Hier soir, plusieurs messages sur twitter proposaient des alternatives à Google en relayant ce billet qui listait quelques alternatives, la plupart déjà connue, tandis que d’autres signalaient l’interview de Snowden qui conseille de quitter les géants du web.
Faut-il fuir et rejoindre Diaspora et sa version hébergée et rejoindre la résistance organisée par Framapad ? La métaphore du village breton résistant à l’Empire romain est amusante, mais semble s’inscrire dans une téléologie évidente, celle de la défaite ou de l’illusion fictionnelle d’une victoire hypothétique qui ne se déroule que dans un univers de BD.
Alors faut-il partir de nos locations numériques ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit, nous sommes des locataires comme le laissait entendre Louise Merzeau. Fuir, car rien n’est vraiment sécurisé et les fuites de données régulières. Bien souvent, le problème vient du fait qu’on n’a pas vraiment lu le bail initial et qu’on est entré parce qu’on y était invité et qu’on ne savait guère combien de temps on comptait réellement rester.
La situation est beaucoup plus complexe qu’une simple fuite ou la découverte d’une alternative miraculeuse. On n’est pas dans un univers à la Goscinny mais bien plus dans ceux de Philip K. Dick. Ces risques, je tente depuis quelque temps de les illustrer par la fiction au travers de la firme supranationale, Argos qui est la véritable héroïne de Print Brain technology, de la Désindexée et de Dance into the cloud. Faut-il pour autant sombrer dans une parano ciblée sur certaines entreprises comme Google, Facebook et autres entreprises du genre ?
Peut-être, mais finalement pas besoin d’être connecté à quoi que ce soit, pour être potentiellement espionné. De plus, ce n’est finalement pas si nouveau que nos outils et nos techniques ne soient pas si parfaits et sans risque. La logique de l’écriture est celle d’une publication et d’un dévoilement, voire d’une conservation. C’est dans un second temps qu’arrive la logique de discrétion et de cryptographie. Si le numérique accroit la sphère de publication et de communication, il en va de même pour les risques d’intrusions imprévues.
Par conséquent, la position la plus intéressante est celle décrite dans l’article d’Hubert Guillaud qui nous offre d’autres stratégies, plus créatives, plus inventives… mais ou une des solutions est celle des écritures de soi, quelque peu détournées en essayant de mieux comprendre comment fonctionnent les trackers de nos intimités qui peuvent se tromper dans la constitution de nos profils. Il faut donc leur apprendre qu’on est un autre, en les induisant en erreur. Une stratégie qui n’est pas non plus totalement nouvelle, dans ce nouvel art du faux qui consiste à se dissimuler sous d’autres valeurs. Il faudrait donc parvenir à dissimuler le vrai par accumulation de données approximatives et erronées afin qu’il soit peu aisé de nous profiler. Navigation privée, bloqueurs de publicités, comptes multiples, proxys, logiciels alternatifs, identités multiples, les possibilités ne manquent pas effectivement.
Cependant, à force de vouloir présenter les google, facebook, ou microsoft comme les apôtres du mal, on rend probablement impossible la possibilité d’une reprise en main de nos espaces locatifs. Les services de ces sociétés sont réels, fortement utilisés parce qu’ils sont généralement plus performants que les services de nos entreprises et institutions dans lesquels on exerce. Qu’on puisse se contenter d’une action individuelle de résistance apparait difficile. Si ces entreprises ont pu prospérer, c’est grâce au manque d’investissement notamment européen dans ces technologies, si bien que nous sommes tous devenus majoritairement des locataires d’espaces sous contrôle américain. En attendant d’avoir des services de qualité équivalente… il est à mon avis préférable d’envisager plutôt une démocratisation de ces entreprises, non pas une nationalisation, mais plutôt une mise en commun à un niveau supranational, afin d’avoir des règles d’utilisation des données personnelles davantage sécurisées et moins risquées. Même si, le risque zéro n’existe pas. Démocratiser, cela signifie avoir un droit de parole dans les décisions de ces entreprises quant aux valeurs (éthiques, commerciales) qu’elles exploitent. De ces lieux qui veulent tout savoir et qui sont en fait des lieux de pouvoir, il nous faut les transformer davantage en milieux de savoir et milieux de pouvoir dans lesquels il nous est possible d’agir, de partager et de contribuer de façon plus sereine.
Affaire à suivre…
Mois : octobre 2014
L’évènement du « Je Dis »
J’avoue que j’en ai un peu assez. J’ai de plus en plus de mal avec la kyrielle d’évènements qui tournent autour du numérique. Il y en a de trop et surtout c’est de plus en plus de la communication clinquante et de l’enfonçage de portes ouvertes : « le numérique c’est bien, il faut du numérique, il faut de la médiation au numérique, il faut de la culture numérique… Bref, y a qu’à, faut qu’on… c’est l’évènement du « je dis »…toujours la même rengaine au final avec derrière des enjeux stratégiques de placements des uns et des autres et des tentatives pour apparaître compétents dans un domaine. En la matière, tout devient possible, un journaliste ou un vendeur de technologies qui n’a jamais enseigné peut devenir le spécialiste en matière d’éducation ; mais dans le domaine tout est possible désormais… On retrouve certains retraités en manque de leur pouvoir d’antan qui viennent encore nous polluer par leur présence lors de ses événements alors qu’il aurait été souhaitable qu’ils se taisent à tout jamais, alors qu’on aimerait davantage en écouter d’autres. Et puis le lot des administratifs toujours de plus en plus nombreux accompagnés de leurs chargés de mission, et les vrp de toutes sortes de produits miracles… Seulement, les positions un peu précises et complexes n’ont pas toujours leur place et on ne sait pas vraiment à qui sont dédiés ces événements parfois qu’on devrait appeler « les vainement »…
Alors, il est vrai que moi aussi je participe parfois à certaines manifestations – assez souvent à contre-courant d’ailleurs, mais je crois qu’il est de plus en plus temps de passer vraiment à d’autres modes. L’argent mis dans ces innombrables journées d’études, colloques, congrès et autres grandes messes en tout genre pourrait être davantage utilisé à travailler davantage sur le terrain, à recruter et à mener des recherches actions. La logique événementielle finit par transformer des chercheurs en vendeurs de soupe lyophilisée… rémunérés parfois plus de 5000 euros la conférence…si ce n’est pas plus.
