Durant cette période dite de « refondation » de l’Ecole, j’ai du mal à trouver le temps d’écrire et de réagir. Le fait que certains apparatchiks et zélateurs de la politique de Chatel soient demeurés n’incite qu’à une confiance modérée. Et puis, on a l’impression de se répéter dans les propositions. Il est clair qu’on a perdu 10 ans depuis 2002. Du coup, le problème c’est que les solutions proposées semblent souvent au mieux propices à la décennie catastrophique qui vient de s’écouler, au pire à ce qu’il fallait faire il y a 20 ans. J’avais promis sur twitter que je m’exprimerai. Voici le temps venu.
Il me semble que le projet de refondation n’est pas monté assez haut au niveau des exigences et des politiques publiques et en même temps pas assez descendu dans le concret sur les méthodes. Bref, on a oublié le pourquoi et le comment.
A quoi sert l’Ecole dans la société ? A chaque fois, on a l’impression qu’on cherche à reproduire d’anciens modèles qui semblaient mieux fonctionner. Or, il s’agit d’avenir. On peut quand même déplorer que la majorité des experts sur ces questions ait souvent été des futurs retraités ou des retraités. Je n’ai rien contre qu’ils puissent se prononcer, mais c’est tout de même gênant qu’une gérontocratie soit amenée à se prononcer sur le futur de générations dont ils ne connaitront pas tous les développements.
Mais le plus important n’est pas là. J’ai le sentiment qu’on ne parle pas de la même éducation. Et c’est logique, car il existe étymologiquement deux éducations :
– Celle qui provient d’educare qui renvoie au vocabulaire de l’allaitement, de la nourriture mais aussi de l’élevage.
– Celle qui provient d’educere, qui signifie conduire hors de.
L’étymologie est en fait plus complexe comme nous le démontre cette page du gaffiot qui met bien en évidence des dérivation à partir du même mot.
Je privilégie la seconde un peu à l’instar de ce que disait Albert Jacquard. Mais l’hypothèse educere est en fait plus complexe que la traduction par mettre dehors. C’est en fait exactement, la même construction que l’Ausgang de Kant, cette sortie vers les Lumières. Comme souvent, c’est surtout le sens figuré qu’il faut prendre en compte dans un concept. Tandis qu’educare renvoie surtout aux aspects matériels et au côté disciplinaire dénoncé par Michel Foucault, educere nous en fait sortir et surtout nous rappelle la véritable définition de l’école.
Car l’Ecole, ce n’est pas seulement un lieu, un endroit avec des classes, des chaises et des bureaux. Et ce n’est pas parce qu’on augmente le temps de présence des enfants qu’ils seront nécessairement meilleurs. Il faut distinguer le lieu et l’institution. L’école et l’Ecole. Il est probable d’ailleurs que l’Ecole va au-delà désormais de l’institution.
En effet, L’Ecole ne s’arrête pas une fois qu’on est sorti de l’école.
Je suis donc un peu inquiet sur le fait qu’on risque de renforcer cette séparation à nouveau. Et puis, finissons-en avec un mythe une fois pour tout : l’Ecole ne pourra pas lutter contre l’inégalité de cette manière, car ce qui fait la différence, c’est surtout l’éducation parentale au sens large. Et il faut bien constater que c’est dans ce domaine que se produisent les gros écarts et qu’ils ne vont avoir de cesse de se creuser du fait des discours résolument tournés en ce moment sur les « élèves en difficulté », catégorie fourre-tout qui marque surtout un « échec scolaire » de l’institution elle-même mais surtout de la société dans son ensemble.
Il y a comme une culpabilisation permanente de l’Ecole à ce niveau face à une réalité socioculturelle. Or elle n’a pas les armes pour lutter. La bêtise télévisuelle a été encouragée par les différents gouvernements et l’Ecole n’y peut pas grand-chose. On pourrait au moins souhaiter qu’un véritable programme de formation aux médias et à l’information soit développé.
Que veut-on faire de nos élèves ? Des citoyens, des futurs travailleurs, créateurs, innovateurs ? Sans doute un peu tout cela. Dans ce cas, il faut bien être honnête : on n’est plus au niveau du tout. La somme des savoirs a continué à augmenter depuis 20 ans et nos programmes et nos méthodes n’ont guère évolué. Cela signifie qu’il faut développer des temps de formation différents et bien plus individualisés. Il faut aussi utiliser sciemment le numérique mais pour l’instant les compétences professorales et la capacité à produire et à imaginer de nouvelles scénarisation est très faible. Trop faible.
