Lecture : marcher sur les terres du cyberespace

Lecture

Récemment j’ai été fort étonné de voir le président du CSA s’enthousiasmer du succès de la TNT notant que la durée moyenne devant la télévision s’était allongée de 30 minutes pour ces spectateurs. Cela fait bien longtemps que l’on sait que le CSA ne veille pas à la qualité à la télévision et encore moins à la qualité de l’information produite mais c’est tout de même étonnant de constater que c’est 30 minutes le sont au détriment d’autres activités culturelles ou sportives…comme la lecture …ou la marche.

Même si c’est 30 minutes ne  sont peut-être pas seulement consacrées à regarder les films érotiques en soirée il est évident que ça ne constitue pas un progrès culturel du citoyen français.

La lecture se trouve donc sans cesse en baisse bien que certains tenteront de nous prétendre le contraire. Il ne s’agit pas de plaider pour un retour à un passé mythifié dans le style « sauvez les lettres » mais de réfléchir à un nouveau type de lecture : la lecture sur écran.

 

Bien souvent la navigation et la recherche des élèves ressemblent à un sprint irréfléchi voire « débile ».  Pire parfois je me demande s’ils n’y prennent pas plaisir. Pourtant c’est totalement inefficace. J’en viens à me demander si la pratique de certains jeux-vidéos ne se trouve pas antinomique avec la recherche sur Internet. L’activité ludique sur écran nécessite une rapidité systématique et automatisée qui contraste avec la nécessaire réflexion et avancée dans le calme de la recherche. Les collègues auront remarqué que nombre d’élèves ayant réussi à trouver un site pertinent…le quitte prétendant n’avoir rien trouvé. D’autres peinant se voient alors aidé par l’entremise du documentaliste qui lui trouve la source intéressante. Pourtant parfois quelques secondes plus tard, l’élève est reparti dans ses incessantes recherches infécondes. Pourquoi ? Parce qu’ils ne lisent pas, ils ne veulent pas lire ou ne savent pas vraiment lire. 15 lignes à lire sur écran représente un effort trop grand pour beaucoup. Le seul effort consenti est un petit copier-coller sur Word.

Voilà pourquoi je plaide pour la marche, activité intéressante pour le corps mais aussi pour l’esprit qui tourne souvent à plein régime comme en témoigne les rêveries de certains promeneurs solitaires ou l’école péripatéticienne. Or bien souvent il faut savoir marcher sur les terres de l’Internet. Il ne suffit pas de naviguer pour tomber de Charybde en Scylla même avec le navire Google. Il faut savoir poser ses bagages, regarder, observer et comprendre, puis apprendre. Qu’il est pénible de voir nos élèves telles des âmes errantes foncer sans jamais s’arrêter. Ce n’est pas ça la navigation sur le net, c’est Jules Verne qu’on assassine au profit de Speedy Gonzales !

Il est vrai que l’apprentissage de la lecture dans les livres était pour cela plus aisée. Nos pas de lecteur tentait de suivre ceux de l’auteur, y compris lorsque nous recopions les textes. Cela n’avait sans doute pas une grande originalité, mais il y a dans la copie quelque chose qui se rapproche du respect et de la tentative de suivre les traces des prédécesseurs. Tandis que le copier-coller s’apparente plus à du vol à l’arraché.

 

Evidemment, vous commencez à vous dire, voilà que ce documentaliste de moins de 30 ans devient vieux face à ces piètres capitaines d’à peine 15 ans ! Que nenni, je ne fais que dire qu’il faut savoir user  de ces capacités à bon escient. Je n’interdis donc pas de courir, de sprinter, voire de voler sur les terres du cyberespace. Il faut simplement savoir prendre son temps par moment. Quelques instants pour lire, comprendre et apprendre. Et ensuite écrire à son tour, pour être lu, pour que quelqu’un s’arrête pour nous lire, et continuer à parcourir.

 

Il faut sans doute apprendre à lire sur écran, mais aussi mettre au programme des méthodes de lecture rapide qui sont d’ailleurs totalement opposées aux méthodes syllabiques qui feront de nos élèves des lecteurs qui ne cessent de subvocaliser. Il y a encore beaucoup de travail à faire. Mais il faut pour cela que les initiés du cyberespace soient un peu mieux considérés si on ne veut pas que certaines odyssées soient de courtes durées.

Du catalogue au blog : le catalogablog

J’avais écrit l’année dernière un article qui avait suscité beaucoup de débats : « le catalogage : l’art de décrire un livre sans l’avoir lu » . Un an après ma réflexion se poursuit avec un titre volontairement à nouveau  provocateur. C’est d’ailleurs la meilleure manière de susciter des réactions. Je ne prône évidemment pas la disparition totale du catalogage mais une évolution vers un enrichissement du catalogue. J’avais il y a quelques mois lancé un autre appel afin que nous puissions construire les bibliothèques numériques ensemble. Visiblement cela n’intéresse pas grand monde de même que ma proposition sur les jeudis de la lecture . J’ai mis cette absence de réactions sur le fait que la période hiémale est plus propice à l’hibernation, le printemps étant présent j’espère un peu plus de dynamisme.

L’avenir des catalogues de bibliothèques réside désormais dans les blogs. L’idée émerge avec parfois le nom de catalogablog.   et même  connaît des applications collaboratives . Olivier Ertzscheid (encore lui !) avait déjà soulevé la question .

