Circulez

Circulez..

Le projet de circulaire couplé avec la diffusion du Pacifi ne peut qu’interroger voire au final inquiéter une profession en quête de légitimité permanente : les professeurs-documentalistes. Le projet éclaire quelque peu le but réel du pacifi que Pascal Duplessis tente de décortiquer depuis quelques semaines. Vous retrouverez également sur son blog des textes intéressants dans la partie invité en ce qui concerne le pacifi et la circulaire.

Vu que nous sommes sommés de répondre avant le 24 janvier, on va faire de l’écho numérique… la circulaire se nommant « Missions des professeurs documentalistes à l’ère du numérique »

Il ne suffit pas de placer l’expression de culture de l’information dans un texte pour la rendre concrète d’autant plus lorsqu’elle se trouve mise en parallèle avec des expressions contradictoires notamment celle d’ « ère numérique » ou pire celle de « société de l’information ».

Si la première (« ère numérique ») est ridicule, car elle donne l’impression d’un passage d’une ère quasi préhistorique – dans laquelle le prof-doc en était resté à se consacrer au Dieu Dewey et ne parvenait que très rarement à produire une étincelle- à une ère nouvelle … du prof-doc new age dont les qualités ne sont pas celles d’un homo sapiens mais d’un mutant.

La seconde expression est celle de société de l’information. Ce n’est pas faute d’avoir critiqué voire démontrer les présupposés d’une expression qui s’est imposée comme une évidence. La culture de l’information s’oppose même à la société de l’information.

C’est même sa différence principale avec l’information literacy qui repose sur une idéologie qui est celle de l’informationalisme et de la société de l’information. Sur ces aspects, sans vouloir faire d’autopromo, j’en parle longuement dans ma thèse. Alors autant que ce soit utile…

Il est vrai que j’ai émis parfois l’hypothèse que « culture de l’information » pouvait être une traduction possible d’information literacy… seulement et seulement s’il s’agit d’assumer un héritage et de porter de nouvelles ambitions. Sans quoi, il convient  de ne pas tenter de traduire information literacy tant le concept affiche ses proximités avec la société de l’information dans ses objectifs d’adaptabilité.

Or, il semble que le pacifi a fait ce choix du rapprochement information literacy/culture de l’information sans pour autant développer une vision plus ambitieuse. En clair, ce n’est pas de la culture de l’information. La meilleure preuve en est que le concept dominant du pacifi demeure… en l’occurrence le fameux besoin d’information…qui est le fondement  même des travaux de l’information literacy des années 80.

Le paradigme de la culture de l’information est différent,même s’il ne s’agit pas de figer une définition de la culture de l’information.  Il repose davantage sur le besoin de formation. Certes on trouve dans la circulaire encore la fameuse éducation critique, qui est toujours portée comme une évidence, mais dont les moyens pour y parvenir sont indéfinis. La circulaire ne précise guère comment y parvenir et avec quels moyens. C’est ici que l’on comprend que la liberté pédagogique réitérée aux enseignants n’est en fait qu’un « démerdez-vous », que  le dynamitage façon puzzle de la formation des enseignants ne vient que confirmer.

Quelque part, le renforcement pédagogique affiché par la circulaire est illusoire : il s’agit surtout d’une évacuation didactique au profit d’une instance de mise en œuvre déléguée. Le professeur-documentaliste devient un maître d’ouvrage délégué (soumis à des injonctions hiérarchiques) tandis que la mise en œuvre concrète est directement exercée par ses collègues enseignants dont les compétences dans le domaine de la culture de l’information sont parfois douteuses.

A l’heure où l’on a de cesse de parler de développement durable, il serait bon de ne pas céder aux impératifs de la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication pour privilégier le développement d’une culture et pas seulement de compétences procédurales.

Mais pour cela, il faudrait changer de politique.

Olivier Le Deuff, professeur-documentaliste et définitivement empêcheur de tourner en rond.
PS :
Vous pouvez signer la pétition de retrait de la circulaire.
Je joints aussi le message paru sur une liste professionnelle :
Pour alimenter le débat et manifester nos désaccords de fond et de forme, sur la dernière mouture de la circulaire de missions des professeurs documentaliste, voici en fichier joint l’analyse critique de ce texte par l’ANDEP (association des professeurs documentalistes de l’enseignement privé).

Nos critiques se portent notamment sur :

le déni de la didactisation des savoirs info-documentaires,

le désaveu de toutes les publications universitaires en SIC (GRCDI entre autre),

la promotion des diverses publications institutionnelles (PACIFI en tête) érigées comme texte officiel,

les inégalités d’apprentissages dans les établissements scolaires face au credo d’une pédagogie de collaboration.

Qui va légiférer sur la bonne mesure, la validité, les modalités et la mise en œuvre de la formation info-documentaire des élèves si elle est seulement incorporée aux programmes disciplinaires ? Qui va fixer les priorités de collaboration, notamment en dehors des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux ? Quels vont être les critères pour asseoir ce parcours de formation ?

Nous trouvons là les limites d’un modèle non-didactisé axé sur une compilation d’usages et pratiques méthodologiques, bien loin d’une réflexion autour d’un véritable curriculum garant de la formation des élèves à la culture informationnelle.

