Suite de la série de l’année 2012, bon ce ne sera pas aussi fun que Californication, mais voici le second épisode. Pour rappel le premier est ici.
Il est tentant de considérer la culture de l’information comme une forme de culture générale.
La culture de l’information se distingue des discours globalisants de la société de l’information qui procède surtout par uniformité des moyens techniques employés et des usages requis. Les discours de la société de l’information, qui considèrent l’individu d’abord comme un consommateur ou un usager, privilégient une uniformité voire un mimétisme dans les dispositifs.
La culture de l’information procède de manière inverse avec des éléments communs, en ce qui concerne la formation plus particulièrement, de afin que les individus puissent se constituer de manière non-conforme. Des éléments qui sont propres d’ailleurs à la notion de culture :
On désigne par le concept de culture l’ensemble des médiations symboliques des représentations de l’appartenance sociale : la culture est ce qui se partage, ce qui constitue un patrimoine commun de représentations en quoi se reconnaissent les sujets qui revendiquent la même appartenance sociale et symbolique. (1)
La culture de l’information repose ainsi sur le partage de valeurs communes. Mais il s’agit aussi de prendre part et non seulement de se partager un héritage. Ce n’est donc pas une culture imposée ou d’héritage de type religieux, mais une culture à laquelle il s’agit d’accéder. Il y a donc une part d’élévation dans cette culture qui est également « instituante » (on reviendra sans doute prochainement sur ce blog sur la question de l’élèvation). Dans la lignée de Condorcet qui plaçait la tradition à la fois dans le passé mais également dans le futur en vue d’une amélioration constante (2) . Cette vision d’une république en amélioration repose sur l’instruction et s’illustre parfaitement dans le projet encyclopédique dont la publicisation des savoirs permet, comme le préconise Simondon, de refaire et d’améliorer. C’est également un moyen d’éviter l’unilatéralité :
La tolérance est ainsi une valeur directement suscitée par l’ouverture informationnelle. (3)
Il ne s’agit donc pas de préconiser une culture uniforme et en ce sens la culture de l’information n’est pas qu’un concept français ou francophone comme nous l’avons montré dans les différentes acceptions au niveau international.
Cependant, nous observons dans les différentes études le constat commun de la convergence, voire d’une culture de la convergence pour reprendre l’expression d’Henry Jenkins. En effet, nous avons constaté que des divisions et séparations entre certaines littératies et éducations ne sont plus opérationnelles. De fait, la culture de l’information est autant une culture de la communication, que des médias et des techniques informatiques. Nous notons qu’en ce qui concerne la participation et la prise de part au sein de la culture, nous retrouvons encore une fois Henry Jenkins qui évoque une culture participative (participatory culture).
Pour autant, elle mérite selon nous que soient définies des actions de formations spécifiques ainsi que des savoirs à transmettre.
Une culture néanmoins spécifique ?
Il convient de se demander finalement quelles sont donc les frontières de cette culture de l’information autant en ce qui concerne ses territoires que de ses potentiels formateurs :
Car s’il faut à tout prix former les élèves du secondaire et les étudiants, cela ne relève-t-il pas, en définitive, de l’enseignement lui-même, de l’acquisition d’une culture générale et disciplinaire ? Autrement dit, jusqu’à quel point peut-il exister une formation spécifique, prise en charge par les bibliothécaires et les documentalistes ? La question n’est pas de pure forme et procède de la nature même de l’évaluation qui mobilise à la fois des savoirs disciplinaires (pour la validité scientifique des documents) et documentaires (pour l’évaluation de la fiabilité de la source ou de la qualité formelle des documents). (4)
Autrement dit, la culture de l’information n’est-elle que du ressort des professeurs-documentalistes dans le secondaire ou des bibliothèques dans le supérieur ? Évidemment non. Ce n’est donc absolument pas un domaine réservé. Pour autant, il appartient d’envisager sa mise en place concrète en distinguant les acteurs les mieux placés pour dispenser la formation.
Le fait justement que beaucoup d’acteurs se sentent parfois concernés par le sujet a pour conséquence le mélange des genres et des représentations. Il y a différentes cultures de l’information selon les professions. D’autre part, le fait de considérer que cette culture est un élément clef de la culture générale témoigne certes de son importance, mais accroit le risque qu’il n’y ait pas de réelle formation.
En ce sens, le travail de didactique de l’information portée par des professeurs-documentalistes constitue une piste de rationalisation qui vise à sortir des discours trop généraux et simplement incitatifs. Il s’agit de savoir ce qui peut réellement être transmis et comment cela peut être réalisé. Pour cela, il faut vraisemblablement préalablement sortir du paradigme informationnel de l’information literacy.
1. Bernard LAMIZET. Les lieux de la communication. Mardaga, 1995, p.44
2. « Le but de l’instruction n ‘est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger » Condorcet. Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), édition Garnier-Flammarion. p.93
3. Nicolas AURAY. « Ethos technicien et information. Simondon reconfiguré par les hackers », in Roux, R. (dir.), Gilbert Simondon. Une pensée opératoire, Saint-Etienne, Presses de l’Université de Saint-Etienne, 2002,125-147. P.125
4. Serres, Alexandre. « Evaluation de l’information : le défi de la formation ». Bulletin des Bibliothèques de France, n° 6, décembre 2005, p. 38-44. in BBF