Quelques éclaircissements sur la didactique de l’information

Le Gr-CDI n’est pas l’antichambre d’indépendantistes de la didactique de l’information.

Contrairement à ce qu’affirme Anne Lehmans, le courant didactique de l’information français ne s’inscrit pas totalement à rebours de la démarche de l’information literacy :

« La didactisation de l’information dans les recherches actuelles sur la culture de l’information,à l’inverse du courant anglo-saxon de l’ »information literacy », tend à la construction d’une discipline légitimante. Cette construction, en contradiction avec les logiques institutionnelles, a des implications sur la professionnalisation des enseignants documentalistes. »

Premièrement pouvons-nous réellement affirmer qu’il y a un modèle international de l’information literacy ? Nous pensons avoir démontré à plusieurs reprises que ce n’est pas le cas et l’uniformité parfois observée vient de la mise en place de modèles souvent issus des Etats-Unis. Les adaptations sont effectivement fréquentes notamment en Asie. Il l existe des dominantes au sein de l’informatin literacy et notamment celles issues du monde économique et celles des bibliothèques. Ces dernières reposent d’ailleurs sur le modèles des référentiels de compétence.

Mais constituent-elles vraiment des réussites totales? Parviennent-elles à une réelle formation à la culture de l’information ?

De la même manière, la position de l’information literacy ne correspond pas toujours à une volonté de leurs acteurs mais des pressions de la réalité institutionnelle. Combien d’acteurs se plaignent de séances trop courtes, voire des one hour, one shot où il faut tenter d’enseigner le maximum de choses à un grand nombre d’étudiants en un minimum de temps. L’information literacy est contrainte d’être extrèmement pragmatique et demeure dès lors dans une logique utilitariste immédiate.

Le courant de l’information literacy est sans cesse en interrogation et beaucoup perçoivent des limites dans les modèles  actuels.

Force est de constater lors de nos discussions avec des acteurs de l’information literacy au niveau international que nombreux sont ceux qui reconnaissent les problèmes de reconnaissance institutionnelle ce qui nuit très souvent à la qualité de la formation.

D’autre part, les positions autour de la culture de l’information qui ne sont d’ailleurs pas uniquement françaises commencent à intéresser justement les anglo-saxons et notamment l’équipe de Sheila Webber qui est d’ailleurs dans une démarche davantage légitimisante au niveau disciplinaire que le courant français. Elle préconise avec Bill Johnston la création d’une nouvelle discipline scientifique comme science molle. Les britanniques travaillent plus sur les rapports avec le monde économique à l’instar des Australiens.

Anne Lehmans mentionne également l’existence de logiques inconstitutionnelles. Dès lors de quelles logiques institutionnelles s’agit-il ? Sur ce point, il n’y a pas de tracé défini et les logiques sont justement parfois étranges en ce qui concerne les processus à l’oeuvre, l’agrégation précédant parfois le caractère universitaire. Il n’y a donc pas de logique absolue à suivre. Et encore une fois la démarche est de chercher à faire acquérir un maximum de compétences aux élèves. A condition de comprendre le terme de compétences dans l’idée qu’il s’agit à la fois de savoirs et de savoir-faire.

Pour rappel, les objectifs de la didactique de l’information sont tout au moins assez simples :

– rationaliser les contenus à enseigner autour notamment d’un curriculum pour sortir de l’impression de bricolage qui est ressenti sur le terrain.

– Apporter des solutions pratiques et concrètes aux acteurs du terrain. Il ne s’agit pas de concevoir des séances uniquement magistrales qui consisteraient en l’apprentissage par cœur de notions. Mais au contraire de la construction à partir de projets, de situations problèmes de la construction d’une culture de l’information durable. La démarche didactique s’appuie sur un triangle qui mêle savoirs, acquisition par les élèves et démarche et stratégie pédagogique.

– Démontrer une autonomie des savoirs infodocumentaires dans une démarche progressive nécessitant une évaluation. Cela ne signifie pas que ces savoirs ne puissent pas être utilisés dans une démarche interdisciplinaire. Les deux ne sont donc pas en opposition.

Il reste évidemment des obstacles institutionnels pour la mise en place d’un curriculum réaliste. Mais ce travail ne peut se faire qu’en commun.

Je déplore que je n’ai pu trouver pour l’instant de repreneur pour le projet lilit et circé qui s’inscrivait justement dans cette démarche.

Pour autant, je crois qu’il faut arrêter de remettre en cause les caractères scientifiques de la documentation et des sciences de l’information et de la communication et au contraire s’inscrire dans un héritage qui est aussi celui des techniques de l’information. L’occasion aussi de répéter que la culture technique fait clairement partie de la didactique de l’information tout comme de la culture de l’information.

Cela devient de plus en plus pénible que ces doubles-jeux critiques à l’égard de la didactique de l’information et des entreprises de rationalisation des contenus à enseigner. Il ne s’agit pas d’en faire un carcan.

J’ai le sentiment que quelque part, il y a un fort problème lié à l’idée de prescription. Sans cesse, lorque vous parlez de formation : c’est l’idée de caractère prescriptif qui vous ait reproché en ce qui concerne la culture de l’information. Faut-il y voir une idéologie constructiviste qui rêve de voir l’individu tout apprendre par lui-même ? Une critique et une défiance vis à vis de l’institution ?

Il ne faut pas confondre l’examen et la critique de l’institution en vue de sa réforme ou plutôt de sa re-formation et sa destruction pure et simple.

J’ai l’impression que parfois c’est même l’éducation y compris parentale qui est niée.

Je ne suis pas certain que l’on est pris conscience de l’importance des enjeux et dans ce sens la didactique de l’information n’est pas un gadget. Et tant pis s’il faut passer pour cela pour un prescripteur. Je préfère de loin être dans une démarche à la Stiegler de prendre soin, sans quoi à défaut d’héritage, il ne nous resterait plus qu’un avenir de plus en plus incertain.

Une réflexion sur « Quelques éclaircissements sur la didactique de l’information »

  1. Une brève réponse à vos remarques. Il ne s’agissait pas dans l’article cité de critiquer la démarche de la didactique de l’information d’un point de vue scientifique et épistémologique mais d’en explorer les dimensions stratégiques. La démarche impulsée par le Gr-CDI est tout à fait constructive et intéressante, incontournable pour les professeurs documentalistes aujourd’hui, notamment dans la formation professionnelle. Il ne s’agissait pas non plus de considérer que le courant de l’information literacy (dont je n’ai jamais affirmé qu’il était international, même si à l’unesco et dans les instances internationales, il est prédominant dans sa version la plus formelle) est plus ou moins intéressant. Je proposais simplement un angle un peu décalé de réflexion, au moment où la didactique de l’information est « banalisée », un « curriculum info-documentaire » désormais institutionnellement préconisé et partiellement vidé de son contenu, alors que la réflexion sur les « notions » et sur les médiations, qui me paraissait essentielle, est souvent abandonnée sur le terrain, comme la considération des usages et des représentations des élèves. Les logiques et les stratégies des acteurs à l’oeuvre sont complexes. Merci d’avoir repris la formule de B. Stiegler qui me semblait particulièrement pertinente et de ne pas penser que je veuille jamais renoncer à éduquer !

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