Les 20 ans du guide

20 ans. Déjà 20 ans que ce site devenu blog a vu le jour. Au départ, une idée alors que je passe le concours de bibliothécaire territorial à Vannes. Je réussis les oraux avec une certaine confiance et insouciance. Je lance alors le projet avec un premier texte. Je raconte un peu ça dans le billet pour les 10 ans.

En 1999, je ne sais pas encore que je viens de m’engager dans un labyrinthe passionnant mais peuplé de minotaures et de créatures diverses.

20 ans après finalement j’y suis encore, mais sans en être prisonnier. Au moins, dans mes écrits. Pour le reste, les minotaures et les impasses sont toujours là par contre.

Photo by Kristian Strand on Unsplash

Le projet a suivi mes pérégrinations professionnelles. Il a été autant un laisser-passer qu’une fin de non recevoir.

Désormais, il doit figurer au mieux parmi les banalités, au pire parmi les éléments has been d’une existence.

Il est vrai que l’évolution place désormais les objets digitaux de ce type entre l’article scientifique de supermarché et l’instrument d’indignation permanente. J’en parle un peu dans Riposte digitale.

Le blog n’est plus mon objet d’écriture préféré. C’est indéniable et ça se constate probablement quantitativement aussi.

Je préfère de loin écrire des articles de recherche, voire des articles professionnels quelque peu décalés pour InterCDI. Peut-être faut-il imaginer une nouvelle prose pour ces vingt années ou vaines années. Je ne sais plus vraiment.

Les travaux de plus grande ampleur m’intéressent désormais bien plus, même s’il n’est pas certain qu’ils soient nettement plus lus. Surtout, il est parfois difficile de trouver un éditeur. Je travaille actuellement sur un projet qui n’a toujours pas d’éditeur. Disons qu’il aurait dû en avoir un… mais le directeur des publications en a décidé autrement. J’avais dû vendre trop d’exemplaires du précédent (je plaisante à peine…)

J’ai encore des projets de fiction en cours. Mais souvent faute de temps et de temps mental pour m’y investir, ils n’avancent pas…

20 ans après. D’Artagnan a vieilli finalement. Je suis prêt par moment à raccrocher la plume digitale qui a sévi ici, pour fermer définitivement les lieux. En tout cas, je crois que Le Guide des Egarés est clairement plus proche de la fin que des débuts.

Les savoirs ont évolué, mais les pouvoirs n’ont pas vraiment changé.

Parution de Riposte Digitale, pour des maîtres d’armes des réseaux.

Une petite nouvelle. J’ai le plaisir de publier chez Publie.net à nouveau. Mais, il ne s’agit pas d’un roman ou de nouvelles comme les fois précédentes, mais d’un essai.
En pleine coupe du monde de Rugby, vous ne pourrez qu’admirer l’astucieux timing.
L’essentiel du texte a toutefois été écrit en 2018, quelques mois avant certains évènements politiques, climatiques et médiatiques.
Il est toutefois possible que l’ambiance informationnelle depuis un an rende finalement plus facile la lecture de l’essai, ou en tout cas lui donne une plus grande acuité. Mais ce n’est pas à moi d’en juger.
L’équipe Publie.Net a fait un travail remarquable de relecture, de corrections ainsi que de discussions autour du texte. Le document final me semble séduisant à plus d’un titre. Je remercie donc particulièrement Philippe Aigrain, Benoît Vincent, Guillaume Vissac et Roxane Lecomte pour ce travail indispensable qui fait d’un livre une aventure collective et qui fait de mon essai, une véritable transformation.

De quoi ça parle ?
Et bien, j’ai choisi de présenter un texte qui défend l’idée d’une nouvelle maîtrise des savoirs notamment en régime digital, si je puis le qualifier ainsi.
Sportivement parlant, la riposte, nous place plutôt dans l’escrime que dans rugby et fait songer aux différentes parades qu’il convient de maîtriser. Justement, cette maîtrise d ‘armes renvoie selon moi à des enjeux surtout informationnels.

Mais je n’en dis pas plus… non pas que je veuille botter en touche, mais la présentation de l’éditeur vous donne déjà un aperçu des contenus :
Il est aberrant de considérer que la connaissance et l’ensemble des savoirs étant directement accessibles, il n’y aurait plus qu’à s’y plonger à l’envi. Nous avons d’autant plus besoin de maîtres dans ce libre accès que nous sommes passés de l’arbre au labyrinthe, d’un monde où les savoirs étaient classés et contrôlés par des autorités traditionnelles à de nouveaux mécanismes. Il ne s’agit pas de juger négativement les évolutions en cours, mais de veiller à ce que les clefs d’accès soient conférées au plus grand nombre afin que l’accès technique soit corrélé avec l’accès intellectuel. En ligne, faut-il être partout ? Quel type de réseaux sociaux faut-il privilégier ? Quelle présence régulière ? Quels buts ? Comment s’armer face aux bouleversements des mondes connectés ? Plusieurs pistes dans cet ouvrage de référence pour devenir maître d’armes des réseaux.