Les catalogues doivent donc s’enrichir de « digital stuffs » et autres « bidules » qui permettent aux usagers de proposer des résumés d’ouvrages et des commentaires, de voter, de recommander, de proposer des tags (je reviendrai bientôt sur les folksonomies), etc.

Le catalogue se démocratise, devient web 2.0, devient interactif moins obscur et surtout demeure de ce fait utilisé. Pourquoi ne pas y inclure un moteur cartographique, relier les usagers entre eux ? Tant de possibilités sont offertes, utilisons les. Les aspirations que j’avais écrites en 1999 dans les premiers textes du guide des égarés deviennent de plus en plus réalisables. La bibliothèque et son catalogue orienté Web 2.0 opère des changements spatio-temporels et des conceptions différentes. La bibliothèque est éclatée en plusieurs lieux et diversifiée. Je ne comprends d’ailleurs pas les obsessions de certains politiques à vouloir construire des médiathèques pharaoniques. La grande bibliothèque centralisée est à mon sens dépassée et babélienne. C’est une erreur coûteuse et  qui généralement privilégie un projet architectural grandiloquent par rapport à une réelle réflexion urbaine et sociale. Je reviendrai sans doute sur ce point une autre fois.

 

Face à la facilité du guichet Google beaucoup d’usagers oublient l’intérêt pourtant immense du catalogue. Je constate d’années en années que mes élèves de collège malgré les injonctions  perdent le réflexe d’aller consulter la base de données BCDI. Je continue par conscience professionnelle à cataloguer les ouvrages et articles du fonds mais BCDI n’attire plus. J’envisage peut-être de passer à un logiciel libre mais je ne sais pas lequel pourrait être le plus orienté « catalogablog » car c’est là l’intérêt. Quant à savoir s’il faut que Motbis y soit intégré ou non, et bien franchement je crois qu’on peut désormais se passer du thésaurus du CNDP et plutôt utiliser des tags et autoriser les usagers et élèves à en rajouter. Cela évitera les sempiternels débats notant que Céline Dion est dans le thésaurus et pas Thomas Hobbes. Ce n’est pas plus choquant d’ailleurs que le fait que les ouvrages de Danielle Steel occupent déjà plus de place dans bon nombre de bibliothèques que beaucoup d’auteurs talentueux.

 

Le « catalagoblog » implique de nouveaux usages tant de la part des usagers que de la part des professionnels de l’information. C’est sans doute aussi de nouvelles réflexions qui méritent d’être soulevées dans la façon de cataloguer, dans la formation et le recrutement.

 

J’en appelle donc toujours aux bonnes volontés dans la construction de projets collectifs notamment celui d’un  site Web 2.0 un peu dans le style de « mauvais genres » de Bernard Strainchamp.  J’en appelle surtout aux directeurs de bibliothèques et conservateurs qui n’ont pas réagi face à cette fermeture ce que j’ai trouvé relativement lamentable. Mais peut-être n’est-ce  après tout qu’un problème de compétences ou de reconnaissance, à moins que ce ne soit qu’un sinistre symptôme. J’ose encore espérer que non. Ces projets ne peuvent se faire que collectivement et il y a suffisamment de richesses (ouvrages, personnes et usagers) dans le monde des bibliothèques et de la culture pour que cela puisse fonctionner.

 

Alors cataloguons, bloguons, échangeons, construisons…

Information literacy dans l’oeil de l’adbs

Le dernier numéro de l’oeil de l’adbs est sorti et est consacré à l’information literacy :
http://www.adbs.fr/site/publications/oeil_adbs/06/oeil_adbs_no6.html#metiers_interview
J’ai eu le plaisir d’écrire le court article pour la rubrique mot-clé.

tags : information literacy , adbs
Olivier Le Deuff
www.guidedesegares.fr

Génération Z : nouveaux usages, nouveaux publics.

Plusieurs articles et études viennent d’être publiés récemment à propos d’un public qui m’intéresse particulièrement à savoir la génération née après 1990. Cette dernière est nommée génération Z et aurait des particularités qui lui sont propres. Ainsi elle est née au moment de la création du World Wide Web et aurait été plongée dans un environnement doté d’interfaces graphiques ce qui expliquerait son attirance pour tout ce qui est multimédia et usages du sms, des mails et des messageries instantanées.

Je souscris assez à cette vision du fait que je crois qu’il existe de sérieuses différences entre les générations suivant le climat socioculturel, médiatique et technique dans lequel ils évoluent. D’ailleurs je le constate moi-même chaque jour auprès de mes élèves. Il est évident par conséquent que les comportements et les usages varient d’une micro-génération à une autre. La génération Z possèderait donc des habiletés communicationnelles et tisserait des liens plus forts grâce aux NTIC. Les articles ou les études que j’ai lus sur cette génération oublie parfois de mentionner un élément qui me semble également primordial. Outre le fait que ces jeunes gens soient fortement influencés par une communication basé par les nouvelles technologies, elle s’avère née après 1989, après la chute du mur de Berlin. Par conséquent les représentations politiques de mes élèves n’ont plus rien à voir avec celles des générations précédentes fortement marquées par des affrontements idéologiques souvent duales : démocratie contre dictatures puis guerre froide ouest-est. Pour beaucoup de ces jeunes gens vivant notamment dans les pays de l’OCDE, la situation politique dans laquelle ils vivent leur semble difficilement changeable :

    ils n’imaginent pas que la démocratie n’a pas toujours été présente.

