Les trois dimensions des folksonomies

Après un premier extrait sur le like, voici un nouvel  extrait du Tag au Like qui concerne un point qui m’intéresse particulièrement, à savoir le fait qu’il faut considérer aussi les folkskonomies au delà de la seule question de l’indexation.
J’ai déjà abordé la question des trois dimensions à Toulouse il y a quelques temps. Il est temps d’en donner une lecture plus complète ici.
Bien souvent l’action de taguer s’inscrit dans des perspectives mnémotechniques qui vont au-delà d’une indexation et ressemblent davantage à un marquage cherchant à décrire un parcours. Ces parcours peuvent être très éphémères au point que le tag devient une forme de « post-it ‘(1)numérique » , attribué n’importe comment. Mais les tags peuvent être surtout des marques de parcours de lecture, témoignages de « marches » de lecture et de démarches de recherche : une trace de nos actions passées comme pour mieux affirmer « Je suis passé par ici, voilà ce que j’ai perçu et je pense que cela pourra m’être utile pour plus tard ». L’inscription des folksonomies ne doit donc pas être restreinte au seul champ de l’indexation, mais également comprise dans celui des supports de mémoire et dans les territoires de l’annotation. Les trois dimensions principales des folksonomies qu’il est possible de distinguer sont les suivantes :
La dimension d’indexation. Il s’agit de la dimension qui est la plus souvent mise en avant. C’est souvent par ce prisme qu’elles ont été étudiées. L’indexation concerne aussi bien les ressources que les individus.
La dimension mnémotechnique place les folksonomies dans les mécanismes de la mémoire et parmi les outils qui permettent de conserver de façon externe des données qui pourraient être consultées ultérieurement en cas de besoin. Une dimension nettement mise en avant chez les usagers des signets sociaux.
La dimension d’annotation est corrélée aux deux précédentes. Le tag peut être considéré autant comme une annotation qu’une indexation. La définition retenue dans ce cadre est celle développée par Manuel Zacklad (2°): « Toute forme d’ajout visant à enrichir une inscription ou un enregistrement pour attirer l’attention du récepteur sur un passage ou pour compléter le contenu sémiotique par la mise en relation avec d’autres contenus sémiotiques préexistants ou par une contribution originale. Cette extension donnée au sens du terme d’annotation est pour partie la conséquence des usages terminologiques associés à la gestion collective des documents sur le web où le terme d’annotation peut désigner aussi bien le fait de surligner un passage, le rajout d’une balise sémantique permettant le classement du document (taguer), ou la rédaction d’un commentaire associé à un texte en ligne. ». Sur ces questions, il est indispensable de consulter le site et les travaux de Marc Jajah.

Les trois dimensions des folksonomies.
Les trois dimensions des folksonomies.

