Quelques députés plutôt sympathiques mènent une campagne en faveur du vote à 16 ans. On y retrouve notamment Paula Forteza dont j’apprécie le travail et qui présente clairement des atouts appréciables et une réflexion qui mériteraient de la voir mener une équipe ministérielle voire un gouvernement (on a le droit de rêver !).
Mais j’admets avoir un gros désaccord sur sa proposition de loi.
L’idée repose sur le fait de pouvoir donner une majorité civique de façon précoce pour offrir ainsi des moyens à nos adolescents de prendre part à l’action publique et aux choix de société qui vont concerner effectivement les jeunes citoyens et leur avenir. Il s’agit aussi de les inciter plus simplement à aller dans les urnes. Sur ce plan, on ne peut qu’acquiescer, surtout du fait que des décisions politiques impactent la jeunesse d’aujourd’hui et qu’il n’est pas idiot qu’elle puisse avoir son mot à dire.
Sauf que c’est valable aussi pour les générations qui ne sont pas encore nées et qu’il est bien difficile de leur donner un quelconque poids électoral pour le moment.
Plusieurs aspects me gênent dans cette initiative car j’y vois plusieurs erreurs à la fois en matière de connaissance du terrain (notamment des jeunes générations), mais également en ce qui concerne les conséquences directes et indirectes qui sont des revers de la médaille de la proposition.
Je ne comprends toujours par comment les politiques ne saisissent pas ou font semblant de ne pas saisir qu’une décision n’est jamais isolée et qu’elle produit des effets systémiques dont on perd souvent le contrôle. Il est vrai que la politique est surtout devenu un art de la rustine, art itératif et communicationnel qui peine à se projeter sereinement. Mais je ne peux m’empêcher de faire quelques remarques.
Première remarque. L’éducation civique n’existe plus ou presque. Je sais bien qu’il y aura quelque enseignants qui vont me rétorquer l’inverse, mais prenez les cahiers de vos adolescents et vous verrez qu’on fait surtout de la pseudo éducation morale et civique, qui s’avère de toute manière inefficiente au vu du succès grandissant des positionnements extrémistes et simplistes chez le jeune public. Je ne disserterai pas sur le manque d’ambition en matière de formation sur ces questions. Hier, durant mon cours, avec des étudiants de première année de DUT, (ils ont 18 ou 19 ans)… aucun n’a été capable de me dire ce qu’était une collectivité territoriale. C’est étonnant, car je me souviens encore l’avoir appris en cours d’éducation civique en cinquième. Le département communiquait pas mal là dessus. Premier constat, la compréhension des principes civiques et des institutions est faible. Vous me direz, ça ne change rien après chez les plus anciens des votants qui n’y entravent rien non plus… Certes, mais c’est quand même un argument à prendre en compte. En tout cas, un tel défi implique un gros chantier de formation. Je trouve ici un peu dommage de ne pas consulter les enseignants et universitaires sur ces aspects.
Deuxième remarque : ce chantier, il n’est pas nouveau. On le connaît depuis fort longtemps et il fait pleinement partie du chantier originel de la culture de l’information. Je renvoie ici à plusieurs travaux dont certains que j’ai pu mener en faveur de privilégier la voie citoyenne de la culture de l’information. C’est Owens qui en tant que représentant au congrès et ancien bibliothécaire va militer pour une formation qui permette au citoyen de pouvoir effectuer des choix en comprenant notamment les propositions électorales. Il s’agit aussi pour lui en tant que représentant noir américain de défendre les populations qui ont eu un accès limité aux études. Ce chantier demeure essentiel… sauf qu’il s’est compliqué depuis le constat d’Owens en 1976. En effet, l’information journalistique et politique est complexe à comprendre car elle est désormais entourée de logiques de désinformation tandis que les compétences digitales et informationnelles ne sont pas à la hauteur des espérances. En clair, espérer réunir ces conditions pour tous les français de 16 ans… est clairement prématuré.
Surtout que jusque là, il y avait comme une forme symbolique proche ou pas trop éloigné de la majorité, c’était l’accès à un premier diplôme, le bac général, technologique ou professionnel dans la majorité des cas ou des diplômes professionnels. Les deux années entre les 16 ans et les 18 ans me semblent essentiel pour atteindre un début de majorité… de l’entendement. Je ne détaille pas ici, mais j’avais axé l’intérêt de repenser l’état de majorité à la fois dans la lignée de Kant et dans la lignée de Simondon sur des aspects techniques.