    Malgré tout leur intérêt et leur confiance pour les institutions sont faibles.

 

La confiance est de ce fait plus grande dans les médias récents que dans ceux devenus traditionnels. Leur aisance semble plus grande dans la pratique du téléphone portable ou des de l’Internet. Certains observateurs notent la capacité de certains à utiliser leur téléphone portable tout en étant sur leurs blogs. Malgré tout il s’en dégage comme une superficialité parfois dans les usages. En effet beaucoup de ces usages seraient des mésusages ou des ab-usages comme le qualifieraient Yves le Coadic. En effet nous voyons fréquemment des détournements voire des négligences (concept que nous avons créé pour définir toutes les activités de non-lecture ou de mauvaise lecture.) C’est pour cette raison que l’information literacy devient primordiale face à l’entropie informationnelle. De plus nous notons une tendance à privilégier l’esthétique, voire le futile par rapport à l’information réelle ou à la connaissance.

 

Les pratiques de ces usagers nous incitent à entrevoir le futur de manière différente.

Les ebook et autres livres électroniques ont par conséquent à notre avis un avenir réel. Les machines numériques portables permettent de lire des vidéos, d’écouter de la musique ou de lire des ouvrages. D’ici quelques années, le livre électronique deviendra une réalité et aura surmonté ces actuels désavantages face au papier. Une réflexion est donc à mener au sein des bibliothèques car il est évident que le public adolescent n’y est pas toujours bien vu ou en tout cas incompris. Si leurs relations avec les bibliothèques sont trop éloignées, il est évident qu’ils n’y retourneront pas une fois adulte. Il faut réfléchir dès aujourd’hui à d’autres types de lieux culturels avec des bibliothécaires-médiateurs avec de la personnalité. Les réactions sur la liste biblio.fr (les chroniques des vieilles bibliothécaires) sont révélatrices d’un besoin de recruter des personnels ayant des qualités socioculturelles plutôt que des techniciens du catalogage.

Les temps changent, mutatis mutandis…

 

Bibliographie :

Le Coadic, Yves.(2004) Usages et usagers de l'information. ed;128-adbs. 

Worldwide Teen Generation Dubbed 'SuperConnectors'

Enochsson, A. (2005) "The development of children's Web searching skills – a non-linear model"   Information Research, 11(1) paper 240 [Available at http://InformationR.net/ir/11-1/paper240.html ]

 Le blog de Lorenzo Soccavo sur les livres électroniques: nouvolivreactu.

Faut-il traduire « information literacy » : traduction ou trahison

Le concept d’information literacy peut-il être vraiment traduit ?
Et s’il fallait plutôt plaider pour un bilinguisme?

Je m'interroge depuis peu sur le problème de la traduction. En effet faut-il traduire « information literacy » ?

Pour ma part, je penche plutôt pour le non. La traduction par "maîtrise de l'information" me paraît un peu pauvre.  De plus j’y vois dans le terme de maîtrise, une volonté sous-jacente de contrôle (institutionnel) mais peut-être est-ce une erreur.

Les débats sur la traduction d’expression anglaises (ou américaines) deviennent fréquents en ce moment. Je songe au débat sur la traduction de l’expression « digital stuffs » de l’article de Carl Lagoze. J’ai proposé « bidules » mais est-ce une bonne solution ? La réflexion s’est poursuivie également sur la liste du RTP-Doc et finalement je crois, comme plusieurs intervenants, que la meilleure solution est le bilinguisme. Pourquoi sans cesse traduire quand on sait que le risque de la traduction c’est la trahison ? D’ailleurs, je pense que nous ne devrions pas traduire toutes les séries étrangères qui sont diffusées sur nos chaines de télévision. Nos difficultés en langue viennent certainement de là quand on voit nos voisins scandinaves parfaitement bilingues. La langue française n’en sera pas menacée pour autant. Il faut noter que dans la blogosphère la langue française est plutôt pas mal représentée. Néanmoins l’anglais demeure la langue la mieux partagée. Ainsi le terme d’ « information literacy » est connu à l’international ce qui permet les échanges entre bibliothécaires, documentalistes et enseignants de tous pays autour de ce domaine. J'effectue ainsi régulièrement du tracking sur Technorati.

Il faut reconnaître que dans beaucoup de domaines scientifiques il est inconcevable de communiquer dans d’autres langues que l’anglais. Cela peut être à déplorer mais il est dommage que nous ne puissions pas faire part de nos idées sous prétexte que nous ne voulons et pouvons nous exprimer qu’en français. Je vois donc le bilinguisme comme une solution. Si les français communiquent plus en anglais, leurs idées pourraient être plus représentées. Mais cela ne signifie pas qu’il faille sans cesse écrire en anglais, au contraire. Certains de nos écrits demeurent bien meilleurs en français, alors il vaut mieux en donner des résumés en anglais. Et qui sait si nous devenons performants, nous donnerons peut-être envie à nos confrères internationaux, aux étudiants intéressés par nos travaux de se mettre au français.

Le bilinguisme ou multilinguisme vaut pour tout le monde. Mais il est clair qu’il est impossible de maîtriser tous les idiomes. Nous aurons donc toujours besoin de traducteurs. Néanmoins pourquoi ne pas s’interroger sur d’autres formes communicationnelles usant de représentations idéographiques mêlées à des techniques de mind mapping.