Au final, on finit par tout mélanger… et culture numérique se réduit à une question d’usages ou à l’enseignement du code et comme ça tout le monde est content. Ce qui est dommage au final, c’est que le plus mauvais de événementiel connait des échos forts, car il n’y a aucune matière à réflexion et qu’il est facile de retweeter ou de liker ce qui semble une évidence. J’ai finalement vu peu d’échos par exemple de la journée du GR-CDI qui semblait pourtant d’un bien meilleur niveau que les grandes messes de la semaine qui ne servent pas à grand-chose au final. Et pourquoi tant de messes en présentiel alors qu’on évoque le numérique ? Pourquoi ne pas privilégier des approches moins clinquantes mais des lieux et milieux où on peut se retrouver et notamment en ligne ? Je me demande si on sait vraiment organiser des événements en ligne au final. Probablement, car la logique de événementiel est différente.
Du coup, la logique événementielle devient tout sauf de la communication, ou tout au moins pas de la communication dans le sens où je l’entends, c’est-à-dire le fait de publier quelque chose pour que chacun puisse en prendre connaissance. On voit que de plus en plus il y a un oubli important du contenu de ce qui est communiqué, comme une césure entre l’information et la communication, comme une perte de sens.
L’Événementiel finit par une masquer une instabilité, une incapacité à se poser qui l’éloigne de plus en plus de la communication qui doit aussi permettre la transmission, la participation et la construction. On s’entreglose en vain. On croyait à une nouvelle Renaissance, mais de plus en plus c’est un nouveau Moyen-âge que nous sommes en train de construire.
On a de l’argent pour l’événement, mais plus pour recruter. Les profils de poste n’ont pas encore pris le virage d’exiger un minimum de culture numérique dans la fonction publique, tandis que des entreprises peinent parfois à recruter faute de moyens financiers suffisants ou de compétences disponibles sur le marché. Idem dans le public ou on ne parvient pas vraiment à recruter des pointures dès qu’on monte en puissance sur les technologies. A quand un cloud institutionnel ? Si c’est jamais, autant signer de suite chez Google et l’assumer une fois pour toute plutôt que de continuer à bricoler. Je ne compte plus le nombre d’échecs pour monter des réseaux sociaux professionnels ou associatifs faute de moyens ou de volonté réelle. Je ne parle pas des administratifs qui nous parlent désormais de numérique et qui ont refusé tout un tas de projets précurseurs…
Je n’ai toujours pas compris non plus l’histoire des labels french tech, si ce n’est qu’on a l’impression que les villes préparent un dossier comme pour les Jeux Olympiques en espérant toucher le gros lot.
Je note aussi un malaise grandissant…y compris au Thatcamp de Lyon duquel je reviens. L’ambiance est retombée, les humanistes digitaux ou numériques semblent fatigués (moi le premier en tombant malade dès l’animation de l’atelier que j’animais), absorbés par une multiplicité de tâches grandissantes. Pourtant, le ThatCamp offre davantage de perspectives en matière de communication scientifique. J’espère que ce n’est qu’un mauvais passage.
Finalement ce triomphe de événementiel alors qu’on ne cesse de parler de durable est une vaste plaisanterie qui profite de la lente agonie de la valeur esprit.
ps: Olivier Ertzscheid nous montre ce matin qu’il ne faut pas désespérer et qu’il y a moyen de faire des choses en commun, et c’est bien l’essentiel.
Nouvelles translitéraciques
Les recherches se poursuivent autour de la translittératie autour de différents projets de recherche en France et ailleurs dans le monde et pour ma part, je continue également de travailler autour du concept.
Pour ceux qui ne sont pas encore familiers avec l’expression, je les renvoie à l‘article sur le sujet que j’ai écrit pour le dictionnaire en ligne de l’Enssib et à cet article écrit initialement pour la revue argus.
Je viens donc de publier un nouvel article sur le sujet mais plus proche de mes préoccupation autour des humanités digitales.
J’ai tenté récemment d’associer plus étroitement les concepts du trans, en mêlant translittératie et transmédia notamment en interrogeant les évolutions et mutations au sein du mouvement des humanités digitales. Le but de l’article était de s’appuyer sur les travaux menés dans le cadre du projet Humanlit. Vous pourrez donc y retrouver pas mal d’éléments abordés déjà sur le carnet de recherche.
Le résumé de l’article :
Le but de cet article est d’examiner les compétences en jeu dans les humanités digitales dans le cadre de productions « délivrées ». Les enjeux autour du développement d’une translittératie sont examinés, notamment en imaginant une évolution de l’article scientifique puisant aux logiques du transmédia pour en faire un article davantage ouvert, sous la forme d’une Application Programming Interface (API).
L’article est disponible sur Cairn. Je peux le transmettre à quiconque en fera la demande.