L’attention est souvent en perte de vitesse dans les observations notamment du fait d’une dispersion de l’attention sur différents médias et sur une obligation de mobilisation éphémère et de circonstance en fonction des interactions. Cependant, cette sous-attention parfois qualifiée d’hyperattention notamment par Katherine Hayles, ou plutôt d’attention de surface n’est peut-être pas le seul phénomène qui résulte de l’interruption ambiante et des sollicitations tous azimuts.
En effet, certains chercheurs et notamment certaines d’ailleurs n’hésitent pas à considérer qu’elles sont en fait dans un état d’attention optimisée, une sur-attention qui leur permet à tout moment de réagir au moindre stimulus intellectuel intéressant et opportun. Cette surattention leur permet de capter et de relier la moindre information pertinente du fait d’un état d’éveil permanent, mais elle favorise aussi la détection des opportunités de recherche.
Cela présuppose que face à une attention de tous les instants de plus en plus dispersée, il demeure des processus attentionnels durables, des capacités d’éveil multiples qui sont en fait les ressorts de l’intelligence et les bases de l’interprétation et de l’analyse, une capacité qui permet de rapporter l’instantané à quelque chose de plus durable.
J’ose ici exposer une théorie discutable, je pense que cette capacité de réaction est clairement une capacité d’éveil, mais il s’agit aussi d’une potentialité quasi onirique tant elle est proche de situation de rêve éveillé. Je prends également le risque d’affirmer que c’est ici dans ce cadre que se joue la question spirituelle, question essentielle rappelée par Valéry et négligée par la démocratie et plus particulièrement par la laïcité. J’y reviendrai sans doute cette année sur le blog.
Par conséquent, tout n’est pas nécessairement négatif dans cette économie attentionnelle, ce que nous dit justement Yves Citton dans son dernier ouvrage :
« Non, l’hyper-attention alimentée par l’accélération numérique n’est pas inéluctablement vouée à saper les bases de nos capacités de concentration profonde. Mais oui, quelque chose de majeur est en train de se reconfigurer, dans lequel la distribution de l’attention joue déjà un rôle hégémonique. C’est bien d’un retournement qu’il convient de faire l’hypothèse : ce qui était un épiphénomène – prêter collectivement attention à ceci plutôt qu’à cela – est en passe de restructurer fondamentalement la façon dont nous (re) produisons matériellement nos existences. L’attention est bien la ressource cruciale de notre époque. »
Ainsi l’attention n’est pas qu’un territoire qui intéresse le marketing et ceux qui se désolent de cette perte d’attention qui nous rendrait plus stupides. C’est une histoire bien plus longue et qui intéresse d’autres disciplines comme le montre Citton, notamment les disciplines de l’art et du spectacle qui se sont interrogées très tôt sur l’art de l’attention ou de la distraction.
L’attention est souvent d’ailleurs étudiée sous un échelon individuel pour traiter les troubles de l’attention et proposer des solutions. Mais ces observations sont souvent stéréotypées et limitées, car l’attention se joue aussi parfois à l’intérieur, même s’il apparaît effectivement opportun d’observer les réactions du corps. Or le problème est celui d’un capitalisme attentionnel ou mental dont l’objectif est l’utilisation maximale des captations d’attention de tous pour susciter des désirs de consommation régulièrement renouvelés. Chez Stiegler, l’économie libidinale produit une forme de court-circuit qui vise l’individu consommateur à satisfaire un besoin. Si Yves Citton évoque une écologie de l’attention, c’est bien pour répondre à cette logique de l’instantané pour promouvoir une attention plus durable. Et c’est bien là, l’enjeu tant au niveau individuel que collectif. Au niveau collectif, l’attention est d’ailleurs proche de la veille.
Cette surattention, que je préfère nommer transattention, car elle se mobilise en différentes circonstances et supports, j’ai l’impression de la vivre au quotidien et depuis fort longtemps. J’ai simplement le sentiment que cette capacité ne cesse en fait de croître au fur et à mesure des années.
