La prolétarisation est une perte de savoirs

« La prolétarisation est un processus de perte de savoirs, c’est-à-dire aussi de saveur et d’existence, qui est engendré par la grammatisation telle qu’elle court-circuite des processus de trans-individuation où, en s’individuant par le travail, c’est-à-dire en y apprenant quelque chose, le travailleur individuait le milieu de son travail »

  1. Bernard Stiegler, Pour une nouvelle critique de l’économie politique (Editions Galilée, 2009).  p.54

Une belle phrase de Bernard Stiegler qui correspond pleinement à certaines de mes observations et la volonté de résistance que j’observe notamment dans certains réseaux.

L’isolement des blogs ?

J’ai fini de lire hier soir l’ouvrage de Frank Rébillard « Le web 2.0 en perspective ».
Le livre est intéressant même s’il demeure trop ancré à mon goût sur une analyse socio-économique. Toutefois, c’était annoncé dans le sous-titre. Il s’attarde surtout sur les discours dont il démontre bien les tenants et les aboutissants et a le mérite de casser certains mythes en les remettant d’en une perspective historique plus large. Narvic en avait déjà parlé.
Mais c’est surtout un passage qui a fait tilt car il correspond à un autre paradoxe du web 2.0 qui est celui de distinguer des milieux d’initiés un peu isolés alors que les discours prétendent à l’inverse à l’émergence d’une participation où tout le monde est sur le même plan .Lorsqu’on se trouve au sein du milieu, on apprend beaucoup et on satisfait assez aisément (au prix d’un grand nombre d’heures de boulot) les différents besoins que j’avais déjà mentionnés auparavant.
Il demeure que tout le monde ne peut pas consacrer autant d’énergie pour être un initié.  Et qu’il faut donc créer des liens ce que démontre bien Frank Rébillard (p.69)
 » Difficile en effet de prendre « en cours de route » le train de la publication distribuée, dont le cheminement s’opère par renvoi de site en site, lorsque l’on n’a pas assisté aux échanges de départ. Difficile de ne pas se sentir « déconnecté » d’une communauté dont les membres sont surtout des auteurs de blog, et où les simples visiteurs s’avèrent  très peu nombreux. Ce fonctionnement en vase clos, sans forcément viser volontairement un tel enfermement, mais y conduisant souvent irrémédiablement du fait d’une surenchère dans  l’expertise et les commentaires, n’est pas de nature à élargir le public des blogs. » (p.69)
Tout cela pour dire que la liste de diffusion est parfois bien plus « sociale » que les blogs.

La bibliothèque 2.0 n’est pas arrivée à Fougères

Alors que je mène l’enquête sur la bibliothèque 2.0, je dois bien avouer que je crains un peu la poursuite de l’étude dans le concret en allant voir notamment les OPAC en place.
Celui de la BM de Lyon est une horreur, mais bon on peut le consulter de chez soi (enfin quand il fonctionne). Mais peut-être, l’accord secret avec Google prévoit la livraison d’un nouvel OPAC !
Par contre, celui de ma bibliothèque de ma ville (Fougères) est aux abonnés absents…heureusement, la médiathèque est récente et plutôt agréable même si certains personnels ont du confondre la bibliothèque avec l’administration pénitentiaire. Seulement voilà, je ne peux  jamais consulter le catalogue car l’OPAC ne fonctionne pas…depuis deux mois because le serveur est out et la dame à qui j’ai demandé le comment du pourquoi n’en savait guère plus et évoquait des problèmes électriques. Le portail ou site est donc également inaccessible.
L a bibliothèque 2.0 n’est pas prête d’arriver à Fougères, à moins que dans la conception de certains, la bibliothèque 2.0, ce soit les automates de prêts !
Tout cela pour dire, qu’avec une brigade d’interventions telle que l’imagine Daniel Bourrion, ce genre de problème pourrait être évité…. Il pourrait l’être aussi si certains managers étaient vraiment compétents avec quelques notions de technique, ça irait mieux. J’entends trop souvent des personnes qui se plaignent que les OPAC ne fonctionnent jamais.
S’il y avait un peu plus de bibliothécaires un peu 2.0, et efficaces, ce serait chouette aussi.
C’est clair, qu’il y a encore du boulot.

On a perdu la communauté biblio-fr !

