La version audio à podcaster.
« Ce qu’on apprend ajourd’hui sera inutile en 2050 ». La formule a été reprise à partir des propos de Yuval Harari.
Et bien je pense que c’est l’inverse. Il est probable alors qu’on s’interroge sur les programmes et les savoirs du lycée, qu’un lycéen du siècle dernier et peut-être même du siècle encore d’avant, était mieux armé que ceux actuellement.
Le lettré du digital, ainsi l’appellerons-nous, ne vit pas dans un monde totalement en rupture avec les anciennes pratiques.
Nous ne vivons pas non plus dans une révolution permanente faite de tabula rasa, et qu’il faudrait tout réapprendre et tout recommencer.
Ce n’est donc pas à mon avis que ce qu’on apprend aujourd’hui sera inutile en 2050, mais plutôt ce qu’on apprend actuellement est insuffisant et pas du tout au niveau. Pire que cela, ce n’est pas cohérent et cela témoigne d’une absence de vision à long terme.
Je serai même tenté de dire que vouloir se mettre sans cesse au goût du jour a conduit à un saupoudrage avec le développement d’éducation à, certes nécessaire, mais trop souvent marginalisée, car il faudrait mieux intégrer leurs contenus.
Pire encore, les effets de modernité et d’égalitarisme conduisent à supprimer ou à négliger certains contenus du fait de programmes élargis, mais aussi parce que ses contenus nécessitent des formes attentionnelles longues et des répétitions.
On a trop laissé à l’industrie des jeux vidéo le droit de nous faire refaire pendant des heures des actions similaires dans des environnements sympathiques au point que les exercices, les dictées, les résumés de texte deviennent des instruments peu prisés désormais… notamment parce qu’ils révèlent les difficultés et qu’ils opèrent aussi des logiques de hiérarchie entre élèves. Il est vrai une nouvelle fois qu’il est préférable d’annoncer son niveau dans un jeu vidéo plutôt que de dire son classement dans une matière.
Le paradoxe vient du fait que le temps scolaire est trop court. J’entends par temps scolaire, à la fois le temps institutionnel, mais aussi tout le temps nécessaire à la formation de l’esprit, mais aussi des corps, ce qui implique donc tout autant des compétences intellectuelles que techniques, que des compétences physiques que spirituelles.
Le temps passé devant des activités ludiques devant les écrans, ou tout au moins le temps d’attention sur ces dispositifs finit par dépasser sur une année le temps scolaire, et parfois de façon très nette.
Cela ne signifie pas qu’on n’apprend pas devant les écrans. Cela signifie que le pouvoir des industries des loisirs est écrasant sur ces dispositifs et qu’on peine à trouver les moyens d’en faire des instruments de formation. Trop souvent, on ne parvient guère à dépasser le cadre de la formation aux usages, alors qu’il faudrait former à une meilleure intégration culturelle.
Cela implique donc de travailler les passerelles entre les disciplines, mais aussi entre les exercices.
L’enjeu est de développer de nouvelles formes de production à évaluer. Cela peut être la réalisation de vidéos par exemple. Mais sur ce point, il faut rappeler qu’il ne s’agit pas seulement de savoir filmer et de savoir monter, mais aussi de produire un scénario, de faire œuvre d’imagination, mais aussi de démontrer une capacité à structurer l’information.
Or, cela ne peut se faire qu’à condition de s’exercer, de recommencer, d’améliorer, etc.
Je note que la plupart de mes étudiants ne savent pas faire de résumés et encore moins de dissertation avec des plans qui tiennent la route. Je ne parle même pas des commentaires de textes. Or pourtant, beaucoup ont obtenu des mentions au baccalauréat.
Autre point, ces aptitudes supposent de s’exercer, mais d’avoir les moyens de pouvoir comparer, c’est-à-dire d’avoir à disposition des références qui ne soient pas uniquement disponibles en ligne… c’est-à-dire d’avoir une culture, ce qui suppose d’avoir un langage qui permette d’exprimer des nuances et donc d’utiliser des synonymes, mais aussi d’avoir un minimum de références en littérature, cinéma, arts pour pouvoir mieux utiliser des exemples pour asseoir des raisonnements.
L’enjeu n’est donc pas uniquement celui de savoir coder. Il sera clairement nécessaire de développer un programme de formation au code pour mieux comprendre les logiques algorithmiques de base, mais aussi pour savoir mieux utiliser des outils statistiques.
Mais il faut conférer surtout les moyens de savoir décoder… tout autant les textes, les images, les vidéos, les sets de données et tout autre visualisation et tableau statistique.
