Remarques sur le rapport Assouline

Il y a des éléments fortement intéressants dans le rapport Assouline. Certes, on déplorera le choix d’emblée de commencer par des propositions négatives (et peu convaincantes ?) dans le genre interdiction des webcams dans les messageries instantanées. J’ai toujours la crainte que ça ne finisse par cacher le reste.
La première partie tente de faire le point sur les relations entre les jeunes générations et les technologies de l’information. Le rapport reste parfois sur des lieux communs qui ne permettent pas toujours de bien saisir la complexité de la situation. Il aurait été opportun de retrouver en plus quelques analyses d’ars industrialis mais il est vrai que l’exhaustivité en la matière est impossible. Néanmoins, le rapport cite quelques sources fiables notamment celles de Mimi Ito entre autres. Nous pouvons aussi remarquer que l’importance des enseignants-documentalistes a été bien perçue et qu’outre évidemment le Clemi, la Fadben, Pascal Duplessis et Jean Louis Durpaire sont cités. Le rapport parait donc assez équilibré et propose des pistes concrètes.
Quelques constats semblent consensuels et nous ne pouvons que les partager :
Alors que les jeunes jouissent d’une réelle liberté grâce à leur maîtrise des nouvelles technologies, l’absence frappante de la famille et de l’école les laisse abandonnés, sans repères, dans un monde multimédiatique omniprésent. A cet égard, les autorités ont donc un rôle d’émancipation à jouer afin de libérer les jeunes en leur donnant un regard critique et distancié sur leurs pratiques.
Une culture de l’information biaisée :
L’expression est donc employée dans le rapport et montre que cette culture de l’information des jeunes générations comporte des lacunes :
Les jeunes n’ont pas forcément conscience que les conditions de production de l’information, le support ou le canal de diffusion ne sont pas neutres sur Internet et qu’ils conditionnent la forme des messages, induisent une série de choix et donc surdéterminent leur contenu.
C’est donc fort logiquement que le rapporteur en arrive à cette conclusion :
Ce qu’il faut donc, en France, c’est une éducation aux médias qui soit un enseignement à l’analyse critique de l’image
Nous ne pouvons que partager cette nécessité de distance critique à enseigner. Les problèmes liés à la formation (et donc à la déformation) par les images notamment de la télévision et de l’ensemble des médias sont décrits :
Il est également sociétal en ce que les images façonnent la représentation que l’enfant se fait du monde : surévaluation de la violence dans la réalité, vision négative de l’avenir, tolérance plus grande à l’égard de comportements agressifs et sexistes.
Ici, nous serions tentés de dire que cela ne concerne pas que les jeunes et que les plus grandes victimes des médias sont de loin les plus âgées…Certes ce n’était pas l’objectif du rapport, mais la méconnaissance des médias des générations qui restent scotchés devant leur télé et qui sont ainsi objets de manipulation est un point qui est trop souvent oublié selon nous. Or ce sont les parents et les grands-parents de nos élèves et de nos étudiants…ce qui explique l’inconsistance de la transmission dans ces domaines. Nous serions tentés de dire que l’état de minorité face aux médias ne concerne pas que les jeunes générations.
Le rapport propose de prolonger les étiquetages et les labels sur tous les médias. Si l’idée de label et d’autres moyens de distinction positive peuvent être encouragés, je ne suis pas convaincu par les stratégies d’interdiction comme à la télévision. Je crains qu’à l’inverse, le fait d’interdire aux moins de 18, 16 ou 12 ans ne produit qu’un effet de séduction renforcée, fortement courant chez les adolescents. Le rapport n’est pas naif et est conscient qu’il existe des moyens d’échanges qui échappent aux filtres. Sur ces questions de pornographie, de violence et autres désinformations, il nous semble que le problème est d’abord est extérieur à l’Internet : où et qui sont les pédophiles (qui sévissent plus souvent d’ailleurs au sein des familles ce qu’oublie Action Innocence)
Internet n’est donc pas la seule donnée à prendre en compte dans ces questions.
Le rôle des professeurs-documentalistes dans l’Education aux médias
Assouline souligne que désormais cette prise en compte des nouveaux médias ne peut résider dans les mêmes apprentissages qui s’effectuent depuis des décennies. C’est une critique à l’immobilisme de l’Education Nationale ou tout au moins à l’incapacité à réellement éduquer par et avec les médias :
La question qui se pose dès lors est de savoir si l’esprit critique développé par l’analyse de texte peut s’exercer sur les nouveaux médias. Votre rapporteur ne le pense pas. Convaincu de l’intérêt d’un enseignement spécifique à la compréhension des médias contemporains, il a établi un état des lieux de l’éducation aux médias puis dégagé quelques pistes de modernisation.
Institutionnellement, David Assouline propose donc de clairement de revaloriser le métier de professeur-documentaliste :
Le rapport recommande la rédaction d’une nouvelle circulaire de définition du métier de documentaliste.
– il appelle en premier lieu à une revalorisation forte du métier de professeur documentaliste qui passe par l’attribution claire de responsabilités en matière d’éducation aux médias1. La Fédération des enseignants documentalistes de l’Éducation nationale (FABDEN) propose à cet égard la mise en place de modules spécifiques à l’éducation aux médias confiés aux documentalistes, ce que souhaite également votre rapporteur
Comme le préconise le rapport de l’IGEN, votre rapporteur milite pour qu’un temps et un espace bien identifiés soient définis pour cet enseignement, au moins pour les années de collèges. Sur deux niveaux de classe choisis au collège, une dizaine d’heures annualisées d’éducation aux médias en demi-groupe seraient ainsi prévue. Cette initiative permettrait notamment de mettre en valeur la capacité des élèves à créer un discours médiatique, et pourrait s’intégrer dans un projet d’accompagnement à la semaine de la presse. Ce projet associerait obligatoirement des professeurs de plusieurs matières, le lieu serait le CDI et l’animateur principal en serait le professeur documentaliste.
Cela impose d’inscrire l’éducation aux médias en tant que telle dans les missions des documentalistes.

