Thomas Hapke et l’évolution des compétences informationnelles

Thomas Hapke est un bibliothécaire allemand spécialisé dans la formation à l’information. Il exerce ses fonctions à l’Université de Harburg et tient régulièrement un blog sur les compétences informationnelles. Il fait le point sur les divers travaux publiés sur le sujet y compris francophones de temps en temps même s’il n’est pas tout à fait familier de notre langue. Nous avons l’occasion de débattre régulièrement avec lui et le concept de culture de l’information est pour l’instant inconnu en Allemagne mais semble constituer une piste d’intérêt chez lui.
Une attention qu’il répète régulièrement depuis quelque temps :
(…)je me demande si la « promotion de la culture de l’information » en tant que notion d’action, ne s’avère pas plus efficace que le label « promotion des compétences informationnelles» comme thème issu des bibliothèques.
Probablement parce que cela fait écho à sa volonté de redéfinir l’information literacy à l’heure du web 2.0. Son article sur l’évolution des compétences informationnelles en rapport avec le web 2.0 a plus particulièrement retenu notre attention . Nous avons effectué la traduction de son évolution des compétences au sein de l’environnement informationnel actuel.
Tableau de l’évolution des compétences selon Thomas Hapke
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tableau traduit de l’article : Hapke, Thomas Informationskompetenz 2.0 und das Verschwinden des « Nutzers » [Information literacy 2.0 and the disappearance of the user]. Bibliothek : Forschung und Praxis, 2007, vol. 31, n. 2, pp. 137-149

Le triangle de la didactique de l’information

Comme tout schéma, il est quelque peu réducteur mais il faut prendre conscience qu’il existe évidemment des feedbacks entre les différents axes et actants. Il est possible de se demander également si la psychologie cognitive n’aide pas également à la constitution des savoirs scolaires info-documentaires. C’est le cas de manière indéniable en ce qui concerne les référentiels de compétences et la mise en place de bonnes pratiques, ça l’est sans doute un peu moins au sein de la didactique tout au moins de manière moins réductrice et avec un travail plus construit notamment en ce qui concerne la reconnaissance du besoin d’information.
Le triangle démontre bien également que la didactique n’est pas une simple transposition de savoirs savants en savoirs scolaires et que les trois axes sont à la base d’une construction systémique.
Le triangle de la didactique de l’information d’après Astolfi, Halté et Duplessis
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De la formation des usagers à la didactique de l’information.

A la suite de notre précédent billet sur la didactique, nous avons schématisé les différentes phases qui nous conduisent aujourd’hui à la mise en place de la didactique.
Je vous livre le schéma ci-dessous avec des explications.
formationdidactique
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Nous pouvons ainsi distinguer quatre phases qui conduisent jusqu’au « chantier didactique » :
 La Formation des usagers aux outils correspond à une vision issue clairement des bibliothèques. Il s’agit de la phase avant le développement de l’information literacy en bibliothèques. En ce qui concerne les CDI, il s’agit d’une phase qui est bien évidemment nettement antérieur à la création du capes de documentation. Il s’agit donc de former aux méthodes bibliographiques essentiellement.
 La Méthodologie documentaire constitue une étape supplémentaire marquant le passage à la nécessité d’apprendre des méthodes pour pouvoir rechercher et trouver l’information notamment dans les usuels, type dictionnaire et encyclopédie puis dans les documentaires et via le logiciel documentaire le cas échéant.
 La Formation à la maitrise de l’information s’inscrit dans une démarche proche de l’information literacy. Il s’agit de mettre en place des séances d’apprentissage plus évoluées. Les séances d’initiation documentaire en sixième en sont le meilleur exemple même si elles demeurent toujours ancrées dans une perspective méthodologique très souvent faute de temps. C’est encore aujourd’hui l’essentiel de la formation délivrée aux élèves du secondaire avec la formation aux usuels et au logiciel documentaire. S’y rajoute parfois la formation à la recherche d’information sur Internet.
 La didactique de l’information est donc plus récente et n’est pas pleinement reconnue institutionnellement. Elle n’apparaît que donc que via l’entremise de professeurs-documentalistes qui souhaitent cesser le bricolage dans les séances pour tenter une transmission plus ambitieuse dans un objectif de culture de l’information.

Quelques éclaircissements sur la didactique de l’information

Le Gr-CDI n’est pas l’antichambre d’indépendantistes de la didactique de l’information.

Contrairement à ce qu’affirme Anne Lehmans, le courant didactique de l’information français ne s’inscrit pas totalement à rebours de la démarche de l’information literacy :

« La didactisation de l’information dans les recherches actuelles sur la culture de l’information,à l’inverse du courant anglo-saxon de l’ »information literacy », tend à la construction d’une discipline légitimante. Cette construction, en contradiction avec les logiques institutionnelles, a des implications sur la professionnalisation des enseignants documentalistes. »

Premièrement pouvons-nous réellement affirmer qu’il y a un modèle international de l’information literacy ? Nous pensons avoir démontré à plusieurs reprises que ce n’est pas le cas et l’uniformité parfois observée vient de la mise en place de modèles souvent issus des Etats-Unis. Les adaptations sont effectivement fréquentes notamment en Asie. Il l existe des dominantes au sein de l’informatin literacy et notamment celles issues du monde économique et celles des bibliothèques. Ces dernières reposent d’ailleurs sur le modèles des référentiels de compétence.

