De la déformation à la désinformation : l’arnaque des baies d’Acai

Il est coutume de dire qu’il faut être autant vigilant sur Internet que lorsqu’on effectue des achats dans un magasin classique.

Pourtant, il semble que la crédulité y soit parfois plus forte notamment par le jeu des fausses recommandations (ou astroturfing) mais aussi parce que s’y projette toujours des imaginaires plus prononcés et des projections de fantasmes qui peuvent s’y trouver incarnés. Parmi eux, figurent celui de pouvoir devenir un acteur hollywoodien ou tout au moins en suivre les traces et les secrets.

De là arrive ce passage de la désinformation à la déformation, et ce dans tous les sens du terme. En effet, il n’est pas rare de rencontrer sur divers sites, des publicités pour devenir beau et musclé dans un temps réduit grâce à des substances miracles qui vous trans-forme en éphèbe que tout le monde envie.

Ces publicités utilisent la technique du blog bidon qui présente le cas d’une personne qui serait parvenue à dénicher le secret des acteurs qui réussiraient en peu de temps à se constituer un corps d’athlète. Le plus terrible, c’est que cette arnaque fonctionne car elle prétend offrir des garanties à la fois médicales (pas d’effets secondaires) et financières (échantillon gratuits et frais de ports allégés).

Hélas, c’est une double arnaque : d’une part, cela ne produit aucun effet sur les corps si ce n’est des désagréments, d’autre part, c’est la santé financière qui en prend un coup et le compte en banque qui se trouve dégraissé du fait des autorisations de prélèvement associées. En effet, les échantillons gratuits sont envoyés contre une forme d’abonnement pour recevoir régulièrement la potion miracle moyennant des sommes autour de 80 euros.

Le plus fort dans cette arnaque, c’est qu’elle se décline à l’international.

Ainsi le blog suivant dont j’ai trouvé la publicité ce matin sur un journal israëlien montre aussi le peu de déontologie de certaines presses -en ligne- qui bouffent à tous les rateliers que ce soit la publicité ou bien désormais les aides de l’Etat.

Cette arnaque est symbolique de la nécessité d’élargir les enseignements actuels en littératie à la fois en matière économique mais également en matière informationnelle. Il faut rappeler que la littératie médicale s’avère souvent ainsi proche de la littératie informationnelle quand il s’agit de rechercher de l’information sur des symptômes et des médicaments. Il est à craindre que des évènements de ce genre continuent à se produire du fait d’une incapacité des individus à évaluer l’information.

Pourtant un peu de recherche sur Internet donne quelques éléments de réponse notamment sur le forum des arnaques. Cela signifie qu’Internet est souvent également le remède à ses propres maux.

Mais d’autres habitudes ou d’autres outils permettent de vérifier rapidement la véracité d’une information. Dans le cas de ces blogs, un argument important est l’utilisation des photos qui montrent le changement spectaculaire de physionomie obtenue par l’absorption du produit miracle. Un outil permet de vérifier de suite si ces images ne sont pas déjà réutilisées ailleurs… Pour cela, l’évaluateur de l’information peut utiliser le moteur qui permet de comparer les images et notamment tinyeye. Pour ma part, je l’ai implémenté dans firefox et la recherche s’effectue automatiquement par un clic droit sur la photo.

Prenons cette image.

Tinyeye montre son utilisation multiple, ce qui devrait susciter déjà fortement le doute, du fait que le monsieur qui prétend que ce produit miracle a changé sa vie, est également doué de glossolalie car il cause aussi bien en français que dans bien d’autres langues. Le plus embêtant, c’est que la photo est déjà utilisée pour vanter les mérites d’un autre produit bien plus classique pour ceux qui souhaitent gagner du muscle.

 

La recherche via tinyeye permet de tordre le coup à l’autre technique de la double recommandation qui consiste à poster de faux commentaires de testeurs qui vont aussi ajouter des photos démontrant leur transformation.

Et voilà que nous retrouvons d’autres utilisations et un autre blog, quasi copie conforme de celui en français. On peut faire de même avec la photo du prétendu transformé. Il est vraisemblable que la photo provienne de ce site de soins pour homme. Ce qui est aussi étonnant, c’est que celui qui s’affiche comme David de Chateaugiron pour moi apparaît différemment en fonction de l’adresse Ip de votre ordinateur selon le lieu où vous habitez. Si je passe par un VPN qui m’identifie en hollande, le David devient Alex d’Amsterdam.

