Comment maîtriser son temps ou comment se maîtriser soi-même ?

J’ouvre l’année 2018 sur un discours qui fait écho au texte d’Umberto Eco sur le temps de l’enseignant-chercheur qui se trouve dans le recueil « comment voyager avec un saumon » et qui vient d’avoir un regain d’intérêt sur twitter.
Le texte d’Eco montre un éclatement des activités entre cours, conférences, lectures diverses, corrections de copies, soutenances de thèse, etc. Cet éclatement n’a eu de cesse de croître notamment en ce qui concerne les parties « messageries » et réseaux sociaux qui ne sont pas évoquées dans le texte d’Umberto Eco. Je ne parle même pas des aspects administratifs ou montages de projets.
Eco concluait avec humour au final qu’il n’avait pas vraiment le temps de fumer :
« Et le tabac ? À raison de soixante cigarettes par jour, une demi-minute pour chercher le paquet, allumer et éteindre, cela fait 182 heures. Je ne les ai pas. Je vais devoir arrêter de fumer. »
 
Peu aisé d’arrêté une addiction en effet.
Depuis, plusieurs mois, je m’interroge sur mes habitudes et pratiques. Je blogue moins, non pas que je ne souhaite plus écrire, mais je privilégie désormais d’autres formes.
Mes travaux d’articles scientifiques, d’ouvrages, de ma récente HDR (décembre 2017) m’ont laissé peu de temps pour écrire sur le blog. J’ai à peine pris le temps d’annoncer certains évènements clefs, c’est pour dire.
Si je considère que j’ai eu raison de consacrer une partie de mon travail d’écriture sur de nouveaux supports, notamment parce que j’ai de plus en plus l’impression que la consultation des blogs diminue au profit de formes plus courtes ou de types vidéo, j’ai aussi le sentiment que le mécanisme dominant reste celui du discours d’opposition ou de provocation pour obtenir l’assentiment ou des vues.
Je vais donc continuer à bloguer, mais modestement et surtout à l’écart de l’actualité, ce qui peut parfois sembler paradoxal, puisque le principe du blog réside dans sa possibilité de réagir à chaud. Néanmoins, ce qui m’intéresse désormais, c’est tout l’inverse.
Au point que depuis des mois, je me prépare à opérer un changement radical sur les réseaux sociaux qui me prennent non seulement du temps, mais que j’estime souvent intéressants, car mes flux me ramènent de l’information pertinente. Néanmoins, ce qui me prend du temps et de l’énergie, c’est la lecture de messages très orientés politiquement, sûrs d’eux, donneurs de leçons, auxquels j’ai parfois envie de réagir également avec virulence. Mais je me retiens. Je lis parfois les échanges de tweets et ce qui est sidérant, c’est la violence des propos et surtout l’impression d’une frustration immense qui s’en dégage. Les enseignants-chercheurs n’étant pas toujours en reste.
Si je m’efforce de conserver une diversité d’opinions dans mes réseaux, j’avoue en être fatigué dans cette quête difficile de l’équilibre. Il fut un temps je m’amusais à lire les commentaires du Figaro, cela me  donnait une image de l’opinion d’une frange de la population. Twitter y suffit désormais et parfois Facebook.
Malheureusement, je ne parviens pas aisément à m’en extraire au point au final de regretter le temps où les agrégateurs RSS étaient puissants et qu’ils m’épargnaient au final le brouhaha des commentaires et des frustrations diverses. Ce n’est plus l’information bonne ou mauvaise qui domine, mais ce qui l’entoure. Ce n’est pas le commun, mais le commentaire permanent. Ce n’est pas la communication, ni même la com’, mais une forme de commisération inaudible parfois.
Je souhaite m’en extraire peu à peu, ce qui signifie que je vais sans doute moins m’exprimer sur Twitter et beaucoup moins consulter Facebook. Mais ce sont de redoutables outils de mobilisation mentale, je ne prétends pas m’en écarter totalement d’un coup.  La maîtrise de son temps passe par une maîtrise de soi peu aisée. Il ne s’agit pas d’une déconnexion de toute manière, mais plutôt le désir réfléchi de passer par des modes d’expression sur du long terme.
 