L’art de la critique, de la mise à distance, suppose surtout des rapprochements, notamment entre littératie et numéracie. Il y a de la joie à lier, disait Giordano Bruno, et c’est bien l’enjeu, lier sans emmêler, lier sans être poings et mains liées. En ce sens, écrire les programmes sous l’influence des industries et thématiques dominantes du moment en matière de digital serait une grave erreur. Pire encore, serait de placer la donnée comme centrale en matière de formation au numérique, car justement l’enjeu n’est pas de placer la donnée comme centrale au niveau du système scolaire, ce qui serait un renversement inquiétant par rapport à la loi Jospin de 1989.
L’avenir de l’éducation s’inscrit donc dans un rapport entre tradition scolaire et anticipation, entre les travaux des prédécesseurs et ceux à venir. L’avenir de l’éducation est assurément steampunk plutôt que transhumaniste.
Pour finir sur une note poétique, on pourrait dire que l’enjeu est de former des citoyens qui s’inscrivent dans une lignée qui mêle poésie et code, métries et métriques en se souvenant que le premier code informatique a été écrit Ada Lovelace, fille du poète Lord Byron.
Source :
Les images sont issues du site unsplash.com .
Image mise en avant : Kevin Ku
Sur le lettré du digital, voir notamment cet article écrit avec Franck Cormerais.
Voir aussi cet article collectif.
Quelques idées sont développées dans la formation aux cultures numériques.
Mois : août 2018
Chroniques neuromanciennes. 1. Le Pendule de Foucault
Je me lance dans l’audio en parallèle de l’écrit. Vous pourrez retrouver avec une certaine régularité (une fois par semaine ?) »les chroniques du neuromancien » en version audio sur youtube et en podcast.
Je mettrai à chaque fois sur le blog, le texte qui a servi de trame avec des éléments bibliographiques en sus.
Cette première chronique est consacrée au Pendule de Foucault d’Umberto Eco. En voici la vidéo :
La version audio sur soundcloud
La version texte :
C’est une première, après 19 ans de blog sur le Guide des égarés. J’ouvre une nouvelle période qui va consister en de courtes chroniques pour vous accompagner chaque semaine.
Les sujets seront divers, issus des cultures digitales mais aussi des cultures plus classiques. Le plus souvent, on mélangera volontairement les différentes approches. Il s’agit aussi pour moi de réutiliser ma voix en dehors des cours et des conférences.
Pour revenir sur les chemins de la radio que j’ai abandonnés depuis plus de 20 ans.
Alors pour débuter cette première chronique, je vous propose d’étudier quelque peu l’imaginaire complotiste à partir d’un roman d’U. Eco, le pendule de Foucault.
Umberto Eco écrit un roman où les protagonistes inventent un plan qui vise à expliquer tout ce qui s’est passé dans le monde depuis des siècles en intégrant tous les groupes de l’histoire, parmi lesquels figurent en bonne place les templiers. Ce qui semble être la réalisation d’un gigantesque jeu de rôles devient un complot sans limites auquel finissent par croire les inventeurs eux-mêmes. Même s’ils ne sont pas les seuls puisque bien d’autres finissent par accorder un crédit à cette histoire soit par qu’ils en sont convaincus, soit parce qu’ils peuvent s’intégrer parfaitement à une histoire qui semble faire sens.
Eco avait affirmé dans un entretien au Monde en octobre 2010 que désormais :
« A l’avenir, l’éducation aura pour but d’apprendre l’art du filtrage »
Ce conseil ou avertissement prolonge l’objectif du roman qui était de démontrer les racines et l’imaginaire des théories du complot voire d’en démontrer la construction, le ridicule et la perdition auquel il peut mener. On sait que le roman à l’inverse a provoqué l’envie d’en savoir plus sur les théories et références auxquels faisait référence. Le lecteur du pendule de Foucault connaissait à l’avance toute la trame du Da Vinci Code par exemple, à la fois par la lecture du roman, mais aussi parce qu’il avait été lire d’autres références.
Eco a produit comme bien souvent dans ses romans, un travail multiréférentiel, même s’il y a ici un gros effort de sourcer avec pas mal de citations en exergue des chapitres. Seulement, il est parfois difficile de savoir si cette citation est finalement un conseil de lecture… ou s’il s’agit de montrer le ridicule et l’insensé de la citation.