La fin de biblio-fr est arrivée il y a quelques mois. Évènement tragique, mais qui semblait un choix opportun car on craignait que biblio-fr finisse par devenir mauvais tant certains messages ennuyeux y pullulaient même si l’ennuyeux pour certains pouvaient en passionner d’autres. Bref, on en avait tous un peu marre.
Mais seulement voilà, le temps passe et je m’interroge : que sont-ils devenus ces milliers d’abonnés, la plupart n’écrivant jamais d’ailleurs. Certes l’infopollution était de mise dans nos messageries avec ces messages sans fin mais cette liste nous rendait des services. Et dans ma situation présente, je suis bien embêté car je mène une enquête sur la bibliothèque 2.0 qui a bien du mal à décoller car il n’y pas biblio-fr pour la diffuser à grande échelle.
Je me rends compte de plus en plus que la fin de biblio-fr est bien plus que la fin d’une liste de diffusion. Elle a des conséquences innombrables notamment sociologiques et scientifiques (oui je pense encore à mon enquête…)
Biblio-fr jouait le rôle de mortier, c’était peut-être pas de la grand finesse, mais c’était robuste et efficace. En effet, qu’on soit d’accord ou pas d’accord, on pouvait débattre et se disputer sur l’agora, le lieu public de l’infodoc et des bibliothèques que constituait biblio-fr. Toute le monde pouvait écrire un petit message sans avoir besoin d’ouvrir son blog.
Les débats étaient plus animés que sur les blogs, avec plus de réactions notamment de personnes qui réagissent peu en commentaires sur les blogs. bibhybrideTout le monde pouvait être un peu alerté par les entêtes des messages même si pour certains des mots venus d’ailleurs comme flux rss, web 2.0, API, et autres circulaient parfois et leur faisaient un peu peur. Aujourd’hui, je crains que beaucoup ne consultant quasiment aucun blog, pensent que tout cela a disparu.
Certes la majorité des usagers semblait passive mais au moins on pouvait espérer être lu. J’en tiens pour preuve d’ailleurs qu’un message sur biblio-fr entrainait aussitôt sur votre site et blog, des centaines voire des milliers de visites. Ce qui est bien plus rare actuellement.
Alors, certes il y a désormais les logiques de flux qui semblent rendre caduques la messagerie et la liste de diffusion, mais quand même il faut avouer que la liste et la messagerie électronique conservent leurs vertus. Je peux me passer d’agrégateurs de flux pendant plusieurs jours, mais pas de messagerie. D’autre part, à force d’être partout, on finit par se disperser sur les agrégateurs, se ventiler sur les réseaux sociaux, et on se retrouve aux quatre coins de twitter éparpillé façon puzzle. Google finit par en savoir plus sur nous que nous n’en savons sur nous-mêmes!
Que dire si ce n’est que la livraison quotidienne de biblio-fr ne m’a pas manqué du tout au début. Quel soulagement, quelle décision écologique, je pensais. Mais je songe maintenant à l’ensemble de la communauté, dispersée façon grenade. Je m’inquiète aussi pour les « vieilles bibliothécaires » qui ont animé certains débats sur la liste. Certaines pensent désormaisbiblolab que tout est revenu normal et que les illuminés du cataloblog et de la mutualisation du catalogage sont morts. Elles ne sont sans doute pas au courant de l’existence du bibliolab et ne se sont pas rendues compte que le guide des égarés de votre serviteur a déjà 10 ans car elles ne voient pas le temps passer si vite. (moi non plus d’ailleurs…)
Bref, on a l’impression de n’être plus qu’un club VIP de la bibliothéconomie, des blogueurs et autres twitteux. Seulement voilà, à ce rythme là, l’ennui et l’autosatisfaction nous guettent. Pire la communauté de blogueurs déplorant l’absence de débats internes pourraient entraîner l’émergence de bandes rivales avec notamment celle de Silvère Mercier qui affronterait dès lors celle de Daniel Bourrion.bibblogenfer
Je songe aussi aux fans, à ceux qui en ont développé des addictions, notamment ceux qui lisaient tous les messages car ils avaient peur de rater quelque chose d’essentiel, ou ceux qui étaient persuadés de trouver trace d’une conspiration ou de traces de communication extra-terrestre. Beaucoup d’autres, et j’en fus, scrutaient biblio-fr dans l’espoir d’y trouver de précieuses annonces d’emplois. Il y a sans doute des fans déçus qui se contentent d’examiner les archives afin d’avoir leur dose quotidienne.
Je crois que la dépression biblioférique est un phénomène peu étudié car biblio-fr c’était une communauté, une communauté de pratiques certainement mais sans doute bien plus encore, un écho, un lieu où se tissaient des liens, où se jouaient certaines transmissions.
Désormais que faire ? Mais vous vous en doutez déjà, je n’ai qu’une chose à dire : il faut recréer biblio-fr !
Je sais qu’Hervé conserve l’adn de biblio-fr et qu’il peut refaire renaître la liste . Il est évident qu’il faudra l’imaginer quelque peu différente avec quelques manipulations pour l’améliorer. Sara Aubry reviendra telle Sigourney Weaver dans Alien, et s’il le faut on lui fera des injections ( à la liste, pas à Sarah) de bbiblio-frouillon ou de nectar.
D’ailleurs combien de personnes autrefois abonnées à biblio-fr connaissent le bouillon et le nectar ? Combien seraient-elles si biblio-fr existait encore ?

Le syndrome Gaspard Hauser

Kaspar Hauser (1812? - 1833).
Image via Wikipedia

Je poursuis la publication d’extraits de ma thèse, à peine retouchés. Aujourd’hui, j’aborde la question de la déformation liée à l’information. La minorité technique fait référence à Simondon, celle de l’entendement à Kant.

Nous pensons que l’état de minorité technique et informationnel peut être qualifié de « syndrome Gaspard Hauser », tant l’orphelin de l’Europe est demeuré l’exemple d’un mineur manipulé et aisément manipulable sans qu’il soit possible d’établir son ascendance. Un mystère qui constitue une antithèse aux Lumières, en étant symbole d’un obscurantisme peu romantique et surtout tragique. L’exemple de Gaspard en tant qu’
« individu mineur » se voit à plusieurs niveaux.