Le but n’est pas d’avoir une maîtrise parfaite des questions civiques, mais d’exprimer la capacité à construire une réflexion qui soit basée sur un minimum d’éléments rationnels. Là aussi, vous me direz que les adultes ne sont pas toujours au niveau. C’est vrai, mais autant justement reposer les conditions de la formation à la citoyenneté d’une manière ambitieuse plutôt que de la brader en considérant que finalement vu que tout le monde est idiot, autant que tous les idiots puissent voter quel que soit leur âge. Or, il me semble qu’il faut surtout d’abord réinstituer (j’en parle également dans Riposte Digitale). J’ai peur que la mesure ne vienne court-circuiter encore plus une institution scolaire qui prend déjà l’eau de toutes parts.
Troisième remarque, il me semble qu’on oublie trop vite qu’accéder à des droits implique des responsabilités. Or ce n’est pas rien de voter, et je ne suis pas sûr qu’il faille banaliser trop vite ce geste politique. Est-on certain que les jeunes le veulent vraiment d’ailleurs ? Je suis tenté de dire que le droit de vote se mérite… et qu’il est la conséquence d’un processus institutionnel qui vise justement à instituer le citoyen. Le citoyenneté mérite mieux que cette simple ouverture de droits.
Au niveau responsabilité et systémique… comment ne pas voir qu’une majorité civique ne va pas pouvoir être décorrélée des autres majorités : les sexuelles et pénales.
Et là, je trouve qu’il y a également des risques. J’entends déjà les arguments : « s’ils sont en âge de voter, ils sont en âge de savoir faire des choix sur leur sexualité. ».. cadeau potentiel à tous les prédateurs sexuels. Là aussi, je crains donc une confusion inquiétante.
Quatrième remarque dans la suite de la précédente… il apparaît clairement évident qu’une majorité civique va impacter la justice des mineurs. On va se retrouver avec une idée qui vient plutôt de la gauche et qui va ouvrir à droite un vieux fantasme bien connu… celui de l’abaissement en matière de responsabilité devant la loi. On risque de devenir majeur à 16 ans sur tous les plans. Je pense qu’il faut vraiment à ce niveau mesurer les conséquences qui vont en résulter. Généralement, les peines sont diminuées de moitié pour les mineurs au moment des faits… ce ne sera plus le cas pour les mineurs de plus de 16 ans. On peut me dire qu’il faut distinguer les deux types de majorité… Or, il me semble que non, parce que le gain de droits implique des responsabilités. Les deux marchent de pair. J’ai le sentiment au final d’une déresponsabilisation des autorités autant parentales qu’institutionnelles qui pourraient au final résulter d’une telle démarche. On se retrouverait avec des droits en apparence, mais un régime de sanction croissant.
Cinquième remarque : l’argument présenté est que les jeunes peuvent créer leur entreprise à 16 ans mais qu’ils ne peuvent voter. C’est bien gentil, mais c’est d’une part fort rare, et d’autre part, c’est un argument un peu faible car il met sur les mêmes plans une construction civique et une logique entrepreneuriale. Je le précise aussi car l’argument de base plutôt à gauche devient comme très souvent un argument cadeau en faveur des mouvements les plus durs du libéralisme et de l’utra-libéralisme. Il n’est pas très compliqué pour un jeune de 16 ans de créer techniquement une entreprise… J’avais déjà dénoncé ce discours qui fait croire que les jeunes veulent devenir tous leur propre patron. Mais on peut craindre quelque part que le fait de devenir autoentrepreneur à 16 ans casse également la protection des mineurs en matière d’emploi pour les faire devenir des travailleurs de petit boulot. Je ne suis pas contre le fait que des adolescents puissent avoir des expériences d’emploi avant 18 ans, mais je crains surtout que ce ne soit pas du tout un choix, mais une contrainte voire une obligation économique. Le droit de vote serait une contrepartie relativement faible dans ce cadre.
L’enjeu plus important n’est pas celui du vote précoce mais de la représentation dans les assemblées des plus jeunes. Et il y a des pistes institutionnelles à creuser en militant plutôt pour un changement parlementaire (donc constitutionnel) qui obligerait à avoir des listes électorales avec un meilleur équilibre en âge… ce qui implique de supprimer le sénat et de le remplacer par une autre assemblée élue à la proportionnelle avec des listes qui permettent vraiment d’obtenir plus de diversité, plus de parité, plus de jeunes, plus de représentants de professions sous-représentées. Je crois que c’est quelque chose qui pourrait mobiliser et rassembler plus largement au-delà de clivages politiques.
Je reste ouvert au débat. Ma position n’étant que ma propre opinion.