Mais constituent-elles vraiment des réussites totales? Parviennent-elles à une réelle formation à la culture de l’information ?

De la même manière, la position de l’information literacy ne correspond pas toujours à une volonté de leurs acteurs mais des pressions de la réalité institutionnelle. Combien d’acteurs se plaignent de séances trop courtes, voire des one hour, one shot où il faut tenter d’enseigner le maximum de choses à un grand nombre d’étudiants en un minimum de temps. L’information literacy est contrainte d’être extrèmement pragmatique et demeure dès lors dans une logique utilitariste immédiate.

Le courant de l’information literacy est sans cesse en interrogation et beaucoup perçoivent des limites dans les modèles  actuels.

Force est de constater lors de nos discussions avec des acteurs de l’information literacy au niveau international que nombreux sont ceux qui reconnaissent les problèmes de reconnaissance institutionnelle ce qui nuit très souvent à la qualité de la formation.

D’autre part, les positions autour de la culture de l’information qui ne sont d’ailleurs pas uniquement françaises commencent à intéresser justement les anglo-saxons et notamment l’équipe de Sheila Webber qui est d’ailleurs dans une démarche davantage légitimisante au niveau disciplinaire que le courant français. Elle préconise avec Bill Johnston la création d’une nouvelle discipline scientifique comme science molle. Les britanniques travaillent plus sur les rapports avec le monde économique à l’instar des Australiens.

Anne Lehmans mentionne également l’existence de logiques inconstitutionnelles. Dès lors de quelles logiques institutionnelles s’agit-il ? Sur ce point, il n’y a pas de tracé défini et les logiques sont justement parfois étranges en ce qui concerne les processus à l’oeuvre, l’agrégation précédant parfois le caractère universitaire. Il n’y a donc pas de logique absolue à suivre. Et encore une fois la démarche est de chercher à faire acquérir un maximum de compétences aux élèves. A condition de comprendre le terme de compétences dans l’idée qu’il s’agit à la fois de savoirs et de savoir-faire.

Pour rappel, les objectifs de la didactique de l’information sont tout au moins assez simples :

– rationaliser les contenus à enseigner autour notamment d’un curriculum pour sortir de l’impression de bricolage qui est ressenti sur le terrain.

– Apporter des solutions pratiques et concrètes aux acteurs du terrain. Il ne s’agit pas de concevoir des séances uniquement magistrales qui consisteraient en l’apprentissage par cœur de notions. Mais au contraire de la construction à partir de projets, de situations problèmes de la construction d’une culture de l’information durable. La démarche didactique s’appuie sur un triangle qui mêle savoirs, acquisition par les élèves et démarche et stratégie pédagogique.

– Démontrer une autonomie des savoirs infodocumentaires dans une démarche progressive nécessitant une évaluation. Cela ne signifie pas que ces savoirs ne puissent pas être utilisés dans une démarche interdisciplinaire. Les deux ne sont donc pas en opposition.

Il reste évidemment des obstacles institutionnels pour la mise en place d’un curriculum réaliste. Mais ce travail ne peut se faire qu’en commun.

Je déplore que je n’ai pu trouver pour l’instant de repreneur pour le projet lilit et circé qui s’inscrivait justement dans cette démarche.

Pour autant, je crois qu’il faut arrêter de remettre en cause les caractères scientifiques de la documentation et des sciences de l’information et de la communication et au contraire s’inscrire dans un héritage qui est aussi celui des techniques de l’information. L’occasion aussi de répéter que la culture technique fait clairement partie de la didactique de l’information tout comme de la culture de l’information.

Cela devient de plus en plus pénible que ces doubles-jeux critiques à l’égard de la didactique de l’information et des entreprises de rationalisation des contenus à enseigner. Il ne s’agit pas d’en faire un carcan.

J’ai le sentiment que quelque part, il y a un fort problème lié à l’idée de prescription. Sans cesse, lorque vous parlez de formation : c’est l’idée de caractère prescriptif qui vous ait reproché en ce qui concerne la culture de l’information. Faut-il y voir une idéologie constructiviste qui rêve de voir l’individu tout apprendre par lui-même ? Une critique et une défiance vis à vis de l’institution ?

Il ne faut pas confondre l’examen et la critique de l’institution en vue de sa réforme ou plutôt de sa re-formation et sa destruction pure et simple.

J’ai l’impression que parfois c’est même l’éducation y compris parentale qui est niée.

Je ne suis pas certain que l’on est pris conscience de l’importance des enjeux et dans ce sens la didactique de l’information n’est pas un gadget. Et tant pis s’il faut passer pour cela pour un prescripteur. Je préfère de loin être dans une démarche à la Stiegler de prendre soin, sans quoi à défaut d’héritage, il ne nous resterait plus qu’un avenir de plus en plus incertain.