D’une part, il n’est évidemment pas vraiment autonome et ne peut s’ex-primer. Il ne peut nullement faire part de son identité, il lui est impossible de réaliser pleinement son individuation personnelle et son inscription au sein dans le collectif. Il est au contraire à la vue de tous, cible de toutes les « mauvaises » attentions. Il n’a reçu aucune formation (Bildung) et ne peut donc se situer par rapport à ses parents mais également historiquement.

Le syndrome s’applique d’autant plus aux jeunes générations du fait de leur méconnaissance historique parfois étonnante. Par conséquent, il est difficile de savoir pour l’adolescent où il désire parvenir
et ce qu’il doit rechercher quand il ne sait qu’imparfaitement d’où il vient c’est-à-dire qu’il ne possède pas toutes les informations de base nécessaires.

Nous songeons également à cette chanson allemande qui parle de Gaspard.. L’expression
« sein Gang war gebeugt », que nous pouvons finalement traduire aussi bien par « sa marche était boiteuse » aussi bien que par « sa démarche était hésitante » signifie bien cette difficulté à avancer, à « s’individuer » pour devenir majeur. Gaspard est donc un « imbécile » au sens étymologique : il ne peut marcher car il est privé de bâton. L’imbécile est celui qui se retrouve sans support, notamment technique, pour organiser sa réflexion.

L’imbécile, au sens cette fois-ci informationnel, serait celui qui s’avère incapable de penser et donc d’agir par lui-même et qui aurait besoin pour cela, soit de techniques faisant le travail à sa place (par paresse dirait Kant) soit de personnes qui lui serviraient de directeur de conscience. Au final, cette sortie hors de la minorité ne pouvait concerner à son époque que peu d’individus :

Il est donc difficile pour chaque individu séparément de sortir de la minorité qui est presque devenue pour lui, nature. Il s’y est si bien complu, et il est pour le moment réellement incapable de se servir de son propre entendement, parce qu’on ne l’a jamais laissé en faire l’essai. Institutions (préceptes) et formules, ces instruments mécaniques de l’usage de la parole ou plutôt d’un mauvais usage des dons naturels, (d’un mauvais usage raisonnable) voilà les grelots que l’on a attachés au pied d’une minorité qui persiste. Quiconque même les rejetterait, ne pourrait faire qu’un saut mal assuré par-dessus les fossés les plus étroits, parce qu’il n’est pas habitué à remuer ses jambes en liberté. Aussi sont-ils peu nombreux, ceux qui sont arrivés par leur propre travail de leur esprit à s’arracher à la minorité et à pouvoir marcher d’un pas assuré.

Nous notons que chez Kant, la seule volonté ne peut suffire à parvenir à cette majorité et à avancer de ce pas assuré (einen sicheren Gang). Cela signifie qu’il ne peut y avoir d’Aufklärung sans Bildung au préalable et que la Bildung permet l’accès à la Kultur.

Notre choix d’accoler au nom de Gaspard Hauser, le terme de syndrome emprunté au lexique médical peut paraître étonnant mais nous n’innovons pas en la matière puisque le domaine de
la circulation des informations permet parfois d’étonnants parallèles. Nous songeons notamment aux théories liées à la contagion des idées notamment celles de Dan Sperber ou l’expression plus récente de marketing viral. Nous nous inscrivons quelque peu dans cette lignée en définissant le syndrome comme un ensemble de caractéristiques (symptômes en médecine) qui permettent de définir un comportement ou un agissement communicationnel basé sur des négligences informationnelles (pathologies en médecine).

Le syndrome Gaspard Hauser convient donc pour décrire une série de négligences liées à un état de minorité informationnelle qui peut conduire notamment aux dérives des théories du complot.

Individuation

Identité inconnue voire méconnue.

Identification collective difficile

Situation temporelle et historique

Rupture générationnelle

Présent permanent

Expression

Capacités faibles

Analphabétisme

Attention

Captée

Objet de mauvaises attentions

Démarche

Hésitante

Facilement manipulable

Tableau n°9. Description de l’état de minorité

Nous pourrions ainsi également lister toute une série de symptômes qui sont d’ailleurs à rapprocher fortement à ce que nous appelons les négligences, ces actes de non-lecture au sens étymologique du terme sur lesquels nous reviendrons plus longuement dans la dernière partie consacrée aux enjeux :

– Méconnaissance d’un sujet (Inconscience du besoin d’information)

– Confiance accordée au dernier qui a parlé.

– Propagation de rumeurs.

– Croyance en des théories « miracles » qui veulent tout expliquer.

– Méfiance vis-à-vis des autorités

Nous verrons que ces symptômes sont caractéristiques d’une absence de conscience d’un besoin informationnel.

Il faut également ajouter que Gaspard est un « monstre », c’est-à-dire une chose à montrer. Nous reviendrons dans la dernière partie sur la constitution de ce que nous appelons une « tératogénèse documentaire », comme préfiguration d’une culture de la dé-formation, au sens qu’il devient de plus en plus difficile de parvenir à ces classements efficaces en ce qui concerne les documents que nous trouvons sur les réseaux. Il nous semble que nos doubles numériques suivent quelque peu la même voie en devenant également des objets à voir et à montrer.

