Pour en finir avec Le Learning center E01: l’intrusion administrative dans la pédagogie pour casser les disciplines au profit d’une autre logique disciplinaire

Voici donc la nouvelle série de l’année. J’espère qu’il n’y aura qu’une saison d’ailleurs.
La liberté pédagogique tant clamée n’est qu’un leurre. On proclame d’un côté, et de l’autre on tente d’avancer la casse disciplinaire qui consiste à nier les travaux disciplinaires et notamment didactiques. De plus en plus, les administratifs de l’Education Nationale se mêlent de pédagogie avec comme logique idéologique celle de la DGESCO qui sous couvert d’innovation dézingue petit à petit l’Education Nationale. Le cas de l’information-documentation est symptomatique car elle présente le défaut d’être sous la coupe de la « vie scolaire » au même titre que les CPE et les directeurs d’établissements. Bref, le professeur-documentaliste subit plus qu’autre chose les évolutions administratives et les injonctions qu’on lui demande.
Le rapport Fourgous qui sous couvert d’un discours pro-numérique n’est en fait qu’un instrument de destruction massive de l’EN, enterre les CDI, ces trucs d’un autre âge avec des livres dedans (je caricature à peine) au profit d’un truc clinquant super bien : le Learning Center. Évidemment, on tente de trouver un autre nom pour faire « plus mieux », mais bon, personne n’est dupe.
Bien sûr, tout cela s’est décidé en haut entre ceux qui s’y connaissent tellement en pédagogie qu’ils n’ont plus enseigné depuis un grand nombre d’années. Personne n’a été contacté parmi les professeurs-documentalistes car ils ne sont pas dignes des débats. Ils doivent obéir et surtout s’adapter. Mais la vérité est ailleurs et plus glauque : on transforme le CDI en Learning Center pour mieux placer ce lieu sous la coupe de la vie scolaire et donc changer peu à peu les missions à réaliser en son sein. On commence par les CPE et les professeurs-documentalistes qu’on va placer dans le Learning Center… puis le vieux rêve pourra se poursuivre… On donnera plus de pouvoirs aux chefs d’établissements « patrons » qui étendront leurs pouvoirs sur toutes les disciplines. Car les disciplines sont devenues le mal absolu.
Sur ce sujet, il y a une confusion entre les possibilités transdisciplinaires, multidisciplinaires et interdisciplinaires. Il y a surtout l’envie de tout fusionner dans un fatras sans nom dans le modèle B2I où on valide sans enseigner (le socle commun subit la même logique). Enseigner quelle idée ! Surtout quand on peut transmettre avec la machine via des programmes payés par l’Etat pour favoriser les ressources privées des copains. On notera quand même que les projets type IDD et TPE qui favorisaient l’interdisciplinarité voire la transdisciplinarité avec un professeur-documentaliste impliqué n’ont pas été réellement développés et bien au contraire peu soutenus.
La multidisciplinarité et la transdisciplinarité permettent d’envisager des travaux communs sans pour autant qu’un concept, une notion ou une méthode soit strictement équivalente entre les disciplines. Le but est au contraire de travailler à la fois sur les convergences et les divergences. C’est d’ailleurs l’objectif de la translittératie et son orientation française actuelle Limin-R qui cherche à distinguer similitudes et différences entre l’information-documentation, l’éducation aux médias et l’informatique. Un projet qui n’intéresse pas l’inspection générale qui préfère se voir en grand bâtisseur… mais qui ne se privera pas de réutiliser les concepts pour mieux les dévoyer.
Depuis des années sont niés les travaux didactiques en information-documentation au profit d’une logique qui est celle d’utiliser le CDI rénové comme faire-valoir et instrument de de valorisation des principaux, proviseurs et inspecteurs généraux. Au final, la transmission est inefficace. Au passage, quand tira-t-on les conséquences de l’échec du B2I à conférer une véritable culture numérique ?!
Mais non, on veut encore aller plus loin et rentrer dans la logique disciplinaire du contrôle des corps et des esprits et même des corps intermédiaires au sein du Learning center ou du merveilleux 3C (Contrôle, Catalepsie et Cacahuètes).
Au 3C, opposons les 3 R d’Alexandre Serres : (Réalisation, Réflexion et Résistance).
Prochain épisode : Vive la documentation libre…

