Je travaille actuellement sur un article sur les mutations du document numérique.
Voici quelques unes de mes réflexions sur le sujet de la tératogénèse documentaire où se mêlent monstres, légendes et hérauts.
Le monstre est à l’origine une chimère, un élément crée par l’homme ou ce que dernier vise à montrer comme l’indique l’étymologie du mot. Il en est de même désormais du document numérique qui peut être qualifié de monstre en étant à la fois difficile à définir et à délimiter, pouvant se métamorphoser et se devant d’être vu et montré. Le document se doit d’être désormais populaire notamment au sein de la blogosphère.
Ces changements documentaires aboutissent à la transformation suivante :
Le savoir cède ainsi sa place au c’est à voir. Le document intéressant n’est donc pas nécessairement pertinent, mais au contraire cocasse, drôle, facile à transmettre comme par contagion. Par conséquent, rumeurs, trucages, bêtisiers, vidéos coquines ont tout autant d’importance voire plus dans la blogosphère que l’article scientfique ou l’information politique internationale. Les notions de pertinence s’effacent devant celles d’influence. L’encyclopédie Wikipédia étant parfois symptomatique mêlant des articles de qualité aux articles médiocres voire truffés d’erreurs sans compter les articles pseudo-scientifiques notamment sur la dianétique. Borgès n’aurait guère imaginé mieux, une bibliothèque de Babel infinie qui contient d’étranges documents fluctuants. La mystérieuse cité de Tlon évoquée dans Fictions . Wikipédia affirme que les articles les plus populaires (sic) sont les plus corrigés et donc les plus fiables. Les erreurs historiques que contient l’article Internet interrogent. Ainsi au savoir prédomine le populaire, la légende : étymologiquement ce qui doit être lu (que ce soit de la lecture de textes ou d’images : la notion de texte pouvant être élargi cf. Yves Jeannneret) comme le montrait Michel Foucault dans les Mots et les choses à propos des encyclopédies du XVIème siècle qui mélangeaient les faits avérés et les mythes.
Notre analyse s’appuie sur l’évolution du web via le développement de la blogosphère et des folskonomies (système d’ »indexation »? -d’annotations plutôt- collaborative libre), de leurs principales caractéristiques et des usages qui en sont faits. Les blogueurs populaires étant plébiscités par leurs lecteurs et de plus en plus courtisés par les publicitaires, ils deviennent les nouveaux hérauts qu’il faut lire et écouter (podcast oblige)
Finalement, cette redocumentarisation du monde qualifiée par Roger Pédauque est productrice d’une information difficile à distinguer, parfois redondante voire sans cesse commentée. D’ailleurs ces commentaires nous ramènent à la définition foucaldienne [1]: « la tâche infinie du commentaire se rassure par la promesse d’un texte effectivement écrit que l’interprétation révèlera un jour dans son entier. » Finalement cette tératogénèse documentaire n’est pas synonyme d’enrichissement culturel et les savoirs offerts et disponibles au plus grand nombre deviennent l’apanage des initiés. Le parcours documentaire constitue un cheminement, une construction qu’il convient d’apprendre et de transmettre. Sans doute aussi parce qu’information et savoirs sont liés par l’éducation.
Source de l’image : le bestiaire médiéval.
[1] Michel Foucault. Les mots et les choses. Gallimard. p. 52