La formation à l’attention de soi.

Je mets en ligne comme promis le support que j’ai utilisé pour l’école thématique sur l’identité numérique à Sète. Excellent cadre, ambiance et organisation, une expérience à renouveler.
Voici le support en attendant l’article dans un prochain ouvrage consacré à l’identité numérique.

Le souci de soi selon Michel Foucault

En pleine écriture d’un projet autour de l’existence numérique, je suis parfois tenté d’arrêter d’écrire pour ne conseiller que la lecture de Foucault et notamment de l‘herméneutique du sujet qui montre parfaitement l’importance du souci de soi.
Le souci de soi est probablement antérieur et plus important que le fameux connais-toi, toi-même dont on parfois fait le fondement socratique. Or Foucault démontre que le connais- toi, toi-même est en fait subordonné au souci de soi. Dans son exigence de recherche de la vérité, Socrate fait d’ailleurs cette critique aux citoyens athéniens :
« Quoi! cher ami, tu es Athénien, citoyen d’une ville qui est plus grande, plus renommée qu’aucune autre pour sa science et sa puissance, et tu ne rougis pas de donner tes soins (epimeleisthai) à ta fortune pour l’accroître le plus possible, ainsi qu’à ta réputation et à tes honneurs; mais quant à ta raison, quant à la vérité et quant à ton âme, qu’il s’agirait d’améliorer sans cesse, tu ne t’en soucies pas, tu n’y songes même pas. »[1]
Cet éloignement du souci de soi renvoie nettement à un éloignement de la vérité, vérité sur soi autant que vérité en général. Foucault distingue trois dimensions essentielles dans le souci de soi (Citation issue de l’herméneutique du sujet) :
« – premièrement, le thème d’une attitude générale, d’une certaine manière d’envisager les choses, de se tenir dans le monde, de mener des actions, d’avoir des relations avec autrui. L’epimeleia heautou, c’est une attitude: à l’égard de soi, à l’égard des autres, à l’égard du monde;
– deuxièmement, l’epimeleia heautou est aussi une certaine forme d’attention, de regard. Se soucier de soi-même implique que l’on convertisse son regard, et qu’on le reporte de l’extérieur, sur… j’allais dire « l’intérieur ». Laissons ce mot (dont Vous pensez bien qu’il pose tout un tas de problèmes) de côté, et disons simplement qu’il faut qu’on convertisse son regard, de l’extérieur, des autres, du monde, etc., Vers : « soi-même ». Le souci de soi implique une certaine manière de veiller à ce qu’on pense et à ce qui se passe dans la pensée. Parenté du mot epimeleia avec meletê, qui Veut dire à la fois exercice et méditation. (…).
– troisièmement, la notion d’epimeleia ne désigne pas simplement cette attitude générale ou cette forme d’attention retournée vers soi. L’epimeleia désigne aussi toujours un certain nombre d’actions, actions que l’on exerce de soi sur soi, actions par lesquelles on se prend en charge, par lesquelles on se modifie, par lesquelles on se purifie et par lesquelles on se transforme et on se transfigure. Et, de là, toute une série de pratiques qui sont, pour la plupart, autant d’exercices qui auront (dans l’histoire de la culture, de la philosophie, de la morale, de la spiritualité occidentales) une très longue destinée. Par exemple, ce sont les techniques de méditation  ; ce sont les techniques de mémorisation du passe; ce sont les techniques d’examen de conscience; ce sont les techniques de Vérification des représentations à mesure qu’elles se présentent à l’esprit , etc »

Le souci de soi chez Foucault
Le souci de soi chez Foucault

J’y reviendrai plus longuement sur le blog et dans un ouvrage à paraître dans un futur pas trop éloigné, espérons-le.  Sur cette question, la lecture de l’excellent ouvrage de Bernard Stiegler sur la pharmacologie est à conseiller également.


[1] Platon. Apologie de Socrate. Disponible sur : < http://philoctetes.free.fr/apologiedesocrate.htm>

L’ichnologue des filagrammes numériques

Portrait of author William Gibson taken on his...
William Gibson...celui qui m'inspire en tant que neuromancien

« Cayce a une compréhension des plus marginales de ce qu’est le filigrane numérique » William Gibson. Identification des schémas. Livre de Poche. 2003 p.99
L’air alors sillonné de légers filagrammes,’
Sur des courants d’éclairs fait voyager nos âmes;
L’Orient, par ces fils, sur ses peuples divers
Étend de l’unité les puissantes membrures,
Et ne fait, du passé ressoudant les coupures,
Qu’un seul peuple de l’univers.