La convergence médiatique : la culture de l’information sur la piste de la translittératie

Avec un peu de retard, je mets en ligne le support de mon intervention lors du dernier congrès Fadben.
A lire en silence… pour mieux se l’ouvrir après.

La C.I en sept leçons E07 (épisode final) : La culture de l’information repose sur le contrôle de soi et la prise de soin (de l’autre)

Fin de série. Voici le dernier épisode de la série.

l’épisode 1 est ici, le second est là , le troisième ici , le quatrième puis le cinquième et le sixième.
La culture de l’information repose sur des hypomnemata qui présentent un caractère double. La formation aux objets techniques notamment numériques constitue une piste intéressante afin de montrer aux élèves les possibilités pédagogiques et les potentialités de construction. Les blogs peuvent ainsi constituer de possibles supports d’apprentissage et des réponses aux usages domestiques qui sont souvent ludiques voire mimétiques et basés sur le besoin d’affirmation.
Le besoin d’information demeure souvent inconscient et la priorité notamment des jeunes générations se situe ailleurs dans des démarches de reconnaissance et d’inscription au sein de groupes. Les natifs du numérique n’existent pas et il ne s’agit donc pas de montrer les jeunes générations comme des experts du web 2.0.
Ce genre de description nous fait demeurer dans une vison tantôt technophile, tantôt technophobe. La question est certes celle du contrôle, mais pas celle de savoir qui de la machine ou de l’homme domine l’autre. Cette querelle ne fait qu’aboutir au final à un oubli : celui du contrôle de soi.
Un contrôle de soi qui s’opère par la skholé, cette capacité à s’arrêter, à prendre le temps de l’analyse et de la réflexion, cette distance critique sans laquelle il ne peut y avoir de culture de l’information. C’est durant ce temps d’arrêt que peut s’exercer l’esprit critique. Malheureusement, nous avons constaté fréquemment que cette opération est court-circuitée, ce qui entraine très souvent des négligences, concept que nous avons créé pour désigner l’ensemble des activités de mauvaises lectures et de non-lectures. Leurs conséquences pourraient être de plus en plus graves, tant ces négligences concernent de plus en plus non seulement des activités de recherche d’information mais également l’émission de données en ligne. Parmi ces conséquences, figurent notamment la cyberintimidation et la circulation de rumeurs visant à la dégradation de la réputation.
Ce contrôle de soi, passe par l’attention, la capacité à se concentrer durablement sur un objet. Une attention qui permet également l’état de veille, à la fois en permettant la sérendipité mais aussi en portant l’attention sur l’autre. Le contrôle de soi implique la prise de soin individuelle et collective. La culture de l’information ne s’inscrit pas dans une logique de surveillance et de concurrence exacerbée, telle que peut l’être parfois l’intelligence économique. Il s’agit davantage de veille dans une logique disciplinaire qui ne repose pas sur le contrôle des uns par les autres. La culture de l’information vise à la constitution de milieux associés mêlant hypomnemata numériques ou analogiques et collectifs d’humains. Dans ce cadre peut s’opérer l’individuation, qui correspond notamment à l’inscription de l’individu dans un collectif qui lui permet à la fois de se valoriser personnellement (individuation) et de participer au travail commun.
 
Je joints à cet épisode, le support de mes communications en mars 2012 au CDDP de Gironde…en attendant la version filmée.
Prochaine série… sans doute sur le Learning Center….
 

