J’ai failli écrire bang, teut-teut à la place de pif-paf, mais je ne savais guère quelle onomatopée choisir pour illustrer l’actualité de la page de soutien au bijoutier de Nice. Pif-paf, c’est le bruit qu’on retrouve parfois dans Tintin quand le pistolet n’a pas d’effet meurtrier et que celui qui tient le pistolet, s’y reprend à plusieurs reprises. C’est le cas du savant devenu fou dans les cigares du Pharaon. Le tireur a toujours l’air ridicule dans ce cas-là. Quel poison a-t-on infligé à nos stupides likeurs ?
Le succès de la page facebook de soutien au bijoutier de Nice pose plusieurs questions. Il y a bien sûr l’hypothèse de fakes. Il y en a certainement mais force est de constater que nous sommes en présence d’une somme de likes bien réelle que l’on peut constater, en vérifiant qui parmi ses amis Facebook à liker. A l’heure où j’écris ces lignes, j’en connais 12.
Cela ne me ravit guère et je ne mettrai pas de lien vers cette page. Vous pourrez constater qu’il en existe d’autres et que l’initiative n’avait donc pas été isolée.
On est bien ici en présence d’une réaction qui est bien sûr de l’ordre de la pulsion, cette dégradation de l’exercice de réflexion de l’indexation que constitue le like. On est aussi dans un mouvement de foule numérique et dans l’idée qu’il peut être finalement agréable de partager son ras-le-bol et sa soif de vengeance. On est aussi dans la confusion du like, tant les likes sont probablement tous différents au niveau de leur portée.
Mais ce soutien démontre aussi la confusion entre la compréhension d’un geste et le fait de soutenir le fait de se faire justice lui-même. J’ai envie de dire que le bijoutier est finalement peut-être moins à blâmer moralement que ceux qui le soutiennent en le likant. Ce dernier qui possédait tout de même une arme, instrument par essence de mort potentiel qui témoigne néanmoins d’un achat et d’une mise à disposition clairement réfléchie, a finalement réagi probablement dans un registre de l’impulsion qui devient dangereux lorsqu’on est armé. Son acte est irréfléchi a priori. Encore que finalement, nous ne savons pas grand chose du déroulé réel.
On pourrait croire que le like laisse pourtant le temps potentiel à une certaine réflexion, à un temps distancié entre le fait d’aller liker et l’évènement. Et bien non, ceux qui ont liké se sont mis à la place du bijoutier exaspéré. Ils ont manifesté leur envie de faire pif-paf, mais aussi leur envie morbide de tuer. Et c’est bien ce qui est inquiétant. Cette incapacité grandissante à effectuer une différence, et donc une différance montre la prolongation d’un temps présent médiatique qui nuit à toute réflexion. Un court-circuit entretenu par les médias classiques mais qui trouve un prolongement pulsionnel dans le like de Facebook. Un like, pif-paf, comme on like un message d’un ami, le fait d’aimer un film, etc. Quelle confusion entre le fait de pouvoir éprouver une pulsion similaire à celle du bijoutier et la capacité à comprendre que justement une société ne fonctionne que par une capacité de distance et une justice non immédiate !
Les tontons flingueurs du week-end sont de plus en plus nombreux. La contagion de la connerie prendra de l’ampleur encore un peu. Finalement, nos tontons sont surtout des caves… il ne faudra pas leur mettre d’autres joujoux dans les mains sinon on les verra s’amuser avec des drones bientôt.
De toute façon, ils rétorqueront en pastichant Billy Joël » I don’t care what you said anymore, this is my LIKE »… Rappelons simplement que la licence to like, n’est pas une licence to kill…