La CI en 7 leçons. E05. La culture de l’information repense les aspects de la formation liés à l’information.

Suite de la série hiémale sur la culture de l’information.  Pour rappel, l’épisode 1 est ici, le second est là , le troisième ici et le précédent est là.
Une des principales difficultés réside dans le fait de savoir de quelle information, il s’agit au sein de la culture de l’information. A priori, l’adjonction des deux termes parait presque antithétique avec une culture inscrite dans la durée et une information souvent perçue comme éphémère.
Il convient donc de clarifier la notion d’information en la regardant dans une perspective historique plus large et différente de celle qui assimile l’information à des simples flux ou à de brèves nouvelles issues des médias.
En premier lieu, il convient de rappeler la prise de forme qui s’effectue dans l’information. Sans pour autant revenir à un schème hylémorphique trop classique (vision d’Aristote du potier qui donne forme à la glaise), nous avons donc choisi d’opter pour une conception puisant dans les travaux de Gilbert Simondon. Ce dernier substitue d’ailleurs la notion d’information à celle de forme :
La notion de forme doit être remplacée par celle d’information, qui suppose l’existence d’un système en état d’équilibre métastable pouvant s’individuer : l’information, à la différence de la forme, n’est jamais un terme unique.[1]
Il reste que la polysémie du mot information n’est pas totalement résolue dans les travaux de Simondon où se mêlent diverses influences notamment celle de la cybernétique. En ce qui concerne la culture de l’information,  il est possible de conserver les trois principaux sens de l’information à la fois en tant que nouvelles, données et connaissances auxquelles on pourrait rajouter une dimension de médiation. Il convient cependant d’insister sur les aspects de formation voire de déformation qui se jouent autour de ces différents types d’information.
En effet, le contraire de l’information est d’abord la déformation. Cela signifie que l’intérêt de l’information réside dans sa capacité de formation, c’est-à-dire dans les possibilités qu’elle ouvre dans la construction des individus et des collectifs d’individus. Nous partageons la position de Bernard Stiegler issue de Simondon, que cette formation, qu’il définit plutôt comme une individuation voire une transindividuation, ne peut s’opérer qu’au sein de collectifs d’humains et de machines : les milieux associés.
Cependant, de plus en plus, ces milieux sont surtout dissociés, c’est-à-dire qu’ils court-circuitent la formation et constituent plutôt des dispositifs de déformation. Bernard Stiegler démontre particulièrement ces aspects en ce qui concerne la télévision. Cependant, nous avons montré que le web 2.0, qui repose souvent davantage sur la popularité, ne garantit pas la constitution de milieux associés notamment du fait de nombreuses infopollutions. Bernard Stiegler parle d’ailleurs de « jeunesse déformée », notamment par un déficit d’attention qui est la conséquence des stratégies publicitaires que nous pouvons rencontrer notamment sur les skyblogs mais qui prennent de l’ampleur sur la plupart des dispositifs numériques actuellement.
De même, du fait d’une complexité liée aux évolutions du document numérique, de nouveaux défis documentaires et sémantiques sont posés. La réalisation de ces milieux associés peut s’effectuer dès lors dans une continuité de l’héritage documentaire, avec le développement de nouvelles techniques documentaires (qui sont également désormais informatiques et numérique) pour faciliter l’accès à de l’information digne de confiance et des outils qui autorisent la création, l’annotation et l’invention.
Il s’agit donc de percevoir l’information non pas selon le paradigme informationnel qui consiste à faire de l’information une valeur marchande qui ne cesse de décroître, mais de développer la formation à l’œuvre dans l’information pour aller vers la société des savoirs dont la valeur se maintient. L’information de la culture de l’information diffère donc de celle de la société de l’information. Elles proviennent toutes deux de la raison mais au sein de la société de l’information, elle devient surtout ratio, c’est-à-dire calcul. Dans la logique de la société de l’information, tout devient mesurable si bien que la quantité prime sur la qualité. L’information se met alors au service de la performance. Une performance qui consiste en une trans-formation généralisée de la matière aussi bien que de l’esprit [2]. En effet, l’adjonction autour des discours de la société de l’information est celle de l’adaptation dans une logique de survie.
Bon nombre de discours et d’articles autour de l’information literacy n’échappent pas à cette vision extrêmement concurrentielle entre les individus et qui présentent les habiletés informationnelles comme des moyens de se distinguer par rapport aux autres.
L’adaptation imposée entraîne une déformation facilitée chez les jeunes générations par la prédominance du besoin d’affirmation sur le besoin d’information.
La culture constitue davantage une réponse, même si elle n’est pas exempte de normes :
C’est elle qui constitue le monde auquel nous devons nous adapter, en même qu’elle est la boîte à outils dont nous avons besoin pour y parvenir. (…) Considérer le monde comme un simple réservoir d’informations, que chacun traiterait à sa façon, ce serait perdre de vue la manière dont l’homme se forme et fonctionne. [3]
Si la culture donne forme à l’esprit, c’est également parce que l’individu en tant que « je » peut prendre part au « nous ». Un nous participatif face à un « on », indéterminé, qui contraint à se conformer à une logique utilitariste, qui même si elle se prétend anti-idéologique, devient pourtant une idéologie aussi puissante. Elle en devient négative pour la formation et pour l’éducation en général comme le remarque bien Philippe Meirieu :
Nous sommes passés de la transmission d’une culture et de valeurs assumées (ce qui ne signifie nullement, bien sûr, qu’elles n’étaient pas contestables sur le plan éthique et politique) à la production de résultats identifiés : or, en dépit d’un consensus social apparent sur la nature et l’importance des ces résultats (l’acquisition du socle commun, la formation à la citoyenneté, l’élévation du niveau de qualification, etc.), ces résultats ne sont actuellement que des « utilités scolaires et sociales », privés de toute verticalité capable de les relier, en même temps, à un patrimoine et à un projet, à un passé et à un futur.[4]
Voilà pourquoi, nous avons avancé l’idée d’une reformation de la culture de l’information (titre de notre thèse), qui prenne en compte les enjeux évoqués. C’est aussi la réalisation d’un programme culturel autour de la formation qui évite autant la nostalgie éducative que la seule logique utilitariste.
Nous préconisons la poursuite d’un travail de transmission autour d’un héritage qui ne soit pas un fardeau mais au contraire porteur de potentialités. Simondon défend l’idée d’une société métastable c’est-à-dire dont les potentiels ne sont pas épuisés et dont l’ensemble des savoirs n’est pas figé. La formation doit donc se concevoir non pas au sein d’une culture normée et inscrite dans des logiques d’héritiers mais plutôt au sein d’une culture technique qui permet davantage la formation de l’individu.



[1] Gilbert SIMONDON. L’individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité.Editions Aubier. 2007., p.35
[2] Bernard SIEGLER. Constituer l’Europe. T.2 Le motif européen. Paris. Galilée, 2005, p.32
[3] Jérôme BRUNER. car la culture donne forme à l’esprit: De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Retz, 1991
[4] Philippe MEIRIEU. Le maître, serviteur public »Sur quoi fonder l’autorité des enseignants dans nos sociétés démocratiques ? Conférence donnée dans le cadre de l’École d’été de Rosa Sensat, Université de Barcelone, juillet 2008. < http://www.meirieu.com/ARTICLES/maitre_serviteur_public_version2.pdf> p. 5