Je crois qu’une des pistes pour échapper aux mécanismes de surveillance généralisée, consiste à penser le hors-sujet comme un nouvel hors-là (une relecture du Horla s’impose d’ailleurs…)
Plusieurs idées ont jailli à la suite de la venue de Jean-Max Noyer à Bordeaux pour une après-midi de réflexion. Parmi les nombreuses discussions qui nous ont occupées figurent celles de la possible disparition du sujet. Cette individuation assez essentielle paraît être quelque peu mise à mal et on se demande ce qu’il va en advenir dans nos activités de plus en plus numérisées. Nous voilà donc à nouveau placés dans une déconstruction du sujet, seulement elle paraît bien différente de celle de Spinoza à moins de ne considérer que Google ou Facebook soient des formes divines.
Finalement, dans la piste des écritures de soi que j’ai plusieurs fois exposées, se pose la question de la possibilité d’échapper par moment à cette construction ou plutôt d’y semer la zizanie en produisant une multiplicité de soi, tant les espaces numériques nous permettent d’envisager une variété d’autres soi, comme si on pouvait tabuler nos diverses identités, et ce en même temps comme le disait Yann Leroux. On peut ainsi en même temps user de différentes identités ou pseudos, mais également tout en gardant le même identifiant, réaliser des activités opposées comme écouter de la musique débile (je pratique beaucoup) et écrire un document très sérieux qui sera synchronisé ensuite sur le drive. Comment mettre en relation ces deux activités ? Les lectures industrielles peuvent-elles percevoir le lien, l’énergie qui mêle l’un à l’autre ?
Voilà qui pourrait perturber les relations d’équivalence entre profils qui sont le degré le plus simple du web sémantique qu’ont tenté de développer les sites dans la lignée web 2.0 en incitant ainsi à une reconnaissance de l’autorité, c’est-à-dire la logique de l’identification non ambigüe d’un auteur pour lui rattacher ses œuvres. Évidemment, celle logique déclinée actuellement consiste à rapporter une production à un auteur quelconque depuis les commentaires, les réactions sur les réseaux sociaux et même les messageries. L’étape suivante étant le fait de pouvoir considérer que nous sommes bien la même personne qui possède tel compte sur facebook, tel compte sur twitter, etc. Généralement, on évite de rattacher ces comptes aux réseaux où on utilise une identité alternative sur certains forums spécialisés ou réseaux sociaux. Il n’empêche que parfois certains font l’erreur d’utiliser la même adresse mail sur tous ces différents profils ce qui fait que le mail devient le chaînon manquant qui relie toutes les identités éparpillées. Évidemment, il est aussi associé à nos comptes une série de métadonnées, type cookies ou adresse I.P qui permet d’identifier des relations potentielles. Généralement, les réseaux sociaux comme Facebook vont d’ailleurs vous suggérer un ami qui se sera connecté sur facebook lorsqu’il était chez vous en train d’utiliser votre wi-fi. Cela signifie aussi parfois qu’il est possible d’émettre des prédictions quant à de potentielles doubles identités.
Finalement, la question de la construction du sujet n’échappe pas non plus à un côté double, tel celui du pharmakon tant le fait d’être reconnu comme un individu avec une identité propre est effectivement un marqueur important, puisqu’il s’agit de la reconnaissance d’une différence et qu’on ne peut être réduit à des marqueurs physiques ou ethniques, du moins en théorie. Mais cette reconnaissance passe par des logiques de fichage qui permettent d’obtenir des droits (vote, prestations sociales, etc.) mais qui font de nous de potentiels assujettis. Il reste à savoir si par moment notre construction en tant que sujet ne souffre pas d’une série d’assujettissement à la fois par l’Etat (ce que montre bien les travaux de Foucault), mais aussi par les grands leaders du web qui semblent nous offrir un grand nombre de prestations, mais qui font de nous également leurs sujets…
Finalement, l’essentiel se déroule probablement dans les interstices entre nos différentes identités et actions, ces espaces insaisissables où s’opère la transsubjectivité (encore du trans !). Certes, il est possible de cartographier nos entités diverses en les mettant en relation, mais cela ne préjuge en rien d’une capacité d’interprétation. Il demeure quelque chose d’insaisissable aux lectures industrielles. Quelque part, ce sont nos parts de déraison et d’incohérence qui sont les meilleures formes des miettes de nos libertés en constituant la manifestation d’une volonté d’être dé-sujetti.
Le hors-sujet paraissant être finalement le meilleur échappatoire à l’arbitraire et à la surveillance généralisée.