Depuis plusieurs années, le regain d’intérêt pour le ludique est exponentiel dans les classes. Rien d’étonnant, a priori à la base la logique qu’on apprend mieux par plaisir et quand on a envie de le faire. Parmi ses pistes, on évoque souvent celle des jeux vidéo, prisés par les jeunes générations, mais aussi par des générations de professeurs. L’idée en soi est plutôt intéressante, mais il reste toutefois à éviter certains écueils.
Un article fait état d’un jeu de rôles mis en place dans le cadre scolaire. L’idée parait séduisante, les élèves jouent des personnages, gagnent des points selon leurs résultats, en perdent pour un comportement inapproprié ou des retards et réalisent des défis ou peuvent acquérir des bonus.
Pour beaucoup, cela parait révolutionnaire et génialissime, voire totalement innovant.
Et pourtant, ce n’est pas nouveau du tout, c’est même tout simplement le retour du système des récompenses qui avaient été peu à peu supprimées, car elles instauraient une forme de compétition scolaire. Or, elles reviennent sous une forme un peu plus fun… mais quelle différence ? Auparavant il existait des prix d’excellence, des bons points, des bons carnets et des récompenses négatives : bonnets d’âne, etc. Finalement, les logiques de gamification ne font que les réintroduire sous une forme différente. Il s’agit d’impulser le même registre d’une façon plus moderne et de façon détournée. Cela pose clairement la question du niveau général des élèves, mais aussi du niveau particulier. En clair, il s’agit de considérer que le mythe égalitariste qui pollue l’École depuis de nombreuses années doit être définitivement mis à l’écart. Les élèves ne sont pas égaux, certains sont intellectuellement précoces, d’autres sont mieux stimulés par un environnement familial intéressé par la formation scolaire. Plus l’École prétend combattre cet état de fait, plus elle ne fait qu’aggraver la situation. L’affaire des devoirs est en ce sens symbolique. Il faudrait les supprimer selon certains enseignants et notamment la FCPE, association qui n’a pas évolué depuis 30 ans et qui a soutenu la réforme stupide du précédent ministre. Or, la suppression des devoirs n’est qu’une réduction du temps scolaire… or cette réduction va frapper surtout les élèves les plus défavorisés dans la mesure où les parents les plus soucieux de l’éducation vérifieront les connaissances de leurs enfants (je pense notamment à mon cas avec mon fils)… et donneront éventuellement des exercices complémentaires à faire. Du coup, il ne faut pas réduire le temps scolaire du soir… Pourquoi d’ailleurs faudrait-il que les activités d’apprentissage, de lecture, de calcul, de réflexion s’arrêtent à cette heure ? Sans doute pour laisser la place aux industries de service et de la logique dominante des loisirs. On voudrait fabriquer massivement des imbéciles qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Je pense à l’inverse qu’il serait préférable d’organiser des activités de travail et d’exercice par petits groupes et de mettre les moyens pour les élèves socialement défavorisés. Cela pourrait consister aussi en des activités diversifiées (cours de langue, musique, arts, informatique, etc.) J’aurais soutenu une réforme qui aurait permis d’améliorer la formation de tous les élèves notamment si on avait recruté des personnels qualifiés et diplômés en conséquence. La réforme ne fait que de confier nos enfants à des garderies améliorées. C’est scandaleux.
Mais revenons à la logique du jeu et à ses possibilités en termes de motivation.
À l’heure où beaucoup jugent les notes inutiles, car peu représentatives d’un niveau, voire carrément aléatoires et surtout relatives, il n’est pas idiot en effet de songer à des alternatives… Seulement, plusieurs pistes sont possibles : la fameuse logique de l’évaluation par compétences qui a gagné peu à peu les classes du primaire et qui semble pouvoir se développer avec le socle commun mérite un examen particulier.
Seulement, ces logiques ne génèrent pas trop de motivation chez les élèves qui ne sont pas vraiment mis au parfum des tenants et aboutissants de ce genre d’évaluation, notamment au primaire. Je ne parle même pas des parents qui ne doivent pas toujours comprendre ce genre de démarches.
De plus, ces évaluations portent souvent sur des éléments ponctuels, cela signifie que ce qui semble acquis à un moment donné peut être perdu quelques mois plus tard. En cela, le système n’est pas meilleur que les notes qui sont comprises par parents et enfants, mais qui peuvent être génératrices autant de motivation que de démotivation. J’ai déjà évoqué à plusieurs reprises l’échec du B2I pour ces raisons et j’ai du mal à comprendre pourquoi on veut décliner à l’ensemble des disciplines ce qui a lamentablement échoué. Je m’étonne de voir qu’on cherche à décliner ce qui ne fonctionne pas.
