Serie « retour vers le futur de 1985 ». E01 : salut les petits clous !

Pas envie de faire des vœux ou des prédictions en cette rentrée. Rien de mieux alors que de retourner vers le passé pour imaginer l’avenir et mieux comprendre le présent. Je vais donc inaugurer une série rétro 85 sur le blog cette année. Le blog a 15 ans alors autant remonter encore 15 avant ses débuts ! Rassurez-vous, ce ne sera pas en mode c’était mieux avant ! D’autant que rien n’a changé, il y a toujours Drucker à la télé !
Au menu de la musique, des films, de la littérature et tout un tas de choses fort différentes et assurément kitsch !
Je viens de voir le film Prédestination, et la perspective d’un voyage dans le temps m’enchante pas mal. Depuis que je suis gamin, j’ai le sentiment que parfois il faut marquer ce moment, le graver dans ma mémoire pour pouvoir un jour y retourner. Plus jeune, je pensais qu’il pourrait bien s’agir d’une sorte de voyage dans le temps issu de la science-fiction, de plus en plus je crois qu’il s’agit d’un dispositif mnémotechnique qui permet de faire un retour dans le passé tout en le reconstruisant quelque peu.

Du slime ou du flubber…

Alors, voilà, je vous fais revenir dans le passé pour mieux éclairer le présent et le futur. Une distorsion qui ne devrait pas transformer de suite votre gueule en celle des Bogdanov, mais qui pourrait transformer votre esprit en une sorte de slime
 
Pour commencer, on va  évoquer un grand classique de la Science-fiction paru en 1984 mais dont la version française paraîtra fin 1985 : le fameux Neuromancien de William Gibson. C’est par excellence l’’œuvre qui nous influence encore aujourd’hui dans nos visions des espaces digitaux. Le Neuromancien est un un néologisme qui emprunte au pouvoir de divination, la « mantique » associée aux réseaux neuronaux, qui sont en fait digitaux car ils relient technologies informatiques et relations aux corps…  Mais c’est aussi un nouveau genre de roman qui se prépare « neu » pour nouveau en allemand et « romancer », un nouveau romancier ou nouveau roman comme représentation du cyberpunk, ce nouveau style de littérature, très souvent proche de la dystopie tant le futur proposé est plus souvent inquiétant. C’est désormais devenu un marronnier que de rappeler que Gibson va forger le terme de cyberspace, cyberespace en français qui sera la métaphore du web des annnées 90. Il faudrait sans doute se replonger à nouveau dans le roman pour voir si certaines réflexions ne seraient pas encore pertinente pour le web d’aujourd’hui. Une tentation à réaliser, même si Gibson a souvent indiqué qu’il utilisait la SF pour mieux faire comprendre la société présente. A noter qu’une adaptation cinématographique est en cours…
A propos de cinéma, il faut évidemment revoir Retour vers le futur, une des sorties marquantes de 1985 qui entrevoit d’ailleurs notre futur en 2015…Au programme voitures volantes et autres horreurs vestimentaires, seulement tout ne s’est pas produit comme on l’avait imaginé. On escomptait de la modernité, sans doute moche, mais on s’imaginait plus avancé. Un site fait le point sur ce qui avait été imaginé  et un autre essaie de voir si les prédictions étaient vraies ou fausses. Si le skateboard volant était une bonne idée, les scénaristes avaient oublié le boomerang, cet effet qui permet à de vieilles idées rances ou périmées de revenir à la surface… Nom de Zeus, Marty, je t’avais dit de ne pas trop martyriser le petit Zemmour, il est rancunier !
Je ne résiste évidemment pas à faire un tour vers le TOP 50 ! (Promis, ce sera une de mes lignes directrices, d’autant que je me suis aperçu que je connais absolument toutes les chansons classées durant l’année 1985!) Le numéro 1 de 1985 chasse les fantômes et garde la première place depuis décembre 1984. 1984 étant d’ailleurs la sortie du film (voir le site de l’association française aussi).
top 50