 
Les folksonomies permettent en effet une réconciliation entre l’indexation et l’annotation. L’annotation que l’on pratique dans nos livres papier ne présente aucun index et aucun classement. Le numérique permet d’y répondre désormais. L’annotation s’exerçait principalement dans les marges, pouvait se manifester par le fait de souligner voire de surligner. Cela constituait également des marques d’appropriation du texte (2°).
Les folksonomies facilitent ces logiques de parcours. Les signets sociaux, qui permettent de taguer et d’annoter des ressources jugées intéressantes, envisagent pleinement cette perspective. Cette prolongation de la vision des folksonomies dans un espace – qui est aussi celui de la connaissance et des travailleurs du savoir et de l’information–, les place nécessairement dans le territoire de la lecture et de l’écriture, c’est-à-dire celui de la littératie et même des littératies.
Évidemment, la tentation serait de rétorquer que la lecture est une activité essentiellement individuelle, voire privée et qu’à l’inverse les folksonomies s’inscrivent dans une sociabilité portée par le web 2.0, également appelé web social. Les folksonomies présentent effectivement une dimension fortement collective. Il convient de rappeler cependant que la lecture n’est pas une activité uniquement solitaire. Alberto Manguel (3°) rappelle à dessein les anciennes lectures collectives à voix haute. Les récentes expériences de lecture et d’apprentissage de la lecture effectuées par Christian Jacomino avec ses « Moulins à parole » (outils disponibles sur le site VoixHaute.net), démontrent bien que la lecture a toujours présenté une dimension sociale. Le numérique facilite cette mise en perspective sociale de partage de lectures.
Les folksonomies facilitent certes des usages individuels, mais leur force réside justement dans l’agglomération du « pouvoir des usagers » pour produire des effets collectifs. Leur puissance repose sur le système de crowd sourcing, c’est-à-dire l’alimentation des plateformes par les données issues de la foule. En clair, les usagers apportent les données et la valeur ajoutée. Plus il y a d’usagers qui ajoutent des mots-clés, plus l’indexation s’améliore potentiellement et plus il y a de ressources décrites, accessibles par le moteur de la plateforme. L’esprit collaboratif permet d’indexer les documents produits ou signalés par les autres selon ses propres besoins. Cet état d’esprit peut donner l’impression d’un ancrage dans les idéaux des prémices du web et des premiers réseaux : il s’agit de partager, en l’occurrence ici des ressources, des tags et des annotations. Le partage et sa publicité sont des valeurs par défaut des systèmes du web 2.0.
Mais cette volonté de partage est bien plus complexe, tant l’enrichissement financier bénéficie surtout aux créateurs du service, tandis que les usagers bénéficient certes de possibilités accrues d’interaction, de stockage et d’échanges, mais sont quelque peu dépossédés de leurs données. La logique folksonomique et son succès sont étroitement liés au développement des grandes initiatives du web 2.0 : YouTube pour stocker des vidéos qui peuvent être taguées, Flickr pour partager des photos, et les systèmes de partage de fichiers en ligne comme Box.net, plateforme qui offre la possibilité de taguer les documents mis en ligne et qu’il est possible de partager. Les tags, tout comme les données générées par les usagers au bénéfice de ces prestataires de services sont stockées dans des gigantesques entrepôts de données, les data centers. Ces données ne sont donc pas localisées sur le disque dur de l’usager, sauf s’il a pris soin d’effectuer des sauvegardes. De toute façon, il ne pourra jamais récupérer la totalité de ses interactions et de ses tags.
La liberté de taguer est bien réelle, mais bien souvent l’usager se trouve placé sous d’autres contraintes liées au service qu’il utilise. Selon les conditions générales d’utilisations, il n’est pas toujours totalement maître de ses annotations, tags et ressources. Les folksonomies n’échappent donc pas au côté obscur du web 2.0.
le côté obscur du web 2.0
le côté obscur du web 2.0

(1) Pour reprendre l’expression de Jérôme Bertonèche, ingénieur de recherche et spécialiste des langages documentaires, lors d’une formation en 2007.
(2) Le philosophe Bernard Stiegler décrit bien cette puissance de construction de parcours rendue possible par l’annotation. Cf. Bernard Stiegler, « Sociétés d’auteurs et sémantiques situées », Des Alexandries II. Les métamorphoses du lecteur, Christian Jacob (dir.), Bibliothèque nationale de France, 2003.
(3) Alberto Manguel, Une Histoire de la lecture, Actes Sud, coll. « Babel », 2000
 
La suite est bien sûr dans l’ouvrage. Sinon, un chapitre bonus est disponible ici de façon gratuite.  Voir aussi ici pour un support disponible et bien plus encore.

Futurologie des métiers des bibliothèques, de la documentation et des usagers de ces services

Pas mal de retards dans de nombreux travaux fort différents parfois d’ailleurs, du coup le blog en pâtit quelque peu. Je mets donc en ligne le support de mon intervention à Neuchâtel le 28 mars dernier à l’invitation de Swets.  Le titre était « Pour des lecteurs de crâne de licorne », ce qui fait bien sûr référence à Murakami mais aussi à ce texte.
Merci encore à l’organisation impécable et sympathique et particulièrement à Isabelle d’Overschie.
Les lecteurs avisés y retrouveront une trame qui m’accompagne depuis un an.

La commission Haddock des 3C et l’avenir radieux de nos CDI.