Un des personnages du roman se nomme Casaubon… ce qui est une référence que ne peut comprendre que le lecteur cultivé. J’avoue ne pas avoir repéré les références lors de mes premières lectures du roman… car oui, le roman d’U. Eco fait partie de ceux qu’il faut lire à plusieurs reprises pour en maîtriser toutes les arcanes.
Casaubon est surtout une référence à Isaac Casaubon, ce philologue, c’est-à-dire ce spécialiste de l’analyse des textes et des documents, capable d’en comprendre le sens et les références, mais aussi d’en démontrer la fausseté ou le caractère apocryphe.
Le pendule de Foucault nous place donc à dessein dans une « guerre du faux » dont on comprend mieux désormais les ressors dans la guérilla informationnelle de notre époque.
Mais revenons au Pendule de Foucault et à ses personnages.
Le narrateur comprend au fur et à mesure qu’il est entré dans une forme de distorsion de la réalité qui repose sur une confusion entre capacité à raisonner et agitation de l’esprit. Les réseaux sociaux actuels semblent hélas privilégier nettement cette agitation de l’esprit ou stultitia comme la qualifie Michel Foucault.
« Un procès plein de silences, de contradictions, d’énigmes et de stupidités. Les stupidités étaient les plus voyantes, et, dans leur incompréhensibilité même, coïncidaient en règle générale avec les énigmes. En ces jours heureux, je croyais que la stupidité créait de l’énigme. L’autre soir, dans le périscope, je pensais que les énigmes les plus terribles, pour ne pas se révéler comme telles, prennent l’apparence de la folie. Mais à présent je pense que le monde est une énigme bienveillante, que notre folie rend terrible, car elle prétend l’interpréter selon sa propre vérité. »
Cette logique s’observe dans les méthodes qui reposent sur des formes d’érudition schizophrénique ou improbable, une collecte qui rassemble façon puzzle des éléments épars pour leur donner un sens. Ce n’est pas de la recherche mais du storytelling :
« La reconstitution nous prit des jours et des jours ; nous interrompions nos travaux pour nous confier la dernière connexion ; nous lisions tout ce qui nous tombait sous la main, encyclopédies, journaux, bandes dessinées, catalogues de maison d’édition, en diagonale, à la recherche de courts-circuits possibles ; nous nous arrêtions pour fouiller les éventaires des bouquinistes ; nous flairions les kiosques ; nous puisions à pleines mains dans les manuscrits de nos diaboliques ; nous nous précipitions au bureau, triomphants, en jetant sur la table la dernière trouvaille. »
Quelque part, on pourrait considérer qu’il s’agit en quelque sorte du versant malin de la pensée hypertextuelle. On créé du lien parce qu’il semble possible d’en faire un, mais la qualité du lien et sa légitimité ne sont guère avancés :
« Lorsque nous échangions les résultats de nos imaginations, il nous semblait, et justement, procéder par associations indues, courts-circuits extraordinaires, auxquels nous aurions eu honte de prêter foi – si on nous l’avait imputé. » (Eco 1990 p.474)
Cette logique me paraît dominante actuellement, d’autant qu’elle s’accompagne de plus en plus de documents partiels ou révélés au bon moment.
C’est la puissance même d’une pensée complotiste
«Quoi qu’il en fût, et quel que fût le rythme, le sort nous récompensait, parce qu’à vouloir trouver des connexions on en trouve toujours, partout et entre tout, le monde éclate en un réseau, en un tourbillon d’affinités et tout renvoie à tout, tout explique tout.. »
L’état de veille généré permet en effet d’accumuler, de percevoir ce qui était invisible avant, de faire prendre sens à ce que le commun des mortels ne voit pas ou ne comprend pas, ou plutôt ne veut pas comprendre, car il n’a pas reçu la lumière et qu’il croit ce que lui racontent ses gouvernants ou directeurs de conscience. Les théories du complot fonctionnent souvent comme une libération ou comme une capacité à s’extraire des principaux discours médiatiques. C’est bien pour cela qu’une éducation aux médias simpliste risque de produire une augmentation de la pensée conspirationniste.
Mal maîtrisé, ce n’est pas l’accès à la majorité de l’entendement que souhaite Kant qui va se produire, mais l’accès aux ténèbres de l’esprit, un monde chtonien dans lesquels le Chtulluh de l’esprit réside et conduit aux pires extrémismes et manipulations.
