Nouvel extrait de notre thèse…
Nous reprenons ici le titre d’un article de Denis de Rougemont qui faisait le point en 1981 sur l’informatique, les espoirs et les craintes qu’elle faisait surgir. Nous ajoutons une interrogation à ce qu’il avançait comme étant une affirmation, car nous voulons montrer que l’information permet aussi justement le savoir.
La question du rapport entre informatique et information, qui intéressait Rougemont, demeure du fait de la confusion entre les trois différentes formes de l’information (data, news, knowledge).
Or ce problème demeure pour tous ceux qui s’intéressent à la question de la culture de l’information. Le constat partagé est que l’enjeu ne se situe pas uniquement au niveau des infrastructures, mais bel et bien au niveau des contenus informationnels et notamment des capacités d’évaluation de l’information des individus.
Seulement il est difficile de distinguer de quelle information il s’agit dans le concept « culture de l’information ».
Or c’est bien le problème actuel de la désacralisation totale de l’information et par ricochet celle du savoir. Tout est décrit comme information, que ce soit celle contenue dans un ouvrage spécialisé ou l’information non pérenne utile dans l’immédiat et vite oubliée. Mais ce n’est qu’une fois de plus, le retour du mythe de Theut qui se répète ici entre l’anamnèse et l’hypomnèse, entre ce qui mérite une mémorisation durable, et ce qui peut être extériorisé. Cependant, l’extériorisation du savoir, rendue possible par des techniques de l’écriture via des supports de mémoire que constituent les hypomnemata, ne constitue pas un obstacle absolu à la constitution de savoirs durables. Savoirs qui mériteront une mémorisation plus importante et une intégration à la culture.
Ainsi c’est bien dans l’oxymore, dans l’adjonction de ces deux termes contradictoires en apparence, que se situe le point de tension, ce passage, cette sortie (ausgang) entre information et culture. Il s’agit du passage de la minorité, de celui qui ne distingue que des données, à la majorité de celui qui sait y trouver l’accès à des savoirs.
De plus, il nous semble qu’il faille éviter de ne considérer l’information que dans sa vision quelque peu dévoyée qui nous apparaît aujourd’hui et qui résulte d’une évolution qu’a parfaitement retracée Jérôme Segal en ce qui concerne sa dimension scientifique.
Seulement, l’information peut présenter d’autres aspects. Le premier mérite que l’on retrace son étymologie. Cette dernière nous dit qu’information vient de forma (le moule) ce qui implique que nous étudions davantage les formes, sociales, culturelles mais aussi matérielles :
De fait, le concept d’information dans son usage ordinaire, est habituellement lié à une activité de connaissance. Il rejoint en cela le concept médiéval d’informatio. En effet, dans la tradition médiévale, lorsque l’anima connaît, elle n’ingère pas les objets du monde extérieur. Mais au contraire, elle est « informée » de cet objet. Dans l’acte de « cognitio », on dit que l’âme procède par la sensation qui, dans ce processus, ne saisit pas la materia de l’objet connu mais uniquement sa forma. Dans l’anima, l’objet est alors présent à nouveau– re-presentatio – mais sous une autre forme. La conséquence de ce processus est que l’âme est – in actu – « informata ». De ce fait, elle ne peut traiter qu’une représentation, c’est-à-dire une « informatio ».
Cette vision diffère de celle qui s’impose encore aujourd’hui et qui vient davantage de la vision de Shannon basée sur la théorie du signal. La vision qui vient de la tradition médiévale notamment depuis Thomas d’Aquin s’avère au contraire proche de la nécessité de transformer l’information en connaissances :
Bref dans son sens médiéval, l’in-« formatio » est ce qui trans « forme » un objet externe en un état interne pour la connaissance. En termes contemporains, une « informatio » serait alors ce qui crée dans un agent cognitif un état épistémique c’est-à-dire un état de connaissance.
Il y a derrière cet aspect ce qui fera le succès du nominalisme, impulsé par Guillaume d’Ockham. Une position nominaliste recommandée par Stéphane Olivesi.
Une notion ne se comprend pas en elle-même, sans tenir compte du fait qu’elle remplit diverses fonctions selon la nature du discours. Sa signification varie selon cette fonctionnalité. Pour cette raison, la transindividualité du concept qui en fait une réalité correspondant à plusieurs objets, implique un double travail quant à son extension et sa compréhension. Il s’agit, d’une part, de toujours rappeler quel espace et quelle diversité d’objets recouvre le concept et, d’autre part, de préciser ce qui en constitue le noyau invariant à partir duquel il devient possible de l’appliquer à des individualités différentes.
Une position qui nous oblige à prendre en compte la diversité des conceptions face au concept, ce que nous ferons dans l’analyse des diverses cultures de l’information. Cela doit nous pousser à rechercher en quelque sorte le « socle commun » pour ne pas dire le métastable pour aller dans le sens de la transindividualité décrite par Olivesi et qui nous ramène à Simondon. Notre objectif est d’ailleurs bien de tenter de clarifier ce noyau invariant de la culture de l’information.
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Denis de Rougemont, « Information n’est pas savoir » Diogène, n° 116, 1981.
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Jean Guy Meunier. Op. cit.,
p.28
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Ibid., p.23
4. Les puristes préciseraient que Guillaume d’Ockham était en fait terministe. Le concept de nominalisme lui est effectivement postérieur.
5. Stéphane OLIVESI. Stéphane OLIVESI. Questions de méthode : une critique de la connaissance pour les sciences de la communication. Communication et civilisation. Paris ; Budapest ; Torino: L’Harmattan, 2004,. p.98
A suivre…