Les protagonistes sont au départ des chercheurs qui montent une start-up pour répondre aux problèmes de la société civile. Bref, c’est très 2015 !
Je ne sais pas si on va chasser du fantôme en 2015 (à ce sujet, je finalise un court roman steampunk avec une héroïne confronté à un fantôme bien coriace… drôle de coïncidence !), mais je crois que si j’en reviens à nos petits clous, qu’appréciait Marteau esca, enfin Marc Toesca, certains se souviennent qu’un personnage adorait  manger des petits clous et des petits boulons : Nono le petit robot ! (qui revendiquait d’être branché) Désormais, en 2015 les robots deviennent encore plus petits, ils sont nanos ce que sait très bien notre minitre de la recherche, au point que c’est elle qui nous tape dessus avec sa manipulation budgétaire. Je ne sais pas, mais moi ça me donne envie de chasser autre chose que du fantôme en 2015 !
Les chercheurs débarquent pour traquer les fantômes budgétaires
Les chercheurs débarquent pour traquer les fantômes budgétaires

La culture littéraire et l’ « effrayant génie » de la technique. La culture technique comme réponse.

Un petit texte qui revient sur certaines de mes réflexions du moment, qui aurait du être publié ailleurs que sur ce blog, mais les retards font que le blog devient le meilleur support possible. L’article est en mettre en relation avec un billet qui explorait quelque peu cette thématique. Une partie ce texte est directement inspiré d’un passage de la thèse, qui je crois, n’avait pas plu ou pas convaincu d’autant que j’évoquais clairement la culture littéraire comme un obstacle. Pour autant, j’ai envie de relancer le débat. Bonne lecture et à vos critiques!



 
Intro
 
Notre propos est de montrer que les craintes souvent exprimées à l’égard du web et de l’Internet proviennent d’une culture littéraire, sans doute occidentale d’ailleurs qui rejette la technique et l’objet technique. Nous nous appuyons ici sur les travaux de Gilbert Simondon dont les travaux œuvrent pour une culture technique et son enseignement.
Les  » lettres » qui reposent pourtant sur plusieurs techniques que sont la lecture et l’écriture et la somme de supports qui les accompagnent, tendent toujours à mythifier et à mystifier par le discours la technique. Davantage basées sur la contemplation que sur l’action, elles méprisent l’objet technique perçu comme simple instrument et dont le vocabulaire qui l’entoure est perçu comme grossier. La culture littéraire repose à l’instar de l’œuvre de Chateaubriand sur le désir d’accéder à Dieu, ou tout autre état intellectuel ou spirituel supérieur, par la pensée et la méditation dans l’espoir d’un ailleurs meilleur face à une vie active pénible. La technique est d’ailleurs souvent jugée bassement par la mythologie grecque et la religion judéo-chrétienne : le porteur de lumière est celui qui ouvre la porte des enfers. De plus les éléments techniques sont parfois assimilés à la culture de masse ou populaire et nullement celle de l’homme lettré, ce qui est non seulement absurde mais aboutit également à une absence de formation du fait de cet impensé.
 
 

  1. La culture littéraire et ses frayeurs.

Cette position problématique de la culture littéraire est parfaitement exprimée par Gilbert Simondon à propos de Chateaubriand :
« Il y a plus d’authentique culture dans le geste d’un enfant qui réinvente un dispositif technique que dans le texte où Chateaubriand décrit cet “effrayant génie” qu’était Blaise Pascal » (Simondon, 1958, p.107)
L’effrayant est en fait utilisé pour qualifier l’inexpliqué, ce que le littéraire refuse ici de comprendre. Chateaubriand tente dans Le Génie du Christianisme de montrer le côté religieux de Pascal. Or, il se trompe de génie. Celui de Pascal concerne surtout la science et la technique. Or Pascal n’est pas expliqué, il est fait mythe :
« Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu’on eût vu depuis l’antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l’entendement (…) enfin qui, dans les cours intervalles de ses maux, résolut, par distraction, un des plus hauts problèmes de la géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du Dieu que de l’homme. Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. » (Chateaubriand, 1993)
Le génie technique est recouvert ici par le brouillard du génie chrétien.
Chez Chateaubriand, ce qui s’avère l’effrayant, c’est que Pascal ait osé se rendre sur des terrains jugés diaboliques, ceux de la science et de la technique, et que son salut n’est que la résultante de sa confiance en Dieu.
En aucun cas, Chateaubriand ne cherche à suivre la voie de Pascal ou à inciter à la suivre. Le génie ne peut être mu que par Dieu. Cette attitude diffère totalement de l’encyclopédisme des Lumières publiant plans et explications et incitant le lecteur à passer à l’action.
 
