Voilà bientôt trois mois que j’ai mis en ligne, Hot & Steam et quoi de mieux que d’offrir le chapitre 1 pour donner envie (ou pas) de lire la suite… Pour rappel, le roman se passe à l’ère victorienne dans le pur esprit steampunk avec des technologies improbables pour l’époque et une héroïne qui n’a bien évidemment peur de rien. Mais je vous laisse découvrir le premier chapitre…
1. Lady V.
La grande horloge venait de sonner cinq fois dans l’après-midi alors qu’une pluie fine s’abattait sur la capitale britannique. Londres semblait sereine, quoique pas encore resplendissante, la faute à une grisaille tenace depuis plusieurs jours. Fort heureusement ; les conducteurs des nouvelles berlines à vapeur gardaient espoir et continuaient d’astiquer les chromes et les dorures de leurs véhicules à énergie avant-gardiste. Les pubs ne désemplissaient pas et les clubs de gentlemen permettaient de trouver un peu de chaleur commune malgré le temps maussade. Les Ravelry’s club of ladies, lieux de rendez-vous des amatrices de tricot et de crochet, connaissaient un succès grandissant au point que les hommes pouvaient désormais y être également admis. Un immense progrès pour la gent masculine assurément qui pouvait réaliser des chandails originaux et plus conformes à la nouvelle ère qui commençait. L’hiver n’allait pas tarder à arriver, les soirées se faisaient plus courtes, il fallait préparer l’arrivée de la saison froide, oublier un peu l’été. Cependant, la ville avait comme envie de quelque chose d’exaltant avant de rentrer dans la période hiémale. Tout était allé si vite en quelques années, les supercalculateurs, les motorisations innovantes, les nouveaux systèmes de communication. Tout le monde n’était pas encore prêt mentalement, comme si la fin de ce XIXe siècle avait connu une précipitation impossible à prévoir, comme si les technologies étaient apparues un siècle trop tôt. Beaucoup de personnes se sentaient de plus en plus dépassées et dépourvues face à cette révolution technologique, notamment un grand nombre de décideurs. Si les plus anciens habitants peinaient parfois à saisir les tenants et aboutissants de ces évolutions, d’autres au contraire y trouvaient leur plénitude et parvenaient à exprimer tout leur potentiel comme les personnages principaux de l’aventure que nous allons vous conter.
L’héroïne de cette histoire n’avait plus vingt ans depuis très peu de temps. C’est pourquoi l’aventure ne pouvait plus attendre. Lady V était lasse. Son lit était vraiment trop grand, elle manquait de compagnie. Son chemisier blanc ouvert laissait entrevoir une poitrine agréable à regarder au travers du laçage détendu. Ses longs cheveux bruns et ondulés tombaient de part et d’autre de ses épaules. Son pantalon court lui donnait un style de pirate. Une pirate toutefois soignée qui ne négligeait aucun détail de son apparence. On l’appelait Lady V. V était pour Victoria, mais le fait de porter le même nom que la reine lui déplaisait.
« Je m’ennuie de trop. Il me faut une aventure ou un homme rapidement, ou les deux, ce serait encore mieux ! »
« Je vais appeler Rémi pour qu’il me fasse venir mes nouveaux habits que j’ai essayés la semaine dernière chez ce nouveau tailleur, Armand de Saint-Simon. Il est charmant d’ailleurs, dommage qu’il ne préfère la compagnie des hommes, à ce qu’on dit. »
Elle décrocha son privaphone cuivré pour mander Rémi, son majordome. Les systèmes de communication téléphonique sur des réseaux privés étaient devenus la mode depuis que tout le monde se savait espionner par les services nationaux et les dispositifs privés des prestataires industriels. Lady V avait donc choisi de développer son propre réseau de communication. Tout d’abord au sein de sa propre demeure, puis en liaison avec les personnes de son entourage.
Rémi Valentin était le factotum de la maison. Ancien aide de camp de la défunte mère de Lady V, il était resté au service de sa fille afin de veiller à son éducation et de prêter attention à ce que des malandrins ne lui veuillent aucun mal. Rémi Valentin avait été de ceux qui avaient été contraints rapidement de s’adapter en vivant aux côtés des pionniers des nouveaux réseaux. Expert en arts martiaux, il était connu pour être une des meilleures lames d’Europe et peu osaient le défier en connaissance de cause. Désormais âgé d’une cinquantaine d’années, il était le chauffeur personnel de Lady V tandis que sa compagne Béatrice faisait office de cuisinière et de gouvernante de la demeure. Tous deux veillaient à ce que la jeune femme soit la plus heureuse possible.