L’inspection générale chargée de la documentation va bientôt diffuser dans les prochains jours la liste des bonnes œuvres et bonnes théories à connaitre pour tout professeur-documentaliste et aspirant à cette profession. Un travail qu’il faut saluer, si on désire que les fonctionnaires puissent agir en bons fonctionnaires d’état.  Une liste noire sera diffusée par voie hiérarchique. La mise à l’index s’est faite avec  beaucoup de lucidité. Fort heureusement déjà, des bons éléments sur le terrain  appliquent avec détermination la politique de développement nécessaire et ont anticipé avec efficacité ce besoin d’éliminer les éléments inopportuns.
La commission ad-hoc qui travaille avec grand efforts depuis des années pour nous débarrasser des scories paralysantes notamment de la didactique de l’information est enfin parvenue à produire une liste des textes et personnes qui devront être désormais considérés comme persona non grata. La liste ne sera pas indicative mais fort heureusement obligatoire.
Il était temps ! Ces pensées néfastes sèment le trouble dans les esprits notamment sur le terrain, ce qui nuit à la mission émancipatrice que vont permettre les centres de culture et de connaissances, modèle innovant qui garantit le développement de futurs esprits de qualité, telle que les conçoit la noble commission.
Il est temps en effet de se débarrasser de ces archaïsmes didactiques, trop complexes. Plaçons l’ambition de nos établissements avant celle des personnels et des disciplines ! Le documentaliste doit servir au mieux les usagers et tel est l’objectif du travail d’éclaircissements pour le développement rapide des 3C, seule entreprise capable de moderniser profondément les CDI.
Le documentaliste devient gestionnaire de ressources numériques et il doit tout mettre en oeuvre pour en faciliter un accès immédiat. Mais il n’est pas seul. Il peut s’appuyer sur les institutions des Crdp et des Cddp, mais surtout il pourra bénéficier de  la coopération efficace et hautement appréciée de nos partenaires éditoriaux et informatiques. Sortons des logiques d’opposition ! En effet, on peut travailler aussi bien avec Apple et Microsoft ! On peut aussi travailler avec Samsung d’ailleurs. Les 3c ne sont pas dogmatiques, eux ! Ils prônent une liberté d’usage fort intéressante.
Les élèves ont besoin de moyens pour travailler et pour faire de bons choix en matière de matériel d’ailleurs.
L’animateur de 3c se doit d’être polyvalent et à l’écoute des besoins des usagers.  Cette écoute repose aussi sur une convivialité importante. Il est ainsi beaucoup plus opportun à l’heure des réseaux sociaux de savoir échanger quelques mots de courtoisie, pouvoir faire une référence avec les élèves aux anges de la téléréalité par exemple, car il s’agit de s’appuyer sur la culture des élèves qui est parfois d’une grande qualité dans le domaine. N’oublions pas qu’ils passent des heures devant leurs écrans comme beaucoup de leurs parents et qu’il serait bon de légitimer ces aspects. La capacité de certains à enchaîner des heures de vidéo et d’activités diverses sur des plateformes de jeux doit être reconnue et valorisée largement.
Il s’agit aussi de faire connaissance avec eux, avec les nouveaux usagers du centre qui ont besoin d’être mis en confiance et valorisés. L’important ce n’est  de savoir chercher l’information mais d’en trouver ! Et ils sont remarquables dans ce domaine. Les expériences le démontrent ainsi que la recherche : les élèves trouvent toujours de l’information. Alors pourquoi vouloir leur apprendre à en chercher ?  Tout cela est ridicule et la commission l’a bien compris.
Ce qui importe c’est qu’ils prennent plaisir à voir leur progression s’afficher. Le personnel du 3c doit savoir encourager les succès des élèves quand ils passent des niveaux. Un tableau affichant les meilleures scores à bubble shooter pour des élèves de sixième constitue une émulation plus que louable.
La commission tient à souligner également que le serveur du 3C doit étancher la soif de ses usagers. Là aussi, la diversité est de mise. Aucune idéologie!  S’il y a pepsi, il y aura coca!  Et osons le Loch Lomond ! Le merchandising center, enfin le learning center,  euh … enfin le 3C, c’est la modernité, l’inscription de la culture et des connaissances dans notre époque et une innovation incontestablement tournée vers l’avenir.
Débarrassons nous rapidement de ceux qui nuisent à l’épanouissement pédagogique et aux bons résultats de nos établissements. Mettons les à laver des vitres ou à compter les bovins ou les cochons, mais ne les laissons plus pervertir collègues et élèves.
L’innovation est en marche. L’élève n’a pas besoin de savoir ce qu’est un document. L’intérimaire du 3C doit avant tout savoir lui servir à boire.