Interview pour les documentalistes de l’académie de Rennes

Je reproduis ici l’interview réalisée par Alain Le Flohic que vous pouvez également retrouvé ici.

Olivier, tu es à nouveau documentaliste en collège cette année après avoir été détaché à l’UBS de Vannes. Tu travailles actuellement sur une thèse d’information-communication.
Tu as créé un site : le guide des égarés : pourquoi ce titre? Quel est l’objectif de ce site?

Le guide des égarés existe depuis 1999. C’est le nom d’un ouvrage de Moïse Maimonide, penseur juif de Cordoue, dont le titre m’avait séduit car j’avais trouvé qu’il pouvait correspondre au monde de la documentation et des bibliothèques. L’objectif initial était de proposer aux bibliothèques de nouvelles idées. Peu à peu au fur et à mesure de mes recherches et de mon évolution professionnelle, les thématiques se sont peu à peu élargies et concerne l’ensemble de la sphère de l’information, de la documentation et des bibliothèques ainsi que la pédagogie et les nouvelles technologies. C’est aussi pour moi un laboratoire d’idées et d’expérimentations techniques.

Tu as écrit plusieurs articles sur les folksonomies. Peux-tu nous en parler et nous dire en quoi le développement de ce type d’usages doit intéresser les documentalistes.

Il convient toujours d’effectuer un peu de veille sur des applications qui touche le monde documentaire. Les folksonomies constituent une piste intéressante pour mieux faire comprendre aux usagers et aux élèves l’indexation en utilisant des tags. De plus les folksonomies vont encore évoluer et on verra se développer des systèmes hybrides avec la réapparition de thésaurus ou de suggestions plus pertinentes. L’emploi de tags permet également d’effectuer un travail dans le prolongement de celui réalisé dans l’initiation à la recherche sur Internet ou le choix des mots-clés s’avère crucial.

C’est en fait une aubaine car nous pouvons imaginer des sites de collège avec usage de tags et le tout obéissant à des règles définies à l’avance avec le documentaliste.

La masse des données produites et la variété des documents numériques rendent la question de l’indexation à grande échelle primordiale.


Que penses-tu de l’utilisation en établissement scolaire de l’encyclopédie Wikipédia?

Wikipédia n’est pas à blâmer c’est un nouveau média dont il faut se servir. Seulement il implique comme tout média une éducation critique et une capacité accrue d’analyse qui n’était pas aussi présente que face à une encyclopédie papier. La difficulté provient du fait que pour les élèves une page contenant des informations erronées et une page excellente se ressemblent. Une nouvelle fois, il leur faut lire et faire preuve d’esprit de synthèse et de clairvoyance ce qui n’est pas inné et ne peut s’acquérir qu’à force d’exercices.

C’est pourquoi parfois, je pense que l’apprentissage de la lecture est la base essentielle et qu’il n’est pas idiot de songer à des exercices de résumé et de synthèse de manière plus fréquente quitte à « débrancher »


Que penses-tu du développement des usages des blogs, de plates-formes comme facebook par les jeunes aujourd’hui?

Le pire comme le plus passionnant s’y côtoie. Néanmoins, j’observe des dérives inquiétantes que j’ai déjà abordées dans plusieurs articles et notamment dans Et in Arcadia Ego : vers une culture de l’information et de la communication où je notais le risque d’être continuellement connecté dans une volonté de transparence et de communication perpétuelle.

Pourtant des possibilités communicationnelles et informationnelles énormes nous sont offertes mais l’institution notamment scolaire peine encore à s’en emparer pleinement ce qui fait le jeu des fournisseurs privés. Les blogs ou les sites collaboratifs de type Spip sont de formidables outils qui peuvent aider à la motivation et à la progression des élèves. Seulement, ce sont surtout les usages de type skyblogs qui sont les plus fréquents chez les élèves où la reproduction des mêmes schémas médiocres ne peut qu’inquiéter.