Bonne lecture et bon débat

Pour l’ANDEP

Emmanuelle Mucignat

présidente de l’ANDEP


L’archiviste : le gardien doit sortir de ses buts

Le titre de ce billet joue évidemment sur la métaphore footballistique, ce qui ne manquera pas de faire sourire François Bon qui n’apprécie guère ce jeu de transmission de balle. Mais je trouvais que ça recoupait pleinement mes réflexions et mes intérêts actuels. Je précise d’emblée que Pascal Olmeta ne constitue pas l’exemple de l’archiviste que je souhaite définir aussi.

L’archive a toujours présenté un caractère politique évident en tant qu’instrument de justification historique depuis la preuve d’une lignée noble ou de traces de transactions commerciales et de justificatifs de propriétés jusqu’au développement d’un arsenal de la mémoire servant notamment à justifier la construction d’une identité nationale.

Le projet d’une Maison de l’histoire de France fait peser une menace sur les archives de France à la fois en tant qu’institution qui justement avait fait progressivement fait l’effort d’un passage d’un arsenal de la mémoire à celui de laboratoire de la mémoire. L’inquiétude vient également du fait que la visée politique consiste surtout en une tentative de figer des vérités nationales pour tenter de refonder une identité nationale en perte de vitesse. Clairement, il s’agit d’une erreur politique tant l’idée de nation est déjà celle d’un processus historique qui n’est parvenue à une forme de concrétisation qu’au prix de stratégies qui furent bien souvent celles de la propagande. Ce choix opéré aujourd’hui est probablement lié à un conseiller du prince, dont les références intellectuelles et culturelles semblent ne pas avoir franchi les années 50.

Mais revenons sur l’erreur historique qui est aussi une tragique erreur archivistique. L’archive n’est pas qu’un instrument du passé et ne constitue pas qu’un seul lieu de mémoire.

Jacques Derrida avait parfaitement résumé cet état de fait par une phrase que la plupart des archivistes connaissent bien :

« La question de l’archive n’est pas une question du passé. Ce n’est pas la question d’un concept dont nous disposerions ou ne disposerions pas déjà au sujet du passé, un concept archivable d’archive. C’est une question d’avenir, la question de l’avenir même, la question d’une réponse, d’une promesse et d’une responsabilité pour demain. L’archive, si nous voulons savoir ce que cela aura voulu dire, nous ne le saurons que dans le temps à venir. Peut-être. Non pas demain mais dans les temps à venir, tout à l’heure ou peut-être jamais. » » (Jacques Derrida, Mal d’Archive. Une impression freudienne. Galilée. Paris, 1995, p. 60). 

Par conséquent, l’archive nécessite une culture, une culture de la participation. Nous y retrouvons pleinement les éléments de la culture de l’information en tant que culture citoyenne et technique. Ceux qui me connaissent savent que je vais encore revenir sur la question des hypomnemata. Car les archives sont en quelque sorte des rétentions tertiaires, une mémoire externalisée dont les fins ne sont pas toujours utilisées à des fins culturelles et démocratiques. Or, Derrida le précisait également, cette participation à l’archive du citoyen est la base de la démocratie.

« La démocratie effective se mesure toujours à ce critère essentiel : la participation et l’accès à l’archive, à sa constitution et à son interprétation. »

C’est le processus de l’archivation (définie notamment par Derrida puis Stiegler) en tant à la fois que conservation et sauvegarde, mais aussi description sans oublier sa dimension communicationnelle qui fait de l’archivation autant une conservation qu’une conversation.

Cela implique pour l’archiviste qu’il rentre dans une période post-custodienne où il lui faut sortir de ses buts originels qui concernent la sauvegarde et les règles du respect de la provenance et des fonds pour aller faire débuter son action bien plus tôt. Cette question est évidemment celle de la liaison avec le record management car il s’agit de ne pas attendre que l’archive arrive mais d’envisager la potentialité archivistique en amont même de la création du document parfois.

Il lui faut aussi sortir de ses buts car il faut communiquer et valoriser mais surtout comme le dit Derrida faire participer à l’archive, les individus en tant que citoyen. Cela implique une nouvelle culture de l’information.

Cela signifie pour reprendre la métaphore que l’archiviste doit de plus en plus devenir milieu de terrain et notamment le milieu offensif. Et on retrouve à nouveau les positions de l’architecture de l’information et l’idée d’archithécaire, idée un peu trop vite abandonnée à mon goût. Mais peut-être faut-il tenter alors de transférer pour une fois un concept footballistique : celui du milieu (revoilà le medium et la médiation) de terrain qu’on appelle parfois le milieu organisateur.

En voilà un beau métier pour nos lecteurs de crâne de licorne.

Enquête sur les pratiques de travail et de gestion de l’information

L’année 2011 à peine commencée, je vous invite déjà à penser au travail, et aux manières dont vous l’envisager !

Pour cela, rien de mieux qu’un petit questionnaire pour vous interroger sur vos pratiques et usages de gestion de l’information et des outils que vous utilisez dans le cadre de votre travail mais aussi dans votre cadre personnel.

Le questionnaire sert d’appui à plusieurs articles et projets scientifiques que je vais finaliser ou amorcer en 2011.

Le but est de tenter de voir les évolutions dans les méthodes de travail et de gestion des environnements informationnels des « travailleurs du savoir », c’est-à-dire des professions qui utilisent régulièrement des informations, et des outils pour réaliser leurs missions et qui continuent à se former et apprendre. Je m’intéresse plus particulièrement ici aux aspects PKM (personal knowledge management) Sur ces aspects, il convient de lire les travaux de Christophe Deschamps.

Une synthèse de l’enquête sera en ligne sous licence creative commons. Les résultats seront  également disponibles pour tout chercheur dans une variété de formats.