« Cayce a une compréhension des plus marginales de ce qu’est le filigrane numérique » William Gibson. Identification des schémas. Livre de Poche. 2003 p.99
L’air alors sillonné de légers filagrammes,’
Sur des courants d’éclairs fait voyager nos âmes;
L’Orient, par ces fils, sur ses peuples divers
Étend de l’unité les puissantes membrures,
Et ne fait, du passé ressoudant les coupures,
Qu’un seul peuple de l’univers.
Cénac-Moncaut, J. (. (1857). L’Europe et l’Orient : poëme en six chants / par M. Cénac-Moncaut. <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4331393.r=.langFR>
p.112
La rentrée qui s’annonce pour moi est l’occasion de développer de nouvelles pistes sur ce blog et sur d’autres supports numériques ou papier.
Une des thématiques qui me tient à cœur est celle des filagrammes numériques (précisions en dessous). Je livrerai donc ici des ébauches d’un projet que je compte alimenter et améliorer progressivement.
Le numérique se voit parfois accompagné du terme de révolution. C’est un raccourci qu’il convient d’éviter. D’une part, car il s’agit d’une posture simpliste qui évite l’observation des évolutions, voire des processus « révolutionnants ». L’idée de rupture est souvent trompeuse. Trop souvent derrière le vocable du changement radical, se cache une reproduction guère différente de réalités anciennes que ce soit au niveau technique, social et économique. Le numérique n’échappe donc pas à cette tendance. Même s’il offre des potentialités nouvelles, ces dernières ne peuvent émerger d’un seul coup et sont donc la conséquence de constructions plus lentes et qui parfois sont anciennes.
Le numérique tout comme le web 2.0 ne doivent pas être associés nécessairement à l’idée de rupture. D’ailleurs, le fait d’adjoindre l’adjectif numérique ou l’extension 2.0 à des institutions, des domaines professionnels ou scientifiques voire à des concepts ne suffit pas à tout expliquer et encore moins à toute révolutionner.
Voilà pourquoi, il est opportun d’évoquer de filagrammes numériques pour signifier la persistance de formes anciennes dans nos espaces numériques, de marques à peines cachées ou rarement observées. Filagrammes est ici préféré à filigranes qui est en fait le même mot si ce n’est que filagrammes préserve davantage l’étymologie. Le littré[1] rappelle que le mot désigne à fois un travail d’orfèvrerie avec du fil dorée ainsi que des « lettres, lignes ou figures fixées sur la forme à fabriquer le papier et dont la marque paraît sur la feuille. » C’est évidemment à partir de cette deuxième définition qu’il s’agit de filer la métaphore. Ces filagrammes sont divers et constituent des formes de transmission plus ou moins conscientes, parfois bénéfiques, parfois gênantes. Ils ne sont pas neutres et s’avèrent également des manières de voir et de faire, qui sont aussi des instruments de formation voire de déformation et d’influence. Des filiations tantôt bénéfiques tantôt néfastes selon les circonstances et les manières dont on les perçoit et parvient à les saisir.
Bref, de jolis fils dorés comme autant de filiations et trésors dont nous sommes les héritiers. Héritage à la fois léger et fragile, qu’il faut autant respecter que s’y affranchir, pour tisser de nouveaux liens et lieux.
Car ces filagrammes, ce sont surtout des permanences : ce qui demeure et qui évolue plus qu’il ne disparaît. Cela signifie qu’il convient de s’interroger sur la validité des découpages et des frontières entre concepts. Une position adoptée par Michel Foucault qui mérite d’être rappelée :
Comment spécifier les différents concepts qui permettent de penser la discontinuité (seuil, rupture, coupure, mutation, transformation) ? Par quels critères isoler les unités auxquelles on a affaire : qu’est-ce qu’une science ? Qu’est-ce qu’une œuvre ? Qu’est-ce qu’une théorie ? »Qu’est-ce qu’un concept ? Qu’est-ce qu’un texte ? [2]
Ces réflexions sont celles de l’enquêteur, de celui cherchant à démêler le vrai, du faux, l’ancien du nouveau. Cette
mise en question ne s’effectuera pas à la manière Bernard Guy, le terrible traqueur d’hérétiques, auteur du fameux manuel de l’inquisiteur et décrit de manière terrible dans le Nom de la Rose d’Umberto Eco.