Normalement, cela devrait suffire à vous dissuader de passer une commande. Mais, vous pouvez être curieux et vouloir savoir qui se cache derrière les adresses internet que vous avez trouvées. La solution existe, il s’agit d’aller voir dans l’annuaire des noms de domaine, le who is. L’occasion de rappeler qu’Internet n’est pas un territoire sans règles comme on l’entend parfois. Cependant, note site ne donne pas de réponse car il a interdit la diffusion du nom du propriétaire. Le nom de domaine était étrange car notre David faisant référence à un alex dans le nom de domaine « alexmuscle.com »

Finalement, le mieux est d’aller sur le site qui nous propose les pilules miracles. Le who.is nous apprend qu’il s’agit d’un mystérieux support-logic-group. Le site vante alors les mérites des baies d’acai qui est la base du produit vendu. Et utilise alors une supercherie visant à faire croire que les médias ont parlé du produit que vend le site alors qu’ils n’ont fait qu’évoquer les fameuses baies. Une recherche sur google avec comme mots-clés « baies d’acai » met en premier lien un forum qui révèle l’ensemble de la supercherie. Les baies qui peuvent être orthographiées « açaï » sont riches en radicaux libres ce qui fait qu’on leur prête toutes sortes de vertues.

Souvent Wikipédia peut servir de rempart contre la désinformation, seulement il faut chercher un peu plus que traditionnellement du fait qu’il n’existe pas d’entrée directe pour les fameuses baies et que l’information se trouve en ce qui concerne son arbre porteur, comme quoi il faut toujours remonter à l’origine. L’article de wikipédia renvoie à des articles scientifiques sur les propriétés des baies vendues en poudre. Il est apparaît donc que les baies peuvent avoir quelques vertus mais il n’est nullement mentionné que cela va vous transformer rapidement et que Groquick va pouvoir devenir Brad Pitt en un mois.

Il me reste encore à étudier les messages des arnaqués des forums, car il y a beaucoup d’enseignements à en tirer. Il semble qu’une autre arnaque fonctionne de la même manière avec le miracle qui vous ferait blanchir les dents.

En matière de transformation, la plus intéressante est sans doute celle de Santa Claus qui ne s’est pas faite en un mois. Certains diront que l’arnaque des baies ressemble beaucoup à l’histoire du père Noël : cela fait rêver et il parvient à être partout. Reste à savoir, si les baies lui permettront d’affiner sa silhouette quasi obèse qui commence à faire jaser.

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Les architextes dans les dispositifs d’enseignement en ligne. De nouveaux enjeux de pouvoirs ?

Je mets en ligne sur archivesic un travail en cours sur lequel je reviendrai si je dispose de temps. Cela concerne la présence de formes préétablies au sein des cours en ligne.

 

Voici l’introduction du texte.

 

« Le but de cet article est de montrer qu’au travers les nouveaux objets numériques d’enseignement comme les plateformes d’enseignement en ligne mais également les blogs d’enseignants, des processus documentaires et éditoriaux demeurent. Nous pouvons y distinguer au sein de ces dispositifs, des formes qui peuvent être qualifiées d’ « architextes » (Souchier, 2003). Les travaux sur les écrits d’écran ont permis de reprendre en compte des formes qui pouvaient s’avérer ignorées par une illusion de la transparence. Nous souhaitons montrer également que les formes éditoriales et auctoriales tendent de plus en plus à se confondre tout comme les fonction de médiation ou de recommandation et qu’il devient de plus en plus difficile de les distinguer même si elles demeurent présentes. Pourtant les systèmes d’ingénierie pédagogiques préconisent la séparation de ces fonctions comme autant de lieux d’expertise qui s’avèrent d’ailleurs parfois contradictoires notamment au niveau des représentations entre ingénieurs pédagogiques et enseignants (Pernin, 2006) Il s’agit selon nous de repenser les implications de délégations à des systèmes reposant à la fois sur des techniques et des humains. L’enseignant se doit de repenser sa relation avec la technique dans ses dispositifs « technopédagogiques ». »

 

L’objectif de cette article est de démontrer les complexités à l’œuvre dans ces dispositifs et surtout les enjeux de pouvoirs qui s’y jouent. L’apparente transparence ou impression de liberté même institutionnelle ne doit pas faire oublier que de nouvelles médiations s’observent et que de nouveaux pouvoirs émergent. Le danger pour les enseignants seraient donc de négliger les enjeux techniques et ses pouvoirs car il est vraisemblable que s’y jouent de plus en plus les futurs enjeux institutionnels. Négliger les fonctionnements des dispositifs techniques équivaut à négliger les dispositifs adminstratifs, c’est courir le risque d’être dépossédé quelque peu voire « prolétarisé ».