Si vous voulez sortir un peu de la mêlée et éviter les plaquages informationnels, ce livre est pour vous.

Parution officielle le 2 octobre dans toutes vos librairies préférées. Vous pouvez déjà précommander notamment sur Publienet.

L’université à (a?) la marge

Un récent article des échos se fait justement “l’écho” d’un rapport de l’inspection des finances à l’égard de la gestion des universités. On n’en sait pas grand-chose, mais on a des aperçus des contenus du rapport. Et ce n’est pas vraiment rassurant.

Il faut savoir que depuis l’autonomie relative des universités, l’essentiel, que dis-je, le plus qu’essentiel du budget passe dans les masses salariales. L’état a prévu d’allouer aux universités des sommes leur permettant de faire face à ce budget, mais sans intégrer le fait que les salaires augmentent avec le jeu des échelons. Les universités ne pouvant que difficilement prendre en compte ces progressions salariales sont généralement contraintes à geler des postes, hésitant entre congélation (le poste est gelé un, deux ou trois ans, mais réapparaît), cryogénisation (le poste hibernatus sous la promesse un jour de réouverture) ou destruction à l’azote liquide. Si ces pratiques permettent de tenir tout juste les comptes sans être trop déficitaires, cela ne règle pas les problèmes avec des conditions de travail qui obligent à répondre de plus en plus à des cadres et règles nationales qui augmentent le travail administratif, la refonte incessante des maquettes pour des raisons de contrat quadri ou quinquennal. Je ne rentre pas dans le détail de nos logiques de performance de recherche, avec la nécessité de trouver des financements et de publier suffisamment pour les obtenir, à moins d’avoir des relations bien placées (ce plan fonctionne mieux en local qu’aux niveaux nationaux ou internationaux). Bref, sans vouloir vexer nos anciens collègues, un enseignant-chercheur travaille en général bien plus qu’avant et dans des conditions de pression plus grande. Cela dit, on bénéficie encore de formes de liberté qui m’ont fait choisir ce métier que je continue d’apprécier. Le contexte étant désormais celui de la promesse d’une retraite dégradée après la fin de carrière, ce qui n’est probablement pas si choquant, mais qui va l’être encore plus si on touche aussi aux salaires. Ce qui me gêne, c’est que des retraites d’anciens enseignants-chercheurs puissent être largement supérieures à un salaire d’enseignant-chercheur en activité. Mais là où la crainte commence à se faire jour… c’est justement sur les salaires, car là se situe la fameuse marge de manœuvre évoquée. En clair, si les pratiques polaires de gestion des ressources humaines sont insuffisantes, pourquoi ne pas les appliquer à l’échelle des salaires ? C’est l’âge de glace universitaire en plein réchauffement climatique. Il suffit alors de supprimer la progressivité automatique et de lui substituer une progressivité rallongée, liée à de la performance, voire de fonctionner qu’en mode primes de performance. Généralement, les primes de performance sont attribuées à 20 % de l’ensemble, un peu sur le modèle de la recherche avec la PEDR. Évidemment, qui dit primes, dit indicateurs et juges. Un beau bazar et un nouveau gain de pouvoir pour l’administration de la recherche… qui va devenir gestionnaire des marges réalisées. Depuis le début des périodes de réforme, la tentation a été de refuser tout en bloc et en se faisant au final tout imposer, et en gérant au mieux sur le terrain. J’ai toujours été persuadé qu’il fallait non seulement négocier, mais proposer d’autres pistes. Aujourd’hui, l’université est à la marge, car elle n’est pas prioritaire dans les budgets, ce qui l’oblige clairement à aller chercher de plus en plus de fonds ailleurs que dans les seuls fonds publics ou tout moins de l’État. Les recettes classiques sont connues (augmentation des frais d’inscription par exemple), mais elles ne sont pas garantes de quoi ce que ce soit. L’Université est aussi à la marge, car elle est peu consultée dans les décisions politiques, peu présentes dans les médias en général sauf pour porter des discours assez caricaturaux parfois, ou bien réduite à des temps de parole qui ne laissent entrevoir que des morceaux d’une pensée systémique pourtant plus complexe.