Les prétendants étaient nombreux d’autant que la fortune de Lady V était immense, notamment du fait des inventions de son aïeule, qui avaient fait les beaux jours de l’industrie néo-industrielle. Les plus grandes firmes avaient acquis une partie de ses brevets pour pouvoir développer leurs projets ambitieux et devenir les fleurons mondiaux de cette nouvelle économie survenue très rapidement après celle de l’industrie lourde. Les réseaux de tuyaux parcouraient intégralement la cité, avec un système d’énergie offert par la puissance de la vapeur et des dispositifs communicationnels parallèles qui permettaient une circulation des news et des documents quasiment en temps réel. Certains n’hésitaient pas à avancer que l’information était devenue la nouvelle matière première de l’ère qui avait débuté vingt ans plus tôt. Seulement personne ne savait encore réellement ce qu’était véritablement l’information. Les dirigeants n’y comprenaient rien et tentaient tant bien que mal à retarder les échéances de la mutation notamment en se préparant à une guerre totale.
La demeure de Lady V . avait été une des premières à être équipée des nouvelles technologies et les tuyaux de cuivres avaient été parfaitement customisés pour s’intégrer de façon harmonieuse avec le reste de la décoration. Toutes les pièces avaient été raccordées aux systèmes énergétiques et communicationnels les plus modernes. Lady V. avait tout de même décidé de conserver l’ancien dispositif de pneumatiques pour communiquer plus facilement avec ses domestiques. C’était d’ailleurs le moyen qu’elle utilisait le plus souvent pour faire part de ses envies à Béatrice qui n’aimait guère les technologies récentes.
Béatrice avait de plus en plus de mal avec les frasques de Lady V, car elle faisait parfois courir des risques insensés à son époux. Mais elle savait que Rémi avait besoin de cette dose d’adrénaline pour pouvoir trouver un peu de bonheur dans l’existence. Rémi aimait tout particulièrement conduire le véhicule ultrarapide à moteur alternatif de Lady V, la Viper qui parvenait à se faufiler partout tout en bénéficiant de plus grand confort. Combien de fois, était-il arrivé juste à temps pour récupérer Lady V d’une impasse dans laquelle elle s’était mise. Mais elle était comme ça, insaisissable, goûtant chaque seconde la vie pour en puiser la quintessence.
Rémi lui fit donc porter sa nouvelle tenue spécialement conçue pour s’adapter à son écosystème informationnel et pour mieux mettre en valeur son esprit et la jeunesse de son corps. Il installa l’ensemble sur son valet de bois. Lady V devint alors rayonnante, exulta et sortit enfin de son lit. Sans la moindre gêne, elle ôta un à un ses vêtements devant Rémi qui visiblement fit mine d’être choqué, notamment car il savait que c’était toujours à ce moment-là que Béatrice se plaisait à venir. Ce fut une nouvelle fois évidemment le cas. La nudité de la demoiselle l’exaspérait, car elle trouvait ce comportement indigne d’une dame de haute estime. C’était aussi le moment où Rémi la rassurait et ne manquait pas de lui glisser un baiser comme preuve de leur amour vieux de plus de vingt ans.
Ignorant les réactions de ses serviteurs, Lady V commença tranquillement à se vêtir tout en annonçant :
« Ce soir, j’ai soif d’aventure. Je sors. Le jeune baron du réseau des étudiants pleins d’avenir m’a convié à sa soirée. Le Spiegelnet est le réseau sur lequel il faut absolument être et la soirée promet d’être riche en rencontres diverses et sera certainement l’occasion de pouvoir se lancer dans de nouvelles aventures. »
Lady V poursuivait son soliloque tout en commençant à se vêtir peu à peu. Quelques minutes plus tard, elle était prête. La femme qui se contemplait dans le miroir n’était pas de celle que l’on pouvait oublier. Un haut chapeau bordeaux aux laçages violets sur le devant couronnait sa tête et venait mettre en valeur une veste type queue-de-pie dans les mêmes tons que le chapeau avec un velours imperméable -temps pluvieux oblige – qui contrastait avec un laçage de satin violacé. La veste laissait toutefois entrevoir une chemise prune satinée dont le col ouvert permettait aux audacieux de jeter un regard sur le corsage. Cette attraction avait plus d’une fois nui à ceux qui avaient tenté de la combattre à l’épée. Perdant momentanément leur concentration, ils durent le regretter amèrement.