Développer l’analyse des clips musicaux : il nous faut des profs de littératie

Je pense de plus en plus que l’étude des clips musicaux mériterait une plus grande part dans l’Education. Les possibilités éducatives et culturelles sont multiples et permettent d’effectuer facilement des liens avec des œuvres de la littérature, avec d’autres références notamment cinématographiques.

Une telle étude permettrait de motiver la découverte de divers horizons et permettraient aux élèves d’aiguiser le regard critique face à la diversité des images qu’ils peuvent rencontrer.

Il ne s’agit pas de remplacer l’étude d’œuvres littéraires par des clips mais de procéder à un rééquilibrage ainsi qu’à de nouvelles méthodes pour tisser des liens entre les supports.

Il s’agit d’ouvrir davantage les élèves aux différentes lectures qui existent car comme nous l’avions évoqué précédemment avec notre définition de la littératie.

Rien qu’à partir d’un clip, il est parfois possible de réaliser des séquences assez poussées et motivantes pour les élèves. Evidemment, cela demande des connaissances variées qui nécessitent une culture générale variée (et pas seulement normée) mais aussi celle d’une culture numérique (au sens d’une maitrise des usages des objets numériques avec la capacité à manier cette matière numérique pour former et in-former -et non pas déformer les élèves).

Il est possible de partir de clips relativement populaires pour réaliser ce genre de travail. Je songe ainsi notamment aux clips de Mika qui résultent de syncrétisme musicaux divers et qui fourmillent de références intéressantes. C’est-à-dire qu’il faut réaliser à partir d’un clip, un examen hypertextuel –je rappelle que le texte dans la définition d’Yves Jeanneret est ce qui nécessite une lecture- qui peut nous mener à réaliser des éléments historiques de la musique disco, des comparatifs avec des œuvres cinématographiques, des séries TV, l’étude de texte notamment ceux de Lewis Caroll, les éléments mythologiques (le dieu cerf et ses éventuels prolongements dans les jeux de rôle), les feux d’artifices (histoire et propriété de la poudre), etc.

 

Bref, à partir du clip de Rain de Mika, il est possible par liaisons et rebonds d’étudier une variété de sujets à l’infini. Je tenterais d’en donner quelques pistes sur cactus acide dans le courant du mois de Janvier. L’occasion pour moi de rappeler que toutes les bonnes volontés sont acceptées pour cactus acide qui va sur ses deux ans. J’aimerais bien développer l’idée de séances de travail à partir de clips musicaux ou de publicités voire des courts extraits de films et de séries.

Selon moi, nous avons désormais davantage besoin de professeurs de littératie que de français ou de toute autre discipline. Or, depuis des années, nous avons fait l’inverse en cloisonnant et formant des spécialistes de leur domaine, estampillés d’une certification et d’une agrégation. Or, ce dont nous avons de plus en plus besoin, ce sont des tisseurs et des passeurs de savoirs qui incitent l’élève à mieux retenir en reliant des éléments avec d’autres, voire en les opposant pour développer des analyses critiques puis en les recomposant pour éventuellement commencer à créer et à innover. C’est alors seulement, que l’intérêt pour les disciplines et ses spécialisations peuvent apparaître. Les spécialisations didactiques doivent faciliter la compréhension et l’articulation des notions. Mais dans les faits, ce sont les éléments institutionnels qui ne font que séparer les connaissances au travers d’emplois du temps divisés par disciplines et classes de travail pour tenter non pas de faire progresser l’élève mais pour mieux le surveiller.

L’Education a donc perdu peu à peu ses bases essentielles que sont celles de l’étude et de la capacité à étudier à l’abri d’autres sollicitations que sont celles du neg-otium, du négoce ou du travail au service des autres.

