Megaupload étant down, il n’y a donc aucune raison de rater le troisième épisode de notre série hiémale. Pour rappel, l’épisode 1 est ici, le second est là.
Attention, cet épisode est clef pour comprendre la suite et l’éventuelle deuxième saison. Car certains mauvais scénaristes tentent de diluer la culture de l’information en s’inspirant du modèle de l’information literacy. Méfiez-vous des imitations !
Dans notre thèse (1), nous avons effectué un parallèle entre la culture de l’information et l’information literacy, en examinant leurs rapports et proximités ainsi que leurs divergences. Nous avons cherché à montrer que la culture de l’information constitue une nouvelle piste pour l’information literacy notamment dans son acception citoyenne.
L’information literacy repose sur une série d’acteurs qui sont très nettement issus du monde des bibliothèques notamment universitaires. La question du rôle des bibliothèques dans la formation à l’information apparaît primordiale dans notre analyse. Les bibliothèques universitaires et notamment les bibliothèques américaines se sont emparées de la formation dans la logique de la société de l’information comme le montrait le texte de l’ALA de 1989. Ce texte écrit quelques jours avant l’investiture de George H. W Bush, après les années Reagan qui avait vu une forte diminution des fonds pour les bibliothèques, constitue une tentative de démonstration de la réalité économique des bibliothèques et de leur rôle clef en ce qui concerne la formation et la préservation de la qualité de l’information. Dans cette lignée, l’information literacy et les acteurs de la formation à l’information vont maintes fois et encore actuellement se poser la question des résultats de ces formations afin de démontrer leur efficacité. Cette obsession de la justification se constate régulièrement. Le titre du congrès ILFA de 2008 est ainsi éloquent : « Retour sur investissement: évaluer l’enseignement de la maîtrise de l’information. Qu’apprennent-ils vraiment et à quel prix? »
Peu de disciplines se posent autant cette question de l’efficacité. Mais il est vrai que les bibliothèques universitaires s’emparant de cette formation ont rapidement désiré se démarquer des enseignements traditionnels en se voulant efficaces et adaptés aux exigences de la société de l’information. Ainsi, cette formation s’est effectuée sur des modèles procéduraux et fréquemment à la marge des cursus classiques. Rejoignant parfois des projets de méthodologie générale notamment en France, les savoirs et les notions à transmettre sont rarement clairement identifiés.
Le problème demeure sans cesse celui de la légitimité de ces enseignements où interviennent différents acteurs pas toujours bien identifiés par les étudiants …d’autant que certains enseignements sont parfois assurés par des tuteurs eux-mêmes étudiants. Au final, il ne s’agit pas de réels enseignements mais de méthode. Dans ces conditions, la légitimité institutionnelle de ces formations est faible et rejoint la délicate position des professeurs-documentalistes également en quête de légitimité.
Du fait d’une faible légitimité institutionnelle, la formation repose nettement sur la qualité des intervenants et de fait sur les mécanismes de la popularité. Il faut sans cesse convaincre les étudiants de l’utilité d’un enseignement qu’ils n’ont pas choisi et dont ils ont parfois le sentiment qu’il leur est imposé.
Dès lors, il s’agit fréquemment de mesurer les effets de ces enseignements avec des enquêtes de satisfaction en reposant sur une tentative de légitimation populaire qui s’ajoute à celle de la légitimité économique. Ces stratégies visent à évaluer la qualité par la quantité, au sens de ce qui peut être évalué de manière chiffré.
Le bilan de la formation s’avère peu satisfaisant en général car il s’effectue à la marge et diffère énormément selon les universités et les lieux de formation. Le succès de la formation est coordonné au dynamisme des personnes qui assurent la mise en place de la formation et la capacité à convaincre les décideurs et les autres disciplines. Les britanniques (Webber, Johnston, Corral) recommandent ainsi des habiletés managériales pour les formateurs et préconisent le rapprochement conceptuel avec les sciences de la gestion pour développer le projet de l’information literacy de manière plus indépendante vis-à-vis des bibliothèques universitaires. Nous avons vu que ce choix consistait à un retour aux préconisations faites par Zurkowski en 1974 et qui se basaient sur un paradigme informationnel. Les suites de cette conception sont perceptibles dans une volonté de mesurer dorénavant la société de l’information ou plutôt en quoi un pays correspond aux critères d’une société de l’information .