À mon sens, le socle génère surtout de la démotivation chez les enseignants et élèves dans la mesure où il s’agit d’une évaluation essentiellement administrative qui ne repose pas suffisamment sur des logiques de preuve telles que pourraient être des portfolios de réalisations par exemple. L’un ne peut aller sans l’autre.
La recherche de la motivation est effectivement essentielle, mais elle ne peut s’opérer uniquement dans des terrains d’expérimentation limitée. Si on veut rentrer dans des logiques de motivation qui permettent d’atteindre plus rapidement des niveaux supérieurs du fait d’un travail supplémentaire fourni, il faut casser les plafonds de verre. Et le premier d’entre eux, est la logique de la classe de niveau. Comment peut-on bloquer un élève qui voudrait progresser dans une matière ? Comment permettre à un élève qui voudrait se remettre à niveau de passer plus de temps dans le domaine où il rencontre des difficultés ?
Comment peut-on laisser dans une même classe des hétérogénéités qui finissent par ne plus avoir de sens du fait d’écarts considérables. Combien d’élèves ai-je pu voir dans mes collèges qui au final ne travaillaient plus et ne savaient plus travailler, car ils n’avaient jamais eu vraiment d’effort à fournir tant le niveau général était médiocre.
Je n’ai jamais cru au discours qui défend les classes hétérogènes. Elles sont pénalisantes pour de nombreuses élèves. Je ne remercierais jamais assez d’avoir pu être dans des classes de niveau, certes déguisées au collège. On confond trop souvent différences et hétérogénéité.
On oublie aussi que nous avons besoin d’un minimum de compétition pour progresser. Cela implique pour certains de se mesurer aux autres, mais il s’agit aussi de se mesurer à soi. Comment oublier d’ailleurs que compétition et compétences ont la même étymologie ? Étymologiquement, il s’agit de se rencontrer au même point. On serait tenté de dire qu’il s’agit d’accéder à un niveau de jeu.
Il reste à savoir de quel jeu on parle. L’anglais différencie le game (qui renvoie à l’idée de jeu à jouer) et le play (qui désigne un ensemble d’activités) sans oublier le gamble (le pari), tandis que le latin différencie le ludus (qui marque déjà une tension avec l’école) et ce qui pourrait être de l’ordre du pain et des jeux (panem et circenses).
En fait, tout dispositif peut présenter une démarche ludique, il s’agit surtout de la manière de le représenter. En effet, le paradigme ludique permet de garder de la motivation dans des tâches répétitives qu’il faut parfois recommencer à plusieurs reprises pour espérer un minimum de maîtrise. C’est la logique même de l’exercice. Le jeu comme mécanisme de la répétition dissimulée par l’envie de s’améliorer.
Faire et refaire jusqu’à bien faire.
Évidemment, l’enjeu pas nouveau est de parvenir que cette logique de performance ne demeure pas qu’individuelle et qu’elle s’inscrive dans une démarche collective, de partage de façon à ce que l’effort de l’un puisse bénéficier à d’autres. Un esprit proche des dispositifs des logiciels libres.
L’open source, plus proche de la méritocratie que de la démocratie, ai-je pu lire dans un tweet récemment. Sans doute est-ce vrai, mais la démocratie ne peut fonctionner sans un minimum de méritocratie. Mieux vaut à mon sens la méritocratie à la médiocrité, à condition qu’on puisse tous trouver les moyens d’être méritants. Si on en est encore à s’interroger aujourd’hui sur ces questions, c’est que nous ne sommes toujours pas parvenus à réconcilier pédagogues et républicains, division certes factice, mais qui reste une fracture symbolique forte.
Finalement, si nous n’arrivons pas à réformer notre École et à lui insuffler l’envie et l’esprit nécessaire, c’est autant parce que nous sommes devenus stupides (du fait d’une agitation de l’esprit qui fait que nous analysons le phénomène d’un seul point de vue), mais surtout, et c’est tout aussi grave, parce que nous n’avons plus aucun projet de société, plus aucune envie de vivre ensemble, plus de conception commune de la démocratie.
Il est temps de conclure ce billet trop long.
À nous de jouer ?