 

Le débat est ouvert.

Vous pouvez vous prononcer sur la question en répondant au sondage en bas à droite.

 Et réagir sur le forum :

http://gde.jexiste.fr/phpbb/viewtopic.php?p=10#10 

 

Les jeudis de la lecture : Quelques idées pour réconcilier les intérêts et les moyens.

En ces temps de querelles incessantes sur les méthodes d’apprentissage de la lecture, il est temps de tenter de réconcilier les intérêts, les envies et les moyens autour de projets communs. Il est évident que les activités de lecture sont fortement concurrencées et que les plus jeunes en pâtissent le plus ce qui n’est pas sans conséquence sur les capacités de lecture et écriture ainsi que sur l’acquisition d’une culture générale.
Pourquoi ne pas proposer une manifestation non plus annuelle comme « lire en fête » mais hebdomadaire. Il est clair que les évènements anniversaires sont à mon avis insuffisants pour impulser une dynamique sérieuse.
L’idée est donc de dédier un jour en particulier dans la semaine où les initiatives pour la lecture seraient accrues. Je propose le jeudi. Nous pouvons encore débattre là-dessus. L’idée du jeudi est sortie de mon esprit sans grande réflexion philosophique ou scientifique.

Le but est d’inciter à la lecture quelles que soient ses formes, du blog au roman en passant par la presse. Il est clair qu’il ne s’agit pas de privilégier le roman par rapport à toutes autres formes de lecture. Il est évident que la lecture s’accompagne de son pendant écriture et que je reste persuadé que le fait d’inciter à produire des textes et autres contenus même à diffusion limitée accroît l’intérêt pour les écrits des autres.

 

Que se passerait-il ?

 

Des manifestations seraient organisées ce jour-là dans les lieux adéquats. Nous pouvons envisager dès lors des fermetures de bibliothèque plus tardive avec des animations du style café-littéraire, débats, lecture à haute voix, etc.

Il en serait de même pour les librairies qui pourraient obtenir un droit d’ouverture prolongé le soir.

Les possibilités d’animation étant nombreuses, je ne vais pas les lister ici. Mais je pense que  ces journées  pourraient participer à l’enrichissement de bases de données collectives sur les livres et autres ouvrages. (cf. mon appel : construisons les bibliothèques numériques)

 

Pour que ces projets puissent avoir des effets, il faut envisager d’autres mesures que je livre ici un peu en vrac:

         Les publicités pour les livres seraient autorisées à la télévision ce jour-là.

         Les chaines de télévision devraient consacrer au moins cinq minutes de leurs programmes à la littérature ou ayant un lien avec la lecture.

         Les émissions de télévision à heure de grande écoute ayant un caractère non culturel  seraient contraintes de reverser 5% de leurs recettes publicitaires à un fond pour la lecture.

         Ce fonds permettrait d’augmenter les budgets des bibliothèques et pourrait être utilisées pour des remises de prix au sein de l’Education Nationale. Cela permettrait d’alimenter un fonds compensatoire pour les auteurs qui voient leurs ouvrages lus et empruntés en bibliothèque.

         La fiscalité sur le droit d’auteur devrait être revue pour être plus avantageuse. Nous pouvons imaginer des systèmes d’autant plus intéressant si l’auteur décide de laisser une partie de ces droits dans le domaine public.

         Les projets de bibliothèques numériques ont besoin de fonds. Pourquoi ne pas envisager une taxe BNE sur les loteries notamment européennes ?

         Des projets de recherches interdisciplinaires sur les méthodes d’apprentissage de la lecture seraient développés.  J’entends ici apprentissage depuis le plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte. Pour sortir des débats entre méthodes syllabiques, globales ou semi-globales, il serait intéressant d’étudier l’apprentissage des méthodes de lecture rapide et les techniques des schémas heuristiques fort intéressantes en ces temps de surabondance de l’information.

 

 

Il est encore possible d’imaginer plein d’autres solutions. Alors faites-part de vos idées sur le forum consacré à la question. Le but est de proposer une synthèse collective qui pourrait être envoyée notamment à nos gouvernants souvent en panne d’idées.

 

Documentalistes, information-literacy et enseignement

Et si on faisait fausse route ? En luttant pour une reconnaissance, nos cherchons à calquer nos modes de travail sur les autres en espérant devenir une discipline comme les autres. S’il est vrai que c’est comme cela que ça fonctionne de manière institutionnelle, ce n’est pas vraiment le cas au niveau pédagogique et au niveau intellectuel. J’étais moi aussi favorable à une agrégation en documentation comme le proposait Le Coadic. C’est peut-être une des solutions. Mais elle présente le risque de la division et ce qui est finalement pire d’ « embourgeoisement » de la discipline. Finalement j’ai réexaminé la question autrement. L’agrégation a-t-elle encore un sens ou sa place aujourd’hui dans le système éducatif. La réponse est non. Il ne faut pas d’agrégation en documentation car il ne faut probablement pas d’agrégation du tout.

