Un regard décentré sur la Ligue du LOL

J’ai découvert les agissements de la ligue du LOL tardivement alors que je côtoyais virtuellement ou tout au moins suivait plusieurs membres de l’équipe dont Vincent Glad qui tente désormais une autodéfense autour d’une histoire qui s’avère sans doute complexe, mais qui montre aussi les dérives potentielles d’une forme de concentration de pouvoirs. Il évoque aussi son cas sur France Inter.

Sur le « tout le monde faisait cela », Guy Birenbaum a réagi à dessein sur Twitter, tout comme Guillaume Narvic qui a très bien resitué l’affaire d’ailleurs.

Valérie Robert a eu raison aussi de rappeler qu’on ne pouvait pas être des pionniers sur le web en 2010… même si Glad précise qu’en 2010 il était un des pionniers sur Twitter… mais la plupart des initiés y étaient déjà depuis 2007 y compris des journalistes chevronnés.

En fait, Vincent Glad était un des acteurs majeurs de la nouvelle époque des réseaux sociaux et il venait … après… la période des blogueurs et des nétiquettes associées. Il n’était donc pas un pionnier du tout, mais un nouveau joueur dont le succès allait être rapidement dopé par les médias traditionnels. Guillaume Narvic a raison de dire qu’une partie de l’équipe était en fait en marge des courants innovants du journalisme qui imaginaient des dispositifs hybrides. Un des protagonistes les plus importants de l’époque était d’ailleurs Nicolas Voisin avec entre autres OWNI (qui au passage me manque beaucoup comme dispositif). Mais il y avait aussi d’autres innovateurs de longue date comme Rosselin qui avait tenté quelque chose avec Vendredi. Cette mémoire semble quelque part inscrite actuellement autour de ce que fait Nicolas Vanbremeersch (@Versac). Twitter était initialement un prolongement évident de la blogosphère et des signets sociaux où l’on partageait de l’info et on faisait de la veille. La logique initiale était donc celle de veilleurs et de personnes qui pensaient qu’on pouvait autre chose que la politique menée.

Alors oui, Twitter était bien une cour de récré comme le dit Glad et comme j’avais pu l’écrire également en 2009. C’était l’étape suivante après l’impression initiale que Twitter privilégiait de la communication klean-ex. C’était déjà un lieu de contre-pouvoirs assurément. Quasiment déserté par la droitosphère et notamment la fachosphère. On y retrouvait quelques supporters de Nicolas Sarkozy. La plupart d’entre nous étaient toutefois majoritairement ouverts d’esprit. Les jeunes sarkozystes défendaient les projets de mariage pour tous et de défense des minorités. Les débats se situaient ailleurs. Pour ma part, j’étais encore simple prof-doc, en thèse, engagé très momentanément au modem et hostile au directeur de la DGESCO de l’époque, aujourd’hui ministre… à l’époque où l’EN était la grande muette. Frédéric Lefebvre était accueilli d’une manière invraisemblable et demeurait un moteur de la cour de récré tout en parvenant au final à améliorer son image… car il avait accepté les règles de l’autodérision et l’ouverture aux critiques.

Et c’est là que ça devient difficile pour moi, car cela repose sur des souvenirs, et Glad déplorer que les souvenirs se mélangent et se simplifient.

Je me souviens bien de disputes fréquentes et de jeux parfois difficiles entre supporters politiques. Florence Desruol, fan de Sarkozy défendait bec et ongles son champion au point d’en devenir ridicule ce qui a suscité évidemment des critiques probablement dépassées, mais il faut rappeler aussi qu’elle se montrait également très virulente. Je me souviens d’avoir à l’époque retweeter un tweet de Vincent Glad qui critiquait son éventuel coup cœur à propos de je ne sais plus trop qui. J’avais déjà raté sans doute un élément important. Je me souviens surtout du tweet rageur de la susnommée qui annonçait qu’elle me bloquait illico moi et Vincent Glad. Sur le coup, j’avais trouvé cela un peu fort, mais a posteriori, il y avait probablement autre chose que j’ignorais et qui se déroulait en off.

Il y a sans doute assurément un travail de rétro-journalisme à faire qui va plus loin que de retrouver les tweets de l’époque. Mais il ne peut être que collectif.