Un exemple de « marginalia » Dessin de marginalia par Hans Holbein dans la première édition, d’éloge de la folie, d’Erasme. 1515 (Bâle). source :en:Image:HolbeinErasmusFollymarginalia.jpg

Il reste pourtant des grosses marges. Parmi elles, il y a certainement l’enjeu d’aller récupérer réellement des sommes des crédits impôts recherche en permettant aux universités et au monde universitaire de fixer les règles du jeu. On peut aussi considérer que cette menace sur les salaires constitue une opportunité pour regarder les différents statuts qui exercent au sein de nos établissements et d’y poser les bases d’une remise à plat en plaidant notamment pour un vrai statut de chargé de cours d’une part, et de s’interroger sur la légitimité des statuts éloignés de toute forme de recherche. En tout cas, il est temps pour les “marginaux” que nous sommes de se mettre à la page, si on veut reprendre la main sur le paysage de la recherche. Car nombreux sont ceux qui veulent nous ventiler façon puzzle après passage à la broyeuse à moins qu’un destin en carbone modifié nous attende.

Livre gratuit. Téléchargez Hot et Steam.

J’ai le plaisir de vous offrir en ce premier août le roman que j’avais auto-édité et mise en ligne sur la plateforme d’Amazon : Hot et Steam.
Rédigé il y a cinq ans durant l’été en quelques jours, je l’avais mis rapidement en ligne.
Il est temps de le libérer financièrement après quelques corrections.
Vous pourrez donc le lire sous format pdf, mobi, epub, et azw3.

Tout est disponible en téléchargement ici.
Le bouquin est dédié plutôt à la détente et est sans prétention.
Voici le résumé :
Londres, à la toute fin de règne de Victoria, la jeune et intrépide Lady V. est en quête d’aventures et de romance. Alors qu’elle rêve de combattre des ennemis en chair et en os, elle est confrontée à un adversaire bien plus coriace : un démon qui semble bien décidé à éliminer toute la nouvelle société digitale présente à la soirée du célèbre baron, créateur du réseau social le plus en vue. Dans une atmosphère steampunk où les nouvelles technologies bouleversent la fin de l’ère victorienne, Lady. V tente d’éviter le pire pour profiter du meilleur. Meurtres étranges, personnages haut en couleur, fantômes malfaisants, inventions improbables, hot et steam est un cocktail explosif qui ne demande qu’à vous séduire.

Bonne lecture. Si vous voyez encore des coquilles, n’hésitez à le signaler.

couverture hot et steam
Mon dernier roman en mode steampunk désormais gratuit.

L’annoter, l’annoter !

C’est parti pour l’expérimentation OpenEdition avec Hypothes.is.

J’ai la chance avec les Presses de l’Enssib de faire partie de l’expérimentation avec l’ouvrage « la documentation dans le numérique » qui est accessible gratuitement dans sa version web. Cette version permet la possibilité de produire des annotations via le logiciel hypothes.is qui est simple d’utilisation et qu’on va donc pouvoir utiliser ensemble pour produire une série de commentaires, de discussions, de débats, de controverses sur l’ouvrage que j’ai écrit. L’expérience est organisée par Open Edition. Vous pouvez retrouver plus de détails sur le billet consacré au sujet.

Comme il s’agit d’une expérimentation avec un dispositif, je me suis engagé à être animateur de communautés de l’expérimentation en répondant à tous les commentaires et annotations produites et en réalisant si besoin des bilans et des synthèses.

Le logiciel hypothes.is est pratique et simple. Si vous êtes utilisateur de signets sociaux, vous allez pouvoir retrouver des similitudes. Il vous faudra créer un compte sur la plateforme qui est en open source. Vous pourrez y retrouver toutes vos annotations car il est possible d’annoter tout ce qui est disponible sur le web de façon privée ou partagée. N’oubliez donc pas de publier vos annotations sur la documentation dans le numérique en mode public  et surtout dans la partie qui concerne le groupe des Presses de l’Enssib ! Open Edition m’a transmis gentiment cette capture explicative.

 L’objectif est de pouvoir rajouter une couche supplémentaire à mon livre et de pouvoir construire quelque chose de nouveau. Reste à savoir exactement quoi, mais j’essaierai d’en tirer quelques conclusions, et ce d’autant qu’on va rentrer dans une phase où l’annotation va être pratiquée de façon plus fréquente dans les cursus et les travaux. Et puis si vous avez connu, la grande période de Pédauque, vous ne serez pas dépaysé.

J’espère pouvoir retirer de cette expérimentation des idées, mais aussi une communauté mobilisable pour le projet HyperOtlet qui contient une part de commentaires et d’annotations également.

Désormais, c’est à vous de jouer.

La question de l’anonymat et la crise de l’autorité.

J’avais dit que je ne réagirais pas sur l’actualité, mais je le fais aujourd’hui de manière distancée sur une question récurrente en ce qui concerne l’anonymat sur les réseaux.

Cette question est trop souvent mal posée, sur un angle parfois simpliste qui consiste à considérer que l’anonyme est celui qui commente sans s’engager personnellement, et qui profite de son anonymat (relatif) pour écrire les pires horreurs en se pensant à l’abri d’une action en diffamation.