Cénac-Moncaut, J. (. (1857). L’Europe et l’Orient : poëme en six chants / par M. Cénac-Moncaut.  <http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k4331393.r=.langFR>
p.112
La rentrée qui s’annonce pour moi est l’occasion de développer de nouvelles pistes sur ce blog et sur d’autres supports numériques ou papier.
Une des thématiques qui me tient à cœur est celle des filagrammes numériques (précisions en dessous). Je livrerai donc ici des ébauches d’un projet que je compte alimenter et améliorer progressivement.
Le numérique se voit parfois accompagné du terme de révolution. C’est un raccourci qu’il convient d’éviter.  D’une part, car il s’agit d’une posture simpliste qui évite l’observation des évolutions, voire des processus « révolutionnants ».  L’idée de rupture est souvent trompeuse. Trop souvent derrière le vocable du changement radical, se cache une reproduction guère différente de réalités anciennes que ce soit au niveau technique, social et économique. Le numérique n’échappe donc pas à cette tendance.  Même s’il offre des potentialités nouvelles, ces dernières ne peuvent émerger d’un seul coup et sont donc la conséquence de constructions plus lentes et qui parfois sont anciennes.
Le numérique tout comme le web 2.0 ne doivent pas être associés nécessairement à l’idée de rupture. D’ailleurs, le fait d’adjoindre l’adjectif numérique ou l’extension 2.0 à des institutions, des domaines professionnels ou scientifiques voire à des concepts ne suffit pas à tout expliquer et encore moins à toute révolutionner.
Voilà pourquoi, il est opportun d’évoquer de filagrammes numériques pour signifier la persistance de formes anciennes dans nos espaces numériques, de marques à peines cachées ou rarement observées. Filagrammes est ici préféré à filigranes qui est en fait le même mot si ce n’est que filagrammes préserve davantage l’étymologie. Le littré[1] rappelle que le mot désigne à fois un travail d’orfèvrerie avec du fil dorée ainsi que des « lettres, lignes ou figures fixées sur la forme à fabriquer le papier et dont la marque paraît sur la feuille. »  C’est évidemment à partir de cette deuxième définition qu’il s’agit de filer la métaphore. Ces filagrammes sont divers et constituent des formes de transmission plus ou moins conscientes, parfois bénéfiques, parfois gênantes. Ils ne sont pas neutres et s’avèrent également des manières de voir et de faire, qui sont aussi des instruments de  formation voire de déformation et d’influence. Des filiations tantôt bénéfiques tantôt néfastes selon les circonstances et les manières dont on les perçoit et parvient à les saisir.
Bref, de jolis fils dorés comme autant de filiations et trésors dont nous sommes les héritiers.  Héritage à la fois léger et fragile, qu’il faut autant respecter que s’y affranchir, pour tisser de nouveaux liens et lieux.
 
Car ces filagrammes, ce sont surtout des permanences : ce qui demeure et qui évolue plus qu’il ne disparaît. Cela signifie qu’il convient de s’interroger sur la validité des découpages et des frontières entre concepts. Une position adoptée  par Michel Foucault qui mérite d’être rappelée :
Comment spécifier les différents concepts qui permettent de penser la discontinuité (seuil, rupture, coupure, mutation, transformation) ? Par quels critères isoler les unités auxquelles on a affaire : qu’est-ce qu’une science ? Qu’est-ce qu’une œuvre ? Qu’est-ce qu’une théorie ? »Qu’est-ce qu’un concept ? Qu’est-ce qu’un texte ? [2]

 

 

Michel Foucault va continuer à nous inspirer encore cette année

Ces réflexions sont celles  de l’enquêteur, de celui cherchant à démêler le vrai, du faux, l’ancien du nouveau. Cette

mise en question ne s’effectuera pas à la manière Bernard Guy, le terrible traqueur  d’hérétiques, auteur du fameux manuel de l’inquisiteur et décrit de manière terrible dans le  Nom de la Rose d’Umberto Eco.

Guillaume de Baskerville

A l’inverse, c’est la posture de Guillaume de Baskerville[3] qu’il convient de suivre. Cette investigation est alors« archéologique » au sens de Foucault :
 
Il est exact que je n’ai jamais présenté l’archéologie comme une science, ni même comme les premiers fondements d’une science future. (…) Mais en presque toutes ses dimensions et sur presque toutes ses arêtes, l’entreprise a rapport à des sciences, à des analyses de type scientifique ou à des théories répondant à des critères de rigueur.[4]
Cette enquête est alors aussi celle de prétendues disparitions.  Parmi elles, celle du texte dont nous entendons démêler les fils et les écheveaux. Il faut donc retrouver les traces et les empreintes contenues dans textes, architextes, et hypertextes…bref devenir un ichnologue des filagrammes numériques.
L‘ichnologie du numérique devenant condition de l’archéologie du savoir…
 
A suivre…


[1] Définition filigranne dans le littré consultable en ligne <http://littre.reverso.net/dictionnaire-francais/definition/filigrane/31587>
[2] Michel FOUCAULT. L’archéologie du savoir. Paris : Gallimard, 1969, p. 12-13
[3] Guillaume de Baskerville est l’investigateur du nom de la rose. Umberto Eco rend ainsi hommage à Guillaume d’Ockham, célèbre pour sa rationalité et son fameux rasoir qui rappelle qu’il n’est pas utile d’employer de nouveaux mots quand il existe déjà des concepts opérationnels pour définir une chose.
[4] Ibid., p.269

 

Enhanced by Zemanta

L’éducation doit sortir de la captivité

L’idéal d’une société de surveillance telle que celle que je décris sous le nom d’Arcadie pourrait être la possibilité de contrôler avant l’acte via un système de pré-voyance à la minority report c’est-à-dire sanctionnant avant la réalisation de l’hypothétique acte criminel. Ce fonctionnement pourrait être réalisé soit pas la détection précoce assistée par la génétique, soit par des processus normatifs conduisant à une autodiscipline.