Face à ce syndrome, nous partageons la thèse du « prendre soin » de Bernard Stiegler qui voit dans le texte de Kant, un appel à une pharmacologie de l’espritet à un bon usage des objets techniques. Ce sont ces derniers qui permettent la formation mais également la déformation. Stiegler montre que le précepte de « prendre soin » ou de l’épimeleia a été oublié au profit du « connais toi toi-même ». Or ce précepte du prendre soin s’appuyait sur des techniques que sont notamment la lecture et l’écriture. Stiegler retrace l’étymologie du précepte de l’épimeleia en examinant son radical mélétè qui renvoie tardivement à la méditation mais qui désigne d’abord la discipline en un sens qui n’est justement pas celui des sociétés disciplinaires. C’est l’oubli de ce sens premier
du « souci de soi » que Stiegler reproche à Foucault, qui du même coup ne voit pas les côtés positifs de l’institution et notamment de l’institution scolaire. Selon Stiegler, la
«
discipline » correspond ainsi à la formation, la Bildung de Mendelssohn. Une formation qui repose sur la capacité d’attention, la capacité de se concentrer et ce grâce à des techniques :

Ces psychotechniques- ces techniques de l’âme- qui s’accompagnent aussi de somato-techniques- ces cas de techniques du corps (…)-, ces psychotechniques qui comme melete entendue au sens de meditatio, sont des processus de concentration sur un objet de méditation, préfigurent la confession, tout comme l’art d’écouter et l’écoute de soi préfigurent l’examen de conscience. Examen de conscience qui sera bientôt prescrit par un directeur de conscience, voire dicté par lui, ce que Kant avec l’Aufklärung, arrivant après Martin Luther et Ignace de Loyola, condamnera comme facteur de minorité en affirmant que l’écriture et la lecture forment ce processus historique par où se forme la majorité en tant que conscience rationnelle, c’est-à-dire critique.

Cette prise de soin correspond donc aussi bien au soin du corps que de l’âme et le pauvre Gaspard correspond hélas à l’antithèse en tant que corps et âmes indisciplinés, non pas au sens que pourrait lui conférer Foucault, mais à celui développé par Stiegler. Aujourd’hui, les Gaspard Hauser sont différents mais sont indisciplinés également, en devenant parfois des « patates de salon », la conscience dictée par la publicité et dés-individués parce que vivants par procuration leur existence au travers de stars souvent éphémères.


Poème de Paul Verlaine, Gaspard Hauser chante : Suis-je né trop tôt ou trop tard ? Qu’est-ce que je fais en ce monde ? Ô vous tous, ma peine est profonde: Priez pour le pauvre Gaspard.
Extrait deu poème
« Sagesse » Disponible sur :<

http://fr.wikisource.org/wiki/%C2%AB_Gaspard_Hauser_chante_%C2%BB>

2Ce qui renforce l’impression de présent perpétuel dénoncé notamment par Paul Virilio.

3Chanson de Reinhard May. Kaspar Hauser «Sein Haar in Strähnen und wirre, sein Gang war gebeugt.
« Kein Zweifel, dieser Irre ward vom Teufel gezeugt
.
» (Ses cheveux en mèches incontrôlées et désordonnées, sa marche était boiteuse. Aucun doute, cette erreur était guidée par le diable)

4 KANT. Op. cit.

5 Dan SPERBER. La contagion des idées. Odile Jacob, 1996

6 Bernard STIEGLER. Prendre soin : Tome 1, De la jeunesse et des générations. Op. cit., p.44

7
Ibid., p.242

8
Ibid., p.247

9 Nous pourrions même dire in-formes, c’est-à-dire à la fois privés de formes et de formation.

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Enquête sur la bibliothèque 2.0

Je mène une enquête sur la bibliothèque 2.0 et l’évolution des structures documentaires par rapport au web 2.0.

Le sujet me tient un peu à cœur car j’ai été moi-même acteur du phénomène si bien que je me retrouve à nouveau en observation participante.

Je travaille en effet sur la genèse et l’évolution du concept « bibliothèque 2.0 » (mais est-ils vraiment un concept ?) afin de voir quelles sont les évolutions professionnelles concrètes qui ont pu être réalisées ainsi que les oppositions et controverses qui ont pu émerger ou résulter notamment de la confrontation entre la bibliothèque et le web 2.0.

Je suis donc également preneur de vos réflexions sur le sujet mais l’enquête vous permet aussi de vous exprimer.

L’enquête se trouve ici et se terminera à la fin du mois.

Il y a évidemment aussi chez moi l’envie de dire « la bibliothèque 2.0, oui mais après ? ».

La difficulté méthodologique pour réaliser cette enquête est liée à l’arrêt de biblio-fr. Je sais que cela va me priver de centaines de réponses ce qui pose question aussi sur ce que devient la communauté de pratiques issue de biblio-fr. Finalement, des questions ne finissent que par en en faire émerger d’autres.

Je donnerai d’ici fin janvier, les résultats et les premières analyses. L’occasion pour vous ici de donner les vôtres dans une forme d’analyse collaborative. Je mettrai donc également à disposition pour ceux que ça intéresse les fichiers pour analyser les résultats notamment pour ceux qui aiment les tris croisés à n’en plus finir. L’occasion pour moi de développer de plus en plus une stratégie de science 2.0 et d’ e-science en tentant de mettre à disposition les sources et les données sur lesquelles je travaille.

De la déformation à la désinformation : l’arnaque des baies d’Acai

Il est coutume de dire qu’il faut être autant vigilant sur Internet que lorsqu’on effectue des achats dans un magasin classique.