Il est alors tentant d’envisager une plus grande régulation… qui passerait par des vérifications d’identité ou des obligations de déclaration d’identité.

Je suis plutôt pour conserver les possibilités multi-identitaires du web comme principe de base. La transparence totale me paraît très problématique et peu propice à générer une diversité d’usages. Elle apparaît aussi risquée à plus d’un titre. J’avais déjà montré par le passé que même au sein de l’Education Nationale, on n’osait plus rien dire, notamment du temps où sévissait un directeur omnipotent à la Dgesco.

D’autre part, il me semble que l’anonymat de base ne signifie pas qu’il soit impossible d’échapper à la loi. On peut porter plainte contre un anonyme ou un pseudonyme. L’enquête de la justice parviendra peut-être à condamner l’intéressé si besoin est, et si elle parvient à retrouver l’identité principale. Ici, restent en suspens les possibilités techniques, éthiques et législatives de ce type d’action. 

Mais le problème principal vient selon moi d’une poursuite de la crise de l’autorité qui s’est développée rapidement sur le web, mais qui est en fait une circonstance assez logique de la démocratisation de nos sociétés et de nos interfaces. J’en avais parlé en 2006 en montrant que la crise allait s’accentuer avec les nouveaux usages sur le web. J’étais reparti des travaux d’Hannah Arendt notamment ainsi que de sa définition :

«Le mot auctoritas dérive du verbe augere, «augmenter», et ce que l’autorité ou ceux qui commandent augmentent constamment, c’est la fondation. Les hommes dotés d’autorité étaient les anciens, le Sénat ou les patres, qui l’avaient obtenue par héritage et par transmission de ceux qui avaient posé les fondations pour toutes les choses à venir, les ancêtres, que les Romains appelaient pour cette raison les majores». (Arendt, la crise de la culture, 1989)

L’autorité permet justement d’asseoir une légitimité décisionnelle sans avoir recours à l’autoritarisme. Elle ne souffre pas de contestation.

Notre période politique montre bien cette volonté de contester les autorités même démocratiquement élues. On néglige à mon sens trop souvent que certains contestataires souhaiteraient substituer aux élus, une autorité différente. La référence au pouvoir militaire est souvent présente dans les discours, comme s’il fallait mettre en place une nouvelle autorité possédant une force armée pour ne plus être contestée. C’est malgré tout, un classique en démocratie, lorsque sa remise en cause aboutit à un totalitarisme dont les sources et l’énergie motrice sont clairement la haine des autres et leur désignation comme boucs émissaires.

Désormais, la question de l’autorité auctoriale est également en déclin. La plupart des messages sur les réseaux sociaux ne sont pas nécessairement produits sous une identité reconnue, on oscille plutôt entre pseudonymat et anonymat. On est clairement dans une logique distincte de l’autorité d’auteur au sens de celui fait œuvre.

Cette volonté régulière de dénoncer l’absence d’auteur renvoie au fait que cela détériore quelque peu la qualité de la source du message puisqu’il ne s’agit que d’une opinion qui repose a priori sur un pedigree difficile à évaluer.

Si régulièrement journaliste, politique ou intellectuel en vient à dénoncer cette logique d’un anonymat sans contrôle pour de plus ou moins bonnes raisons, cette question est évidemment la base du travail des services de renseignements, et ce depuis fort longtemps, et ce parce qu’avant les réseaux sociaux les publications sous pseudonymes ont toujours été monnaie courante, particulièrement sous des périodes difficiles, voire hostiles. Sur ce point, je renvoie à ce fameux ouvrage d’Adrien Baillet… qu’il signe sous le nom d’A.B…

Mais ce retour à la nécessité de l’autorité est un exercice sur lequel travaillent avec une certaine assiduité les leaders du web que sont Google ou Facebook notamment en ayant cherché à plusieurs reprises à limiter les identités annexes ou dissimulées, et ainsi pouvoir rattacher à des productions des identités dans un processus classique d’attribution de métadonnées à une ressource. Le réseau Google + visait à reproduire le modèle Google Scholar des profils de chercheurs à une échelle plus grande.

Les logiques de centralisation cherchent à garder non seulement un contrôle sur le contenu diffusé par des logiques de plateformes, mais également à veiller à ce que ces contenus puissent être rattachés à des « autorités » qui sont en fait ici des profils, mais qui correspondent aux « autorités » ou notices d’autorités telles qu’on les utilise dans nos systèmes documentaires.

Ce qui fait donc fantasmer les différentes instances (institutions traditionnelles et grandes plateformes décisionnelles de nos existences), c’est justement de pouvoir réaliser une identification fine de nos activités et productions, voire de pouvoir rassembler nos différentes identités. Pour cela la recherche de l’identifiant unique reste le Graal absolu. Élément pratique en apparence puisqu’il évite les multiconnexions, il peut s’avérer aussi un instrument de suivi. Un pharmakon en quelque sorte. Une nouvelle fois, ces questions ont déjà été envisagées au niveau scientifique. J’étais très favorable à un identifiant unique des chercheurs. Il existe désormais avec Orcid, mais d’autres tentatives ont été également amorcées et il n’est pas vain de se demander si le profil Google Scholar ne peut pas également en constituer un.

