La culture de l’information ne peut être considérée comme une tendance passagère.
L’objectif de notre recherche doctorale était de parvenir à distinguer, parmi les discours et les articles, des éléments pour tenter d’apporter des éclaircissements sur une expression qui est utilisée dans différents domaines professionnels et parfois de manière opposée.
Il y avait donc un danger, celui d’ajouter à la somme des discours, un autre qui soit aussi vague et aussi péremptoire que les affirmations de la société de l’information. Nous avons vu à plusieurs reprises que les textes sur la formation à l’information opèrent parfois des rapprochements avec les expressions « société de l’information », « web 2.0 » et « digital natives ». On ne peut éviter leur examen.
Placer la culture de l’information dans la logique de la société de l’information ainsi que dans l’optique d’une évolution nécessairement web 2.0, marquant l’avènement de générations natives du numérique, ne pourrait laisser la culture de l’information que dans une position de simple tendance, un peu vide, qui finirait par disparaître avec son cortège d’expressions passagères. Une disparition inéluctable d’autant que la culture de l’information n’apparaitrait dans ce cadre que comme une subordination à une logique qui ferait de la formation à l’information un plus, un avantage possédé par les uns par rapport à d’autres et ce dans une logique d’adaptation.
Nous décrivons donc la culture de l’information, non comme une simple tendance, mais davantage comme une « permanence », en retraçant sa généalogie. Cela nécessitait d’aller au-delà de la généalogie récente, celle qui cherche l’apparition du mot. Elle ne pouvait être entièrement satisfaisante d’autant que la culture de l’information s’appuie sur des héritages et des éléments qui ne sont pas totalement nouveaux.
La culture de l’information s’appuie ainsi sur plusieurs « permanences » :
- Celle du texte et de la littératie, tant perdure la nécessité de lire face à une diversité de sources et de données sur différents types de supports. Le lecteur devient cependant de plus en plus auteur dans un mélange complexe qui fait de lui un écritlecteur. La culture de l’information ne peut opérer sans l’apprentissage de ces techniques que sont la lecture et l’écriture.
- Celle de l’héritage documentaire et de ses nombreuses avancées opérées par les pionniers de la documentation dans la lignée du développement de la science. Il s’agit des logiques de classements, des tentatives de découper le monde afin de le comprendre. Même si ces techniques évoluent continuellement face à la complexité du document numérique et l’accroissement des données à traiter, la culture de l’information constitue également une archéologie des savoirs en incitant au tri, au choix, à créer du sens afin que toutes les choses dites ne s’amassent pas indéfiniment dans une multitude amorphe.[1]
- Celle de la technique comme condition de la pensée et comme culture opérationnelle. La culture de l’information repose sur des techniques, des hypomnemata comme supports de mémoire et acteurs constitutifs de la pensée et du savoir. Elle prend en compte l’objet technique et s’inscrit de fait dans une culture technique qui vise à une compréhension de l’objet technique, et non à un simple usage ou à une mythification de cette dernière.
- Celle historique des Lumières. Cette dimension avait été déjà abordée par Brigitte Juanals. Nous avons fait le choix de la développer en montrant qu’elle trouve des parallèles évidents avec la culture technique, notamment dans les planches et autres explications détaillées de l’Encyclopédie, qui permettaient au citoyen éclairé, de refaire et de mieux faire. L’autre dimension des Lumières provient de l’exercice de la citoyenneté, du courage et de l’effort d’user de son entendement comme le recommande Emmanuel Kant.
Ces permanences peuvent évidemment être recoupées. La première relation évidente est celle de la formation et de l’éducation. Elle se retrouve évidemment dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, mais également dans le volet pédagogique de la documentation, présent d’ailleurs dans l’étymologie du mot document. De même, en ce qui concerne la culture technique, elle demande une démarche de formation, dépassant la seule logique de l’usage pour aller vers celui de l’abstraction et de l’innovation. Il s’agit non seulement d’apprendre mais surtout de comprendre.
Nous souhaitons également rappelé que la technique est constituante de la pensée et de l’apprentissage et que c’est justement la maîtrise de ces techniques qui conditionne l’accès à la majorité. Une majorité qui est à la fois technique et citoyenne et qui peut se définir comme étant la capacité à avoir une vue d’ensemble, à la fois en s’extrayant par moment « au dessus de la mêlée »[2].
Certes, malgré le constat de ces permanences et héritages, il faut peut-être distinguer l’expression « culture de l’information » et ce qu’elle recouvre vraiment. Pour le dire familièrement, le contenu du pot prime sur l’étiquette. D’autres expressions peuvent à nouveau émerger avec des objectifs proches. Cependant, il nous semble qu’il y a un risque fort à cette valse des étiquettes, celui d’entrer dans des logiques proches du marketing, générateurs tout autant de discours que de bons sentiments mais n’aboutissant pas à de réelles actions.
Dans cette diversité d’expressions proches, celle de culture de l’information conserve notre préférence. Outre le travail scientifique amorcé par plusieurs chercheurs en sciences de l’information et de la communication et notamment celui de Brigitte Juanals, l’expression de culture de l’information possède des atouts . Nous songeons notamment aux distinctions que nous avons effectuées avec la culture informationnelle et aux rapprochements entre culture et littératie afin de voir la culture de l’information comme une traduction-évasion (une trahison nécessaire) d’information literacy et comme développement de sa conception citoyenne.
Par conséquent, nous ne partageons pas tout à fait l’idée qu’évoque Brigitte Juanals[3] d’un passage d’une culture de l’information à une intelligence informationnelle qui se rapporte surtout à l’échelon individuel. De plus, le terme d’intelligence nous semble un territoire d’expression qui implique sans cesse la distinction tandis que sa dimension collective, que consacre l’expression d’intelligence collective, demeure toujours quelque peu utopique.
La durabilité d’un projet et d’un concept s’inscrit autant dans l’analyse de ses origines et de ses permanences que dans les enjeux actuels et futurs. Il ne s’agit pas de répondre seulement à des problèmes actuels sous peine d’élaborer des pansements intellectuels et éducatifs, des cache-misères, de simples pharmaka utiles dans un laps de temps restreint et qui finissent par accroître le problème au final.
Voilà pourquoi nous avons à plusieurs reprises dénoncé les visions reposant sur l’apprentissage superficiel d’outils étant amenés à évoluer voire à être remplacés par d’autres.
Au regard de ces « permanences », la culture de l’information apparaît comme une culture globale. Il convient également de s’interroger sur ces spécificités.