J’ai l’impression qu’on veut encore que les élèves soient dans un moule, qu’on puisse les contrôler, qu’ils obéissent et respectent des consignes parfois absurdes ou pédagogiquement nulles.
Plus de temps de présence à l’école, pourquoi pas, mais il s’agit d’imaginer de nouvelles méthodes de formation plus motivantes et plus individualisées. Si je prends l’exemple de mon fils, la césure est flagrante entre le niveau de l’Ecole et ce qu’il peut apprendre à domicile. En deux heures à la maison, il en apprend bien plus qu’en une semaine de classe. Un enfant curieux qu’on accompagne dans ses lectures et ses processus et qui commencera à développer un peu d’autonomie dans sa curiosité va en apprendre dix fois plus qu’un élève moyen ou médiocre qui passera sa vie devant la télé ou à passer son temps devant des applications débilisantes. Ce ne sont pas les écrans qu’il faut juger, mais bien ce qu’on y fait. Et en la matière les pratiques sont fort diverses.
Le problème, c’est que l’Ecole ne sait toujours pas gérer l’hétérogénéité et au niveau primaire, il est impensable qu’on continue cette logique d’un prof par classe qui conduit du fait de l’effet-prof à des années complètement ratées pour de nombreux élèves du fait d’une relation mauvaise avec l’enseignant. Le nombre d’élèves par classe au primaire rendant la mission parfois impossible également. Là aussi, il faudrait faire des choix financiers. Si on prétend que le primaire est si important, pourquoi ceux qui y enseignent sont moins bien payés que des agrégés ? Pourquoi a-t-on gardé une agrégation qui n’a pas de sens pédagogiquement et encore moins au niveau universitaire ? Les questions qui fâchent semblent trop souvent évitées…
J’entends parler de renforcer les disciplines artistiques ou sportives. Dans l’état actuel, ça ne sert à rien, d’une part car d’autres savoirs méritent également d’avoir leur place et que les bases ne sont pas acquises, d’autre part car on ne met pas les moyens pour les enseigner. Du sport et des activités sportives, oui mais avec de vrais professionnels qui savent organiser une progression. Idem pour les disciplines artistiques qui méritent bien mieux que ces ateliers d’expression libre qui ne sont en fait que des garderies.
On a pourtant les personnes diplômées. Il y a encore d’autres savoirs et d’autres renforts à envisager, sans doute parmi les parents.
L’Ecole c’est avant tout la skholé, cette capacité d’étude et d’analyse : la vraie école. Et je crains qu’en l’état actuel, elle soit davantage transmise en dehors des écoles…
Du coup, le paradoxe est que parfois l’Education finit par s’opposer à une éducation relativement médiocre et ça en devient très inquiétant.
Votre propos est intéressant ; un détail toutefois : il me semble très abusif de parler d' »étymologie » pour ce qui n’est rien d’autre qu’un vague calembour. La page du Gaffiot à laquelle vous renvoyez indique explicitement qu’educatio vient d’educo, educare. Education ne peut assurément pas venir d’educo, educere. Celui-ci pourrait donner éduction ou éduite, peut-être (sur le modèle de conduite) ; le Gaffiot, que vous citez, mentionne d’ailleurs le nom eductio qui vient de ce verbe. Par conséquent, que le jeu de mots vous semble fructueux, c’est tout à fait légitime, mais il est inexact de laisser entendre que le rapprochement éducation/educere pourrait avoir un quelconque rapport avec l’étymologie.
Eduquer, c’est bien « conduire hors de » ( ex ducare) au sens étymologique. La coupure entre ceux qui peuvent bénéficier de l’éducation informelle ( familiale) et non formelle doit être évitée, c’est pourquoi l’école doit » personnaliser » les apprentissages.
Un enseignement » info documentaire » conçu comme une nouvelle discipline ne profiterait pas à tous. En revanche, un curriculum pensé en fonction des acquisitions indispensables à la vie au XXIème siècle a toute sa pertinence
D’autre part, il ne s’agit pas de renforcer « les disciplines sportives », il s’agit de développer les conduites motrices ( sensori psycho et socio motrices).Les professeurs d’Education physique et sportive ne sont pas des professeurs de sport.
Le sport, pour l’enseignant d’EPS n’est qu’un outil et il n’est pas le tout de la pratique physique. Il existe aussi des activités de pleine nature ( course d’orientation, escalade, voile…), des activités d’expression à visée esthétique ou acrobatiques ( danse, acrosport, arts du cirque,…), des activités d’entretien de soi ( step, musculation…)pour aider chaque élève à développer son potentiel physique, psychique, relationnel,humain.