Pourtant, il semble que la crédulité y soit parfois plus forte notamment par le jeu des fausses recommandations (ou astroturfing) mais aussi parce que s’y projette toujours des imaginaires plus prononcés et des projections de fantasmes qui peuvent s’y trouver incarnés. Parmi eux, figurent celui de pouvoir devenir un acteur hollywoodien ou tout au moins en suivre les traces et les secrets.

De là arrive ce passage de la désinformation à la déformation, et ce dans tous les sens du terme. En effet, il n’est pas rare de rencontrer sur divers sites, des publicités pour devenir beau et musclé dans un temps réduit grâce à des substances miracles qui vous trans-forme en éphèbe que tout le monde envie.

Ces publicités utilisent la technique du blog bidon qui présente le cas d’une personne qui serait parvenue à dénicher le secret des acteurs qui réussiraient en peu de temps à se constituer un corps d’athlète. Le plus terrible, c’est que cette arnaque fonctionne car elle prétend offrir des garanties à la fois médicales (pas d’effets secondaires) et financières (échantillon gratuits et frais de ports allégés).

Hélas, c’est une double arnaque : d’une part, cela ne produit aucun effet sur les corps si ce n’est des désagréments, d’autre part, c’est la santé financière qui en prend un coup et le compte en banque qui se trouve dégraissé du fait des autorisations de prélèvement associées. En effet, les échantillons gratuits sont envoyés contre une forme d’abonnement pour recevoir régulièrement la potion miracle moyennant des sommes autour de 80 euros.

Le plus fort dans cette arnaque, c’est qu’elle se décline à l’international.

Ainsi le blog suivant dont j’ai trouvé la publicité ce matin sur un journal israëlien montre aussi le peu de déontologie de certaines presses -en ligne- qui bouffent à tous les rateliers que ce soit la publicité ou bien désormais les aides de l’Etat.

Cette arnaque est symbolique de la nécessité d’élargir les enseignements actuels en littératie à la fois en matière économique mais également en matière informationnelle. Il faut rappeler que la littératie médicale s’avère souvent ainsi proche de la littératie informationnelle quand il s’agit de rechercher de l’information sur des symptômes et des médicaments. Il est à craindre que des évènements de ce genre continuent à se produire du fait d’une incapacité des individus à évaluer l’information.

Pourtant un peu de recherche sur Internet donne quelques éléments de réponse notamment sur le forum des arnaques. Cela signifie qu’Internet est souvent également le remède à ses propres maux.

Mais d’autres habitudes ou d’autres outils permettent de vérifier rapidement la véracité d’une information. Dans le cas de ces blogs, un argument important est l’utilisation des photos qui montrent le changement spectaculaire de physionomie obtenue par l’absorption du produit miracle. Un outil permet de vérifier de suite si ces images ne sont pas déjà réutilisées ailleurs… Pour cela, l’évaluateur de l’information peut utiliser le moteur qui permet de comparer les images et notamment tinyeye. Pour ma part, je l’ai implémenté dans firefox et la recherche s’effectue automatiquement par un clic droit sur la photo.

Prenons cette image.

Tinyeye montre son utilisation multiple, ce qui devrait susciter déjà fortement le doute, du fait que le monsieur qui prétend que ce produit miracle a changé sa vie, est également doué de glossolalie car il cause aussi bien en français que dans bien d’autres langues. Le plus embêtant, c’est que la photo est déjà utilisée pour vanter les mérites d’un autre produit bien plus classique pour ceux qui souhaitent gagner du muscle.

 

La recherche via tinyeye permet de tordre le coup à l’autre technique de la double recommandation qui consiste à poster de faux commentaires de testeurs qui vont aussi ajouter des photos démontrant leur transformation.

Et voilà que nous retrouvons d’autres utilisations et un autre blog, quasi copie conforme de celui en français. On peut faire de même avec la photo du prétendu transformé. Il est vraisemblable que la photo provienne de ce site de soins pour homme. Ce qui est aussi étonnant, c’est que celui qui s’affiche comme David de Chateaugiron pour moi apparaît différemment en fonction de l’adresse Ip de votre ordinateur selon le lieu où vous habitez. Si je passe par un VPN qui m’identifie en hollande, le David devient Alex d’Amsterdam.

Normalement, cela devrait suffire à vous dissuader de passer une commande. Mais, vous pouvez être curieux et vouloir savoir qui se cache derrière les adresses internet que vous avez trouvées. La solution existe, il s’agit d’aller voir dans l’annuaire des noms de domaine, le who is. L’occasion de rappeler qu’Internet n’est pas un territoire sans règles comme on l’entend parfois. Cependant, note site ne donne pas de réponse car il a interdit la diffusion du nom du propriétaire. Le nom de domaine était étrange car notre David faisant référence à un alex dans le nom de domaine « alexmuscle.com »

Finalement, le mieux est d’aller sur le site qui nous propose les pilules miracles. Le who.is nous apprend qu’il s’agit d’un mystérieux support-logic-group. Le site vante alors les mérites des baies d’acai qui est la base du produit vendu. Et utilise alors une supercherie visant à faire croire que les médias ont parlé du produit que vend le site alors qu’ils n’ont fait qu’évoquer les fameuses baies. Une recherche sur google avec comme mots-clés « baies d’acai » met en premier lien un forum qui révèle l’ensemble de la supercherie. Les baies qui peuvent être orthographiées « açaï » sont riches en radicaux libres ce qui fait qu’on leur prête toutes sortes de vertues.