Nos adresses mail et IP font partie de ces données personnelles qui peuvent constituer des formes d’identifiant majeur. Désormais, le numéro de téléphone portable apparaît comme de plus en plus clef sur ces aspects.

Cela nous oblige à repenser nos existences au travers de nouvelles « propriétés » au sens de possessions, mais surtout au sens de qualités (eigenschaften) pour mieux nous définir et nous projeter dans les espaces semi-publics du web.

Je précise également, mais je le disais déjà dans du Tag au Like, que les instances de contrôle de nos existences comme Google et Facebook fonctionnent sur la popularité et qu’ils cherchent à renforcer leurs mécanismes de productions d’autorités avec des profils optimisés… ce qui suppose parfois aussi des classements voire des hiérarchies.

Au final, la situation est clairement celle d’une crise des autorités dans tous les sens du terme. Mais elle était totalement prévisible, et ce d’autant que la différence ancienne et déjà discutable entre réel et virtuel n’existe plus.

Nous sommes donc en déficit d’autorités sur plusieurs plans :

– au niveau institutionnel, notamment parce que depuis les premiers mythes du web, nous ne sommes pas parvenus à développer une démocratie participative efficace. Le reproche en est fait actuellement à la classe politique au pouvoir.

– au niveau des expertises. Sur ce point, règne une grande confusion, avec des tribuns médiatiques qui sont parfois des médiocres scientifiquement, voire purement et simplement des escrocs. S’en suit un mélange des genres entre opinions et analyses qu’il est souvent difficile de départager. La critique des médias se nourrit de ces dysfonctionnements, tout en produisant des visions encore plus idéologiques et doctrinaires que les médias qu’elle critique.

Une des critiques classiques du web et des interfaces numériques est qu’ils ont tendance à tout aplanir et à donner l’impression que tout se vaut.

C’est ici que se situe probablement cette tension entre popularité et autorité, et qui marque le triomphe de l’influence sur la pertinence.

Le plus légitime devient celui qui obtient le plus de viralité.

C’est le troisième passage que je n’avais pas pleinement su décrire, même si j’avais commencé à travailler sur les théories du complot depuis bien longtemps, d’un point de vue historique initialement, puis au niveau informationnel par la suite.

La crise de l’autorité est  aujourd’hui celle de l’affrontement entre viralité et véracité avec la confusion qui peut se produire avec la reprise d’éléments complètement erronés de façon plus nombreuse sur le web que celle qui contient pourtant la position la plus rationnelle scientifiquement.

Il est vrai que même l’histoire du web n’est pas épargnée avec la théorie d’une création militaire qui demeure encore trop fréquente… même chez les Dernier point sur lequel il me semble qu’il va falloir être très attentif : celui d’une remise en cause totale des institutions de savoir que sont les lieux d’enseignement et notamment les universités. J’ai toujours plaidé pour une position professorale qui puisse être discutée et corrigée par les étudiants durant les cours notamment lorsqu’il y a des critiques, des erreurs et des approximations -chercheurs. Toutefois, au sein de ces remises en cause drastiques de toutes les autorités, il n’y a aucune raison que l’université soit épargnée. Mais c’est sans doute le propos d’un autre billet.

autorité versus popularité
Les tensions entre autorité et popularité

L’année des 20 ans pour le Guide des Egarés

Pour cette année 2019, l’année des 20 ans du Guide des Egarés, je vais m’en tenir à un rythme d’écriture sur le blog aussi faible que les années précédentes. J’ai tenté de coupler les billets avec du podcast en septembre, mais très vite le rythme a repris le dessus. Il y aura sans doute quelques autres tentatives mais de façon plus ponctuelle.

De la même manière, je continuerai à commenter de manière distante l’actualité. Mon but n’est pas de faire le buzz sur les évènements. Si cela a pu parfois être tentant par le passé, la ligne du Guide des égarés n’est pas celle de l’indignation permanente. Je serai sans doute plus incisif sur twitter à ce niveau.

Comme souvent, pleins d’autres projets éditoriaux et de recherche. Le blog n’étant plus qu’un élément à la marge dans tous ces différents projets, il est bien difficile de publier ici de façon très régulière. Je ne crois pas à la centralité en matière éditoriale, et encore moins en matière de publication personnelle.