Concernant l’information-documentation, le niveau purement théorico-disciplinaire doit demeurer surtout au niveau universitaire même si quelques notions peuvent être évoquées avant. Quant au lycée, il faut envisager des cours d’information-communication en seconde, devenant optionnel en suite avec des cours de communication et de journalisme. Je pense que nous devons être également présent dans la réforme nécessaire de la section littéraire où nous pourrions participer à des projets de productions de contenus et donner des cours sur des thèmes comme par exemple l’histoire de l’Internet jusqu’à comment être lu sur Internet. Le développement des blogs, des podcasts et autres moyens de communication rend nécessaire ces cours. Il est clair qu’il nous sera reproché peut-être ici une américanisation du système puisque les enseignements de communication sont plutôt anglo-saxons.

Pour ce qui est du collège, il faut tout repenser à la « manière finlandaise ». Je renvoie pour cela à « mon projet » de reforme de l’Education Nationale. Le collège se doit d’être plus trans-disciplinaire notamment en sixième-cinquième.

Des changements technologiques en marche et à venir.

Les premiers mythes évoqués au début de l’Internet sont en train de devenir concrets.

L’enseignement des méthodes de recherche d’informations, de classements, de compréhension de l’information, de productions d’écrits ou de documents multimédias devient une nécessité à l’heure où l’on parle de Web2.0. Chacun doit devenir son propre documentaliste, l’information se personnalise mais chacun aussi peut produire des documents. Dès lors le rôle du documentaliste ne sera pas seulement de mettre à disposition livres, revues et accès à Internet. Son rôle doit être de former à la maitrise de l’information et de la communication. L’information literacy va devenir incontournable et il est clair que peu d’enseignants y sont préparés y compris parmi les documentalistes. Il ne suffit plus de savoir gérer une base de données et de connaître les classifications Dewey et CDU. A l’avenir les classifications seront personnelles et les outils que sont les agrégateurs de flux Rss, les logiciels de signets et favoris, les blogs, les CMS, les métadonnées, les techniques de podcasting, le mind-mapping, les logiciels de cartographie de l’information sont autant de notion qu’un documentaliste ne devrait pas ignorer. Et pourtant combien de nous peuvent se targuer de maîtriser toutes ces notions et technologies ?

La maîtrise des outils et techniques.

Or, c’est bien l’avenir du document numérique qui doit nous préoccuper aussi. Je ne vois pas comment nous pouvons prétendre transmettre des savoirs et des connaissances sans mettre les mains dans le cambouis. Comment peut-on prétendre connaître quelque chose aux nouvelles technologies de l’information et de la communication si on n’a jamais utilisé un blog, si on ignore les CMS et les agrégateurs de flux ? Il ne peut y avoir d’enseignement sans maitrise technique réelle des outils. Déjà beaucoup d’élèves ont des pratiques plus avancés que bien des enseignants.

Une base théorique solide.

De même il ne peut y avoir d’enseignement sans connaissance théorique en matière d’information-communication voir en sciences de l’éducation. Combien d’entre nous possèdent ou s’interrogent sur ces sujets ?

Quel avenir pour le lieu physique CDI ?

Il ne faut pas se voiler la face. Une discipline réelle se construit actuellement même si c’est une « transdiscipline ». Elle concerne toute la chaine du document de sa création à sa mise à disposition. Ce n’est donc pas du virtuel. Il nous faut donner à l’élève les capacités techniques et intellectuelles de la maîtrise de ces outils. Le B2i est un déjà un moyen intéressant mais il est insuffisant. Peut-être que des cours de formation doivent être également donnés à un niveau méta au niveau des enseignants. Cette transdiscipline va être confrontée à un sérieux problème : le manque de formateurs compétents si cela ne change pas au plus vite. Je pense pour ma part qu’il s’agit d’une voie à prendre pour les documentalistes motivés. Le lieu CDI va continuer à évoluer et se transformer mais la généralisation des portables avec accès à l’Internet, les ENT ainsi que les manuels numériques vont changer la donne. Le documentaliste sera sans cesse court-circuité et le lieu CDI de plus en plus déserté. La même menace existe aussi pour les bibliothèques. Les bibliothèques de romans resteront encore un peu attractives pour quelque temps. Mai
s d’ici peu un outil performant remplacera le livre papier et nous liront sur des écrans agréables. D’ailleurs la numérisation est moins onéreuse que la construction de très grandes bibliothèques. Cette disparition programmée des lieux physiques de savoir est parfois perçue par des personnes au sein de l’Education Nationale. Des projets documentaires d’établissements sont alors conçus. Mais c’est surtout une vision administrative du problème qui éloigne le documentaliste de sa tâche pédagogique et qui aboutit à une tension insupportable entre rôle pédagogique et rôle administratif symbolisée d’un côté par l’existence du Capes et de l’autre par notre appartenance à la vie scolaire via nos inspecteurs.

Personnellement je m’interroge sur la crédibilité de ces derniers. Comment peuvent-ils nous juger ? C’est un peu comme si on demandait à des juristes d’inspecter une centrale nucléaire. Et pourtant c’est ce que l’on fait.

Mais ici ce qui risque d’exploser c’est l’incompétence de nous tous face à des technologies passionnantes mais qui commencent à nous dépasser. L’humain doit maitriser la machine sans quoi les manipulations seront plus aisées pour les initiés.

Mission impossible ?

Le problème c’est que toutes ces propositions nécessitent une réforme totale du système. Seulement est-elle possible ? Il est clair que les réformes sont difficiles à mettre en œuvre du fait des positions contradictoire sur le système, mais du fait aussi que les positions institutionnelles que sont les disciplines ou les corps de professeurs sont tenaces. Or elles n’ont plus lieu d’être et ne sont les symboles que de corporatisme et d’inégalités flagrantes.