Les réseaux sociaux commencent à prendre leur essor avec le succès de Facebook que je teste moi-même. Une nouvelle fois, les craintes sur la vie privée sont réelles mais les possibilités de diffusion d’information et de partage de données sont intéressantes.

Tu es un adepte de ce qu’on appelle le web2.0. Quels en sont les outils qui, à ton avis doivent retenir l’attention des documentalistes?

Les plateformes de blogs ou de sites collaboratifs doivent être davantage utilisés et pas seulement par les documentalistes.

Les wikis ou toutes les formules qui permettent de travailler à plusieurs sont également à encourager car ils peuvent devenir des moyens de mettre en place des travaux collectifs et de pouvoir intéresser à la notion d’ « intérêt général » qui est en perte de vitesse.

Les sites de partage de signets de type del.icios.us m’intéressent énormément car ils permettent de faire de la veille collaborative de manière efficace. Ils me semblent désormais indispensables à tout professionnel de l’information.


Comment vois-tu dans les années à venir l’évolution du métier de documentaliste?

On touche ici la question cruciale voire inquiétante. Le métier va encore évoluer à moins que sa disparition n’advienne. Je crois que le métier doit se transformer à nouveau vers plus d’intervention pédagogique pour la mise en place d’une véritable culture de l’information et de la communication. Cela implique donc un éventail de notions et de savoirs à transmettre qui vont des capacités d’analyse critique jusqu’à l’éducation aux médias et notamment aux nouveaux médias.

Seulement cette transformation ne peut s’accomplir que si l’ensemble du système évolue y compris les autres disciplines.

Sans quoi il y a fort à craindre que la disparition des enseignants-documentalistes ne s’accélère si on en juge la diminution du nombre de postes au Capes et le manque de reconnaissance institutionnelle de la profession au sein du secondaire qui fait des documentalistes les enseignants les moins bien rémunérés et considérés. (Je songe ici à l’ISO et aux heures supplémentaires, et primes diverses)

Aujourd’hui seule notre mission de gestionnaire voire de garderie semble intéresser vraiment l’institution qui n’a d’ailleurs toujours pas compris que le problème ne concerne pas l’accès matériel à la technologie mais une réelle formation à ces outils. Si ce raisonnement prime alors effectivement, il n’y a pas vraiment besoin de capes. Sur le plan pédagogique, l’inspection générale a tendance à vouloir que les enseignants prennent en charge cette éducation, le documentaliste pouvant prêter main forte si besoin. La vassalité de la documentation et du bon usage de l’information demeure. Pourtant si beaucoup de documentalistes doutent encore de la légitimité disciplinaire, il ne serait pas inadéquat que nos collègues des autres matières en fassent autant. Pour ma part, je plaide pour un new deal disciplinaire qui laisse place à plus d’enseignants interdisciplinaires notamment en sixième-cinquième. Au lycée Je souhaiterais que l’éducation à l’information et aux médias devienne un nouveau point fort de la section littéraire.

Comment envisages-tu la formation des élèves aux sciences de l’information et de la communication?

Je pense qu’elle ne pourra se faire que dans le cadre du new deal que j’évoquais auparavant. Pour cela il faudra tisser des alliances entre les notions infodocumentaires, l’éducation aux médias et…l’informatique et la formation aux nouveaux outils. Cette démarche s’inscrit donc d’une manière bien différente de celle du B2I qui est insuffisante trop axée habiletés et compétences. Les travaux de Pacal Duplessis qui travaille sur les notions primordiales à transmettre sont une intéressante piste à suivre pour la mise en place d’un réel projet didactique. Mais le chantier reste difficile car il faut encore convaincre. Je plaide pour une nouvelle culture générale, « eine neue Aufklärung »[1] pour véritablement « réenchanter » le monde comme le prône Bernard Stiegler.[2]



 

[1] Pour reprendre le projet d’Emmanuel Kant sur les lumières.

 

[2] Bernard Stiegler.& Ars industrialis. Réenchanter le monde. La valeur esprit contre le populisme industriel. Flammarion. 2006