Certes on peut certes déclamer qu’il faut changer de «  logiciel » ou affirmer l’importance de l’Ecole- ce que n’ont de cesse à répéter certains discours politiques- mais il n’y a bien souvent aucune vision concrète de ce qu’il faudrait faire. En grande partie, parce que beaucoup n’en ont aucune idée, et que d’autre part, un réel changement de logiciel nécessiterait un changement organisationnel massif et une reformation institutionnelle qui ne pourrait s’effectuer sans affronter les bastions institutionnels qui se sont constitués et qui sont bien loin d’avoir la malléabilité du numérique. Tout le monde veut bien que ça change, surtout si ça concerne l’autre.

Retour sur la littératie. (deuxième partie)- La permanence du texte

Nous avons été confronté plusieurs fois à des réflexions sur la littératie, son utilité et notamment sur le fait de savoir si elle n’était pas en fait « surestimée ». Nous avons considéré au contraire que dans la culture de l’information se maintient le concept de littératie. Pour cela, il faut revenir aux enjeux du texte et à la définition développée par Yves Jeanneret. En effet, bien souvent il s’agit de remettre en cause la notion de texte qui serait de plus en plus dépassée par l’omniprésence des nouveaux médias et notamment le primat de l’image sur le texte. S’en suit ainsi toute une série de visions véhiculées d’ailleurs par la télévision et les messages publicitaires qui conduisent à parler de fin de la lecture ou bien encore qui incitent certains responsables de sociétés informatique, tel Steve Jobs, à critiquer les projets de livres électroniques des concurrents en annonçant simplement que ces derniers ne peuvent qu’échouer puisque plus personne ne lit. Pourtant, il semble que la lecture ne disparaît pas pour autant et qu’au contraire son champ ne fait que s’accroître si on persiste dans la définition du texte de Jeanneret.

Au final, la confusion qui règne à ce sujet s’explique également par une mauvaise interprétation du mot texte et s’inscrit dans un paradigme informationnel. De la même manière, l’expression digital natives est une des conséquences d’une mauvaise interprétation du concept de texte :

Dans les réflexions sur l’informatique, la notion de texte n’est pas une ressource, mais un repoussoir. Le « tout numérique » nous dit : choisis ton camp, culture du texte ou société de l’information. Ce discours est fécond en antithèses : le révolutionnaire s’y oppose au désuet, l’ouvert au clos, l’immatériel au matériel, l’accessible à l’éloigné. Le texte est du côté de l’ancien, du fermé, du pesant, du médiat. 

Selon nous, il y a bel et bien une permanence du texte et même de l’hypertexte qui ne sont d’ailleurs nullement opposés et la littératie recouvre bien ces divers aspects faisant sortir le texte d’une doxa lui accordant un statut uniquement graphique, si ce n’est alphabétique au niveau occidental. Ivan Illich voit même dans le livre une concrétisation de l’abstraction textuelle. Ce dernier constate déjà au début des années 90 les nouvelles évolutions du texte :

Ce foyer est aujourd’hui aussi démodé que la maison où je suis né, alors que quelques lampes à incandescence commençaient à remplacer les bougies. Un bulldozer se cache dans tout ordinateur, qui promet d’ouvrir des voies nouvelles aux données, substitutions, transformations, ainsi qu’à leur impression instantanée. Un nouveau genre de texte forme la mentalité de mes étudiants, un imprimé sans point d’ancrage, qui ne peut prétendre être ni une métaphore ni un original de la main de l’auteur. Comme les signaux d’un vaisseau fantôme, les chaînes numériques forment sur l’écran des caractères arbitraires, fantômes, qui apparaissent, puis s’évanouissent. De moins en moins de gens viennent au livre comme au port du sens. Bien sûr, il en conduit encore certains à l’émerveillement et à la joie, ou bien au trouble et à la tristesse, mais pour d’autres, plus nombreux je le crains, sa légitimité n’est guère plus que celle d’une métaphore pointant vers l’information »

Ici, le mot information semble péjoratif dans l’esprit d’Illich comme s’il s’agissait d’un élément brut, opposé à une connaissance issue d’une construction. C’est tout l’intérêt de l’expression information literacy de regrouper en fait deux termes d’apparence contradictoire mais qui montre que demeurent la littératie et l’action de lire dans l’accès à l’information. En effet, c’est cette action de lire (studium legendi) qui permet au lecteur de rechercher le sens. L’acte de lire devient formateur autant pour l’esprit que pour le corps:

La raison pour laquelle le studium legendi est une quête de la sagesse efficace et infaillible se fonde sur le fait que toutes choses sont imprégnées de sens, et que ce sens n’attend que d’être mis en lumière par le lecteur. Non seulement la nature ressemble à un livre, mais la nature est un livre, et le livre produit par l’homme lui est analogue. Lire est un accouchement. Et la lecture, loin d’être la manifestation d’une abstraction, est celle d’une incarnation. Lire est un acte somatique, corporel, d’aide à la naissance du sens qu’engendrent toutes les choses rencontrées par le pèlerin au long des pages.