Au menu, je peux vous annoncer que je reviendrai sur Publienet mais ce ne sera pas avec une nouvelle ou un roman. Sur les aspects fictionnels, je ne parviens pas à finaliser aucun de mes projets depuis quelques années. Et pourtant, j’ai quelques éléments en stock dont une série de courtes histoires à destination des collégiens qui pourrait également bien plaire aux professeurs-documentalistes. Je suis toujours à la recherche d’un éditeur pour ce projet d’ailleurs.

Sinon pour évoquer un des projets auxquels je souhaite faire participer les acteurs de la documentation et tous ceux qui me suivent voire qui seraient intéressés par le Capes de documentation, mon livre « la documentation dans le numérique » paru aux excellentes Presses de l’Enssib est désormais disponible sur OpenEdition, donc en accès libre et gratuit.

Mais il y a mieux, une version annotable et expérimentale va être mise en place avec l’outil hypothes.is.

Je vais donc me transformer en auteur-animateur de communautés autour de cet ouvrage d’ici quelques semaines. Je ferai donc des retours réguliers de l’expérience sur le blog à cet effet. Je souhaite en profiter pour développer une communauté que je solliciterai pour d’autres expériences notamment autour du futur dispositif HyperOtlet. Cela rappellera aux plus anciens que déjà du temps du RTP-DOC, Jean-Michel Salaün

s’était montré efficace pour animer une communauté scientifique avec des outils de commentaires et d’annotations. A ce propos, le temps est probablement venu pour réinterroger le concept de document d’une façon similaire à celle de Roger Pédauque.
Jean-Michel Salaün s’était montré efficace pour animer une communauté scientifique avec des outils de commentaires et d’annotations. d de

Je vous tiendrai au courant quant au début de l’expérience.

Voilà donc pas mal de choses à partager sur le Guide des Egarés qui fêtera ses 20 ans fin octobre, début novembre dans un contexte de frondes diverses et variées que n’auraient pas renié Dumas. On essaiera donc d’apporter une touche romanesque dans cette période à notre façon.

Le Mundaneum de Noël

J’ai récemment vu le film produit par Netflix avec Kurt Russell en père Noël dans « Chroniques de Noël ». Outre un personnage de père Noël renouvelé et plutôt attachant pour toutes les générations, le film nous donne à voir un moment particulier : celui de la conservation des lettres envoyées au père Noël de la part des enfants.

Le lieu est magnifique et géré par des créatures extraordinaires, des petits lutins.

Lutin dans la bibliothèque

Ce lieu ressemble à une bibliothèque fantasmagorique, une sorte de Mundaneum de Noël. On y accède par la hotte du père Noël par ailleurs.

Y sont classées principalement des lettres, ce qui suppose des fichiers d’un format un peu particulier, qui diffèrent donc de la taille des fichiers du Mundaneum d’Otlet.

Les fichiers de lettres au Père Noël

L’anecdote est sympathique et suscite évidemment plusieurs questions. Que fait-on des lettres envoyées au père Noël en France et qui sont traitées par un centre spécial non loin de Bordeaux à Libourne. On sait qu’une équipe est chargée d’y répondre et le fait de manière efficace. Mon fils pourrait en témoigner car il avait tenté l’expérience il y a quelques années.

L’examen des archives du père Noël permettrait de réaliser une belle enquête sociologique et historique voire médiatique. Je ne sais pas si cela a été fait. Je n’ai pas pris le temps de vérifier, mais ça serait une idée parfaite, d’autant qu’on y retrouverait assurément la question du goût des archives et la présence émotionnelle en sus des questions classiques des humanités digitales.

Mais j’en viens surtout à me demander en ces temps d’agitation et de réclamation perpétuelle, si cette pratique de la lettre au père Noël n’a pas pris d’autres formes dont les réseaux sociaux sont devenus le réceptacle.

Comme il n’y a pas véritablement de père Noël des adultes, on peut se demander qui gère les frustrations désormais ? Plus d’autorité magique, spirituelle voire transcendantale, comment finalement porter ses demandes et ses envies à la communauté de manière si ce n’est efficace tout au moins cathartique sans que cela ne devienne « le vide ordure planétaire » que craignait Finkielkraut ?

Le film montre en tout cas que le Mundaneum de Noël gère différentes sortes de documents notamment des lettres vidéos.

Le multiécran qui permet de visionner les lettres vidéos.

Autant de questions qui vont nous occuper assurément l’année prochaine en choisissant de se situer plutôt du côté du  père Noël de la connaissance face au père fouettard de l’agitation.

Le meilleur cadeau qu’on puisse requérir en ce moment, c’est celui d’un esprit reposé, propice à pouvoir penser et réfléchir en dehors des enjeux géopolitiques et marketing de la désinformation.

Kurt Russell chante « Santa is back in town » avec un look modernisé, et une envie de reprendre le volant de toute autre véhicule que son traineau.

Peut-être est-le moment pour que Paul Otlet revienne lui aussi sous une autre forme. Enfin, son esprit…

Kurt Russell en Père Noël d’un nouveau genre.

