« Faut pas gâcher »… tel semble désormais être le slogan inéluctable du chercheur français et notamment du petit chercheur en sciences humaines et sociales.
Le slogan déjà appliqué par beaucoup d’entre nous depuis des années est en train de devenir un programme, voire une idéologie.
En tout cas pour moi.
Je développe ici quelques aspects de la recherche « pour pas que ça coûte »
- Le contexte. La Logique de la Pire Patate Pour la Recherche
Face aux incertitudes perpétuelles d’un ministère de la Recherche qui n’existe pas vraiment, coincé entre un Ministère de l’Éducation Nationale omnipotent qui peine à recruter désormais des enseignants et qui finalement considère la recherche comme un sous-domaine, et Bercy qui y voit un lieu d’arbitrage stratégique entre ajustements budgétaires et politique fiscale, le chercheur ne sait plus trop finalement quels sont ses marges de manœuvre notamment financières.
Et ce d’autant que les universités sont théoriquement autonomes sans pouvoir l’être dans les faits. Les marges budgétaires sont faibles voire nulles et l’idée d’augmenter les frais d’inscription apparaît un risque idéologique trop important pour tenter l’expérience.
Il reste alors aux chercheurs pas grand chose à espérer, si ce n’est décrocher quelques appels à projet pour tenter de monter quelque chose de plus ambitieux.
La difficulté désormais est double, celle de recrutements raréfiés, ce qui a pour conséquence à la fois de freiner les carrières (ce qui occasionne de belles réductions budgétaires avec des maîtres de conférences guère mieux payés que leurs homologues du secondaire et moins bien rémunérés en tout cas que des agrégés au même âge bien souvent), mais aussi de placer une angoisse dans la procédure de recrutement de futurs collègues. L’erreur n’est plus possible dans les faits car il faut s’assurer que le collègue sera performant. Mais l’angoisse renforce les effets corporatistes et locaux. Plus le nombre de postes ouverts sera à la baisse, plus le risque d’un recrutement endémique et local va étrangement augmenter.
Actuellement, plus ça avance, plus on a l’impression d’avoir les deux revers de la médaille du faible salaire et du nombre de postes en baisse. On pourrait éventuellement tolérer un salaire faible si la charge de travail était bien répartie et que les conditions s’avéraient propices pour recruter en nombre suffisant. Mais désormais, il faut accepter le salaire démotivant, et les charges qui ne cessent de s’accroître car le nombre de personnes recrutées diminue ce qui oblige alors en faire plus. Travailler plus pour gagner moins, et espérer être payé en reconnaissance, ou en je ne sais pas trop quoi. Il reste bien sûr l’espoir d’obtenir des charges spécifiques, des vice-présidences, la PEDR (bien utile il est vrai, mais qui nous transforme en VRP publiant ses performances de vente), mais on fait mieux mentalement.
Contrairement à ce qu’on entend parfois, je ne crois pas pour autant que c’était mieux avant. Pour les conditions financières et la reconnaissance, c’est évident, pour la qualité de la recherche… c’est une autre histoire. Et je ne parle pas des comportements et des dérives liés aux abus de position d’autorité.
Mais là n’est désormais plus le sujet car il faut essayer de s’en sortir comme on peut.
- La méthode Guy Roux
Au sein d’une université modeste, le petit chercheur n’est pas totalement hors jeu mais il ne peut prétendre à des budgets conséquents, faciles à obtenir, ou à une force de frappe et de légitimité associée qui lui permet de rapidement déployer des financements.
En clair, il faut bien comprendre qu’il ne faut pas songer travailler avec des moyens dignes du Paris Sorbonne Galactique, ou de tout autre université-club prestigieux qui aurait recu une bénédiction Idex et Orbi.
Non, le modèle c’est l’AJ Auxerre désormais qu’il faut suivre désormais.
Pas de quoi tenir le haut du pavé et des célébrations, mais qu’importe. C’est la possibilité de faire des coups, de réaliser des progrès évidents et de partager ses réussites.
La recette est celle de la détection des talents et de la capacité à faire travailler ensemble des collègues différents.
Évidemment, tout repose sur la formation et la détection. Les AJA de la recherche ne peuvent fonctionner autrement, ce qui oblige du coup le chercheur à être aussi enseignant. Mais c’est là également que se joue l’avantage d’être « un petit club », c’est que c’est au sein de cette double identité qu’il est possible de repérer les bons éléments qui viendront prendre part aux projets de recherche. C’est aussi la possibilité parfois d’expérimenter à la marge avec ses propres outils et des timings où on peut prendre le risque de faire perdre un peu de temps plutôt que de suivre des protocoles ou des développements web déjà standardisés.
Cela suppose aussi un coaching relativement serré… Je ne dis pas qu’il faille fliquer les stagiaires, les doctorants ou mastérants au point de savoir s’ils sortent trop souvent le soir… Mais il s’agit bien de veiller sur eux, cela implique donc qu’il ne s’agit pas de faire des usines à doctorants, ou d’avoir pleins de doctorants sous son aile en envoyant dans le mur les trois quarts.
Mais il faut les soutenir, les conseiller et on ne peut le faire que si et seulement si on a fait des erreurs avant. Le plus mauvais professeur est celui qui a tout réussi.
Parmi les ingrédients qui peuvent permettre aux AJA de la recherche de résister est finalement l’idée de pouvoir perdre du temps… à chercher, tester, expérimenter. Actuellement, c’est ce luxe qu’on a pu accorder à notre stagiaire sur le projet HyperOtlet. Pour innover, pas de miracle…
Évidemment, parfois, pour notre Guy Roux, chercheur, c’est un sacerdoce… La crise cardiaque sur le terrain de jeu reste hélas probable.
Je reviendrai sans doute aussi que parfois une bonne idée, elle nécessite un peu d’argent (la recherche, ça coûte, ma pauv dame), d’un peu de temps et de quelques énergies mises ensemble à bon escient. Le projet bottom-up peut alors être plus efficace que le gros top-down trop calibré. A ce stade, mieux vaut finalement gérer une petite équipe qu’un gros regroupement d’égos sous peine d’aboutir à une situation digne de Knysna.
Clairement, il faut penser petit pour voir grand dans la mesure où il est préférable de développer d’abord une petite brique plutôt que de prétendre vouloir tout révolutionner d’un coup. Et c’est parfois la petite brique qui peut avoir un énorme impact, alors pourquoi se priver.
Sinon, faut être lucide, devenir l’AJA, c’est accepter le départ des meilleurs éléments qui auront été formés au bout d’un certain temps. Et on ne peut que le souhaiter vu les perspectives peu réjouissantes bien souvent en local.
Il faut être aussi lucide qu’au moment de passer les tours successifs de la ligue des champions de la recherche ou toute autre compétition, il y aura toujours un arbitre pour vous dire que votre procédé, votre projet, votre logiciel n’est pas conforme ou suffisamment orthodoxe… même si vous pensiez justement avoir changé de perspective à un problème. Remember le retourné de Lilian Laslande…
Au final, il faut aussi accepter d’être un peu chiant du coup, en allant mettre la pression quand il y a des inégalités évidentes, et de rappeler que les arbitres doivent aussi nous respecter autant que les gros…
Bon, allez, c’est vrai, ça va nous coûter un peu de « chablis » mais l’enjeu est de parvenir à se faire plaisir sans trop se prendre au sérieux. On n’a pas envie de faire « un Raoult » d’enfer!
Ps : Ce texte n’est pas non plus un plaidoyer pour aller faire des publicités pour arrondir nos fins de mois…