Sous couvert de réformes, l’Education Nationale part en vrille depuis plusieurs années. Cette descente aux enfers s’effectue sous la houlette d’un ministre dont le tribunal de l’histoire se chargera d’un réquisitoire sans concession.
La nouvelle évaluation des enseignants du secondaire se fera principalement selon la vision du chef d’établissement, ce dernier étant lui-même évalué. Il s’agit en gros d’évaluer surtout la conformité avec les projets décidés en haut lieu. Et qu’on ne se méprenne pas, ces projets n’ont rien de pédagogique, c’est tout au plus du bidouillage lié à une culture du résultat qui cherche à remonter de bons chiffres pour flatter l’égo du premier dirigeant du ministère. Cette culture du résultat chiffré et bidouillé n’a aucun sens et aucune réalité concrète sur le terrain.
L’objectif est de mettre en place un système moins couteux et qui parait plus clinquant en apparence notamment en substituant les recrutements d’enseignants par des moyens informatiques plus performants. L’objectif étant aussi de faire plaisir aux dirigeants d’entreprises informatiques. Pas de pédagogie dans tout cela mais des instruments de flatterie et du mensonge.
Depuis quelques années, le poids des enseignants et des formateurs au sein de l’EN a fortement diminué (désintégration de l’IUFM) au profit de profils administratifs qui bien souvent constituent des freins à l’innovation, mais qui sous couvert justement de cette dernière, cherchent à imposer leurs vues malgré les réticences et les autres voies offertes par le terrain et par la recherche.
On critique parfois à raison, une trop forte crispation et attachement des enseignants à leur discipline d’origine. Cependant, la logique actuelle est de poursuivre une logique disciplinaire de plus en plus rude et stricte au sens foucaldien qui est celle du contrôle sur les corps et les esprits : un biopouvoir qui s’exerce sur les élèves et les personnels. Ce contrôle disciplinaire devient essentiellement politique et administratif et n’a que peu d’effets pédagogiques si ce n’est de considérer que des évaluations forcées et bidonnées relève de la pédagogie. Le premier dirigeant du ministère transforme le ministère en une armée avec des généraux et des sous-chefs contraints d’obéir à des ordres que d’aucuns trouvent souvent idiots. Mais plus personne n’ose rien dire, la peur gagne les rangs à tous les niveaux : l’Education Nationale devient la grande muette !
En ce qui concerne les professeurs-documentalistes, c’est le même effet : rien ne semble se produire tant le terrain escompte sur la lassitude de l’administration a égrené des nouveaux projets peu convaincants et surtout dangereux.
Pascal Duplessis a bien décrit les manœuvres et les dangers qui guettent le corps des professeurs-documentalistes. Or, le terrain reste muet notamment sur les listes de diffusion où l’inertie voire la banalité prend peu à peu le pas. Chacun semble se préoccuper de soi ; l’intérêt général si ce n’est au moins l’impression d’appartenance à un corps en danger devient peu mis en avant. En grande partie, parce que plus grand monde n’ose s’exprimer publiquement de peur…de représailles. Les mails privés, les discussions en aparté dominent mais personne n’ose.
Comment peut-on imaginer que le lieu où doit se forger l’esprit critique et la capacité à exprimer son opinion argumentée telle que le nécessite une démocratie soit devenu à ce point censuré et auto-censuré ?
Clairement, pour les professeurs-documentalistes, une des solutions possibles peut se construire dans l’espoir d’une alternance politique. Cette solution est simple : c’est la sortie pure et simple et définitive de l’égide de la vie scolaire pour aller vers la création d’un corps d’inspecteurs dédiés. Sans cette sortie, il n’y a aucun espoir car ce serait rester sous le contrôle direct d’une administration exécutive qui n’a plus rien de pédagogique. C’est la seule perspective pour le développement réel d’une culture de l’information et de son volet didactique.
Le learning center par opposition constituerait le tombeau définitif du mandat pédagogique et ferait sortir les professeurs-documentalistes du corps des enseignants. Mais il n’y a pas que les professeurs-documentalistes. Il apparait de plus en plus clairement que c’est d’ailleurs une commande du ministère de supprimer un maximum de corps d’enseignants et de faire disparaître un grand nombre de disciplines.
Alors pour finir, j’ai envie d’inviter à renverser la tendance. C’est maintenant qu’il faut s’exprimer. Soit l’alternance se concrétise et on pourra placer des espoirs si on l’a bien préparée, soit elle ne se fait pas et la fin de l’EN sera alors inéluctable d’une manière téléologique. Mais au moins, on sera mort les armes (intellectuelles ?) à la main.
Mais j’ai bon espoir dans un renouveau pour ma part et j’ai envie de renverser les menaces. En cas d’alternance, on saura parfaitement se souvenir de qui aura joué lamentablement double-jeu et aidé le premier dirigeant dans ses bas desseins. C’est donc l’heure de l’ouvrir et de proposer des pistes de renouveau.
Mise à jour : A lire aussi cet article sur Slate.
Il me semble en effet que le recours téléologique peut être une facilité. A cela que professeurs nous sommes supposés être porteurs de lumières et que par notre silence nous imposons à nos élèves, dont l’espérance de vie est déjà en baisse, qu’ils puissent aussi être moins éclairés.
Aussi, pour autre recours, je préfère Camus quand il invoque « N’attendez pas le Jugement dernier. Il a lieu tous les jours. »