Il est vrai malgré tout que si on devait se contenter d’une reconnaissance uniquement disciplinaire, nos moyens de transmettre aux élèves seraient quand même accrus. Je crois qu’il faut quand même plaider pour une refonte totale. Et si nous devions ne pas réussir pleinement, les retombées sur la « discipline » seraient quand même présentes. Il est évident que l’obtention de l’agrégation dans certaines disciplines ces dernières années n’était avant tout qu’une volonté « disciplinocorporatiste » quand elle n’a pas été un moyen d’attirer du personnel compétent notamment dans les disciplines technologiques aujourd’hui en difficulté d’ailleurs. Mais il est clair qu’il faut continuer à militer et à proposer. Si nous ne parvenons pas à tout changer, notre impact voire notre capacité à gêner nous permettra au pire d’obtenir des avantages institutionnels et des moyens supplémentaires pour former les élèves de manière plus efficace car il est évident que nous ne pouvons plus continuer à « bricoler » sans cesse.

 

Téléchargements et droits d’auteur

Ce texte est la reprise d'un article écrit il y a peu près 2 ans. Je le propose ici avec quelques ajouts.
Le texte reste d'actualité avec la récente polémique face au texte voté à l'Assemblée Nationale.
Le texte d'origine est consultable ici
Je le reproduis sur le site en couleur bleue.
Les maisons de disques et autres éditeurs se plaignent des pertes encourues à cause du téléchargement sur Internet de films ou de musique. Il est évident qu'il faut tirer les conclusions d'un telle évolution. Les maisons d'éditions vont petit à petit perdre leur monopole sur la diffusion. De même, les incidences sur le droit d'auteur sont évidentes. Il existe cependant une solution : le doublement voire le triplement des droits de l'artiste. Cependant les droits d'auteur seraient réduits dans la durée. Une période de 5 ans voire 10 ans paraît convenable. Au delà, l'artiste garderait ses droits sur l'intégrité de son oeuvre mais abandonnerait ses droits financiers. Le but c'est de rétribuer les artistes à leur juste valeur au moment de la diffusion commerciale du produit. La période de 5 à 10 ans correspond à la durée "spectacle" du produit. Au delà, l'oeuvre rentrerait dans la sphère culturelle, sphère gratuite où chaque individu pourrait avoir accès gratuitement à la culture. Dès lors, seuls les téléchargements sauvages effectués durant la période de "spectacle" pourraient être exposés à des poursuites. D'autres moyens de diffusion des écrits et des musiques vont continuer à voir le jour. Il est probable que certains artistes passeront outre les diffuseurs traditionnels et vendront depuis leur site. Le prix de l'oeuvre connaîtrait une baisse significative et le pourcentage revenant à l'auteur deviendrait majoritaire. Cela constitue sans doute une menace pour les maisons de disque voire les librairies. Mais après tout il n'est pas choquant que ce soit les artistes qui soient enfin rémunérés à la hauteur de leurs oeuvres et non plus les intermédiaires. Les intermédiaires médiocres sont donc menacés, seuls les médiateurs de talents s'en sortiront. Mais il est clair que la mutation est en marche et que dans cette période d'interrogation les priorités sont le statut de l'artiste et le développement de la culture. Les velléités commerciales des intermédiaires passeront après. Le New Deal culturel commence…

Voilà ce que j'écrivais il n'y a pas si longtemps. Je crois aujourd'hui qu'il faut proposer des soltutions sérieuses de téléchargement légal pour les oeuvres qui sont encore dans la société du spectacle avec des forfaits mensuels. Je pense que la durée des droits d'auteur peut être ramenée à trois ans. Pour les oeuvres s'étant peu vendues, ces droits pourraient être prolongés jusqu'à ce que l'artiste est perçu une somme qu'il reste à fixer mais qui serait une rémunération perçue comme juste.
Certains artistes s'offusquent des amendements votés mais il manque sérieusement de réflexion sur leur travail. Leur succès vient du fait que les médias les mettent sur le devant de la scène. Cela ne signifie par pour autant qu'ils ont plus de talent que d'un chanteur lambda. Ils se plaignent mais oublient que beaucoup de personnes talentueuses écrivent, peignent sans recevoir des sommes extravagantes et ont un travail à côté.
L'oeuvre n'est pas forcemment commerciale. La culture ne passe pas nécessairement par une rétribution extravagante. Certaines sphères tentent de rendre le culturel hors de prix, notamment dans l'art contemporain. Il y a la volonté parmi ceux qui profitent du système de faire croire que la culture, que ce qui doit être écouté ou lu passe nécessairement par les médiateurs que sont les télévisions, les radios ou bien encore les maisons de disque. Il faut relativiser. Le téléchargement est un effet pervers de la légitimité fabriquée par ces médias.
Il est un danger bien plus menaçant pour ces grands groupes et artistes et que constituent l'Internet. C'est l'infime possibilité technique offerte à chacun de publier ses oeuvres littéraires ou musicales. Déjà il est possible de lire ou de télécharger des morceaux de musique de qualité parfois supérieure à ce que nous proposent les médias.
Tout n'est pas d'une qualité exceptionnelle sur Internet, mais sur la sphère médiatique c'est bien loin d'être le cas aussi.
Le problème est bien complexe et il n'y a pas que les artistes de la sphère médiatique qui peuvent s'estimer léser. Je n'ai rien contre la propriété mais trop de propriété c'est aussi voler. Franchement qui peut s'estimer de nos jours recevoir un salaire méritant ? Pas grand monde.
Alors quand je vois des artistes de renommée s'insurger, je suis perplexe. Sans doute n'ont-ils pas compris qu'ils ne sont que des marionnettes de la société du spectacle et que la loi que voulait faire voter le gouvernement était liberticide. Je crois qu'à l'inverse ils feraient mieux de s'investir d'avantage sur Internet. Enfin, je crois que bientôt les présentateurs télé qui sont payés grassement s'insurgeront aussi contre les podcast libres, les webtv et autres webradios.
Les temps changent et ce n'est pas toujours facile. Mais la liberté est à ce prix…Place au débat maintenant