Comment dès lors ne pas percevoir cette transattention alors que je dispose de deux écrans d’ordinateurs différents d’allumés sur deux machines différentes, dédiées à des tâches différentes. Une machine est orientée travail classique et recherche d’information avec plusieurs onglets d’ouverts — même si je me soigne grâce à Onetab sur google Chrome — au moins cinq fichiers de traitement de texte sont ouverts qui sont les travaux sur lesquels je travaille en ce moment (avec notamment cet article de blog, deux articles en préparation et un document à corriger émanant d’une étudiante). A cela s’ajoute, trois ouvrages numériques ouverts dans Calibre, achetés sur Amazon, mais dé-drmisés, ainsi que trois documents powerpoint ouverts qui rassemblent les futures interventions à préparer. Sur l’autre machine que j’utilise moins il faut bien l’avouer, se trouve des recherches plus orientées loisirs et un seul traitement de texte est ouvert : celui de mon roman qui n’avance pas, faute de temps principalement, mais qui doit quelque part attendre son heure, car je suis capable une fois déconnecté du web de produire quasi 100 pages en 15 jours lorsque je suis vraiment en vacances loin des sollicitations diverses. Sans cette transattention, jamais je n’aurais été capable de publier en un peu de plus de quatre ans, quatre ouvrages, plus d’une dizaine d’articles et de faire tout un tas d’autres choses alors que je perçois fréquemment les dispersions d’attention notamment liées à tout ce qu’il y a à découvrir d’intéressant sur les espaces numériques, que ce soit des éléments hautement stimulants intellectuellement voire complètement futiles. Il est donc probable que ce qui semble parfois être des pertes de temps ne le soit pas totalement… Cette transattention réside dans le fait de pouvoir mobiliser au sein de notre cerveau, de notre esprit plusieurs champs d’analyse possible qui peuvent fonctionner tantôt séparément, tantôt de façon croisée.
La transattention, c’est cet état qui permet de se remobiliser une tâche en peu de temps, car on ne l’a pas totalement abandonné. Cela marche évidemment plus facilement pour des tâches superficielles, il faudra plus de temps pour des tâches plus intellectuelles. Ce qui explique le fait que certains chercheurs se plaignent de ne pas réussir à trouver du temps pour écrire, car il leur faut en fait plusieurs heures pour se remettre pleinement dans leur travail de réflexion. En ce qui me concerne, la pire perte de temps réside dans le fait que je dois penser sans cesse à des éléments plutôt d’ordre administratif au niveau de l’iut et que nécessairement mes capacités cognitives s’en trouvent diminuées pour d’autres questions. Inévitablement, cette transattention est fatigante et réclame des temps de repos.
Sans doute aussi, repose-t-elle sur une organisation de l’esprit qu’il faudrait encore repenser en lien avec l’ensemble de l’écosystème de nos outils qui sont là pour augmenter notre intelligence.
Je m’arrête là. J’ai assez abusé jusque-là de votre attention.
Bonjour Olivier, Merci pour ce billet. J’irai lire le livre de M. Citton.
Petite remarque : est-il vraiment indispensable de promouvoir les ouvrages cités via Amazon? le site de l’éditeur ou un lien vers le Sudoc pourraient tout aussi bien convenir?
On a l’impression ici qu’on ne laisse pas vraiment le choix à la personne qui souhaite se procurer l’ouvrage…
Merci
Dans l’idéal, il faudrait effectivement un lien plus neutre qui permette le rebond, il existe mais c’est à nouveau google qui proposerait un truc d’équivalent à partir de google books. Il y a sans doute quelque chose à creuser pour qu’on puisse offrir le choix d’une recommandation multiplateformes, bibliothèques comprises. Pour l’instant, amazon a pris un petit avantage dans le domaine.
Merci Olivier
Un lien neutre sans rebond (l’éditeur par exemple) me conviendrait aussi parfaitement pour ma part. À moi de faire ensuite une recherche chez mon fournisseur habituel (libraire ou bibliothèque) pour retrouver le document.