Les prochaines rencontres Savoirs-cdi « Autonomie et initiative : Comment le professeur documentaliste peut-il accompagner les élèves ? » marquent un recul inquiétant.
Ce recul s’explique car la direction en place chargée de la documentation n’a pas changé depuis trop longtemps. L’affiche des rencontres exprime bien cette volonté de transformation-disparition du métier. Le mot « documentaliste » a été d’abord privilégié à celui de professeur-documentaliste. Après quelques protestations, visiblement il y a eu un changement. Ce n’est pas une erreur d’inadvertance, c’est bien sûr volontaire. Cette stratégie a été répétée depuis de nombreuses années afin de nier sans cesse la fonction pédagogique et didactique de la profession. Pour preuve, la copie d’écran conservée dans le cache.
Le foutage de gueule, c’est également ce retour sur cette autonomie qui est conceptuellement difficile à bien cerner mais qui surtout on prétend demander aux professeurs-documentalistes de transmettre, d’enseigner … pardon d’accompagner. L’accompagnement, voilà une belle métaphore. L’accompagnement à l’école, étymologiquement, ça renvoie à la pédagogie, enfin à l’esclave chargé d’amener l’enfant à l’école. Ici, le nouvel esclave de nos inspecteurs généraux, ce sont les professeurs-documentalistes. L’autonomie, c’est aussi ce qui manque justement aux professeurs-documentalistes, une autonomie disciplinaire inexistante et refusée y compris dans sa légitimité didactique. Or c’est bien de cette autonomie dont il faut d’abord parler. En effet, comment peut-on encore accepter en 2013 des inspections par des personnes nullement issues du corps de base, qui n’ont jamais exercé la profession et qui n’ont pas non plus le bagage disciplinaire adéquat ? Comment imaginer des présidents de capes qui n’ont pas les diplômes en sciences de l’information et de la communication quand on sait qu’actuellement les historiens démissionnent en masse de l’agrégation car le président n’est pas un professeur des universités !
Il est vrai qu’au niveau du capes de documentation, difficile d’envisager une telle démission car les jurés ont été nommés depuis dix ans par la même personne… Et le nouveau président récemment nommé ne doit guère changé la donne. Beaucoup jouent serrés et craignent pour leur carrière. Je ne leur en veux pas et ils tentent d’agir du mieux qu’ils peuvent pour ne pas mettre en situation délicate les candidats.
Les rencontres à Amiens seront bien mieux policés qu’avec les précédentes à Rennes (lieu de résistance ?), avec bien sûr la stratégie du Learning-Center maquillé en 3C qui sera bien sûr le haut lieu de cette autonomie. Des rencontres où Jean Louis Durpaire n’aura pas besoin d’interrompre Alexandre Serres, interruption qui sera bien sûr effacée au montage. Le dialogue se fera entre Jean-Louis Durpaire et Jean-Pierre Véran qui s’amusent à distiller leur vision du CDI, de la documentation, enfin du learning center et dont on ne sait plus trop quoi d’ailleurs. Ils vont bientôt nous inventer ou plutôt piquer et transformer une autre idée venue d’ailleurs qu’ils auront trouvé sympathique. Du coup, on va avoir bientôt des LC managers, ah mince c’est en anglais, du coup ça va devenir des animateurs de 3C. Il suffira d’une courte formation pour faciliter les reconversions rapides… qui ne cessent d’agacer.
Il serait tant vraiment que la roue tourne. Les rencontres incitent les professeurs-documentalistes à accompagner à l’autonomie et à l’initiative. Et bien l’initiative, il est vraiment temps de la prendre. Si j’étais encore professeur-documentaliste, j’écrirai un texte au ministère ou je le ferai avec mes collègues et je demanderai une inspection dédiée et autonome par rapport à « la vie scolaire » et surtout de nouveaux inspecteurs généraux qui soient vraiment légitimes.