 
 
 

Intervention humanités numériques et littératies. Journées d’études humanités digitales. 3&4 avril 2012 à Bordeaux

Mon intervention de mercredi dernier ayant été quelque peu écourtée aux journées d’études digitales de Bordeaux, voici le support de l’intervention.
J’introduis ce document d’un passage de réflexion qui est celui de mon article en préparation sur le sujet.
Le passage au numérique semble procéder d’une déshumanisation via un transfert dans la machine voire à une fusion un peu étrange dans un technohumanisme en train de s’effectuer (Balsamo, 2006, Davidson). Sans pour autant s’arrêter à ce désaccord de façade, il convient plutôt de s’interroger sur le fait que les humanités ainsi posées servent parfois d’alibi à des recherches et des politiques qui sont surtout des opérations automatisées et qui servent surtout à des quantifications. Est-ce que le rapprochement entre la science informatique (computer science) et les humanités ne se fait pas au détriment de cette dernière ? Ne faut-il pas craindre un choc des cultures ? En premier lieu, la culture littéraire fortement présente dans les sciences humaines et sociales peut constituer un frein dans la mesure où les aspects numériques présentent le risque d’une intégration forcée, adaptée et non adoptée par les chercheurs.
Il convient de s’interroger aussi sur le fait que l’évolution du terme de « litterary and linguistics computing », « humanities computing »)à digital humanities marque un réel changement ou le passage à une autre influence idéologique. Dans les deux cas, la question est celle de savoir si dans cette juxtaposition, ne se cache pas des oppositions fortes voire une tentative de domination entre des domaines fortement éloignés initialement.
 

Pourquoi il faut que l’ADBS signe le manifeste fadben (et vous aussi en tant qu’individu ou association)