Chateaubriand sépare la littérature de la technique de la même façon que son père séparait sa famille aux quatre coins du château de Combourg. Les peurs enfantines et adolescentes se retrouvent dans l’œuvre et cette crainte est aussi celle qui sépare la culture littéraire de la culture scientifique et technique.
Chateaubriand s’inscrit dans la filiation de Montaigne, celle du commentaire, de la recherche du beau, de la méditation tout autant que l’imagination. C’est l’obscurité du romantisme qui s’oppose aux Lumières et l’ombre de la mort qui pèse sur les vivants avec l’horreur ou le dégout de la vie. C’est la mémoire vive qui est mise de côté pour les Mémoires d’Outre-tombe.
Pourtant cette culture utilise des éléments indispensables à la culture technique et notamment l’exercice nécessaire de la réflexion et de la méditation, en opérant une skholé, un arrêt pour prendre le temps de réfléchir. Mais elle demeure dans la contemplation, la morale chrétienne ayant placé la félicité dans un au-delà qui fait de la vie active, une étape à passer. Sans compter que les techniques sur lesquelles reposent sur cette culture, et notamment le livre, sont sacralisées. La magie remplace l’ingénierie.
 
La culture technique prend à l’inverse le temps d’agir. Elle réalise donc le transfert d’une culture scolaire et lettrée à une culture opérationnelle dont le savant est le meilleur représentant. Pascal est savant et son génie est avant tout celui de l’ingénieur et non pas celui de quelques esprit magiques.
 
2. La culture technique : la culture en action.
La culture technique passe de la légende, la legenda, la chose à lire, à la chose à faire. Non pas que ce fut par volonté de progrès, mais par volonté de savoir et de connaître. Et ce passage ne peut s’opérer selon Hannah Arendt que par le passage de la contemplation à l’action qui nécessite davantage l’usage des mains pour mieux connaître la nature :
« Quoi qu’il en soit, l’expérience fondamentale à l’origine de l’inversion de la contemplation et de l’action fut précisément que l’homme ne put apaiser sa soif de connaître qu’après avoir mis sa confiance dans l’ingéniosité de ses mains. Ce n’est pas que la vérité et la connaissance perdissent leur importance, c’est qu’on ne pouvait les atteindre que par « l’action » et non plus par la contemplation. » (Arendt, 1983, p.363) L’homme actif n’a pas pour autant remplacé l’homme contemplatif dans la hiérarchie sociale, notamment par des mécanismes de dépossession qui ont fait de l’homo faber un homo laborans, c’est-à-dire un travailleur dépossédé de la compréhension de son milieu. Une prolétarisation qui a presque gagné tous les secteurs du travail du fait d’une trop grande spécialisation notamment.
L’internet à ses débuts impliquait une participation également technique de la plupart des acteurs. Désormais, le réseau par souci de faciliter l’accès, pour des raisons tout autant démocratiques que commerciales, permet à tous de participer…sans pour autant en comprendre les mécanismes.
 