Chronique n°3. Dieu est-il un salaud ou l’anti-Otlet

Une nouvelle chronique très courte pour cause de problèmes de santé niveau vertèbre et en attendant d’autres contenus en préparation.

La version audio à podcaster.
Je viens de voir sur Neflix « Le tout nouveau testament ». Je me souvenais d’avoir vu les extraits et bandes annonces à l’époque de sa sortie, mais j’avais raté le fait que Benoît Poelvoorde  y incarnait un dieu belge quelque peu étonnant…

Source de l’image : Le nouveau testament. Copie d’écran issue du site : https://frenchly.us/week-francophone-films-theatre-raymond-kabbaz/le-tout-nouveau-testament/

Les images le montrent dans une pièce digne d’un mundaneum dystopique plutôt qu’utopique.
Un ordinateur et des tiroirs qui contiennent les fiches de tous les individus qui composent l’humanité.
Poelvoorde y incarne un dieu législateur de règles de l’emmerdement maximal. Il ne veille donc pas au bienêtre de l’humanité, il semble au contraire privilégier une approche différente.
 
Capture issue du journal Le Monde en anti-Otlet sadique… https://www.lemonde.fr/cinema/article/2015/09/01/le-tout-nouveau-testament-benoit-poelvoorde-en-dieu-belge-et-mechant_4742015_3476.html

On a parfois l’impression d’y voir un successeur belge de Paul Otlet qui aurait choisi de transformer le mundaneum dans une logique optimisée de l’indexation des existences plutôt que de tenter de réaliser en vain une indexation des connaissances en pure perte.
On dirait même un anti-otlet…
Copie d’écran issue d’Atlantico qui montre Poelvoorde en anti-Otlet avec un bureau chargé d’alcool et boîtes de conserve dans un environnement digne du Mondaneum

 

 
 
 
 
Si la fille du Dieu belge décide de changer la donne en révélant les dates de mort des personnes, seule une reprise du contrôle de l’ensemble permet de changer la donne.
La révélation des métadonnées butoirs vient changer l’existence même. Une connaissance intime est alors la source du changement.
Cette incarnation de Poelvoorde est assurément à mettre au nombre des Mundaneum de la dystopie, mixant le désir d’un fichage généralisé avec le fait de pouvoir agir de façon omnipotente à la Big Brother.
Si ce n’est que ce n’est pas Big Brother is watching you, mais un pauvre type a fiché toute votre existence…
Si les images de Paul Otlet pouvait donner parfois l’impression d’un vieil homme ou d’un pauvre personnage usé par le fait de tenter d’indexer l’ensemble des connaissances possibles, le personnage du dieu omniscient Poelvoorde s’inscrit dans une filiation finalement plus inquiétante.
En effet, ce qui frappe dans le film, c’est le caractère malsain de Poelvoorde, être omnipotent mais totalement incompétent, sans pouvoir intrinsèque et dont l’éloignement des instruments de pouvoir le rend au final tout autant impuissant.
La leçon sans doute est que nous avons produit tout au long de l’histoire des personnages de ce type, bien avant nos data centers et que les archives des sociétés de la surveillance ont conféré parfois des pouvoirs à des êtres dont le seul but était de ruiner l’existence des autres.
Je vais tâcher dans les prochains mois de rassembler un peu de matériau sur les représentations dystopiques de ce type. On en trouve désormais régulièrement dans les séries…

Chronique n°2. « Ce qu’on apprend ajourd’hui sera inutile en 2050 ». ?


La version audio à podcaster.
 
« Ce qu’on apprend ajourd’hui sera inutile en 2050 ». La formule a été reprise à partir des propos de Yuval Harari.
Et bien je pense que c’est l’inverse. Il est probable alors qu’on s’interroge sur les programmes et les savoirs du lycée, qu’un lycéen du siècle dernier et peut-être même du siècle encore d’avant, était mieux armé que ceux actuellement.
Le lettré du digital, ainsi l’appellerons-nous, ne vit pas dans un monde totalement en rupture avec les anciennes pratiques.
Nous ne vivons pas non plus dans une révolution permanente faite de tabula rasa, et qu’il faudrait tout réapprendre et tout recommencer.
Ce n’est donc pas à mon avis que ce qu’on apprend aujourd’hui sera inutile en 2050, mais plutôt ce qu’on apprend actuellement est insuffisant et pas du tout au niveau. Pire que cela, ce n’est pas cohérent et cela témoigne d’une absence de vision à long terme.

Photo Alejandro Camilla. unsplash.

