Metaverse : les métadonnées au pouvoir ou quand Facebook veut savoir que Bruce Wayne est également Batman…

Camille Alloing signalait sur Twitter la volonté de Facebook d’inciter à se créer des profils alternatifs, ce qui va à rebours de la période où Google et Facebook voulait à l’inverse n’avoir que des profils dûment identifiés sous peine de suppression.


Ils avaient reculé sous la pression des usagers à l’époque. Désormais, ils vont dans le cheminement inverse, celui d’aller de plus en plus vers l’indexation de l’intime, du caché et de nos identités multiples.


Facebook s’est construit notamment sur le principe que Bruce Wayne était dans leur social graph, c’est-à-dire que tous les membres de l’intelligentsia américaine y figuraient puisque le modèle premier était de faire de Facebook un réseau social interuniversitaire.
Le futur président des États-Unis et des plus grosses entreprises allait nécessairement y figurer, un argument séduisant pour les investisseurs.
Mais désormais, il s’agit d’aller plus loin dans la bascule entre la réalité sociale et les alternatives identitaires.
Les limites algorithmiques et la faible volonté d’investir suffisamment pour éviter les problématiques de désinformation font qu’au final Facebook va renverser petit à petit le problème en solution.
Puisque les usagers peinent à distinguer le vrai du faux, la véracité factuelle de la manipulation, pourquoi ne pas en jouer ? Pourquoi ne pas devenir le lieu par excellence de ces basculements, pourquoi ne pas garder en son sein le plus longtemps possible l’usager qu’il soit dans un cadre professionnel, personnel, familial mais également passionnel et surtout secret.

Le syllogisme est simple :


Bruce Wayne est dans le graphe, mais il est aussi Batman.
Alors il faut que Batman soit dans le graphe.
Nous avons les moyens de savoir que Bruce et Batman sont les mêmes personnes…


Il en va de même pour chacun d’entre nous finalement. Nous ne sommes ni de riches industriels ni des super héros. Mais nous avons plusieurs identités en chacun de nous qu’il nous ait possible de « tabuler », pour reprendre l’expression de Yann Leroux.
Le metaverse, c’est justement l’extension de la problématique de l’indexation. C’est le renversement de la situation avec ce moment où les métadonnées deviennent plus importantes que les objets qui les qualifient.
Buckland avait bien montré cette tendance avec le fait que les systèmes de métadonnées en bibliothèques étaient devenus plus importants que les documents eux-mêmes :

« La première utilisation originelle des métadonnées est pour décrire des documents, et le nom metadata (au-delà ou avec des données) ainsi que sa définition populaire «données sur les données» sont basés sur cette utilisation. Une deuxième utilisation des métadonnées consiste à former des structures d’organisation au moyen desquelles des documents peuvent être organisés. Ces structures peuvent être utilisées à la fois pour rechercher des documents individuels ainsi que pour identifier des modèles au sein d’un groupe de documents. Le deuxième rôle des métadonnées implique une inversion de la relation entre document et métadonnées. Ces structures peuvent être considérées comme une infrastructure. » [1] (Buckland 2017, p.120)


https://mitpress.mit.edu/books/information-and-society

Du coup, ce qui intéresse depuis toujours Facebook, c’est ce qui nous lie, pas uniquement une simple fiche identitaire qui n’a pas de valeur si elle est isolée. Créer des liens entre nous, c’est aussi étymologiquement l’objectif de la religion. En cela, Facebook conserve bien cet aspect « livre », mais son basculement progressif vers le « meta » marque clairement ce qui est le cas depuis très longtemps, la primeur des mécanismes classificatoires et le développement de superstructures pour parvenir à les gérer et les articuler.

On rentre donc clairement dans une phase qui est celle de l‘hyperdocumentation annoncée par Paul Otlet. Mais ce dernier espérait que la documentation soit un rempart contre les séparatismes en tout genre et un moyen de nous associer pour le progrès de l’humanité. Sauf que Facebook et son metaverse a autant besoin de nos associations que de nos dissociations pour poursuivre son expansion.