Il faut assurément recontextualiser. La règle sur Twitter résidait justement dans le dégonflage d’égo et là Glad n’a pas tout à fait tort… on n’ hésitait pas à se remettre en place les uns, les autres, car l’espace ne supposait pas véritablement de hiérarchies trop lourdes. Un modus operandi qui déplaisait souvent aux personnes déjà installées comme lorsque Laurent Joffrin n’avait pas supporté d’être tutoyé. Si on disait des conneries, le réseau se devait de nous remettre en place. Je me souviens avoir parfois commis des erreurs car on sentait que certaines personnes étaient loin d’être dans cette ambiance. Glad n’a pas tort de dire qu’il y avait des codes qui étaient basés sur la critique… y compris dans les colloques professionnels ou scientifiques où on pouvait se tancer sur twitter.

Seulement voilà… mon regard sur cette période est celle d’un acteur décentré (ce qui est drôle pour un ancien membre du Modem, mais j’ai toujours détesté cette expression de centriste) car vivant en province. J’oscillais entre l’Ille-et-Vilaine et Lyon en tant qu’ ATER et je voyais bien que les jeux se déroulaient surtout à Paris si on voulait faire carrière dans les territoires de la nouvelle économie informationnelle. Mais j’avais déjà démontré trop tôt les côtés potentiellement négatifs qui pouvaient se développer à l’heure où il valait mieux les taire… ce qui est dorénavant totalement l’inverse. Narvic a raison de de dire que l’équipe du LOL investissait finalement surtout les places traditionnelles de l’économie journalistique et informationnelle… au point finalement de court-circuiter les blogueurs qui s’interrogeaient sur les nouvelles formes éditoriales. Leur succès très parisien leur a conféré des pouvoirs nouveaux, finalement loin de la cour de récré… et c’est là probablement que s’est jouée la dérive. Si la logique de la cour de récré était acceptable… c’est qu’il ne fallait pas que les acteurs se prennent trop au sérieux sous peine d’un déséquilibre de pouvoir. Je me souviens aussi que certaines journalistes femmes en vue sur Twitter ont disparu des radars du jour au lendemain. Je n’avais pas compris pourquoi à l’époque. Dorénavant si je me souviens aussi que ce pouvoir d’attraction qui dépassait clairement celui des blogueurs influents… fonctionnait énormément chez les femmes impliquées dans le numérique. Du genre: « j’ai vu que tu échanges avec Eymery.. » ou ce genre de choses. Je n’y avais pas beaucoup prêté attention, mais je comprends mieux l’effet qui était en train de se produire. En fait, il fallait être ‘en vue avec »…On comprend alors que de jeunes premiers qui occupaient le premier plan sur les réseaux sociaux tout en aillant portes ouvertes dans les médias traditionnels parvenaient à avoir le meilleur des deux mondes…

Je me demande si finalement leur arrivée dans les médias traditionnels ne permettait pas à ces derniers de reprendre quelque peu le contrôle…de mettre à l’écart les réels innovateurs. On comprend dès lors comment il a été facile de s’en débarrasser rapidement à la moindre révélation. Ils avaient commis l’erreur de laisser des traces…excès d’hybris probablement…excès d’interprétations de documents n’appartenant pas au même registre. La presse traditionnelle qui doit regorger d’affaires bien pires s’était montrée plus prudente en laissant moins de traces apparentes… et avait trouvé l’occasion de se dédouaner à moindres frais en expédiant au tribunal de la vindicte une affaire où tout s’est mélangé. On verra ce que la justice en décidera au final.

On a oublié aussi qu’on était conscient qu’on prenait des risques sur ces espaces notamment quand on s’affichait. Les blogueurs le savaient depuis longtemps notamment, car leur « popularité » rentrait en concurrence avec d’autres personnes mieux établies. À ce propos, cette tension était déjà forte dans les domaines scientifiques. Cela ne posait pas vraiment de problème aux plus brillants qu’ils décident de bloguer eux-mêmes ou pas… mais aux plus médiocres qui supportaient difficilement de voir nos noms citer par leurs étudiants. On était loin des carnets Hypothèses…

L’autre terrible leçon qu’on néglige trop souvent c’est que ces médias font de nous des médiocres au sens étymologique, des individus autant médias que moyens. Voilà pourquoi ma position n’est pas celle d’un centriste et encore moins d’un homme au centre de pouvoirs, mais celle d’un dangereux équilibriste.

Désolé pour cette page d’égo-histoire, mais finalement quelques tweets ont réveillé cette envie d’en dire plus.