Les recommandations du CNRS où l’aporie institutionnelle?

Hervé Le Crosnier signale sur la liste rtp-doc ainsi que sur biblio-fr une mise en garde du CNRS quant à l’usage de services gratuits notamment liés au web 2.0 et à Google. Il est vrai que la gratuité est souvent un leurre et ce n’est pas une nouveauté. Notre article sur le web 2.0 mentionnait déjà ce côté obscur.
Il faut utiliser nos adresses institutionnelles et nos espaces institutionnels, voilà quelle serait donc la solution miracle!
Une nouvelle fois, cette remarque rejoint celle qui est souvent faite aux étudiants à qui on reproche d’utiliser leurs adresses personnelles. Ces dernières étant parfois farfelues, il est vrai.
Néanmoins tout cela procède d’une analyse qui me semble insuffisante et surtout qui ne perçoit pas des changements de paradigmes importants qui se font au détriment de l’institution.
D’une part, les étudiants ne vont pas garder leur adresse de l’université plus de 2 -3 ans en moyenne ce qui n’incite guère à utiliser celle de l’institution très souvent laide et inefficace. Il faudrait alors utiliser un logiciel de messagerie pour améliorer la qualité de service vous répondent les informaticiens de l’université. Pourquoi faire? Le logiciel de messagerie c’est tout simplement dépassé à moins de ne travailler tout le temps sur la même machine en espérant que le disque dur ne tombe pas en rade sous peine de tout perdre. A moins également que vous ne disposiez d’un formidable portable conçu pour durer qui vous permet de vous connecter partout. Seulement le document du CNRS nous met également en garde sur les diverses connexions en dehors des lieus sécurisés. Bref, c’est une logique de pantouflard voire de paranoïaque qu’on nous impose !
La solution de redirection pourrait constituer une bonne solution ce que je fais d’ailleurs moi-même mais reste sujet à critique car vous useriez encore d’un prestataire privé. Pour ma part, je n’écris jamais sous l’adresse de mon académie tout simplement parce que je sais que je vais en changer bientôt et qui si je l’utilisais régulièrement actuellement, je deviendrais « inconnu à cette adresse » l’année d’après. De plus, gmail me permet de stocker des mails et des données depuis plus de deux ans et c’est une formidable avancée d’autant que vous pouvez y accéder depuis n’importe où. Tandis qu’avec votre mail institutionnel, vous avez perdu la plupart de vos anciens mails car vous les avez mal archivés et qu’il a fallu faire le vide car vous êtes limités en espace de stockage. Les ENT ont permis quelques progrès néanmoins mais c’est insuffisant.
Finalement, le choix est rapidement fait. Google a des défauts, gmail est fliqué et il est vrai certains utilisateurs l’ignorent. Mais quelle confiance accordons nous aux services de l’institution ? Ne sommes-nous pas également surveillés ? Il nous semble évident que les élèves et les étudiants ont moins confiance dans les solutions de l’institution que dans les grands groupes comme Google, Yahoo ou Msn. Ils ont sans doute tort mais c’est un fait. De plus ces derniers rendent des services sans être trop contraignants en apparence tandis que l’institution met sans cesse des restrictions d’usage et des restrictions techniques. D’ailleurs peut-on reprocher à des étudiants et à des fonctionnaires d’utiliser des services plus performants car force est de constater que l’institution n’est pas toujours au niveau loin de là. Les projets sont longs à monter du fait de la hiérarchie et des circuits divers et variés d’incompétences techniques et politiques. La perte de confiance est d’autant plus forte que trop souvent les bâtiments de l ‘université ou les établissements scolaires sont laids, délabrés. Et le moins qu’on puisse dire c’est que rien n’incite au sentiment d’appartenance parce qu’une adresse électronique c’est aussi cela. Peu d’étudiants sont en fait fiers d’appartenir à telle ou telle université française. A-ton envie d’envoyer des mails mentionnant son appartenance à une université qui vous annonce votre réussite à un examen sur un papier prêt à tomber au sol ? Et puis allons droit au but, beaucoup d’entrepreneurs apprécient autant une adresse mail qui ne vient pas rappeler les derniers mouvements sociaux qui viennent d’agiter votre université de formation.
Certes le document du CNRS mentionne le fait qu’ « Aux responsables des systèmes d’information, il est rappelé que la meilleure façon d’éviter que les utilisateurs ne soient tentés de recourir à des services externes est de fournir en interne un service de qualité. »
Seulement il est certes bon d’inciter à, mais le document demeure dans des logiques contradictoires devant concilier à la fois sécurité et innovation.
Certes Google nous file, mais que dire de l’institution qui nous fait sans cesse remplir des tonnes de dossier, nous faisant redonner sans cesse les mêmes informations. En tant que fonctionnaire, je ne compte plus les heures passées à remplir dossiers, autorisations de cumul et autres paperasseries lassantes. Qu’on ne s’étonne pas au final si on préfère passer par Google que par l’institution qui semble autant fliquante voire plus que Google sans parler de l’efficacité car il n’est pas rare que les mails ne parviennent pas à leur destinataire pour des raisons de sécurité informatique qui sont surtout autant de raison pour repousser sans cesse l’innovation. Il est évident que les informaticiens de l’université ne sont pas ceux qui travaillent chez Google. Les salaires et les compétences sont aussi différentes.
Dès lors, les recommandations ne suffisent pas et j’avais déjà mentionné ce fait à Formist l’an dernier, l’institution doit se doter de services au moins équivalents à google et compagnie. Pourquoi ne pas imaginer une adresse unique pour les fonctionnaires pouvant être couplée avec une adresse correspondant à leur emploi du moment mais qui permettrait de garder la même boîte au fil de leurs mutations ? Pourquoi limiter les espaces de stockage ? Qu’est-ce qui empêche les universités de mettre en place des services du type web 2.0 ? Certaines le font comme à Paris V.
Nous l’avons dit, la solution n’est pas que technique mais la mise en place de solutions innovantes dans le cadre de réflexions est inévitable. Il s’agit de redonner confiance dans l’institution, pour cela il ne suffit pas de recommander, il faut agir. Il faut agir en étant proactif et pas seulement par mimétisme ou adaptionisme. Confiance et sentiment d’appartenance ne sont pas non plus des vains mots et il serait temps que l’institution s’interroge sur ce plan.
Il en va de même d’ailleurs pour la signature scientifique des chercheurs. J’aurais du être chargé d’une mission de ce type pour la Bretagne, seulement les blocages institutionnels ont empêché mon arrivée à ce poste malgré une réussite à un entretien. Pas vraiment de quoi donner confiance en l’institution. Qu’on ne s’étonne pas de ce fait que je continue et que je continuerai à utiliser les services de Google en dépit des défauts que je dénonce également. Mais comme beaucoup d’internautes, j’ai parfois plus confiance en Google qui me rend bien plus de services qu’en une institution dont la tournure kafkaïenne ou ubuesque ne cesse de lasser. Et l’institution ce n’est pas seulement les dirigeants, c’est nous tous. Une critique envers une institution impalpable où nul ne serait concerné serait trop facile : nous le sommes tous.
Les enjeux sont importants à l’heure où la popularité prend le pas sur l’autorité notamment sur le web, l’institution se doit de réagir et de « proagir ». La prévention ne suffit pas. A moins que nous appartenions tous demain à une nouvelle institution…Google…