Derrière cette confrontation et cette action de lire, nous retrouvons la notion de document qui perdure également et qui explique que la documentation ne disparaît pas pour autant malgré l’idée du primat de l’information. Nous verrons d’ailleurs que c’est aussi la base du projet de la didactique de l’information de rappeler les notions essentielles qui se maintiennent malgré les évolutions techniques.

Selon Jeanneret, l’information n’émerge que dans la confrontation du document avec le chercheur. Jeanneret soulève et réfute deux objections quant à la prédominance du texte. La première est portée par les discours commerciaux et médiatiques : l’objection « iconiciste », la seconde concerne plus particulièrement les nouveaux médias et la sphère des jeux-vidéos.

La domination de l’image sur le texte ?

Désormais, l’image dominerait, suivant en quelque sorte le passage des médiasphères de Régis Debray avec l’avènement de la vidéosphère. Debray insiste néanmoins sur le fait que les différentes médiasphères constituent des dominantes mais qu’elles ne s’excluent pas. L’image et le texte ne s’opposent pas nécessairement car dans la définition de Jeanneret, l’image est un texte puisqu’elle nécessite aussi une lecture, une interaction avec le lecteur. La notion de texte ne doit donc pas être assimilée au livre. Nous restons donc fidèle au texte non pas dans le sens où l’entend Mallarmé, refusant l’illustration et notamment les photographies au sein des ouvrages, mais considérant que l’image appelle une lecture et demeure donc un texte. Le texte n’est pas qu’un seul objet imprimé voire alphabétique. Ce serait d’ailleurs une vision purement occidentale que d’oublier les systèmes d’écritures notamment asiatiques basés sur des idéogrammes qui sont évidemment
des images. L’opposition texte/image résulte donc d’une confusion.

L’objection sensorielle :

Les nouveaux médias seraient vecteurs de nouvelles sensations, nouvelles sollicitations visuelles, immersion dans de nouvelles réalités, de la réalité augmentée à l’univers fictionnel des jeux vidéos. Selon nous, le texte demeure bel et bien présent dans ces évolutions médiatiques, d’une part parce qu’elles reposent sur des stratégies d’écriture et d’autre part parce qu’elles nécessitent une « interprétation », une forme de lecture. Le terme d’hypermédias est d’ailleurs également utilisé, s’il convient de manière à montrer l’extension du terme d’hypertexte, il se révèle en fait un contresens dans la mesure où l’hypertexte est nécessairement un hypermédia tout comme le texte est un hypertexte potentiel.

Crawford KILLIAN. Is literacy overrated ? Or are news media just overreacting ? in Aberystwith university, Pays de Galles, Billet du 27 septembre 2005. Disp sur : <http://thetyee.ca/Mediacheck/2005/09/27/LiteracyOverrated/>

Anna BRILL. Is literacy is over-rated. 10 mars 1998. Disp sur : <http://www.aber.ac.uk/media/Students/alb9601.html>

2 Yves JEANNERET. Le procès de numérisation de la culture : Un défi pour la pensée du texte. Protée, Volume 32, numéro 2, automne 2004, p. 9-18, p.9

3 Ivan ILLICH. Du lisible au visible : La Naissance du texte, un commentaire du «Didascalicon» de Hugues de Saint-Victor. Cerf, 1991

4
Ibid.

5 « Je suis pour — aucune illustration, tout ce qu’évoque un livre devant se passer dans l’esprit du lecteur ; mais, si vous remplacez la photographie, que n’allez-vous droit au cinématographe, dont le déroulement remplacera, images et texte, maint volume, avantageusement. » Mercure de France, janvier 1898.

 

 

Retour sur la littératie- première partie. (extrait de la thèse)

Alors qu’Howard Rheingold évoque une twitter literacy, participant ainsi aux nombreuses littératies issues du numériques, il m’a semblé opportun de faire un rappel sur la notion de littératie avec un morceau extrait de ma thèse. Comme elle fait plus de 400 pages, je distillerai de temps en temps, certains passages pour éclairer quelques évènements particuliers. Le concept mérite qu’on s’y arrête plus longuement d’autant que l’association américaine de bibliothécaires, l’ACRL vient d’ouvrir un wiki qui associe littératie et science avec l’idée d’une science information literacy.
Une démarche qui démontre la volonté de rationalisation des savoirs qui s’opère dans le domaine de la formation à l’information.