  1. Une culture littéraire mineure face à la technique.

La culture technique est davantage l’apanage de l’ingénieur que du génie. La magie fait place à l’ingénierie. De plus, la conception de l’héritage n’est pas le même dans la culture littéraire et la culture technique. Tandis que chez l’auteur du Génie du Christianisme, c’est le respect dans la crainte qui prédomine- la figure du comte de Chateaubriand étant le symbole de cette paternité justement effrayante-, chez Newton c’est le respect dans la transmission et la compréhension : le passé est un soutien et non un fardeau. Là où chez Chateaubriand, on trouve une position d’héritage pesant, il est au contraire libérateur chez Newton.
La culture littéraire est donc mineure face à la technique, elle ne la comprend pas, ne cherche pas à la comprendre soit par mépris, par recherche de l’otium, soit par crainte de quelque diablerie. Il serait presque tentant de dire que la culture littéraire ici, empêche l’exercice de l’entendement, de cette capacité à penser par soi-même.
Cet état de minorité est justement celui que dénonce Gilbert Simondon qui regrette également que la culture et notamment la culture générale ne devienne que l’expression d’une culture normée dans une logique d’héritiers au sens de Bourdieu.
La culture technique ne s’oppose pas à la nature et se situe donc à un niveau différent du positivisme scientifique qui normalise –nous songeons notamment à une lignée qui mène aux idéaux de la prétendue société de l’information- et diffère d’un obscurantisme qui nous mène au matin des magiciens.
La culture littéraire a été reprise justement par les publicitaires pour faire de l’objet technique un artifice entourée de discours, de magies, de possibilités infinies au travers de stratégies hypnotiques.
Au final, l’objet technique se trouve mis à distance de manière négative dans une impossibilité à le comprendre tandis que la distance nécessaire est abolie en ce qui concerne les discours publicitaires qui utilisent les techniques de la culture littéraire pour convaincre. Le publicitaire est devenu sophiste, le philosophe et l’homme lettré lui laissant la technique comme le montre Simondon (Simondon, 2005. p.522) :
« Si nous considérons l’ensemble des machines que notre civilisation livre à l’usage de l’individu, nous verrons que leurs caractères techniques sont oblitérés et dissimulés par une impénétrable rhétorique, recouverts d’une mythologie et d’une magie collective qu’on arrive à peine à élucider ou démystifier. Les machines modernes utilisées dans la vie quotidienne sont pour la plupart des instruments de flatterie. Il existe une sophistique de la présentation qui consiste à donner une tournure magique à l’être technique, pour endormir les puissances actives de l’individu et l’amener à un état hypnotique dans lequel il goûte le plaisir de commander à une foule d’esclaves mécaniques, souvent assez peu diligents et peu fidèles, mais toujours flatteurs. »
C’est la figure du robot qui apparaît ici sous-jacente. Une figure, symbole autant d’aspirations que de craintes que nous trouvons notamment dans la science-fiction.
 
4. Le regard cyberpunk
 
Cette peur se manifeste encore parfois au sein de l’Education Nationale où la culture des lettres demeure omniprésente…avec son impossibilité à penser la technique. Une culture inopérante pour des générations qui doivent pourtant faire face à une diversité d’objets techniques. La littérature exploite beaucoup d’ailleurs ces craintes sous forme de dystopies où la technique contrôle l’humain. Nous songeons également à la science fiction qui exploite cette thématique. Notamment le mouvement cyberpunk qui a inspiré les techniciens de l’Internet notamment au niveau du vocabulaire. La SF demeure un champ souvent hors domaine scolaire et peu prisé par la culture littéraire classique puisqu’elle reste fréquemment un mauvais genre dont l’apparition est fort rare dans les programmes. Le rejet vient justement de son vocabulaire technique qui en fait un genre vulgaire pour la culture littéraire normée. Pour autant, la science fiction opère un positionnement intéressant entre culture littéraire et technique. Le mouvement cyberpunk décrit ainsi souvent la technologie et ses excès sous tous les angles en y mêlant les idées punk (liberté de chacun diminuée, dégradation de la société généralisée…) et des magnats dirigeants le monde depuis leurs terminaux d’ordinateurs, ainsi que des gadgets cybernétiques. William Gibson, l’auteur du Neuromancien[1] qui a inspiré l’usage du terme cyberespace exprime cette position étonnante :
« Pour créer des univers de fictions, je pars plus de mon intuition que de ce qui est logique, car pour moi le monde dans son ensemble est illogique. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux ordinateurs je n’y connaissais rien, mais j’aimais bien le principe de l’interface, donc j’ai déconstruit le langage informatique et l’ai reconstruit à ma façon pour montrer ce que la technologie pourrait devenir. Et ce que j’ai imaginé a, en retour, commencé à influencer ceux qui fabriquent les machines. Tout ça n’a rien de rationnel. »[2]
La science fiction constitue un pont possible entre les deux cultures en réintégrant la technique au sein de la littérature. Cependant, elle le fait de manière peut-être trop exagérée parfois, la rendant omniprésente. On passe d’un rejet de la technique à un techno-centrisme. On demeure sous l’obsession du contrôle, avec la sempiternelle question de qui a le pouvoir : l’homme ou la machine ? Or, la culture technique implique une sortie de cette vision simpliste et une étude des relations homme-machine plus complexe mais plus efficace.
Conclusion :
La culture littéraire reste toujours basée sur une forme de culte de l’auteur, notion rendue de plus en plus complexe actuellement avec le web. La culture littéraire vise à la démonstration de sa culture par la référence. C’est une culture personnelle qui repose notamment sur une lecture isolée.
La culture technique repose sur la formation plutôt que sur le conformisme et implique un caractère collectif et participatif plus élaboré qui invite à s’inscrire dans la compréhension du travail de l’autre en vue de son éventuelle amélioration.
Cela signifie que l’Internet et le web doivent être compris pour ce qu’ils sont : des créations humaines et que la culture littéraire doit faire place à la culture technique. Cette dernière s’appuie également sur la culture de celui qui sait lire et écrire mais sans être normée. Elle implique plus la connaissance que la recherche de reconnaissance.
Mais laissons parler Simondon :
« Dans l’homme, il faut une culture technique, faite de la connaissance intuitive et discursive, inductive, des dispositifs constituant la machine, impliquant la conscience des schèmes et des qualités techniques qui sont matérialisés dans la machine (…) » (Simondon, 2005, p.521)
La formation à l’Internet ne peut donc reposer que sur un simple usage qui voit l’Internet comme un instrument. La connaissance des réseaux et de leur histoire est nécessaire. L’apprentissage d’une culture technique s’avère dont primordiale et ce qui justifie pleinement la défense d’un enseignement technologique et d’un enseignement informatique, notamment en matière de programmation. Il reste que cette culture ne peut être complète que dans le cadre d’une culture de l’information, culture autant lettrée que technique.
Nous noterons d’ailleurs que la documentation qui présente un héritage technique et scientifique évident, et une proximité évidente avec les machines apparaît beaucoup mieux à même d’effectuer ce travail que les lettres.
 