Or l’institution scolaire doit faire face aux mêmes dilemmes et se trouve divisée par une ligne de divergences avec d’un côté les velléités de l’industrie de services et la vision managériale éducative basée principalement sur des critères, compétences, l’imposition de politiques diverses et plus ou moins cohérentes et de l’autre ce qu’on pourrait qualifier de vision pédagogique et éthique. Chacun d’entre nous piochant d’ailleurs de l’un ou l’autre côté.

La première se voudrait réaliste, la seconde idéaliste. Or, il est probable qu’aucune ne parvient véritablement à atteindre ses objectifs, la première confondant la réalité et les chiffres, la seconde en étant incapable de réagir et d’évoluer en partie parce qu’elle repose sur des a priori, des dogmatismes, voire des visions dépassées.

Mais notre propos est de montrer que toutes ces oppositions reposent sur un même principe : celui de la captivité et de la volonté disciplinaire qui en découle. Foucault affirmait :

« Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons. » (Foucault. P.264 Surveiller et punir.Ed. Gallimard)

Si les industries de programme sur lesquelles reposent la télécratie et probablement la culture du pitre a depuis longtemps changé de stratégie en parvenant à gagner d’années en années du temps de captation de l’esprit, qu’en est-il de l’éducation qui repose toujours des systèmes contraignants, inhibants et inefficaces au possible. Que l’on soit plutôt pro méthodes traditionnelles ou pro méthodes pédagogiques, le modèle demeure au final celui de « la petite écolière qui suit les consignes ». Bref, rien n’a véritablement changé entre les cours qui commencent vers 8h du matin et qui se termine vers 17-18h. Que dire si ce n’est que ce système de captivité devient dépassé, débilisant et qu’il est très loin de conduire à l’autonomie prisée dans le socle commun. Il n’est guère étonnant dès lors de voir des élèves réfractaires, d’autres peu motivés et un ensemble d’acteurs dont les enseignants qui au final ne semble guère heureux dans ce système. Les esprits de nos élèves sont souvent ailleurs : leur capacité d’attention ne pouvant tenir un tel rythme de manière optimale. D’autant que les médias sont déjà parvenus à récupérer une grande partie de cette attention en rendant captifs nos élèves de manière mentale et sensorielle. Tel est d’ailleurs le but de l’économie de l’attention dont les velléités se poursuivent sur le web, la téléphonie mobile et tout autre hypomnemata des technologies de contrôle. Or l’Ecole continue de procéder par captivité physique principalement et n’obtient qu’au final un fort rejet psychologique.

Que faut-il donc faire ?

L’Ecole doit procéder d’une autre manière c’est évident sans pour autant faire table rase du passé. Il faut imaginer des processus plus actifs, plus participatifs, co-contructifs, à la fois individualisés mais aussi collaboratifs notamment grâce aux nouvelles technologies. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans l’utopie, qui dit suivi individualisé, évoque également la possibilité technique de surveiller plus efficacement le réel travail de l’élève. Les plateformes d’enseignement en ligne sont ainsi très efficaces. Une démarche éthique et d’information des élèves devra donc s’opérer mais elle aura le mérite d’alerter les élèves sur la gestion de leurs traces en dehors de la sphère scolaire où l’éthique sera moindre. C’est pourquoi, je prône plus d’usages pédagogiques des outils informatiques et ce de manière non artificielle comme cela demeure encore trop le cas dans les dispositifs b2I. Pédagogique n’exclut pas non plus le ludique à condition que ce dernier nous permette de faire acquérir de manière plus agréable et efficace ce qui relève du fastidieux et de l’effort indispensable (tables, grammaire, conjugaison, rigueur, etc.)

Il convient de réagir vite avant que les industries de service n’opèrent le glissement vers la captivité virale qui fait de chacun de nous un instrument de la dé-formation collective. Il suffit d’observer les blogs de skyrock.com pour être conscient de l’avancée du phénomène. Le prochain objectif est de transformer les cibles passives en acteur prosélyte, diffuseur viral de la culture du pitre, privé de sa libido et de son individuation.

Les hypomnemata actuels évoluent. Il convient donc qu’ils soient avant tout le socle d’un milieu associé garant d’une individuation psychique et collective, d’une avancée privilégiant l’avancée vers une communauté de savoirs privilégiant la durée face à une société de l’information entropique sans cesse adaptionniste.

Il donc grand temps de réformer ou plutôt de re-former.