Nous retrouvons dans cette volonté de retour sur investissement, ce qui se fait déjà en bibliométrie et en scientométrie pour mesurer les usages, les emprunts, et autres statistiques qui permettent une meilleure gestion bibliothéconomique. Ces mesures sont utiles mais leur extension à tous les domaines constituent une erreur d’interprétation de leurs forces et de leurs limites.
Cette volonté de mesurer les investissements renvoie à une logique nettement économique mais également basée sur la mesure d’usages à court terme. En aucun cas, il ne s’agit d’une construction visant à l’acquisition d’une culture.
Légitimité populaire, légitimité économique, tout cela semble éphémère et parait devoir être gagné sans cesse en vain. Derrière cette légitimité, il y aussi une confusion gênante. En effet, la formation à l’information devient un moyen supplémentaire de justifier le rôle des bibliothèques. Cette position dominante finit par nuire à la réelle mise en place de la culture de l’information tant il s’agit de défendre davantage des acteurs qu’une réelle formation.
L’absence de légitimité en matière d’autorité est la conséquence de savoirs non établis et de notions à transmettre non construites voire mal maitrisées du fait d’une variété d’intervenants. La piste didactique correspond ainsi à une démarche plus rationnelle.
Références :
Sur les aspects citoyens de la culture de l’information :
– Olivier Le Deuff (2009) « La culture de l’information et la dimension citoyenne », Les Cahiers du Numérique. « La culture informationnelle ». Paris Hermes-Lavoisier, vol.5, n°3, p. 39-49
(1) La culture de l’information en reformation. (sous la dir. d’Yves Chevalier). Thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication. Université Rennes 2, Septembre 2009
Disp. en ligne :
Mois : janvier 2012
La culture de l’information en 7 leçons. E02. La culture de l’information représente une culture globale et commune mais avec des spécificités.
Suite de la série de l’année 2012, bon ce ne sera pas aussi fun que Californication, mais voici le second épisode. Pour rappel le premier est ici.
Il est tentant de considérer la culture de l’information comme une forme de culture générale.
La culture de l’information se distingue des discours globalisants de la société de l’information qui procède surtout par uniformité des moyens techniques employés et des usages requis. Les discours de la société de l’information, qui considèrent l’individu d’abord comme un consommateur ou un usager, privilégient une uniformité voire un mimétisme dans les dispositifs.
La culture de l’information procède de manière inverse avec des éléments communs, en ce qui concerne la formation plus particulièrement, de afin que les individus puissent se constituer de manière non-conforme. Des éléments qui sont propres d’ailleurs à la notion de culture :
On désigne par le concept de culture l’ensemble des médiations symboliques des représentations de l’appartenance sociale : la culture est ce qui se partage, ce qui constitue un patrimoine commun de représentations en quoi se reconnaissent les sujets qui revendiquent la même appartenance sociale et symbolique. (1)
La culture de l’information repose ainsi sur le partage de valeurs communes. Mais il s’agit aussi de prendre part et non seulement de se partager un héritage. Ce n’est donc pas une culture imposée ou d’héritage de type religieux, mais une culture à laquelle il s’agit d’accéder. Il y a donc une part d’élévation dans cette culture qui est également « instituante » (on reviendra sans doute prochainement sur ce blog sur la question de l’élèvation). Dans la lignée de Condorcet qui plaçait la tradition à la fois dans le passé mais également dans le futur en vue d’une amélioration constante (2) . Cette vision d’une république en amélioration repose sur l’instruction et s’illustre parfaitement dans le projet encyclopédique dont la publicisation des savoirs permet, comme le préconise Simondon, de refaire et d’améliorer. C’est également un moyen d’éviter l’unilatéralité :
La tolérance est ainsi une valeur directement suscitée par l’ouverture informationnelle. (3)
Il ne s’agit donc pas de préconiser une culture uniforme et en ce sens la culture de l’information n’est pas qu’un concept français ou francophone comme nous l’avons montré dans les différentes acceptions au niveau international.
Cependant, nous observons dans les différentes études le constat commun de la convergence, voire d’une culture de la convergence pour reprendre l’expression d’Henry Jenkins. En effet, nous avons constaté que des divisions et séparations entre certaines littératies et éducations ne sont plus opérationnelles. De fait, la culture de l’information est autant une culture de la communication, que des médias et des techniques informatiques. Nous notons qu’en ce qui concerne la participation et la prise de part au sein de la culture, nous retrouvons encore une fois Henry Jenkins qui évoque une culture participative (participatory culture).