Souvent Wikipédia peut servir de rempart contre la désinformation, seulement il faut chercher un peu plus que traditionnellement du fait qu’il n’existe pas d’entrée directe pour les fameuses baies et que l’information se trouve en ce qui concerne son arbre porteur, comme quoi il faut toujours remonter à l’origine. L’article de wikipédia renvoie à des articles scientifiques sur les propriétés des baies vendues en poudre. Il est apparaît donc que les baies peuvent avoir quelques vertus mais il n’est nullement mentionné que cela va vous transformer rapidement et que Groquick va pouvoir devenir Brad Pitt en un mois.

Il me reste encore à étudier les messages des arnaqués des forums, car il y a beaucoup d’enseignements à en tirer. Il semble qu’une autre arnaque fonctionne de la même manière avec le miracle qui vous ferait blanchir les dents.

En matière de transformation, la plus intéressante est sans doute celle de Santa Claus qui ne s’est pas faite en un mois. Certains diront que l’arnaque des baies ressemble beaucoup à l’histoire du père Noël : cela fait rêver et il parvient à être partout. Reste à savoir, si les baies lui permettront d’affiner sa silhouette quasi obèse qui commence à faire jaser.

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Les architextes dans les dispositifs d’enseignement en ligne. De nouveaux enjeux de pouvoirs ?

Je mets en ligne sur archivesic un travail en cours sur lequel je reviendrai si je dispose de temps. Cela concerne la présence de formes préétablies au sein des cours en ligne.

 

Voici l’introduction du texte.

 

« Le but de cet article est de montrer qu’au travers les nouveaux objets numériques d’enseignement comme les plateformes d’enseignement en ligne mais également les blogs d’enseignants, des processus documentaires et éditoriaux demeurent. Nous pouvons y distinguer au sein de ces dispositifs, des formes qui peuvent être qualifiées d’ « architextes » (Souchier, 2003). Les travaux sur les écrits d’écran ont permis de reprendre en compte des formes qui pouvaient s’avérer ignorées par une illusion de la transparence. Nous souhaitons montrer également que les formes éditoriales et auctoriales tendent de plus en plus à se confondre tout comme les fonction de médiation ou de recommandation et qu’il devient de plus en plus difficile de les distinguer même si elles demeurent présentes. Pourtant les systèmes d’ingénierie pédagogiques préconisent la séparation de ces fonctions comme autant de lieux d’expertise qui s’avèrent d’ailleurs parfois contradictoires notamment au niveau des représentations entre ingénieurs pédagogiques et enseignants (Pernin, 2006) Il s’agit selon nous de repenser les implications de délégations à des systèmes reposant à la fois sur des techniques et des humains. L’enseignant se doit de repenser sa relation avec la technique dans ses dispositifs « technopédagogiques ». »

 

L’objectif de cette article est de démontrer les complexités à l’œuvre dans ces dispositifs et surtout les enjeux de pouvoirs qui s’y jouent. L’apparente transparence ou impression de liberté même institutionnelle ne doit pas faire oublier que de nouvelles médiations s’observent et que de nouveaux pouvoirs émergent. Le danger pour les enseignants seraient donc de négliger les enjeux techniques et ses pouvoirs car il est vraisemblable que s’y jouent de plus en plus les futurs enjeux institutionnels. Négliger les fonctionnements des dispositifs techniques équivaut à négliger les dispositifs adminstratifs, c’est courir le risque d’être dépossédé quelque peu voire « prolétarisé ».

Développer l’analyse des clips musicaux : il nous faut des profs de littératie

Je pense de plus en plus que l’étude des clips musicaux mériterait une plus grande part dans l’Education. Les possibilités éducatives et culturelles sont multiples et permettent d’effectuer facilement des liens avec des œuvres de la littérature, avec d’autres références notamment cinématographiques.

Une telle étude permettrait de motiver la découverte de divers horizons et permettraient aux élèves d’aiguiser le regard critique face à la diversité des images qu’ils peuvent rencontrer.

Il ne s’agit pas de remplacer l’étude d’œuvres littéraires par des clips mais de procéder à un rééquilibrage ainsi qu’à de nouvelles méthodes pour tisser des liens entre les supports.

Il s’agit d’ouvrir davantage les élèves aux différentes lectures qui existent car comme nous l’avions évoqué précédemment avec notre définition de la littératie.

Rien qu’à partir d’un clip, il est parfois possible de réaliser des séquences assez poussées et motivantes pour les élèves. Evidemment, cela demande des connaissances variées qui nécessitent une culture générale variée (et pas seulement normée) mais aussi celle d’une culture numérique (au sens d’une maitrise des usages des objets numériques avec la capacité à manier cette matière numérique pour former et in-former -et non pas déformer les élèves).

Il est possible de partir de clips relativement populaires pour réaliser ce genre de travail. Je songe ainsi notamment aux clips de Mika qui résultent de syncrétisme musicaux divers et qui fourmillent de références intéressantes. C’est-à-dire qu’il faut réaliser à partir d’un clip, un examen hypertextuel –je rappelle que le texte dans la définition d’Yves Jeanneret est ce qui nécessite une lecture- qui peut nous mener à réaliser des éléments historiques de la musique disco, des comparatifs avec des œuvres cinématographiques, des séries TV, l’étude de texte notamment ceux de Lewis Caroll, les éléments mythologiques (le dieu cerf et ses éventuels prolongements dans les jeux de rôle), les feux d’artifices (histoire et propriété de la poudre), etc.