Le comble du conspirationisme est le fait de finir par se manipuler par soi-même dans une logique qui ne repose pas sur la recherche de la vérité ou de faits établis, mais la quête d’une vérité cachée qui repose sur des acteurs mensongers et dangereux. Toute pièce qui paraît accrédite le puzzle est alors ajoutée sans discernement au point qu’on y mélange sans vergogne le vrai et le faux et que les plus grands manipulateurs sont bien souvent ceux qui prétendent dénoncer les grands mensonges :
« – Mais vous avez dit vous-même qu’ils étaient faux, dit Belbo.
– Et alors ? Nous aussi sommes en train de bâtir un faux.
– C’est vrai, dit-il. J’allais l’oublier. » ( Eco 1990 p.398)
Références :
Pour poursuivre en vidéo cette chronique, vous pouvez voir mon intervention d’une heure sur le sujet « littératies et évaluation de l’information » lors de l’école d’été de Montréal sur les fausses nouvelles à l’UQAM, organisé par le Comsanté et Alexandre Coutant.
L’ère des guérillas informationnelles
Ma présence sur les médias sociaux me permet d’être embarqué dans des flux et des discussions qui sont autant des pertes de temps que des enseignements indispensables.
Cette présence au sein de la mêlée est essentielle sous peine de ne pouvoir réellement comprendre ce qui s’y trame, les modes de fonctionnements, les évolutions techniques, informationnelles et communicationnelles qui se produisent depuis une dizaine d’années. Je suis sur Twitter depuis 2007. Ce n’est plus le même réseau qu’en 2007. Le réseau était alors relativement pacifié, je dis bien, relativement, car c’était une cour de récré ce qui n’excluait pas les bagarres, les discussions un peu lourdes, les blagues de potache et autres subtilités.
En 2007, Twitter était majoritairement anti-sarkozyste, on accueillait Frédéric Lefebvre comme il se doit (voir aussi en 2011°), et tout était assez drolatique finalement. Le côté sérieux venait des blogosphères notamment politiques qui se retrouvaient sur Twitter. J’ai envie de dire, que cela s’est quelque peu inversé. On avait besoin du blog pour avoir un positionnement sur Twitter, c’est désormais l’inverse.
L’extrême-droite était peu présente, la droite essentiellement pro-Sarko avec quelques idolâtres, phénomène classique lors de l’arrivée d’un nouveau président.
La cour de récré s’est transformée en gigantesque champ de bataille permanent où la moindre personne sensée peut se transformer en gladiateur de l’information. Si Bruno Gaccio affirme que les guignols ne sont plus nécessaires désormais, car il y a suffisamment de vannes sur Twitter, ce serait effectivement plutôt sympathique. Mais ce n’est hélas pas que cela. Le côté autodérision et dégonflage d’égo des premiers temps sur twitter – on se faisait toujours gentiment remettre en place, car cela faisait partie du jeu – a glissé vers une forme de méchanceté. On est passé clairement de la remarque bienveillante à de la malveillance exacerbée.
L’extrême droite avait saisi rapidement l’intérêt de se positionner en jouant sur les registres de l’émotion, de la vérité potentielle (« cela semble plausible, cela correspond à mes représentations, donc c’est tout à fait possible ») et donc de la désinformation.
La blogosphère et twittosphère majoritairement à gauche avec quelques éléments qu’on pourrait qualifier de centriste (même si je maintiens que ce concept de centre est une erreur autant intellectuelle que politique, ce que j’avais pu exprimer lors de mon bref passage en blogueur politique sous le nom de Pharmakon durant la période Modem) dans les années 2007-2009 se sont vus concurrencées par une fachosphère montante, décomplexée et débridée. Ce positionnement a fait exploser le consensus antisarkoziste qui existait en 2007 et a abouti à un éclatement des positionnements qui frisent la caricature et la radicalisation de toute part.
À titre personnel, il est souvent bien difficile de résister aux réactions puériles et partisanes. Seule solution : conserver une time-line la plus ouverte possible. Je dois admettre que j’évite de suivre sur Twitter les positions nationalistes néanmoins.
La montée en puissance de la stratégie de l’extrême-droite a conduit, à mon avis, a une volonté de réaction similaire de l’extrême-gauche avec un hyperactivisme et la mise en circulation d’informations tout aussi douteuses, ou de mauvaise foi la plus totale, et ce depuis une bonne année.
On peut constater que l’électorat de centre-gauche, centre-droit est parfois tenté désormais de réagir de même en amplifiant la moindre information contre les concurrents. Le phénomène est plus récent, mais ne peut qu’inquiéter à l’approche des prochaines élections européennes.