Pour autant, elle mérite selon nous que soient définies des actions de formations spécifiques ainsi que des savoirs à transmettre.
Une culture néanmoins spécifique ?
Il convient de se demander finalement quelles sont donc les frontières de cette culture de l’information autant en ce qui concerne ses territoires que de ses potentiels formateurs :
Car s’il faut à tout prix former les élèves du secondaire et les étudiants, cela ne relève-t-il pas, en définitive, de l’enseignement lui-même, de l’acquisition d’une culture générale et disciplinaire ? Autrement dit, jusqu’à quel point peut-il exister une formation spécifique, prise en charge par les bibliothécaires et les documentalistes ? La question n’est pas de pure forme et procède de la nature même de l’évaluation qui mobilise à la fois des savoirs disciplinaires (pour la validité scientifique des documents) et documentaires (pour l’évaluation de la fiabilité de la source ou de la qualité formelle des documents). (4)
Autrement dit, la culture de l’information n’est-elle que du ressort des professeurs-documentalistes dans le secondaire ou des bibliothèques dans le supérieur ? Évidemment non. Ce n’est donc absolument pas un domaine réservé. Pour autant, il appartient d’envisager sa mise en place concrète en distinguant les acteurs les mieux placés pour dispenser la formation.
Le fait justement que beaucoup d’acteurs se sentent parfois concernés par le sujet a pour conséquence le mélange des genres et des représentations. Il y a différentes cultures de l’information selon les professions. D’autre part, le fait de considérer que cette culture est un élément clef de la culture générale témoigne certes de son importance, mais accroit le risque qu’il n’y ait pas de réelle formation.
En ce sens, le travail de didactique de l’information portée par des professeurs-documentalistes constitue une piste de rationalisation qui vise à sortir des discours trop généraux et simplement incitatifs. Il s’agit de savoir ce qui peut réellement être transmis et comment cela peut être réalisé. Pour cela, il faut vraisemblablement préalablement sortir du paradigme informationnel de l’information literacy.
1. Bernard LAMIZET. Les lieux de la communication. Mardaga, 1995, p.44
2. « Le but de l’instruction n ‘est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger » Condorcet. Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), édition Garnier-Flammarion. p.93
3. Nicolas AURAY. « Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers », in Roux, R. (dir.), Gilbert Simondon. Une pensée opératoire, Saint-Etienne, Presses de l’Université de Saint-Etienne, 2002,125-147. P.125
4. Serres, Alexandre. « Evaluation de l’information : le défi de la formation ». Bulletin des Bibliothèques de France, n° 6, décembre 2005, p. 38-44. in BBF
Personal Branding : on solde ?
J’ai toujours été contre la position du personal branding d’une part car elle est dangereuse pour l’individu d’autre part car elle relève de l’escroquerie pure et simple bien souvent. Ceux qui y adhèrent sont surtout des consultants qui font du personal branding une démarche commerciale pour faire vivre leur entreprise. Evidemment, les critiques existent déjà. La position du blog personal branling est une excellente réponse à cette situation car nous sommes tous aux frontières du culte de l’égo. Mais je crois qu’hélas, ça ne suffit pas tant cette mode prend de l’essor en grande partie parce que cela repose sur des discours assez simplistes et aussi car le web facilite grandement cet état de fait avec la prédominance de plus en plus grande de la popularité sur l’autorité qui ne cesse de s’accroitre depuis l’avènement du web 2.0.
Je rejoints donc assez fortement Olivier Blanchard dans son article de blog aux résonances funèbres pour un concept nauséabond et bidon. Ses conseils sont également bons car hormis pour des stars qui effectivement vendent leur marque personnelle, pour la plupart d’entre nous, c’est une bêtise absolue. Il reste que le concept de marque, non pas au sens marketing, mais au sens premier est très intéressant à creuser.
Le fantasme du gros Klout
Le personal branding c’est travailler l’image renvoyée, une représentation parfois faussée qui s’éloigne de la vérité intrinsèque. C’est le dopage pour avoir un gros Klout, le culte de l’égo plutôt que la prise de soin de soi.