Je ne suis plus professeur-documentaliste officiellement, mais je reste attaché à la profession. Je souhaite dorénavant que les revendications autonomistes viennent du terrain et qu’elles puissent s’exprimer et ce d’autant plus si cette autonomie prend la forme, non pas d’un like mais plutôt d’un « coup de pied au cul ».
Ps : J’ai un peu hésité à pousser un nouveau coup de gueule, mais comme personne ne s’en est vraiment chargé, je m’y risque à nouveau. Je ne risque plus grand-chose, n’étant plus membre du capes sans avoir été réellement démissionnaire, mais plutôt démissionné et encore moins réintégré, bien que le ministère ait fini par me donner raison. Cela m’a couté un black-listage à l’Esen, rien de dramatique.
Mois : septembre 2013
Du tag au pif-paf
J’ai failli écrire bang, teut-teut à la place de pif-paf, mais je ne savais guère quelle onomatopée choisir pour illustrer l’actualité de la page de soutien au bijoutier de Nice. Pif-paf, c’est le bruit qu’on retrouve parfois dans Tintin quand le pistolet n’a pas d’effet meurtrier et que celui qui tient le pistolet, s’y reprend à plusieurs reprises. C’est le cas du savant devenu fou dans les cigares du Pharaon. Le tireur a toujours l’air ridicule dans ce cas-là. Quel poison a-t-on infligé à nos stupides likeurs ?
Le succès de la page facebook de soutien au bijoutier de Nice pose plusieurs questions. Il y a bien sûr l’hypothèse de fakes. Il y en a certainement mais force est de constater que nous sommes en présence d’une somme de likes bien réelle que l’on peut constater, en vérifiant qui parmi ses amis Facebook à liker. A l’heure où j’écris ces lignes, j’en connais 12.
Cela ne me ravit guère et je ne mettrai pas de lien vers cette page. Vous pourrez constater qu’il en existe d’autres et que l’initiative n’avait donc pas été isolée.
On est bien ici en présence d’une réaction qui est bien sûr de l’ordre de la pulsion, cette dégradation de l’exercice de réflexion de l’indexation que constitue le like. On est aussi dans un mouvement de foule numérique et dans l’idée qu’il peut être finalement agréable de partager son ras-le-bol et sa soif de vengeance. On est aussi dans la confusion du like, tant les likes sont probablement tous différents au niveau de leur portée.
Mais ce soutien démontre aussi la confusion entre la compréhension d’un geste et le fait de soutenir le fait de se faire justice lui-même. J’ai envie de dire que le bijoutier est finalement peut-être moins à blâmer moralement que ceux qui le soutiennent en le likant. Ce dernier qui possédait tout de même une arme, instrument par essence de mort potentiel qui témoigne néanmoins d’un achat et d’une mise à disposition clairement réfléchie, a finalement réagi probablement dans un registre de l’impulsion qui devient dangereux lorsqu’on est armé. Son acte est irréfléchi a priori. Encore que finalement, nous ne savons pas grand chose du déroulé réel.
On pourrait croire que le like laisse pourtant le temps potentiel à une certaine réflexion, à un temps distancié entre le fait d’aller liker et l’évènement. Et bien non, ceux qui ont liké se sont mis à la place du bijoutier exaspéré. Ils ont manifesté leur envie de faire pif-paf, mais aussi leur envie morbide de tuer. Et c’est bien ce qui est inquiétant. Cette incapacité grandissante à effectuer une différence, et donc une différance montre la prolongation d’un temps présent médiatique qui nuit à toute réflexion. Un court-circuit entretenu par les médias classiques mais qui trouve un prolongement pulsionnel dans le like de Facebook. Un like, pif-paf, comme on like un message d’un ami, le fait d’aimer un film, etc. Quelle confusion entre le fait de pouvoir éprouver une pulsion similaire à celle du bijoutier et la capacité à comprendre que justement une société ne fonctionne que par une capacité de distance et une justice non immédiate !