4 réflexions au sujet de « Les recommandations du CNRS où l’aporie institutionnelle? »

  1. Pour ma part j’ai trouvé les recommandations du CNRS justifiées. Certes, il est aussi justifiable d’utiliser des services externes lorsqu’elles ne sont pas disponibles en interne.
    Car le problème n’est pas tant d’utiliser des services gratuits que d’utiliser des services externes et donc « hors de contrôle ». Ce document permet de sensibiliser ceux qui n’ont pas conscience des risques pris lors de l’utilisation de tel service et en cela je trouve ce document très intéressant et je ne serai pas étonné qu’il soit distribué lors de formation dont le thème touche de près ou de loin le web. L’ère numérique offrent beaucoup de changement et il est important de l’accompagner.
    Lorsque l’on connaît bien son sujet, ces recommandations s’avèrent trop contraignantes, c’est vrai. Mais dans la masse des lecteurs, il n’est pas dit que la majorité soit initiée 😉

  2. Elles peuvent l’être mais très franchement les problèmes de sécurité existent déjà en intra avec les mots de passe date de naissance et ceux inscrits sur les post-it.
    De plus cela ne règle pas le problème et provoque le risque de considérer que tous ces nouveaux services sont dangereux et que ceux qui les utilisent le deviennent aussi finalement.
    Bref, ça n’incite pas vraiment à l’innovation et cela ne fait que conforter les immobilistes.