 

Bref, à partir du clip de Rain de Mika, il est possible par liaisons et rebonds d’étudier une variété de sujets à l’infini. Je tenterais d’en donner quelques pistes sur cactus acide dans le courant du mois de Janvier. L’occasion pour moi de rappeler que toutes les bonnes volontés sont acceptées pour cactus acide qui va sur ses deux ans. J’aimerais bien développer l’idée de séances de travail à partir de clips musicaux ou de publicités voire des courts extraits de films et de séries.

Selon moi, nous avons désormais davantage besoin de professeurs de littératie que de français ou de toute autre discipline. Or, depuis des années, nous avons fait l’inverse en cloisonnant et formant des spécialistes de leur domaine, estampillés d’une certification et d’une agrégation. Or, ce dont nous avons de plus en plus besoin, ce sont des tisseurs et des passeurs de savoirs qui incitent l’élève à mieux retenir en reliant des éléments avec d’autres, voire en les opposant pour développer des analyses critiques puis en les recomposant pour éventuellement commencer à créer et à innover. C’est alors seulement, que l’intérêt pour les disciplines et ses spécialisations peuvent apparaître. Les spécialisations didactiques doivent faciliter la compréhension et l’articulation des notions. Mais dans les faits, ce sont les éléments institutionnels qui ne font que séparer les connaissances au travers d’emplois du temps divisés par disciplines et classes de travail pour tenter non pas de faire progresser l’élève mais pour mieux le surveiller.

L’Education a donc perdu peu à peu ses bases essentielles que sont celles de l’étude et de la capacité à étudier à l’abri d’autres sollicitations que sont celles du neg-otium, du négoce ou du travail au service des autres.

Certes on peut certes déclamer qu’il faut changer de «  logiciel » ou affirmer l’importance de l’Ecole- ce que n’ont de cesse à répéter certains discours politiques- mais il n’y a bien souvent aucune vision concrète de ce qu’il faudrait faire. En grande partie, parce que beaucoup n’en ont aucune idée, et que d’autre part, un réel changement de logiciel nécessiterait un changement organisationnel massif et une reformation institutionnelle qui ne pourrait s’effectuer sans affronter les bastions institutionnels qui se sont constitués et qui sont bien loin d’avoir la malléabilité du numérique. Tout le monde veut bien que ça change, surtout si ça concerne l’autre.

Retour sur la littératie. (deuxième partie)- La permanence du texte

Nous avons été confronté plusieurs fois à des réflexions sur la littératie, son utilité et notamment sur le fait de savoir si elle n’était pas en fait « surestimée ». Nous avons considéré au contraire que dans la culture de l’information se maintient le concept de littératie. Pour cela, il faut revenir aux enjeux du texte et à la définition développée par Yves Jeanneret. En effet, bien souvent il s’agit de remettre en cause la notion de texte qui serait de plus en plus dépassée par l’omniprésence des nouveaux médias et notamment le primat de l’image sur le texte. S’en suit ainsi toute une série de visions véhiculées d’ailleurs par la télévision et les messages publicitaires qui conduisent à parler de fin de la lecture ou bien encore qui incitent certains responsables de sociétés informatique, tel Steve Jobs, à critiquer les projets de livres électroniques des concurrents en annonçant simplement que ces derniers ne peuvent qu’échouer puisque plus personne ne lit. Pourtant, il semble que la lecture ne disparaît pas pour autant et qu’au contraire son champ ne fait que s’accroître si on persiste dans la définition du texte de Jeanneret.

Au final, la confusion qui règne à ce sujet s’explique également par une mauvaise interprétation du mot texte et s’inscrit dans un paradigme informationnel. De la même manière, l’expression digital natives est une des conséquences d’une mauvaise interprétation du concept de texte :

Dans les réflexions sur l’informatique, la notion de texte n’est pas une ressource, mais un repoussoir. Le « tout numérique » nous dit : choisis ton camp, culture du texte ou société de l’information. Ce discours est fécond en antithèses : le révolutionnaire s’y oppose au désuet, l’ouvert au clos, l’immatériel au matériel, l’accessible à l’éloigné. Le texte est du côté de l’ancien, du fermé, du pesant, du médiat. 

Selon nous, il y a bel et bien une permanence du texte et même de l’hypertexte qui ne sont d’ailleurs nullement opposés et la littératie recouvre bien ces divers aspects faisant sortir le texte d’une doxa lui accordant un statut uniquement graphique, si ce n’est alphabétique au niveau occidental. Ivan Illich voit même dans le livre une concrétisation de l’abstraction textuelle. Ce dernier constate déjà au début des années 90 les nouvelles évolutions du texte :