Il demeure l’idée française que l’éducation et le service public peuvent éduquer via la télévision :
Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, votre rapporteur souhaite que soit imposée une émission sur le décryptage des images, non pas seulement dans le cahier des charges de France 5, mais aussi dans celui de France 2.
Il semble quand même que dans ce domaine, une tendance se dégage avec des services comme lesite.tv, france5éducation ou Ina.fr
Au final, il en ressort donc la nécessité d’une nouvelle circulaire des professeurs-documentalistes qui prenne en compte clairement l’éducation aux médias. En ces temps de masterisation, voilà qui sera un objet de négociation à mettre en place dans les mois qui viennent.
Il s’agira ensuite de travailler à une didactique de cette « translittératie » qui soit un moyen de sortir de la logique du B2I dont le rapporteur a noté les nombreuses critiques qui lui sont faites.
Nous notons que ce rapport a le mérite d’insister sur la revalorisation institutionnelle du métier de professeur-documentaliste et constitue un premier texte de confiance entre élus et professionnels. Le rapport met donc également en avant la nécessité intergénérationnelle.
Evidemment, il n’est pas parfait mais qui pourrait prétendre réaliser un rapport parfait sur la question de l’éducation aux médias ?
Il ne reste plus qu’à attendre les faits concrets au niveau institutionnel et à continuer nos travaux en la matière, aussi bien sur les plans de la recherche, qu’au niveau pédagogique et tous les jours sur le terrain avec les élèves.

6 réflexions au sujet de « Remarques sur le rapport Assouline »

  1. C’est à ma connaissance le premier texte majeur, non strictement dans notre cercle professionnel, qui nous soit favorable (d’après la lecture que tu en fais – je ne l’ai pas lu)
    A mettre en parallèle avec le discours de notre inspection qui n’est que l’aveu de sa propre impuissance. Espérons qu’il y aura des suites, mais j’y crois guère. En tout cas ce la ne me fera pas changer d’avis sur ce que je veux faire à l’avenir.
    Je ne me vois pas repartir pour 10 ans de combat ! fatigué !

  2. Merci Olivier pour cette lecture du rapport Assouline.
    Tu écris « Il s’agira ensuite de travailler à une didactique de cette
    « translittératie » qui soit un moyen de sortir de la logique du B2I dont le rapporteur a noté les nombreuses critiques qui lui sont faites. »
    Je pense que c’est plutôt un préalable ou en tout cas, ce doit être activé dès à présent, dans le cadre du B2I/C2I et en dehors. C’est ce qui se fait d’ailleurs, mais il faudrait, à mon sens, changer d’échelle !
    Je ne suis pas sûr qu’une éducation aux médias « généralisée » au collège à la rentrée 2010 (par exemple) donnerait de très bons résultats. Même si elle était sous la responsabilité des documentalistes ! (dont je suis … encore)
    Il y a une gros travail à faire ! Et c’est un chantier motivant.
    Si on n’y transporte pas l »éternel blues des docs ».
    Jacques

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