Il est fréquent de rencontrer de manière parfois équivalente les expressions d’information literacy ou information fluency.
Mais un récent projet présente une vision qui me semble préoccupante. Merci à Pintini d’avoir repéré et analyser ce projet en traduisant d’ailleurs les principales définitions :
1. Solution fluency: savoir en temps réel définir un problème, planifier une solution, l’appliquer et évaluer le résultat
2. Information fluency: être capable, inconsciemment et de manière intuitive, d’interpréter une information, quelle que soit sa forme (ou son format), pour en extraire l’essentiel et évaluer sa pertinence, sa signification dans un contexte donné
3. Collaboration fluency: parvenir à travailler en partenariat (en ligne et/ou en présentiel) de manière automatique (toujours cette notion d’inconscience)
4. Creativity fluency: faire ressortir l’artiste qui sommeille en nous (peut devenir intéressant si vraiment on possède ce don: par exemple dans la conception ou la rédaction – storytelling)
5. Media fluency: être capable d’interpréter analytiquement les communications (les messages), quels que soient les médias; être capable de créer du contenu numérique original (en choisissant judicieusement le média adéquat pour le message à transmettre)
Le passage de la literacy à un état qui serait celui de fluency est une erreur manifeste. En premier lieu, cette compétence serait une capacité peu rationnelle mais cependant pouvant être attestée un peu comme dans le domaine de la maîtrise des langues. En effet, certains éléments traduits plus haut semblent relever du don ou en tout cas pleinement de l’intuition. Or l’intuition est bien ce qui ne peut être vraiment enseignée ou tout au moins aucunement didactisée. D’autre part, le projet est surtout à visée lucrative et il n’est guère étonnant qu’une diversité d’acteurs cherche à s’emparer de ces terrains mal balisée par les institutions éducatives.
La fluency ou aisance numérique, selon la traduction de Pintini, me semble par conséquent une régression totale dans la mesure où cette aisance n’est décrite que par le vide, mentionnant encore le fameux esprit critique.
Le projet s’inscrit dans une lignée proche de la transliteracy mais semble se démarquer pourtant de la notion de littératie pour ne retirer principalement que ce qui relève du trans mais de manière peu rationnelle.
C’est aussi une position ouvertement non définitoire et qui laisse des boîtes noires et qui rendent de fait impossible toute réelle progression. La volonté de se démarquer de la maitrise technique est également un leurre du fait que ce n’est qu’une lecture partielle du terme de technique. C’est d’ailleurs une tendance actuelle de vouloir se démarquer d’une vision technique en confondant la technique elle-même et les investissements matériels.
La fluency apparait ici comme une maitrise quasi intuitive totalement contraire de la culture technique. Or, l’intuition ne peut suffire et être satisfaisante d’autant qu’elle est dés lors justement impossible à caractériser. La littératie, c’est cette connaissance tierce qui consiste à pouvoir expliquer ce que l’on réalise. C’est la conscience du processus de grammatisation tel que le démontre Sylvain Auroux. Il s’agit aussi de cette connaissance métalinguistique que Cucioli décrit comme le vrai savoir, c’est-à-dire le savoir conscient, pouvant être exprimé, construit et manipulé en tant que tel. La fluency consistant en fait dans un savoir épilinguistique, inconscient.
Nous avons déjà expliqué que cette connaissance doit être selon nous justement « exprimée ». Elle devient dès lors une réelle compétence mêlant savoirs et savoir-faire.
Privilégier la fluency est donc vraisemblablement une double erreur, à la fois dans la définition qui en est faite de la considérer comme une maitrise différente de la technique et en la faisant reposer sur des habiletés qui ne sont d’ailleurs pas vraiment originales.
La littératie nous parait pleinement plus efficiente à condition de ne pas la faire reposer sur des éléments entièrement calculables basés sur du procédural. C’est d’ailleurs ce chemin que je tente d’esquisser ici.