Lady V portait ce soir un pantalon de la même couleur que la veste avec de longues bottes remontant au-dessus du genou avec la reprise des mêmes laçages violacés. Nul doute, le créateur Armand l’avait sublimée avec cette nouvelle tenue. Elle était resplendissante, mais le nec plus ultra était à venir. Car Armand n’était pas seulement un excellent tailleur, c’était aussi un génie de l’habillage digital. Il était de ceux qui savaient à la perfection vous vêtir avec les meilleurs outils et tissus qui vous rendaient grâce. Lady V ajouta alors à son cou un petit médaillon d’argent qui dissimulait en fait une min-caméra haute technologie capable de la suivre dans ses moindres mouvements. La caméra était reliée à un central d’informations et de données situé dans le grenier de sa demeure. Grenier qui n’avait rien d’insalubre bien au contraire et qui était le lieu de résidence de son amie Dominique. Dominique était celle qui analysait les données transmises à partir des éléments recueillis pour en informer si possible en temps réel Lady V. Cette dernière était de ceux qui avaient fait le choix de changer de vie en quittant leur sexe originel. Officiellement connu sous le nom de Dominique Alain pour les spécialistes en intelligence digitale qui lisaient quotidiennement son carnet, Dominique vivait en réalité une existence totalement féminine et s’avérait une redoutable séductrice.
Fidèle alliée de Lady V, Dominique était toujours présente quand elle en avait besoin. Un retour de service depuis une rupture familiale un peu compliquée liée à sa situation transgenre qui déplaisait fortement à sa famille.
Une montre en or vint couvrir le poignet gracieux, mais finement musclé de la jeune femme. Cette montre dissimulait en fait un système qui analysait immédiatement la condition physiologique de celui qui l’a portait. Elle contenait également un émetteur qui permettait de la retrouver si besoin. C’était justement ce dispositif qui avait permis plus d’une fois à Rémi Valentin de venir la récupérer avec la Viper.
Dans la poche intérieure gauche de sa veste, elle déposa tranquillement son mundaneum, cette super bibliothèque digitale inventée par un idéaliste belge grâce à laquelle on pouvait accéder à toutes les connaissances disponibles. Le dispositif était couplé à un système de transmission qui lui permettait de communiquer par téléphone à distance sur des réseaux sécurisés.
Dernière pièce ultime, les lunettes. Lady V ne les portait pas tout le temps malgré une myopie grandissante. Elles étaient joliment décorées par des motifs floraux qui entouraient les verres correcteurs. Ces verres permettaient d’améliorer la vision de la réalité afin de disposer d’informations complémentaires qui étaient soit envoyées directement par des algorithmes puisant dans des bases de données publiques ou plus confidentielles. Dominique était maître dans le paramétrage des lunettes qui ne fonctionnaient que pour Lady V, qui n’avait alors besoin que de les chausser pour aussitôt déclencher l’ouverture des possibilités digitales. Qui d’autre voulait les porter n’y aurait vu que de banales lunettes de vue alors qu’il s’agissait d’un puissant élément informationnel et de communication.
Il ne manquait plus rien à Lady V pour être prête à sortir, ou plutôt si, un dernier élément dont elle ne se séparait que rarement : sa fidèle canne de décoration, noire ébène avec un pommeau doré surmonté d’une salamandre, le symbole de Lady V. Mais cette superbe canne était également une arme redoutable et dissimulait une épée qu’elle maniait à la perfection grâce aux leçons de Rémi Valentin.
Lady V s’admira une dernière fois dans son psyché. Une seule chose était sûre. Rien ne pourrait lui résister ce soir et tous finiraient par succomber.
Rémi Valentin ouvrit galamment la portière de la superbe voiture noire comme la nuit qui était aussi la plus rapide et la plus performante de l’époque. Construite par un physicien dont on n’avait plus trace actuellement suite à une tentative de télétransportation, elle avait été héritée par Lady V.
Elle s’installa dans le fauteuil confortable à l’arrière du véhicule tandis que Rémi prenait place dans l’habitacle de conduite. La voiture démarra en un quart de seconde, quelques minutes plus tard, Rémi Valentin déposait Lady V au sein de la demeure du baron dont les armoiries étaient symbolisées par une montagne de sucre.
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