 

Selon Régine Pierre, le terme apparaît pour la première fois en français en 1985 et son usage en tant que concept dans une revue scientifique n’est avéré qu’en 1991.

C’est un terme fortement utilisé notamment par les canadiens qui poursuivent beaucoup d’études dans le domaine et qui l’utilisent tel quel comme la traduction du terme literacy. La définition qu’ils en donnent nous éclaire sur l’élargissement de sens du concept :

Dans les grandes lignes, nous pouvons décrire la littératie comme un déterminant clé des chances d’une personne, que ce soit du point de vue de la carrière ou de la qualité de vie. Plus qu’une simple mesure des compétences en lecture, la littératie sert à évaluer la façon dont les adultes utilisent l’information écrite pour fonctionner en société. De fortes compétences en littératie sont étroitement liées à la probabilité d’obtenir un bon emploi, à des gains décents, et à l’accès aux possibilités de formation. (…)Traditionnellement, la littératie a fait référence à la capacité de lire, de comprendre, et d’utiliser l’information. Cependant, la signification du terme s’est élargie pour englober une gamme de connaissances, de compétences et d’habiletés qui ont trait à la lecture, aux mathématiques, aux sciences, et plus encore. Cet élargissement du sens reflète les changements profonds et généralisés qui se sont produits dans les domaines de la technologie et de l’organisation du travail au cours des 25 dernières années.

Un élargissement confirmé par la définition qu’en donne l’UNESCO en prônant une functional literacy :

A person is functionally literate who can engage in all those activities in which literacy is required for effective functioning in his group and community and also for enabling him to continue to use reading, writing and calculation for his own and the community’s development. 

Selon Eric Delamotte, la « literacy » « recèle le pari implicite, celui de réconcilier pratiques sociales et disciplines scolaires. » Eric Delamotte montre également l’étendue du concept :

Le concept a, d’abord, une assise anthropologique, car l’idée qui lui est sous-jacente est qu’il existe un lien entre l’apparition de l’écrit dans les sociétés et de nouveaux modes de pensée ou de raisonnement. Ensuite, la Literacy représente non seulement la prise en compte d’une évolution culturelle, mais elle introduit aussi une prise de position dans les débats sur l’éducation. Enfin, la Literacy est pragmatique et volontariste. Le mot important, ici, c’est évidemment « volontariste » qui indique que des objectifs précis sont définis et que des moyens et démarches sont consciemment mis en place pour les atteindre..

L’usage du terme de littératie implique un lien avec l’écriture et les rapports que la culture entretient avec la raison graphique. Mais il ne faudrait pas voir dans la littératie une vision simplement basée sur l’alphabétisme mais bel et bien sur le concept de texte tel qu’il est défini par Yves Jeanneret. L’article de Régine Pierre démontre bien les réelles ambitions du concept de littératie et de sa lente reconnaissance en français. Elle montre, en s’appuyant sur des travaux de chercheurs anglo-saxons, qu’il convient bien de la distinguer de l’alphabétisation car selon elle la littératie est une démarche qui débute bien avant l’apprentissage scolaire. Elle considère d’ailleurs que la functional literacy, évoquée d’ailleurs par l’UNESCO, n’est pas une valeur universelle mais diverge selon les lieux et les époques :

Le concept de littératie fonctionnelle englobe des réalités différentes selon les époques, les sociétés et les groupes sociaux (…). Ainsi savoir lire n’a plus la même signification pour les enfants d’aujourd’hui qui sont nés après la Révolution informatique que pour les enfants du début du XXe siècle pour qui la scolarisation primaire n’était même pas encore obligatoire.

Elle situe d’ailleurs la confusion entre alphabétisation et littératie a un autre niveau que celui du simple problème terminologique. 