  3. Personnellement, en tant qu’étudiant je n’ai jamais utilisé d’adresse institutionnelle, pas plus qu’en tant qu’assistant pédagogique je ne me suis créé d’adresse académique… Pourquoi faire ? C’est pénible et contraignant, et bien sûr comme vous le dites, éphémère. Il est vrai aussi que des adresses mails, j’en ai bien 5 d’utilisation régulière, chacune étant allouée à certaines activités : il est donc évident que pour des courriers officiels, j’ai une adresse tout à fait « présentable ».
    Le seul bémol que je viendrais porter à votre analyse, c’est que les logiciels type outlook ou thunderbird permettent de stocker et classer les mails, déchargeant ainsi les boîtes mail en ligne, et donnent la possibilité d’enregistrer un fichier regroupant tous les mails reçus : ainsi, il m’arrive « d’emmener » avec moi tous mes mails et de les importer dans une nouvelle machine. Nomadisme et logiciels de courrier ne sont donc pas incompatibles. Ce n’est que très peu contraignant et donne un confort de consultation bien plus grand que les boîtes en ligne.

  4. Le SaaS, en français le LcuS ou encore le logiciel comme un service est assez porteur mais assez mal compris, vu comme dangereux sous un certain angle mais plus facile, moins contraignant vu sous d’autres angles. Une belle histoire débute par: laissez venir à moi les petits enfants, puis on invite des gens à la noce, on fait des miracles. Des suiveurs mettent tous cela dans des textes fondateurs. Et en se retrouve avec l’inquisition, la chasse aux sorcières, la gabelle, les Caves du Vatican, les républiques de culture monothéiste. Des civilisations comme celles des Mayas, Égyptiens, Perses, Chinois et d’autres très évoluées ont été englouties par des des émergences au départ de culture plus rudimentaire. Les historiens ont la tâche difficile de retracer les événements qui se sont déroulés. La société très sophistiquée de Pythagore a été balayée par les Sybarites. L’activité scientifique a été suspendue pendant de long siècles après l’avènement de l’idéalisme platonicien. L’intention est toujours bonne, celle qui vient de ceux qui se lassent du poids d’une vieille culture et de ses pesanteurs sociale. Passé la révolution vertueuse de nouveaux systèmes pernicieux se reconstruisent, encore plus efficaces que ceux qui avaient été contenus auparavant. Celui qui a accès au savoir, même s’il n’absorbe pas tout ce qu’il pourrait savoir – ce qui est matériellement impossible pour un cerveau humain – détient une part de pouvoir, d’autant plus qu’il accède à de nouveau savoirs à son rythme et selon ses besoins, et de plus s’il peut communiquer avec d’autres plus agiles à explorer certains savoirs, il se contentera d’en profiter – si vous avez une rage de dents, vous n’imaginez pas faire des études de dentiste, d’ailleurs les dentistes se soignent rarement les dents eux-mêmes. La socialisation n’est pas un but en soi d’Homo Sapiens, Homo Sapiens n’est pas un animal social comme par exemples les termites. L’Homo Sapiens établit des rapports de confiance par souci d’économie. On peut même collaborer avec son ennemi pour garder en état minimal des ressources communes, même les pires instigateurs de génocides savaient cela. Il faut accorder de la confiance, la paranoïa mène à l’isolement. Mais il faut déterminer sa confiance en fonctions de choix raisonnés. Le capital confiance a une valeur étrange, trop bien éclairé, ébloui même le confiant se retrouve prix au piège de la dépendance. Beaucoup de communautés admettent qu’ont puisse les quitter. Un amant qu’on quitte peut vous tuer, cela ne fait qu’un mort prématuré de plus. Certaines communautés ne se laisse pas abandonner très facilement. Mais on croit toujours aux vieilles légendes des auberges gratuites. Si vous êtes hébergé gratuitement, logé, nourri, blanchi ne trouvez vous pas cela un peu trop beau. Ou alors le paradis existe, dans ce cas vous êtes mort.
    Pour Internet, rien ne change c’est comme dans les vieux contes de la Grand-Mère l’Oie. Le Numérique existait bien avant l’apparition de Homo Sapiens sur cette Terre.
    Prosaïquement, avant de déposer armes et bagages dans une auberge gratuite, demandez au tenancier quelles sont les conditions de départ avec bien sûr la totalité de vos armes et bagages dans l’état initial.

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