Le machisme règne toujours ou le 21 avril permanent.

Une critique sur un phénomène insupportable qui démontre bien que nous avons encore beaucoup de progrès à faire.’ai le sentiment pour ne pas dire la certitude que la crise en France pourrait être plus grande. Mes constats ici rejoignent ceux qu’il est possible de faire en ce qui concerne les diplômés de l’enseignement supérieur. Finalement, c’est parce que j’exerce un métier où il y a beaucoup de femmes que je me rends compte du problème. Paradoxalement, il est plus facile pour moi de faire cette critique sans avoir à essuyer les traditionnels quolibets antiféministe qu’une femme aurait pu recevoir et qui aurait laissé cette constatation sans effet réel.

Le machisme règne en maître encore. Je ne veux pas rejoindre ici le travail des chiennes de garde qui bien souvent se trompent de combat et ne réagissent qu’à des réactions de provocation. Or, le dilemme est plus grand : les femmes mêmes mieux qualifiées que les hommes sont souvent moins payées que ces derniers. Ce n’est pas comme on l’entend trop souvent à métier égal mais plutôt lorsque l’emploi est majoritairement occupé par des femmes. La France n’est pas la seule dans ce cas, un professeur d’université de Montréal déplorait que les instituteurs étaient moins bien payés que les conducteurs de bus de la ville.

En France, c’est un peu la même chose. Un homme avec un Cap ou un Bac pro est souvient mieux payé qu’une femme avec licence ou plus. Quelle belle évolution et mentalité ! Des milliers d’arguments sont alors évoqués pour parvenir à ce que cet état de fait soit maintenu. L’homme doit-il gagner toujours plus que la femme pour satisfaire son impression de supériorité ? Tout cela est vraiment pénible et déplacé et conduit sans cesse à une dévalorisation du système éducatif puisque la société ne récompense pas toujours ceux ou plutôt celles qui ont joué le jeu.

Ce qui est gênant c’est que les professions où se trouvent le plus de femmes sont aussi les plus utiles, de l’enseignement aux domaines médicales ou encore à la culture. Bref le phénomène en devient pervers et la réussite d’une femme passe par une masculinisation de ses comportements. Les acquis étant peu sûrs, la femme cherche alors à garder des prérogatives dans des domaines qui lui étaient traditionnellement confiées : enfants et gestion domestique.

 

Visiblement, il est difficile d’avancer et il est toujours préférable au XXIème siècle en France d’être un homme blanc pas forcement exceptionnel que d’être une femme de couleur de grand talent. C’est tout simplement inacceptable. Le racisme, le machisme, la misogynie, le rejet des homosexuels, le dogmatisme, la démagogie demeurent présents et pas seulement chez les autres mais chez nous tous.

Il ne sert alors à rien de pleurer ou de rejeter sans cesse la faute sur les autres le soir d’un 21 avril 2002. Le 21 avril a lieu tous les jours et nous en sommes tous responsables.

L’influence cyberpunk sur les représentations de l’Internet

Faire exister : voilà l’objectif du programmeur comme de l’artiste. Faire émerger du sens de l’invisible[1].

L’univers poétique du numérique est d’ailleurs abordé aussi par Gibson :

« Je pense que nous sommes loin d'avoir découvert tout ce qu'il est possible de faire avec la technologie numérique. Nous sommes comme les inventeurs du cinéma qui pouvaient difficilement imaginer ce que leur outil allait devenir. Nous n'avons pas encore réalisé la dimension poétique du numérique. » [2]

William Gibson lui aussi perçoit cet invisible :

« Je pense que lorsque l'interface sera vraiment élégante, elle sera devenue invisible. »[3]

Cette vision se retrouve d’ailleurs dans son roman Mona lisa s’éclate où une intelligence artificielle apparaît de manière quasi fantomatique. Il faut sans doute y voir l’accomplissement du test de Turing. Nous ne pourrions plus distinguer la technique du « naturel. » Mais ce ne sont que des prospectives. Or notre mesure de l’Internet se déroule actuellement. Voilà sans doute pourquoi aussi l’imaginaire peut nous entraîner dans l’impossible mesure. La confusion de la mise sur le même plan du cyberespace imaginaire et idéalisé et de la réalité actuelle d’Internet comporte des risques. S’il existe un lien avec la mesure et sa mise en image notamment cartographique, le risque d’en obtenir une image faussée à cause d’un imaginaire trop débordant est présent. Il faut donc mesurer l’influence de cet imaginaire sur la représentation d’Internet.