Nous sommes ici dans la nécessité de faire face à la confusion développée notamment dans les discours. Il s’agit d’opérer une distinction entre ces différents concepts pour mieux distinguer celui de littératie :


Le fait de maîtriser l’écrit pour pouvoir penser, communiquer, acquérir de nouvelles connaissances, résoudre des problèmes, réfléchir sur notre existence, partager notre culture ou se distraire est ce qui définit le type et le niveau de littératie atteint par des individus que l’on dira lettrés – litterati – au sens où l’entendait Cicéron qui posait la littératie – scientia litteratura – à la fois comme le fondement de la sagesse et de l’éloquence (…). Au plan individuel, le concept de littératie réfère à l’état des individus qui ont assimilé l’écrit dans leurs structures cognitives au point qu’il infiltre leurs processus de pensée et de communication et que l’ayant ainsi assimilé, ils ne puissent plus se définir sans lui (…). Un parallèle peut être établi, au niveau individuel, entre le concept d’intelligence qui est une mesure du degré d’assimilation par un individu des connaissances sur le monde et le concept de littératie qui est une mesure du degré d’assimilation des connaissances sur l’écrit. 

 

L’enjeu posé par la littératie est donc bien différent de celui de l’alphabétisation, plus ambitieux, au final plus proche de la définition de l’homme cultivé d’Hannah Arendt. Le concept renvoie également à ce qu’on pourrait qualifier de représentation du monde (Weltanschauung) et se trouve donc fortement lié avec le concept de culture à tel point que l’on pourrait intervertir les deux termes et dire que la littératie donne forme à l’esprit pour paraphraser Bruner. Une dimension culturelle qui nous ramène fortement avec l’adjonction du mot information à l’étymologie de cette dernière, c’est-à-dire au moule, lieu de formation et de déformations. Une transformation qui s’opère autant sur les esprits que sur les corps selon Tracy Whalen :

Tout d’abord, la littératie met les corps en jeu. La littératie, en ce sens, se rapproche beaucoup de la notion d’habitus d’Aristote, idée développée par le sociologue français Pierre Bourdieu (1991), les dispositions durablement inculquées que nous développons au cours de nos vies, qui signalent notre aisance et nos aptitudes dans le monde. 

La littératie ainsi définie, il convient de s’interroger sur la résistance du concept face aux mutations du numérique.

(la suite prochainement)

Statistique Canada. La littératie compte. In Statcan. Disp. sur : <http://www.statcan.ca/francais/freepub/81-004-XIF/200404/lit_f.htm>

2 UNESCO. Revised recommendations concerning the international standardization of educational statistics, UNESCO’s standard-setting instruments, V3 B4, UNESCO, 1986

3 Eric DELAMOTTE. « Information and knowledge literacy. ». Esquisse. Eduquer à /par l’information,
janvier 2007, no 50- 51, p.41-53

4
« Nous pouvons considérer comme des textes une affiche et le jeu qu’elle établit entre images et mots écrits, l’organisation de l’écran d’accueil de notre ordinateur (…), le découpage reconnaissable d’un journal télévisé. Parle de texte, c’est simplement indiquer qu’une forme générale doit organiser un espace d’expression pour qu’il soit lisible, que les messages ne nous parviennent que sous une forme matérielle, concrète, organisée. A cet égard, on peut dire que le texte est toujours un objet technique, mais d’une nature particulière : un objet techno-sémiotique » in Yves JEANNERET. Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? PU du Septentrion, 2007, p.106 

5Régine PIERRE. « Entre alphabétisation et littératie : les enjeux didactiques » Revue Française de Linguistique Appliquée. 2003/1, Volume VIII, p. 121-137. p.124

6« Cette confusion entre alphabétisation et littératie déborde une simple querelle terminologique. Elle est le reflet d’une étonnante ignorance des origines de l’écriture et des mécanismes par lesquels l’Homme a développé et transmis la connaissance de cet outil qui façonne aujourd’hui nos existences. Dans tout ce débat terminologique, on confond l’écrit, l’écriture, la lecture et la littératie. » Ibid.., p.124

7
Ibid., p. 124

8 Jérôme BRUNER … car la culture donne forme à l’esprit: De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Retz, 1991


9Tracy WHALEN. « High Stakes, Mistakes, and Staking Claims : Taking a Look at Literacy / Grosses mises, méprises, mainmises : Regard sur la littératie. » Ethnologies, vol. 26, n° 1, 2004, p. 5-34. p.23

 


 

Enquête sur les folksonomies scientifiques

Je relaie l’annonce pour cette enquête à laquelle je participe avec quelques sympathiques complices.

