Ce billet fait suite à la lecture de deux autres. Le premier est celui d’Olivier Ertzscheid qui rappelle qu’en dehors de notre hexagone, la science de l’information jouit d’une légitimité réelle au même type que des disciplines classiques telles la physique. Or en France les sciences de l’information demeurent toujours dans un statut hybride puisqu’associées aux sciences de la communication et dans un statut mineur puisque c’est bien un institut de la communication que pilote Dominique Wolton. Pourtant effectivement les communications scientifiques en la matière prennent de l’essor et les chantiers ne cessent de s’accroître.
Le second billet est celui de Jean Michel Salaun qui annonce le changement de dénomination de la faculté des sciences de l’information de Toronto qui retire le terme de sciences pour devenir Faculté d’Information afin d’être reconnu à l’instar des autres disciplines des facultés de droit, etc.
Soit nous considérons cela comme une réelle avancée et que désormais l’adjonction du terme science devient inutile car évident comme cela semble être le cas chez les canadiens, soit nous devons nous inquiéter du fait que c’est avant tout le caractère professionnel et managérial qui est mis en avant, cédant à une mode du raccourci sémantique, transformant l’institution devenue I-Ecole en un objet instable pouvant être rejeté.
Finalement cela revient à poser la question brutalement : l’information peut-elle être le support d’une science ? Nous pouvons par notre pratique répondre affirmativement. Mais il est clair qu’elle ne peut être une science purement isolée…mais quelle science peut vraiment l’être ? La solution hybride française va à mon avis s’avérer un avantage au cours des années futures tant les domaines communicationnels et informationnels vont rencontrer des terrains communs. Je considère déjà que la culture de la communication élargit ses horizons et tend à devenir une culture de l’information et de la communication.
Scientifiquement néanmoins, il y a nécessité de découper, de forger des concepts. En clair, il s’agit d’éviter la confusion et la fusion totale sans quoi la science n’existerait plus et laisserait place à des dogmes. C’est tout l’enjeu scientifique actuel, parvenir à créer à la fois des associations, des liens tout en ne dénaturant pas les concepts et objets scientifiques. Pour tisser la vision de Simondon à la sauce Stiegler, il convient scientifiquement de créer des milieux scientifiques associés qui permettent à des éléments scientifiques stables de se constituer propres à leur champ respectif et de parvenir à créer des stratégies collectives transdisciplinaires permettant la potentialité créatrice.
Une nouvelle fois, j’ai le sentiment que la situation hybride et insitutionnellement difficile des sciences de l’information n’est pas un désavantage à condition que son état transdisciplinaire ne soit pas un obstacle à la stabilisation du travail scientifique. L’ensemble du travail scientifique ne peut être en bêta perpétuelle. Le fait que dans le classement français sciences de Wikio, certes très discutable car basé sur la popularité et non sur l »autorité, 11 blogs dans les 20 premiers concerne les sciences de l’information et des bibliothèques témoignent d’un bouillon intellectuel dont la communauté scientifique doit se saisir. Il faut malgré tout désormais que tout cela puisse institutionnellement être visible notamment au niveau français. Car c’est bien là qu’il semble qu’il faille travailler, si l’information est une science, elle n’est pas devenue une institution au même titre que le droit par exemple ou comme les mathématiques. Cela se voit également au niveau de l’Education Nationale ou finalement elle n’est pas non plus considérée comme une discipline mais tout au plus intégré dans les éducations à. Or, les enjeux informationnels sont trop importants désormais : les sciences de l’information doivent occuper une place au sein du système scolaire. Le travail doit donc se poursuivre entre sciences et savoir, pour cela il faut des moyens et notamment humains mais également la caution institutionnelle qui tarde à venir. Il est vrai qu’une science et des savoirs qui amènent le citoyen à réflèchir à l’âge de la vitesse ne sont peut-être pas du goût de tous les décideurs.
Tu fais, me semble-t-il, une erreur sur le sens du changement de patronyme de la Faculté de Toronto. Il ne s’agit absolument pas, pour les Canadiens, mais le mouvement des i-schools est encore plus fort aux US, d’une tendance à favoriser les aspects professionnels et managériaux. Mais tout au contraire d’affirmer l’information comme une science comme une autre à l’instar de la chimie, la physique, l’économie etc.
Par ailleurs, considérer que l’information science en Amérique du nord n’est pas pluridisciplinaire et ouverte, c’est la méconnaitre.
Enfin, les aspects professionnels sont très importants, ils sont une part du terreau sur lequel se batissent les savoirs. De ce point de vue, les i-schools élargissent progressivement leur périmètre en intégrant des formations à la muséologie, au journalisme, au design-Web etc..
Je ne me prononcerai pas sur la situation française. Je pense que nous serons d’accord sur le fait qu’il est difficile de tirer des leçons de la situation nord-américaine pour les appliquer dans l’Hexagone
Je rebondis, juste au passage, sur une remarque de Jean-Michel Salaün, pour encourager moi aussi le rapprochement de la recherche universitaire en information avec la formation professionnelle des journalistes.
Les deux mondes ne sont, fort heureusement, pas complètement étrangers. Mais, à mon sens, le journalisme gagnerait très fortement à aller beaucoup plus loin dans cette direction. Il y a un verrou corporatiste et idéologique à faire sauter dans la profession des journalistes, au moins en France, et l’université peut y contribuer.
Le journalisme actuel est largement enfermé dans l’alternative entre une hypothétique « mission » politique et une définition strictement technicienne du métier. L’approche de l’information comme un objet d’étude critique pourrait être une porte de sortie…