien encore la veille économique et commerciale. Mais il ne faut pas oublier des formes plus collaboratives, facilitées par de nouveaux outils de partage de l’information, et portées par des volontés individuelles de se rassembler dans un collectif plus large pour apporter un travail de sélection au plus grand nombre. Parmi ces initiatives, on peut citer dans la sphère des professionnels de l’information et de la documentation et des bibliothèques, le bouillon des bibliobsédés.

La veille est autre chose que de la simple surveillance, elle est même bien différente car il s’agit surtout de veiller sur l’information et les flux qui circulent, mais aussi sur les personnes mais pas nécessairement dans un sens d’espionnage. La veille, c’est aussi veiller les uns sur les autres et donc prendre soin, dans le sens donné par le philosophe Bernard Stiegler pour faire face à l’incurie et à la bêtise particulièrement bien portée par la télévision. Le cathodique ayant succédé d’ailleurs au catholique dans cette entreprise de contrôle des esprits.

Cette prise de soin est une attention qui n’est pas captée par des tiers, mais au contraire utilisée pour s’améliorer soi-même et surtout pour aider et conseiller les autres. Or la démarche des pseudos « veilleurs » représente un dogme inverse. Il s’agit non pas de veiller mais de rechercher à capter l’attention des médias pour continuer à diffuser des propos dénigrants ceux qui sont jugés différents et à qui on cherche par tous les moyens à limiter les droits. Ces « veilleurs » sont des usurpateurs qui nous proposent une veille sans lendemain et qui se tournent vers un passé qui n’existe pas, en détournant textes, auteurs et concepts.

Des veilleurs il en existe et ils sont bien meilleurs que ceux qui tentent de capter l’attention des médias à leur seules fins. Il s’agit ici de défendre leur image et de veiller justement à l’avenir d’étudiants et de professionnels qui ont choisi cette voie.

Il serait donc opportun que les veilleurs de l’ombre et ceux qui veillent au quotidien puissent avoir un relai médiatique au moins équivalent à ceux qui déversent leur propagande nauséabonde chaque jour dans tous les médias.

Du Like au Fake

La quête du plus grand nombre de likes conduit nécessairement à une guerre du faux dans l’agir réputationnel des marques et autres entreprises en quête de visibilité. Un article du guardian décrit justement les stratégies de la quête du like qui conduit à confier à des « fermes de likes » le soin d’augmenter stratégiquement son nombre de likes pour gagner en visibilité. Le journal cite l’exemple d’une page sur la courgette dont les likes sont artificiellement gonflés car une entreprise au Bangladesh vend 15 dollars le millier de likes. Cette stratégie ne concerne pas seulement les likes de Facebook mais aussi les likes sur Youtube. Les « likeurs » sont évidemment très peu payés, ce qui ne peut qu’interroger sur les logiques éthiques à l’œuvre.

Difficile de savoir alors la part de vérité dans cette mascarade du like qui dupe le consommateur et le citoyen.

On avait déjà dit à plusieurs reprises que le like était une dégradation du tag, qui s’inscrit dans la lignée de l’indexation. On évoque aussi dans cet ouvrage cette question du marché des likes. Cette monétisation totale de l’indexation et sa prise de contrôle par un marché qui ne vise que des opportunités peu durables ne peut qu’interroger sur l’avenir de ces pratiques. Car pour 15 dollars les mille likes, c’est bien la force de travail d’employés mal rémunérés que l’on achète. Pour ces mille fakes, qu’obtient-on réellement ? Est-ce une stratégie de visibilité ? Augmente-t-on ses ventes ? Finalement, ne s’agit-il pas d’une sorte de mensonge punissable par la loi ? On se doute que les entreprises s’en moquent. Il suffit de regarder les publicités à la télévision pour comprendre que la vérité ne soucie guère. Au passage, on se demande vraiment à quoi serve les bureaux de vérification de la publicité et autres CSA.

On peut aussi se demander quel est l’intérêt d’obtenir de faux likes, car cela distend le lien avec les vrais consommateurs qui ont effectué ce geste volontairement. Une nouvelle fois, dans cette logique d’affrontement entre le qualitatif et le quantitatif, il y a matière à réflexion. Cette guerre du fake, touche également les artistes qui cherchent à être les plus likés possibles, dans une nouvelle logique de classement de popularité, par crainte d’une désaffection. On sait aussi qu’on oblige à liker pour participer à tout un tas de concours. Le like ne semble donc pas valoir grand-chose au final.

Seulement, ces logiques perpétuent la dégradation de la satisfaction des désirs, réduisent la libido à une expression simple, à la logique de l’arène, pouce en l’air, pouce levé. Ce n’est pas seulement la logique qui présidait au sort des gladiateurs mais aussi celle de nos salles de marché où on vend ou on achète à la moindre crainte ou information, mais où aussi on pratique le fake depuis longtemps en achetant de façon stratégique.

La pénétration incessante dans nos existences de ces logiques calculées mais nullement raisonnables à long terme ne peut qu’inquiéter. Ce n’est donc pas seulement Facebook qu’il faudrait éventuellement réglementer mais des logiques impulsés par un capitalisme financier qui a perdu totalement sa raison d’être. Finalement, cette inflation du like augmente en parallèle de nos dettes ou prétendus dettes. Ce qui est bradé assurément dans cette histoire, c’est la valeur esprit qui est en déficit.

Face à cet index malmené et aux coups de pouce intempestifs, seule une réaction majeure semble requise.