La mise à l’index

Je publie ici un petit extrait issu de mon livre du Tag au like.
Etymologiquement, l’indexation renvoie au fait de désigner et de montrer du doigt. Ce qui s’explique par le fait qu’un index était parfois dessiné pour indiquer un passage important à lire dans un manuscrit. L’index est aussi ce qui désigne un indice. C’est d’ailleurs pour cette raison que les liens hypertextes sont signalés de cette manière par l’index indiquant l’endroit où il faut cliquer.
Mais cette désignation peut être également négative et peut conduire l’auteur de propos jugés licencieux ou irrévérencieux à être justement « mis à l’index ». L’indexation en tant qu’opération de désignation concerne autant les documents que leurs auteurs. Ainsi en 1565, Pie V promulgue un Index librorum prohibitorum, un catalogue des livres interdits par l’église catholique. Ce travail de distinction de l’hérésie avait commencé une dizaine d’années plus tôt avec Pie IV répondant à une injonction de l’inquisition. Etymologiquement, l’inquisition désigne une recherche. Dans le cas de la Sainte inquisition, il s’agit de la traque de l’erreur.
Quelque part, deux versants de la recherche s’opposent. L’un privilégie la vérité et l’accès à l’information. L’autre cherche l’erreur et la traque pour mieux la dénoncer et la juger. Ces deux courants sont bien représentés dans le nom de la Rose d’Umberto Eco avec d’un côté Guillaume de Baskerville, moine franciscain qui est une référence à Guillaume d’Ockham et qui mène l’enquête pour comprendre la vérité, et de l’autre le dominicain Bernard Gui, auteur du manuel de l’inquisiteur, qui traque les hérétiques (on lira avec profit ce texte d’une de mes étudiants de Licence Pro). Ce double visage de la recherche d’information et de la connaissance et de son indexation demeure encore actuellement. Ce côté obscur se retrouve bien évidemment aussi dans les actions que nous effectuons sur le web. Récemment, le cinéma a bien mis en avant l’influence des pratiques d’organisation des connaissances sur le fichage et le classement des personnes et notamment des criminels dans le film de Clint Eastwood sur John Edgar Hoover. Ce dernier s’est inspiré très nettement des méthodes de classement de la bibliothèque du congrès où il a travaillé pendant cinq ans comme magasinier pour payer ses études de droit. Très souvent, à cette logique de classement des documents et des ressources succède toujours la dimension de contrôle. On pourrait rétorquer que cette dimension de contrôle est en fait même première et ce dès l’apparition de l’écriture qui est un instrument de pouvoir évident. On peut notamment citer le cas des scribes égyptiens qui purent ainsi collecter l’impôt en notant les productions agricoles.
L’indexation a toujours présenté des formes plus personnelles et pas seulement officielles. Le lecteur a régulièrement tenté avec plus ou moins de succès, selon son expérience et ses pratiques, de développer des systèmes de classements, de notes, de signalisation au sein des ouvrages de sa bibliothèque. En cela, les folksonomies ne sont donc pas pleinement une révolution, si ce n’est que le numérique marque une étape importante au niveau de ces pratiques d’indexation, d’annotation et de mémorisation : la séparation des « métadonnées » et du contenu original. Une étape importante qui permettrait un détachement autant pratique que sentimental pour éviter la situation décrite par Umberto Eco, quand il mentionne son exemplaire de la philosophie au Moyen Age d’Etienne Gilson :
« La philosophie au Moyen Age de Gilson qui m’avait tant servi à l’époque où je préparais ma thèse, je ne peux même pas le prendre en main aujourd’hui. Les pages se brisent, littéralement. Je pourrais en acheter une nouvelle édition, sans doute, mais c’est à la vieille que je suis attaché, avec toutes mes annotations de couleurs différentes qui font l’histoire de mes différentes consultations. »[1]
J’apprécie également beaucoup ce livre d’Etienne Gilson mais je déplore non pas d’avoir une version détériorée, mais qu’il n’y ait pas d’index performant, si bien que j’aimerais plutôt disposer d’une version numérique pour pouvoir y effectuer des requêtes plein texte.
Chacun cherche à marquer ses ressources, à se les approprier, à pouvoir y retrouver ses notes, ses éléments de personnalisation. Le lecteur cherche donc au sein de certains ouvrages d’importance pour lui à le marquer de sa propre légende.
[1] Déclaration d’Umberto Eco, p. 20 in Eco Umberto et Carrière Jean-Claude et Tonnac Jean-Philippe de. N’espérez pas vous débarrasser des livres, Grasset & Fasquelle, 2009, 342p.