Un débat agite actuellement les administrateurs de l’Adbs autour du manifeste Fadben. Une discussion se produit sur linkedin sur l’opportunité ou non de signer au nom de l’Association  ce manifeste. Ce manifeste s’inscrit dans une lignée similaire à celle de l’article d’Olivier Ertzscheid. Evidemment, je souhaite ardemment cette signature.
Selon moi, ce soutien s’inscrirait dans la lignée qui a poussé l’Adbs a être longtemps porteuse des premiers débats autour de la culture de l’information et de la nécessité de veiller à sa diffusion la plus large possible en dehors des sphères documentaires.
Une des critiques du débat sur linkedin provient du fait que la revendication de la Fadben serait corporatiste puisqu’elle constituerait une volonté de créer une nouvelle discipline à l’heure où il serait plutôt opportun de créer  du transdisciplinaire ou tout au moins de l’interdisciplinaire. L’accusation de corporatisme ne tient pas.  D’une part,  car le manifeste ne consiste pas à décrire la culture de l’information comme un territoire réservé aux seuls professeurs-documentalistes, d’autre part cette critique ne repose que sur des a priori négatifs sur l’enseignement et les processus de transmission qui ont conduit au développement des disciplines.  Ce ne sont pas les disciplines qui posent problème,  ce sont les cloisonnements qui s’opèrent du fait que le système scolaire accroit la césure avec des méthodes « disciplinaires » dans le sens foucaldien. En clair, les élèves segmentent très vite ce qu’ils apprennent du fait des effets d’emploi du temps et ne cherchent pas à réinvestir ce qu’ils ont appris dans une matière dans une autre.  Il est vrai que certains enseignants rencontrent des difficultés à tisser des ponts. Toutefois, la mise à mal des dispositifs transversaux,  peu encouragés par la politique actuelle, n’a pas facilité la tâche.  On rappellera donc que les professeurs-documentalistes sont déjà depuis longtemps des acteurs clefs de l’interdisciplinarité.  La critique corporatiste doit être écartée.
L’autre critique est celle que la culture de l’information se situe à une forme de méta-niveau et que par conséquent elle se retrouve partout.  C’est vrai… comme ça l’est pour les autres disciplines.  Cet argument ne tient donc pas très longtemps d’autant qu’il est souvent lié à celui du discours de l’importance. Tout le monde reconnait l’importance de la culture de l’information et note l’exigence de former à cette question.  Pourtant rien n’est fait réellement pour cette transmission. De ce fait, on ignore ou on feint d’ignorer les spécificités de la culture de l’information.
Autre aspect important : la donne a considérablement changé depuis la fin des années 80 et le début des travaux de l’adbs autour de la culture de l’information.  On sort du seul paradigme bibliothéconomique de la recherche d’information et des modèles procéduraux.
D’autre part, plusieurs travaux ont montré que cette situation de bricolage est inefficace.  Même les séances faites avec d’autres collègues de disciplines s’avèrent problématiques. Les concepts et compétences documentaires, informationnelles ou médiatiques passent sans cesse après les autres concepts disciplinaires si bien que la transmission ne se fait pas. Je ne parle même pas du fait qu’il n’est pas toujours aisé de mettre en place des séances et des projets ambitieux dans le domaine faute de temps et de moyens dédiés. La formation dépend clairement dès lors des enseignants volontaires et impliqués et notamment des professeurs-documentalistes. Si la culture de l’information n’appartient pas aux professeurs-documentalistes, ils sont toutefois les mieux placés pour la mettre en place.
Le manifeste a été signé par les principaux chercheurs en science de l’information, ce qui place ce texte sous le sceau d’une réelle expertise pour le coup.  Ce n’est pas un petit détail il me semble. Cela démontre d’une part qu’il existe des concepts et des savoirs scientifiques existants qui peuvent être scolarisés et didactisés. J’ai déjà dit que la didactique de l’information constituait un élément important dans la mise en œuvre de cette culture de l’information.  Sa non reconnaissance par l’institution est assez logique puisque les professeurs-documentalistes sont régis par la vie scolaire qui concerne également les principaux, proviseurs et cpe. Autant dire de manière triviale, que les professeurs-documentalistes sont régis et inspectés par des personnes bien souvent moins compétentes qu’eux dans ces domaines.  Autant dire aussi, que l’urgence est la sortie de la culture de l’information et des professeurs-documentalistes de l’égide  de plus en plus néfaste de la vie scolaire. La documentation et la culture de l’information ne peuvent plus demeurer dans cette forme de vassalisation.
Un pour tous = tous pour un.
Pour revenir à la critique d’une nouvelle discipline, il faut signaler que la recherche en liaison avec le terrain poursuit le cheminement didactique dans une optique de translittératie. L’objectif étant à terme de profiter du constat de la convergence numérique pour mettre en place une convergence de formation mêlant les forces de l’éducation aux médias, de l’éducation à l’information et de l’éducation à l’informatique pour transmettre ce qui pourrait se voir comme une forme de culture  numérique.  Cela ne signifie pas que les trois fusionnent mais qu’elles peuvent opérer en cohérence.
Pour l’instant, le ministère préfère persévérer dans sa vision « disciplinaire » dans son sens  négatif avec le développement des learning centers. L’appellation ne plaisant pas, la dernière tentative est de changer leur nom en 3C soit centre de connaissances et de culture  .  Une véritable politique commerciale en quelque sorte mais la ficelle est un peu grosse d’autant que les 3 C font penser au surnom des LC  « Computers, comfort and cappuccinos » ce qui ne fait pas très sérieux, je vous l’accorde. Bref, le développement d’une réelle culture de l’information passe par d’autres biais que celle des stratégies administratives de ces dernières années.
Les enjeux sont clairement d’importance. Ne pas signer pour une association telle que l’Adbs contribuerait à cautionner  une politique désastreuse et sans vision.  L’association se cherche un nouveau souffle, un nouvel état d’esprit.  Voilà sans doute l’occasion de démontrer qu’elle sait se saisir de telles opportunités.
Je n’ose imaginer que ce soit un rendez-vous manqué.