Ce foyer est aujourd’hui aussi démodé que la maison où je suis né, alors que quelques lampes à incandescence commençaient à remplacer les bougies. Un bulldozer se cache dans tout ordinateur, qui promet d’ouvrir des voies nouvelles aux données, substitutions, transformations, ainsi qu’à leur impression instantanée. Un nouveau genre de texte forme la mentalité de mes étudiants, un imprimé sans point d’ancrage, qui ne peut prétendre être ni une métaphore ni un original de la main de l’auteur. Comme les signaux d’un vaisseau fantôme, les chaînes numériques forment sur l’écran des caractères arbitraires, fantômes, qui apparaissent, puis s’évanouissent. De moins en moins de gens viennent au livre comme au port du sens. Bien sûr, il en conduit encore certains à l’émerveillement et à la joie, ou bien au trouble et à la tristesse, mais pour d’autres, plus nombreux je le crains, sa légitimité n’est guère plus que celle d’une métaphore pointant vers l’information »

Ici, le mot information semble péjoratif dans l’esprit d’Illich comme s’il s’agissait d’un élément brut, opposé à une connaissance issue d’une construction. C’est tout l’intérêt de l’expression information literacy de regrouper en fait deux termes d’apparence contradictoire mais qui montre que demeurent la littératie et l’action de lire dans l’accès à l’information. En effet, c’est cette action de lire (studium legendi) qui permet au lecteur de rechercher le sens. L’acte de lire devient formateur autant pour l’esprit que pour le corps:

La raison pour laquelle le studium legendi est une quête de la sagesse efficace et infaillible se fonde sur le fait que toutes choses sont imprégnées de sens, et que ce sens n’attend que d’être mis en lumière par le lecteur. Non seulement la nature ressemble à un livre, mais la nature est un livre, et le livre produit par l’homme lui est analogue. Lire est un accouchement. Et la lecture, loin d’être la manifestation d’une abstraction, est celle d’une incarnation. Lire est un acte somatique, corporel, d’aide à la naissance du sens qu’engendrent toutes les choses rencontrées par le pèlerin au long des pages.

Derrière cette confrontation et cette action de lire, nous retrouvons la notion de document qui perdure également et qui explique que la documentation ne disparaît pas pour autant malgré l’idée du primat de l’information. Nous verrons d’ailleurs que c’est aussi la base du projet de la didactique de l’information de rappeler les notions essentielles qui se maintiennent malgré les évolutions techniques.

Selon Jeanneret, l’information n’émerge que dans la confrontation du document avec le chercheur. Jeanneret soulève et réfute deux objections quant à la prédominance du texte. La première est portée par les discours commerciaux et médiatiques : l’objection « iconiciste », la seconde concerne plus particulièrement les nouveaux médias et la sphère des jeux-vidéos.

La domination de l’image sur le texte ?

Désormais, l’image dominerait, suivant en quelque sorte le passage des médiasphères de Régis Debray avec l’avènement de la vidéosphère. Debray insiste néanmoins sur le fait que les différentes médiasphères constituent des dominantes mais qu’elles ne s’excluent pas. L’image et le texte ne s’opposent pas nécessairement car dans la définition de Jeanneret, l’image est un texte puisqu’elle nécessite aussi une lecture, une interaction avec le lecteur. La notion de texte ne doit donc pas être assimilée au livre. Nous restons donc fidèle au texte non pas dans le sens où l’entend Mallarmé, refusant l’illustration et notamment les photographies au sein des ouvrages, mais considérant que l’image appelle une lecture et demeure donc un texte. Le texte n’est pas qu’un seul objet imprimé voire alphabétique. Ce serait d’ailleurs une vision purement occidentale que d’oublier les systèmes d’écritures notamment asiatiques basés sur des idéogrammes qui sont évidemment
des images. L’opposition texte/image résulte donc d’une confusion.

L’objection sensorielle :

Les nouveaux médias seraient vecteurs de nouvelles sensations, nouvelles sollicitations visuelles, immersion dans de nouvelles réalités, de la réalité augmentée à l’univers fictionnel des jeux vidéos. Selon nous, le texte demeure bel et bien présent dans ces évolutions médiatiques, d’une part parce qu’elles reposent sur des stratégies d’écriture et d’autre part parce qu’elles nécessitent une « interprétation », une forme de lecture. Le terme d’hypermédias est d’ailleurs également utilisé, s’il convient de manière à montrer l’extension du terme d’hypertexte, il se révèle en fait un contresens dans la mesure où l’hypertexte est nécessairement un hypermédia tout comme le texte est un hypertexte potentiel.

Crawford KILLIAN. Is literacy overrated ? Or are news media just overreacting ? in Aberystwith university, Pays de Galles, Billet du 27 septembre 2005. Disp sur : <http://thetyee.ca/Mediacheck/2005/09/27/LiteracyOverrated/>

Anna BRILL. Is literacy is over-rated. 10 mars 1998. Disp sur : <http://www.aber.ac.uk/media/Students/alb9601.html>

2 Yves JEANNERET. Le procès de numérisation de la culture : Un défi pour la pensée du texte. Protée, Volume 32, numéro 2, automne 2004, p. 9-18, p.9

3 Ivan ILLICH. Du lisible au visible : La Naissance du texte, un commentaire du «Didascalicon» de Hugues de Saint-Victor. Cerf, 1991

4
Ibid.

5 « Je suis pour — aucune illustration, tout ce qu’évoque un livre devant se passer dans l’esprit du lecteur ; mais, si vous remplacez la photographie, que n’allez-vous droit au cinématographe, dont le déroulement remplacera, images et texte, maint volume, avantageusement. » Mercure de France, janvier 1898.