 
Bibliographie :
ARENDT, H., Condition de l’homme moderne, Calmann-Lévy, coll. « Pocket Agora », Paris, 1983
BARTHELEMY, J.H. Penser l’Ecole avec Gilbert Simondon. In Skholé. < http://skhole.fr/penser-l-%C3%A9cole-avec-gilbert-simondon-par-jean-hugues-barth%C3%A9l%C3%A9my>
CHATEAUBRIAND, F.R, Génie du christianisme, tome 1 (Flammarion, 1993).
MOREAU. P. Chateaubriand entre Montaigne et Pascal, Cahiers de l’Association internationale des études francaises, 1969, n° 1, pp. 225-233. <http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1969_num_21_1_937>
SIMONDON, G. (1958). Du mode d’existence des objets techniques. Paris, Aubier.
SIMONDON, G. (2007). L’individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité. (p. 293). Editions Aubier.
 


[1] William Gibson. Op. cit.
[2] Interview de William Gibson par les humains associés. [en ligne]
http://www.humains-associes.org/JournalVirtuel2/HA.JV2.Gibson.html

L’ichnologue des filagrammes numériques

Portrait of author William Gibson taken on his...
William Gibson...celui qui m'inspire en tant que neuromancien

« Cayce a une compréhension des plus marginales de ce qu’est le filigrane numérique » William Gibson. Identification des schémas. Livre de Poche. 2003 p.99
L’air alors sillonné de légers filagrammes,’
Sur des courants d’éclairs fait voyager nos âmes;
L’Orient, par ces fils, sur ses peuples divers
Étend de l’unité les puissantes membrures,
Et ne fait, du passé ressoudant les coupures,
Qu’un seul peuple de l’univers.