Cela va me laisser le temps de réaliser de nouveaux projets d’écriture pour cette année 2018. En attendant, vous pourrez me retrouver dans un nouvel ouvrage.

Du fav au like, nos étranges reliques

Difficile de ne pas réagir sur l’actualité, notamment quand on a déjà travaillé sur cette question au préalable notamment dans du Tag au Like. Le passage de l’étoile au cœur sur twitter n’est à nouveau que la nouvelle conséquence du passage du tag au like, ou plutôt de ce qui était du domaine du favori, du bookmarking à une logique impulsive et réductrice déjà observée précédemment avec le succès grandissant du Like par rapport au tag et à l’indexation. Le rapprochement avec le Want est sans doute aussi là dans ce choix du cœur.
Il est vrai que cette étoile n’était pas tellement claire, car on ne savait jamais véritablement sa réelle signification. Moi-même, la plupart des tweets que j’avais étoilés et favorisés l’étaient par mauvaise manipulation. Parfois, je m’étonnais même de voir que certains de mes tweets avaient été favorisés. Je ne savais d’ailleurs pas si c’était volontaire ou au contraire une mauvaise manipulation.
Que pouvions-nous faire des tweets étoilés?
Pour ma part, je m’étais amusé via ifttt de les renvoyer sur google drive, car je considérais qu’ils pouvaient être éventuellement utiles dans une logique de collecte. Honnêtement, je n’en fais pas grand-chose parce que dans ce domaine, les outils de social bookmarking comme diigo sont bien meilleurs.
Par conséquent, cette logique triomphante du like est assez classique dans une volonté de réduction à sa plus simple expression ; j’ai déjà abordé ce point à plusieurs reprises. Si les machines sont idiotes de temps en temps, elles ont besoin parfois aussi de formes réduites pour pouvoir plus aisément quantifier et modéliser.
Pourtant, loin de clarifier la chose, le like, symbolisé plutôt par un cœur ici que par un pouce, réduit à une démarche d’adhésion. On va donc additionner les likes également chez Twitter. La recherche du like va-t-il devenir un nouveau buzz, un nouveau moyen financier pour les marques, le marché des likes de facebook va-t-il être concurrencé par celui de twitter ?
On retrouvera néanmoins toute l’ambiguïté habituelle qui existait sur les « fav ». Favoriser un tweet, signifie plusieurs possibilités : celle classique du read it later des signets sociaux, celle de la conservation à des fins ultérieures parce que le fav s’inscrit dans une collecte, celle de favoriser parce qu’on aime vraiment…ou bien parce que c’est tellement emblématique du tweet catastrophique qu’on le collecte aussi. C’est le cas classique du mélange des différents sens du like, entre le like d’adhésion et le like de dérision.
Étoiler un tweet de nadine morano ne signifie pas qu’on adhère forcément. On hésitera sans doute plus à lui mettre un cœur !
Du coup, dans cette réduction, on est encore dans une logique qui vise à ne pas se poser vraiment la question du sens, mais plutôt à privilégier celui du calcul… Il est facile de calculer le tweet qui cumule des likes, de la personne la plus likée, du type de message likée, à quelle heure il y a le plus de likes, etc. On peut facilement derrière réaliser de nouveaux indicateurs et calculs. On est donc encore loin du web de données et même pas au niveau de polemictweet qui offre un début d’ontologies d’une controverse du tweet.
On veut gérer le + mais on ne veut pas trop gérer le moins, le terrible bad buzz, et encore moins la complexité des interactions. Pourtant, twitter est une sphère de controverse, d’affrontements, de débats, de désaccords, de précision.
C’est justement dans ce cadre qu’on attendrait de plus amples développements notamment pour aller au-delà d’un binarisme classique.
On reste dans le phénomène du loft qu’on a voulu assagir. On devait choisir qui on voulait éliminer initialement: le dislike, finalement le CSA avait encouragé au Like à l’inverse. Il est vrai qu’on est désormais tous dans le loft et qu’on ne peut plus en sortir.
Pourtant, ce refus du dislike pose problème. Il est pourtant important et parfois utilisé au niveau politique : le referendum en est la plus simple expression même si on confond souvent celui qui pose la question avec la question elle-même. La possibilité de voter entre accord, mitigé et désaccord lors du projet de loi sur le numérique est plus intéressante. Cependant, le dislike n’existe pas non plus quand il faut voter pour des candidats et des partis. Pour autant, un vote qui serait basé sur une plus grande complexité entre le like et le dislike pourrait constituer véritablement une alternative face à l’aporie like/dislike surtout en ce moment où on a quand plus envie de disliker que liker au niveau politique. Si on veut résoudre l’abstention, qui est le seul dislike possible finalement, il faudrait intégrer du dislike dans le processus électoral et législatif.
Alors, que va-t-on faire de ces cœurs avec adresse (cœur sans adresse est un tube éphémère des années 80°) ?
J’avoue que j’aimerais bien quand même pouvoir réaliser des cartographies des likeurs mais aussi des dislikeurs. On a besoin d’un dislike type schtroumpf grognon et pas seulement de mettre en avant le bisounours avec le cœur.
Pour plaisanter, j’ai lancé rapidement un tweet sur la nouveauté proposée par twitter : le like sur twitter produira-t-il des reliques ?
J’avais posé la question de que faire de ces likes sur twitter dans quelques années, au moment où certaines voix s’élèvent pour dire que l’archivage des tweets par la bibliothèque du congrès est voué à l’échec….
Ce qui n’était qu’un jeu de mots me semble en fait assez pertinent après réflexion car la relique est justement ce qui reste (voir l’étymologie reliquus, « qui reste ».), c’est le reliquat en quelque sorte. Et c’est là au final que c’est dommageable en effet, car ce qui va rester au final, c’est bien le nombre de likes accumulés. Avec un peu de chance, seront conservés les tweets ayant reçu le plus de likes. Du coup, au bout de plusieurs années,on pourra à nouveau aimer et faire aimer les tweets les plus likés.