Les tontons flingueurs du week-end sont de plus en plus nombreux. La contagion de la connerie prendra de l’ampleur encore un peu. Finalement, nos tontons sont surtout des caves… il ne faudra pas leur mettre d’autres joujoux dans les mains sinon on les verra s’amuser avec des drones bientôt.
De toute façon, ils rétorqueront en pastichant Billy Joël » I don’t care what you said anymore, this is my LIKE »… Rappelons simplement que la licence to like, n’est pas une licence to kill…
Quelle conversion numérique ?
Les politiques numériques éducatives ou économiques offrent leur lot de convaincus et de réticents. Il peut être tentant de considérer qu’il reste évidemment à convaincre les plus obtus et les technophobes. Le concept d’une « grande conversion numérique » que décrit Milad Doueihi en effectuant notamment un parallèle avec la conversion religieuse et l’impact culturel qui en résulte, parait alors une possibilité intéressante, voire séduisante. Cette conversion qui oblige le nouveau lettré a maîtrisé désormais aussi bien les lettres anciennes que modernes, mais également le code informatique, mérite cependant une interrogation. En effet, dans cette capacité à examiner les diverses écritures, et leur signification, leurs traces et références, les schémas opérants, de quel type de conversion s’agit-il réellement ?
Quelles conversions numériques ?
Michel Foucault distingue deux types de conversion, pour schématiser rapidement : disons qu’il y en a une « platonicienne » et une autre qui est chrétienne. Chez Platon, la conversion est d’abord est une manière de se détourner des apparences en constatant notamment sa propre ignorance. À partir de là, la conversion consiste à un retour sur soi et à la prise de soi nécessaire à l’amélioration de soi et de sa propre connaissance. La conversion chrétienne est de l’ordre du changement immédiat, du renouvellement de l’esprit qui passe en quelque sorte de l’obscurité à la lumière. Dans les deux types de conversion, il y a le constat d’une nécessité d’un nouveau cheminement vers la vérité. Les deux conversions entraînent aussi la pratique de techniques de contrôle de soi voire d’ascèse. Ce n’est donc pas l’accumulation, que ce soit de richesses ou de connaissances disperses pour « fanfaronner » qui doit être recherchée, mais la qualité intrinsèque de ses actions. Un contrôle de soi peu évident, tant les mécanismes de popularité actuels incitent à l’inverse à rechercher des satisfactions personnelles. Les tentatives de mesure d’influence qui se développent en ce moment sur le web, démontre cette prépondérance.
Parler de conversion numérique finalement signifie que ce choix doit être celui d’une amélioration de soi pour son propre bénéfice, mais aussi pour celui des autres. De plus, cette conversion ne doit pas être une renonciation aux anciennes pratiques, ce n’est pas une rupture dont il s’agit. Il est en effet préférable de rechercher et de redécouvrir des méthodes et des pratiques plus anciennes qui peuvent connaitre des déploiements facilités avec les nouveaux outils. Par exemple, les signets sociaux se révèlent être une forme renouvelée des « lieux communs », ces cahiers utilisés par des étudiants à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance pour prendre des notes durant des cours ou des lectures avec parfois la constitution d’index.
La conversion numérique a commencé avec différents évangélistes et autres prophètes du numérique qui incitent parfois à des changements trop radicaux ou qui privilégient les outils clinquants et autres objets qui ne visent qu’à valoriser son propriétaire.
Il est dès lors actuellement tentant d’envisager une véritable « réforme » plutôt qu’une refondation sans véritable fondement. Du coup, c’est un appel à ce que les enseignants, les parents et les élèves s’emparent des nouvelles thèses numériques en ne cherchant plus le miracle chez ceux qui dirigent l’institution et qui portent le dogme.
1.Milad DOUEIHI. La Grande Conversion numérique, paris, Seuil, 2008
2. Sur cette question, voir Michel FOUCAULT. L’herméneutique du sujet. Cours au collège de France. 1981-1982. Gallimard, Le Seuil, 2001, p.199, sq
Ce billet est inspiré d’un passage de notre ouvrage La formation aux cultures numériques.