Je serai même tenté de dire que vouloir se mettre sans cesse au goût du jour a conduit à un saupoudrage avec le développement d’éducation à, certes nécessaire, mais trop souvent marginalisée, car il faudrait mieux intégrer leurs contenus.
Pire encore, les effets de modernité et d’égalitarisme conduisent à supprimer ou à négliger certains contenus du fait de programmes élargis, mais aussi parce que ses contenus nécessitent des formes attentionnelles longues et des répétitions.
On a trop laissé à l’industrie des jeux vidéo le droit de nous faire refaire pendant des heures des actions similaires dans des environnements sympathiques au point que les exercices, les dictées, les résumés de texte deviennent des instruments peu prisés désormais… notamment parce qu’ils révèlent les difficultés et qu’ils opèrent aussi des logiques de hiérarchie entre élèves. Il est vrai une nouvelle fois qu’il est préférable d’annoncer son niveau dans un jeu vidéo plutôt que de dire son classement dans une matière.
 
Le paradoxe vient du fait que le temps scolaire est trop court. J’entends par temps scolaire, à la fois le temps institutionnel, mais aussi tout le temps nécessaire à la formation de l’esprit, mais aussi des corps, ce qui implique donc tout autant des compétences intellectuelles que techniques, que des compétences physiques que spirituelles.
Le temps passé devant des activités ludiques devant les écrans, ou tout au moins le temps d’attention sur ces dispositifs finit par dépasser sur une année le temps scolaire, et parfois de façon très nette.
Cela ne signifie pas qu’on n’apprend pas devant les écrans. Cela signifie que le pouvoir des industries des loisirs est écrasant sur ces dispositifs et qu’on peine à trouver les moyens d’en faire des instruments de formation. Trop souvent, on ne parvient guère à dépasser le cadre de la formation aux usages, alors qu’il faudrait former à une meilleure intégration culturelle.
Cela implique donc de travailler les passerelles entre les disciplines, mais aussi entre les exercices.
L’enjeu est de développer de nouvelles formes de production à évaluer. Cela peut être la réalisation de vidéos par exemple. Mais sur ce point, il faut rappeler qu’il ne s’agit pas seulement de savoir filmer et de savoir monter, mais aussi de produire un scénario, de faire œuvre d’imagination, mais aussi de démontrer une capacité à structurer l’information.
Or, cela ne peut se faire qu’à condition de s’exercer, de recommencer, d’améliorer, etc.
Igor ovsyannykov. Unsplash.

Je note que la plupart de mes étudiants ne savent pas faire de résumés et encore moins de dissertation avec des plans qui tiennent la route. Je ne parle même pas des commentaires de textes. Or pourtant, beaucoup ont obtenu des mentions au baccalauréat.
Autre point, ces aptitudes supposent de s’exercer, mais d’avoir les moyens de pouvoir comparer, c’est-à-dire d’avoir à disposition des références qui ne soient pas uniquement disponibles en ligne… c’est-à-dire d’avoir une culture, ce qui suppose d’avoir un langage qui permette d’exprimer des nuances et donc d’utiliser des synonymes, mais aussi d’avoir un minimum de références en littérature, cinéma, arts pour pouvoir mieux utiliser des exemples pour asseoir des raisonnements.
L’enjeu n’est donc pas uniquement celui de savoir coder. Il sera clairement nécessaire de développer un programme de formation au code pour mieux comprendre les logiques algorithmiques de base, mais aussi pour savoir mieux utiliser des outils statistiques.
Mais il faut conférer surtout les moyens de savoir décoder… tout autant les textes, les images, les vidéos, les sets de données et tout autre visualisation et tableau statistique.
L’art de la critique, de la mise à distance, suppose surtout des rapprochements, notamment entre littératie et numéracie. Il y a de la joie à lier, disait Giordano Bruno, et c’est bien l’enjeu, lier sans emmêler, lier sans être poings et mains liées. En ce sens, écrire les programmes sous l’influence des industries et thématiques dominantes du moment en matière de digital serait une grave erreur. Pire encore, serait de placer la donnée comme centrale en matière de formation au numérique, car justement l’enjeu n’est pas de placer la donnée comme centrale au niveau du système scolaire, ce qui serait un renversement inquiétant par rapport à  la loi Jospin de 1989.
L’avenir de l’éducation s’inscrit donc dans un rapport entre tradition scolaire et anticipation, entre les travaux des prédécesseurs et ceux à venir. L’avenir de l’éducation est assurément steampunk plutôt que transhumaniste.
 
Pour finir sur une note poétique, on pourrait dire que l’enjeu est de former des citoyens qui s’inscrivent dans une lignée qui mêle poésie et code, métries et métriques en se souvenant que le premier code informatique a été écrit Ada Lovelace, fille du poète Lord Byron.
 
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Les images sont issues du site unsplash.com .
Image mise en avant : Kevin Ku
Sur le lettré du digital, voir notamment cet article écrit avec Franck Cormerais.
Voir aussi cet article collectif.
Quelques idées sont  développées dans la formation aux cultures numériques.