 

L’affectation de tags à divers contenus est une activité qui est partie prenante de l’écriture-lecture sur le web. Les collections de
tags réalisées par les internautes qui référencent des ressources (photos, vidéos, morceaux de musique, articles, billets de blogs, mais
aussi personnes, causes, événements, émotions, etc.) ont reçu le nom de folksonomies. Ce processus de marquage de l’information se matérialise
par un système d’annotation par étiquettes, personnel et partagé, permettant un repérage individualisé de ressources hétérogènes publiées
sur le Web.

Qu’en est-il de vos usages de référencement en ligne ? Quelle que soit votre pratique ou non pratique, merci de prendre quelques minutes pour
renseigner ce questionnaire afin que nous puissions commencer à faire le tour des usages actuels du tagging.

http://bit.ly/6VzYlY

Le questionnaire sera actif tout le mois de janvier.

Atelier INSI :
http://maquettewicri.loria.fr/fr.artist/index.php5?title=INSI_Folksonomies,_Introduction

Le secret de la bibliothèque 2.0 : elle fait-elle disparaître les mauvaises graisses ?

Je prépare actuellement un article sur le concept de bibliothèque 2.0, sa genèse, ses contradictions et les raisons de son relatif succès.

Par acquis de conscience, je suis allé vérifier quels étaient les premiers liens renvoyés par Google.

Le premier à partir d’une requête Google me renvoie à bibliopédia.

La publicité présente présente nous gratifie d’une magnifique explication sur le secret de la bibliothèque 2.0.

Pourtant, souvent dans les applications de la bibliothèque 2.0, il y a une tendance à en rajouter un peu de trop comme fonctionnalités issues du web 2.0.

Peut-être faut-il voir le fait que le catalogue, devient plus souple en tant que cataloblog. Dans tous les cas, c’est vrai que c’est mieux après qu’avant. Plus c’est souple, plus c’est facile d’innover et faire évoluer la bibliothèque.

Finalement, je me demande si cette publicité n’est pas encore une atteinte aux vieilles bibliothécaires ! (clin d’œil à biblio-fr)

Twitter : faut-il muscler la cour de Récré ?

Finalement, il aura fallu l’arrivée de Frédéric Lefebvre pour que le poids des listes soit le mieux compris sur twitter.

Ce dernier ne parvient pas à endiguer le flot de redocumentarisation malgré le fait qu’il bloque au maximum ceux qui le listeraient d’une manière qu’il juge inopportune. Il déplore dans son interview par Barbier (@C_Barbier c’est un peu l’intello de la cour de récré qui essaie de faire des exposés pour se faire bien voir des profs) que twitter n’est pas assez costaud notamment pour supporter des campagnes électorales. Mais est-ce le but de twitter ? Faut-il plus de contrôle …faut-il vraiment faire de Twitter, un lieu sérieux, sécurisé avec des comptes vérifiés ?

Je n’en suis pas certain car twitter demeure pour beaucoup de ses usagers une cour de récré plutôt agréable. Twitter présente beaucoup de réminiscences de ces lieux entre les cours où s’effectue la vie des établissements. Cour de récré, machine à café, in between difficile à cerner notamment des dirigeants qui sont quelque peu dépossédés de leur pouvoir en ces lieux. Il y a des modes sur twitter, les nouveaux hashtags c’est peu comme l’arrivée de nouveaux gadgets ou le port de badges dans les années 80. On commente tel ou tel évènement comme on le faisait le jeudi matin à propos du film du mardi soir. De plus les listes de twitter ce n’est rien parfois rien d’autre que le fait de figurer dans les listes des préférés des filles à l’école primaire. Je note qu’un phénomène similaire se développe sous Facebook à l’heure actuelle. Il y a sans doute aussi des logiques de bande également. Il faut en être comme dans «  le best-of de @Silvae » (Silvère Mercier)

Finalement, tout cela prouve qu’il demeure chez nous une part d’enfance. Etymologiquement, nous sommes tous un peu in-fans, c’est-à-dire incapables de pleinement exprimer le monde qui nous entoure et surtout de plus en plus incapables à en prendre le contrôle. Même si la plupart des twitteriens français rêvent de virer le dirlo et toute sa clique.

Twitter, ce n’est donc pas si sérieux que cela, mais cela peut être un instrument de veille, voire de bienveillance mais aussi de vigilance. Cela signifie aussi que dans la cour de Récré de twitter, on a bien envie de laisser enfermer dans les toilettes, la petite Edwige, le méchant Hadopi et le sournois Loppsi.