Nous sommes entrés en guérilla informationnelle tous azimuts avec tout un écosystème informationnel bordélisé, avec des remises en cause permanente des uns et des autres ; avec les journalistes au centre, qui sont tantôt encensés, tantôt critiqués selon les circonstances.
On retrouve une offre informationnelle élargie mais dont on ne possède pas les codes. C’est plutôt bien d’avoir finalement l’émergence de nouveaux médias même s’ils sont clairement politisés. Ce n’est pas foncièrement nouveau. Ce qui est gênant, c’est qu’on entre dans un système médiatique qui cherche surtout à dénoncer plutôt qu’à analyser, car il faut faire du buzz plutôt que de produire une information de qualité. Je ne suis donc pas si certain effectivement que ce soit toujours la vérité qui soit véritablement recherchée, mais il me semble que c’est surtout l’erreur qui devient l’objet principal de la recherche. C’est un passage très classique dans la tension entre indexation des connaissances et indexation des existences. Je me demande si la presse n’est pas tentée d’y céder à son tour.
On va passer un temps infini sur la moindre petite affaire désormais et paradoxalement s’éloigner de la piste du journalisme de données qui semblait pouvoir émerger. Visiblement, nous ne sommes pas assez mûrs pour ce genre de perspective, car cela nécessite de nouvelles compétences chez les journalistes, mais surtout de nouvelles chez le lectorat.
Pour l’instant, on voit surtout des graphiques souvent biaisés pour tenter d’expliquer un phénomène économique. À ce niveau-là, certains économistes français peuvent continuer à vendre des bouquins prétendument hérétiques.
On avait déjà observé lors du referendum sur le traité européen une influence du web sur le résultat avec pas mal de désinformations et la découverte que l’Union Européenne s’était fondée sur des principes libéraux.
Il faut désormais s’attendre au pire dans les prochains mois.
Sur ce point effectivement, nul besoin d’avoir le soutien de bots russes pour que l’on continue à nourrir le populisme le plus total aux bénéfices des autres grandes puissances qui n’attendent que cela.
On peut donc s’attendre à des attaques ad hominem, à ce que l’on cherche la moindre bévue chez les politiques en place dans les gouvernements, mais par ricochet chez les députés et membres de l’opposition… mais encore sur le moindre journaliste suspecté d’être partisan.
Alors que faire ?
Si la loi dite « fake news » semble avoir du plomb dans l’aile, je reste persuadé qu’il faut légiférer sur la question notamment pour respecter la dimension citoyenne de la culture de l’information, décrite en 1976 par Major R Owens avec la nécessité que l’information literacy permette à l’électeur de pouvoir faire un choix politique en ayant tous les éléments à sa disposition.
Je sais que ma position est minoritaire à ce niveau parmi les universitaires, mais je crois travailler depuis suffisamment longtemps sur ces questions pour dire que la formation n’est pas suffisante pour éviter la désinformation. Même en renforçant l’EMI, on n’ y arrivera pas, car il faudrait vraiment un programme sérieux, ambitieux et sur de longues durées pour y parvenir. Pire, à mon avis, un saupoudrage EMI peut augmenter le risque complotiste (voir dans l’article pour mediadoc mon tableau sur les proximités qu’il peut y avoir parfois).
Autre point, je vois beaucoup de professionnels de l’information et des universitaires relayer des informations fausses ou bidons. J’ai moi-même retweeté (non sans avoir hésité) la fausse mort de journaliste ukrainien qui n’était en fait qu’une mise en scène.
Alors que faire ? ou plutôt qui doit le faire ? Qui doit vérifier l’information ?
Les index n’appartiennent plus aux sphères bibliothéconomiques et documentaires, mais de plus en plus aux acteurs comme Google et Facebook qui s’appuient parfois sur des équipes de journalistes décodeurs pour tenter de vérifier l’information.
Les pistes algorithmiques et d’intelligence artificielle voir de deep learning sont également évoquées, mais bien souvent il s’agit d’extrapoler à partir de travaux humains qui fournissent des index.
Cette multiplication des guérillas informationnelles ne peut que désarçonner de plus en plus les autorités traditionnelles et notamment gouvernementales qui ne savent plus comment réagir et qui multiplient ainsi les erreurs dans le genre « à toucher le fond, mais creuse encore ».
Voilà, pour cette réaction un peu rapide, à plusieurs éléments que je tente d’analyser depuis quelques années et qui devraient trouver suite dans le prochain ouvrage (un essai) que je suis en train de rédiger et pour lequel je cherche d’ailleurs un éditeur.
Je reviendrai ici sur des pistes potentielles face à l’infocalypse…
credit photo :