Cénac-Moncaut, J. (. (1857). L’Europe et l’Orient : poëme en six chants / par M. Cénac-Moncaut.  <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4331393.r=.langFR>
p.112
La rentrée qui s’annonce pour moi est l’occasion de développer de nouvelles pistes sur ce blog et sur d’autres supports numériques ou papier.
Une des thématiques qui me tient à cœur est celle des filagrammes numériques (précisions en dessous). Je livrerai donc ici des ébauches d’un projet que je compte alimenter et améliorer progressivement.
Le numérique se voit parfois accompagné du terme de révolution. C’est un raccourci qu’il convient d’éviter.  D’une part, car il s’agit d’une posture simpliste qui évite l’observation des évolutions, voire des processus « révolutionnants ».  L’idée de rupture est souvent trompeuse. Trop souvent derrière le vocable du changement radical, se cache une reproduction guère différente de réalités anciennes que ce soit au niveau technique, social et économique. Le numérique n’échappe donc pas à cette tendance.  Même s’il offre des potentialités nouvelles, ces dernières ne peuvent émerger d’un seul coup et sont donc la conséquence de constructions plus lentes et qui parfois sont anciennes.
Le numérique tout comme le web 2.0 ne doivent pas être associés nécessairement à l’idée de rupture. D’ailleurs, le fait d’adjoindre l’adjectif numérique ou l’extension 2.0 à des institutions, des domaines professionnels ou scientifiques voire à des concepts ne suffit pas à tout expliquer et encore moins à toute révolutionner.
Voilà pourquoi, il est opportun d’évoquer de filagrammes numériques pour signifier la persistance de formes anciennes dans nos espaces numériques, de marques à peines cachées ou rarement observées. Filagrammes est ici préféré à filigranes qui est en fait le même mot si ce n’est que filagrammes préserve davantage l’étymologie. Le littré[1] rappelle que le mot désigne à fois un travail d’orfèvrerie avec du fil dorée ainsi que des « lettres, lignes ou figures fixées sur la forme à fabriquer le papier et dont la marque paraît sur la feuille. »  C’est évidemment à partir de cette deuxième définition qu’il s’agit de filer la métaphore. Ces filagrammes sont divers et constituent des formes de transmission plus ou moins conscientes, parfois bénéfiques, parfois gênantes. Ils ne sont pas neutres et s’avèrent également des manières de voir et de faire, qui sont aussi des instruments de  formation voire de déformation et d’influence. Des filiations tantôt bénéfiques tantôt néfastes selon les circonstances et les manières dont on les perçoit et parvient à les saisir.
Bref, de jolis fils dorés comme autant de filiations et trésors dont nous sommes les héritiers.  Héritage à la fois léger et fragile, qu’il faut autant respecter que s’y affranchir, pour tisser de nouveaux liens et lieux.
 
Car ces filagrammes, ce sont surtout des permanences : ce qui demeure et qui évolue plus qu’il ne disparaît. Cela signifie qu’il convient de s’interroger sur la validité des découpages et des frontières entre concepts. Une position adoptée  par Michel Foucault qui mérite d’être rappelée :
Comment spécifier les différents concepts qui permettent de penser la discontinuité (seuil, rupture, coupure, mutation, transformation) ? Par quels critères isoler les unités auxquelles on a affaire : qu’est-ce qu’une science ? Qu’est-ce qu’une œuvre ? Qu’est-ce qu’une théorie ? »Qu’est-ce qu’un concept ? Qu’est-ce qu’un texte ? [2]

 

 

Michel Foucault va continuer à nous inspirer encore cette année

Ces réflexions sont celles  de l’enquêteur, de celui cherchant à démêler le vrai, du faux, l’ancien du nouveau. Cette

mise en question ne s’effectuera pas à la manière Bernard Guy, le terrible traqueur  d’hérétiques, auteur du fameux manuel de l’inquisiteur et décrit de manière terrible dans le  Nom de la Rose d’Umberto Eco.

Guillaume de Baskerville

A l’inverse, c’est la posture de Guillaume de Baskerville[3] qu’il convient de suivre. Cette investigation est alors« archéologique » au sens de Foucault :
 
Il est exact que je n’ai jamais présenté l’archéologie comme une science, ni même comme les premiers fondements d’une science future. (…) Mais en presque toutes ses dimensions et sur presque toutes ses arêtes, l’entreprise a rapport à des sciences, à des analyses de type scientifique ou à des théories répondant à des critères de rigueur.[4]
Cette enquête est alors aussi celle de prétendues disparitions.  Parmi elles, celle du texte dont nous entendons démêler les fils et les écheveaux. Il faut donc retrouver les traces et les empreintes contenues dans textes, architextes, et hypertextes…bref devenir un ichnologue des filagrammes numériques.
L‘ichnologie du numérique devenant condition de l’archéologie du savoir…
 
A suivre…


[1] Définition filigranne dans le littré consultable en ligne <http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/filigrane/31587>
[2] Michel FOUCAULT. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969, p. 12-13
[3] Guillaume de Baskerville est l’investigateur du nom de la rose. Umberto Eco rend ainsi hommage à Guillaume d’Ockham, célèbre pour sa rationalité et son fameux rasoir qui rappelle qu’il n’est pas utile d’employer de nouveaux mots quand il existe déjà des concepts opérationnels pour définir une chose.
[4] Ibid., p.269

 

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