Paul Otlet nous contemple… l’hyperdocumentation est en marche

[1] Citation originale : « the first and original use of metadata is for describing documents, and the name metadata (beyond or with data) along with its popular definition, “data about data,” are based on this use. A second use of metadata is to form organizing structures by means of which documents can be arranged. These structures can be used both to search for individual documents and also to identify patterns within a population of documents. The second role of metadata involves an inversion of the relationship between document and metadata. These structures can be considered infrastructure. »

Fadben 2015 : la pêche !

Comme à chaque fois, c’est un plaisir de venir au congrès Fadben, même si les temporalités et ses exigences m’obligent à ne pas demeurer jusqu’au dernier jour. J’ai pu constater que le congrès s’est terminé de manière formidable avec une synthèse d’une très grande qualité d’Anne Cordier, qui publie d’ailleurs un ouvrage fort intéressant tant au niveau de la thématique que de la méthode.
La journée de samedi a été particulièrement riche avec de la qualité, du contenu et de la convivialité. L’ambiance était donc au beau fixe, et cela fait toujours du bien, car on vient aussi pour retrouver ses copains (notamment ceux du Gr-cdi) d’où l’ambiance conviviale qui y règne.  Merci à tous les organisateurs, à la nouvelle génération, à l’ancien aussi,  à tous les intervenants ainsi qu’à tous les participants qui ont permis le succès de cette édition.
L’absence de Séraphin Alava m’avait obligé à changer la perspective initiale au point de  devoir faire finalement une conférence.
J’avais choisi un angle original pour ma communication afin d’apporter paradoxalement un éclairage nouveau sur les enjeux  de formation tout en les inscrivant dans une perspective longue pour mieux pouvoir porter les fondements de la formation sur du long terme.
Je me suis donc appuyé sur deux concepts qui s’inscrivent dans la tradition documentaire
La documentalité, concept qui vous vient de Maurizio Ferraris et qui apporte un souffle nouveau sur l’importance clef du document. Je vous laisse en guise d’apéritif cette phrase :
« Depuis que quelqu’un a laissé l’empreinte de sa main sur les parois d’une grotte, notre être ensemble en tant qu’êtres humains ne peut laisser de côté les inscriptions. Voilà pourquoi la conjugaison virtuelle de « I Pad » et de « You Tube » se complète avec la première personne du pluriel « We.doc » : nous sommes essentiellement ce que nos documents affirment de nous, et c’est pour cette raison que l’extension « .doc » a envahi notre vie avec autant de force. C’est précisément sur cette extension qu’il convient de se concentrer désormais. » (pour le reste, vous pouvez déjà lire Âme et Ipad)
L’hyperdocumentation, concept ancien et donc moderne, car il est de Paul Otlet. Le concept qui montre que la documentation n’est pas ringarde, contrairement à ce que le plus gros d’un ringard a pu me dire une fois. Pour en savoir plus, vous n’avez qu’à vous emparer du traité de documentation de Paul Otlet !
Je reviendrai beaucoup plus en détail sur les deux concepts dans les prochains mois, pas nécessairement sur le blog d’ailleurs.
Au côté de ces deux concepts, j’en ai également mentionné un troisième : l’archéologie des médias. A ce propos, je vais préparer pour Intercdi un article sur le sujet avec une projection pédagogique potentielle. J’en ai commencé l’écriture hier dans le train.
J’ai également remis au premier plan la question de la maîtrise, mais en la réinterrogeant. En effet, la question de la maîtrise de l’information apparaît désormais désuète tant elle s’inscrivait dans une logique qui était celle d’une information organisée dans des bases de données. Il faut abandonner l’idée de tout maîtriser pour s’orienter vers une maîtrise plus modeste dans un sens où l’erreur est toujours possible mais également beaucoup plus ambitieuse tant les enseignements à connaître ne cessent de croître.
L’objectif étant notamment pour les professeurs-documentalistes de s’assumer comme maîtres face aux mètres et autres métries qui prennent la mesure de nos existences.
Vous retrouverez plus de détails dans les actes du congrès ainsi que dans le support utilisé. J’ai fait quelques petits clins d’œil à Vatefairecoter qui  sait toujours mettre l’ambiance à sa façon.
 
 
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