Terrible est également ce titre symptomatique d’un livre sur le sujet : MOI 2.0… il recèle en peu de signes, le maximum de bêtise et de danger. Il surfe sur cette idée que c’est l’individu qui est pleinement au centre du système et notamment du web. Il colporte le discours stratégique du web 2.0 dont on sait qu’il est faux : les gros leaders du web sont restés les mêmes et sont devenus plus forts. Contrairement à ce qu’avançait le Times il y a quelques années, l’individu ne contrôle pas l’âge de l’information…hélas. Ajouter 2.0 au MOI démontre bien la farce absurde tant le 2.0 accolé sans cesse à des concepts doit être réalisé avec prudence, les guillemets sont souvent de circonstance. D’autre part, le 2.0 est daté et on se demande quelle opportunité peut-il y avoir à sortir un bouquin avec du 2.0 inside en 2011 ?
Il est inadmissible qu’un tel positionnement puisse être mis en avant avec ce que démontre chaque jour les excès d’un capitalisme financier. Le personal branding ne fait qu’accroître le risque de faillite personnelle.
L’Ego face au soi.
La culture du Moi face à la culture du soi. Deux cultures différentes. L’une est vouée à un échec évident, cela va donner beaucoup de boulots au psy de gérer ses faillites personnelles suite au dopage réalisé sur les conseils des docteurs folamour du personal branding. J’espère que ces marchands du temple ne vont pas se ramener dans l’institution scolaire, on a déjà eu assez des Calysto et autres action innocence.
Je ne rejette pour autant pas le fait qu’on a tous besoin d’être valorisé et d’obtenir de la reconnaissance. C’est tout à fait humain et souhaitable. Je regrette simplement le fait que cela en devienne l’obsession avec tous les risques de frustration que ça génère en cas d’échec ou de dégonflage soudain. Combien de baudruches sur nos réseaux dont on ne sait réellement quelles sont leurs compétences ?
Combien ne prennent d’ailleurs aucun risque de peur de fâcher et tente d’obtenir des suffrages réticulaires pour faire gonfler leur nombre de suiveurs (followers) et ainsi arborer un Klout turgescent ? On peut avoir un gros Klout sans corones. A noter que l’entreprise gagne des sous désormais. Jusque là, on testait le service plutôt pour rigoler, mais constater que cela puisse devenir sérieux est inquiétant. Mais il est vrai que quand un service est gratuit, c’est que quelque part le produit, c’est nous. C’est vrai aussi que c’est le besoin d’être toujours noté qui revient avec ces palmarès et autres TOP auxquels il est difficile de résister. Moi aussi j’aime bien les classements, mais bon dans le TOP 50, j’aimais bien Toesca surtout car il me faisait marrer. Hélas, les mécanismes de classement prennent de l’ampleur et manquerait plus que ça devienne sérieux.
Ce mouvement est d’autant plus facilité que la reconnaissance des institutions et au sein des entreprises devient nulle voire totalement absente. Même les profs sont en recherche de reconnaissance à l’extérieur. Il suffit d’aller au forum des enseignants innovants pour y rencontrer ce besoin de reconnaissance.
Ce n’est pas l’échelon individuel qu’il faut remettre en cause. Le PKM (gestion personnelle de son information et de ses connaissances) et la formation de l’individu à la culture de l’information sont nécessaires et un bien meilleur choix que celui d’imposer des règles et des mesures imposées d’en haut. De même, il n’est pas choquant qu’on puisse conseiller des personnalités ou des individus qui ont besoin de revoir leur stratégie et leur présence en ligne, mais qu’on ne leur prétende pas la lune qu’on ne leur vende pas n’importe quoi. La présence en ligne et hors ligne, c’est aussi savoir (où) donner comme le disait Bruno Grimaldi : sinon à « retour de manivelle, tu te retrouves en bas de l’échelle ».
Plaidons davantage pour un travail sur soi, une amélioration et une remise en cause personnelle plutôt qu’une stratégie de la gonflette. La culture du soi implique un passage au collectif plus aisé. La progression personnelle peut servir le collectif, la culture du moi réside dans le sens inverse, c’est-à-dire dans l’utilisation du collectif à ses propres fins. Encore une fois la culture de l’information face à la déformation qui atteint de plus en plus nos identités numériques.
Vanter les mérites du personal branding, c’est bien le dernier élément d’une consumérisation à outrance qui commence à polluer le web de manière irrémédiable. Peut-être plus qu’une révolte des indignés, c’est celles des « vauriens » face aux vendeurs d’EPO en E-réputation qu’il faut réaliser.