Nos reliques seront alors surtout des relikes…

twitter ou la veille « personnelle »: prendre soin plutôt que de surveiller

La veille change et de plus en plus ce ne sont pas seulement des mots-clés voire des sites que nous surveillons mais bel et bien des personnes. Twitter en est l’exemple le plus flagrant de ce déplacement. Ce qui peut sembler comme je l’ai parfois qualifié de communication klean-ex s’avère en fait bien plus riche et correspond à une vision non pas à la big brother mais plutôt à la little sister où chacun surveille tout le monde tout en étant lui même surveillé par les autres. Mais il faut sortir de la logique de la surveillance et aller dans une autre direction qui correspond davantage à l’inscription de l’individu dans un collectif qui lui permet à la fois de se valoriser personnellement (individuation) et de participer au travail collectif. Un exemple intéressant est représenté par les réseaux de signets type diigo, delicio.us ou ma.gnolia qui permettent ainsi de partager sa veille avec le plus grand nombre.
Dès lors, pour reprendre l’expression de Bernard Stiegler, il s’agit de « prendre soin », ce n’est pas de la veille type surveillance qu’il faut mettre en place, mais de la confiance et de la mise en valeur. En quelque sorte, c’est là que réside la différence entre la culture de l’information de type citoyenne ou éducative par rapport à la vision « intelligence économique » : la confiance plutôt que la défiance. Un travail peu évident car notre époque est profondément marquée par la guerre froide et la lutte contre le terrorisme. Dans ces conditions, l’autre est souvent synonyme de danger ou de méfiance. Aujourd’hui si pronétariat, il y a vraiment, il s’agit pour ce dernier de travailler à la création de valeur et de veille. Et c’est bien cette dimension qui peut permettre aux réseaux d’être véritablement sociaux.
Les personnes de mon réseau twitter ne sont pas des personnes que j’espionne mais des contacts que je mets en valeur, que je distingue et dont il « faut prendre soin » d’écouter et parfois de prendre soin tout court. Désormais ce n’est pasnotre seul valeur qui est prise en compte mais bel et bien la force de mobilisation de notre réseau.
La visualisation obtenue est réalisée via le site neuroproductions et son application 5ktwitter browser.