1.3.2 L’imaginaire ou la représentation erronée.

Nous allons aborder dans cette partie du mouvement cyberpunk. Il apparaît d’après les travaux du québécois André Claude Potvin[4] et ceux de Dodge[5] que des conceptions, notamment américaine, de l’Internet ont été influencés par des « théories » et écrits cyberpunks. Nous pouvons rejoindre ici l’analyse de Pierre Musso qui voit une « co-émergence d’une mutation technique et d’un imaginaire qui lui est associé, comme s’il fallait mettre en scène la mutation pour la promouvoir et la réaliser, voire inventer des usages. »

Cette « co-émergence » ne peut être sans influence sur la représentation du cyberespace. Cette influence explique le titre de notre chapitre qui cherche à mettre en relation l’imaginaire notamment cyberpunk et la représentation du cyberespace et sa mise en image cartographique. Il en résulte comme un cercle vertueux ou vicieux c’est selon, d’où la comparaison qu’en fait André-Claude Potvin [6]:

« Comme le Far West, le cyberespace alimente bien des fictions, qui alimentent elles-mêmes la réalité. Comme les cow-boys au début du 20ème siècle, les cyberpunks influencent aujourd’hui la construction sociale d’un monde encore embryonnaire. »

L’influence cyberpunk.

"Le mouvement cyberpunk provient d'un univers où le dingue d'informatique et le rocker se rejoignent, d'un bouillon de culture où les tortillements des chaînes génétiques s'imbriquent."

Bruce Sterling, Greg Bear. Mozart en verres miroir .J’ai lu. Folio. 2001

 

Le mouvement cyberpunk décrit souvent la technologie et ses excès sous tous les angles en y mêlant les idées punk (liberté de chacun diminuée, dégradation de la société généralisée…) et des magnats dirigeants le monde depuis leurs terminaux d'ordinateurs, ainsi que des gadgets cybernétiques… Un univers décrit dans Neuromancien[7] de William Gibson, l'inventeur de ce genre. Le terme de cyberpunk est souvent difficile à définir totalement mais il est clair que le nom de Gibson revient sans cesse. Le créateur du terme « cyberspace » occupe une place primordiale au sein du mouvement. Son positionnement l’étonne lui-même :

« Pour créer des univers de fictions, je pars plus de mon intuition que de ce qui est logique, car pour moi le monde dans son ensemble est illogique. Quand j'ai commencé à m'intéresser aux ordinateurs je n'y connaissais rien, mais j'aimais bien le principe de l'interface, donc j'ai déconstruit le langage informatique et l'ai reconstruit à ma façon pour montrer ce que la technologie pourrait devenir. Et ce que j'ai imaginé a, en retour, commencé à influencer ceux qui fabriquent les machines. Tout ça n'a rien de rationnel. »[8]

Le problème vient sans doute du fait que les auteurs de science-fiction critiquent souvent le monde actuel en le déplaçant dans d’autres lieux et d’autres temps comme le souligne André-Claude Potvin [9]:

« Les idées et le vocabulaire science-fictionnel ne sont plus pour les cyberpunks de simples outils littéraires, mais des outils pour comprendre dans lequel ils vivent aujourd’hui, sinon dans un avenir plausible. »

Par conséquent, il en résulterait comme une confusion voire une incompréhension entre les auteurs cyberpunks et leurs lecteurs souvent scientifiques. C’est ce qui fait sourire Gibson :

« I was delighted when scientists and corporate technicians started to read me, but I soon realized that all the critical pessimist left-wing stuff just go over their heads. The social and political naiveté of modern corporate boffins is frightening, they read me and just take bits, all the cute technology, and miss about fifteen levels of irony.”[10]

Toute la critique de la société faite par Gibson est laissée de côté par les lecteurs scientifiques qui prennent dans son œuvre ce qui les intéresse, à savoir toutes les idées technologiques. Le succès de Gibson auprès de cette communauté peut s’expliquer par la « plausibilité » technique de ses romans. C’est ce que remarque Potvin à propos du personnage principal de Neuromancien [11]:

« Quand William Gibson a créé le cybernaute Case dans son roman-phare Neuromancien, il avait un usage en tête. Cet usager, il l’a conçu pour qu’il soit le plus réel possible. Cage est le personnage fictif le plus plausible qui soit… »

Le succès des écrits cyberpunks proviendraient de fait de leur plausibilité, de leur capacité à être réalisés. C’est ce qui permet sans doute à Pierre Musso d’écrire [12]:

« Le cyberespace, fruit de la science-fiction, devient un projet utopique universel réalisable. »

Quelle est cependant l’ influence de ces conceptions sur la « réalité » de l’Internet ?

 

1.3.3 Le cyberespace, fruit de l’utopie cyberpunk ?    

« Au lieu de tisser des réseaux de choses ou d’êtres, dessinons donc des entrelacs de chemins. Les anges ne cessent de tracer les cartes de notre nouvel univers(…) Visibles et invisibles, construisant les messages et les messageries, esprits et corps, spirituels et physiques, des deux sexes et sans sexe, naturels et techniques, collectifs et sociaux, en désordre et en ordre, producteurs de bruit, de musique, de langue, intermédiaires, échangeurs, intelligence. »

Michel Serres. La légende des anges.

Il est nécessaire de définir ce mouvement qui a influé selon Dodge sur la représentation d’Internet :

« Cyberpunk was a 1980’s genre, like punk rock’s initial blast again corporate, stylised and manufactured music of the 1970’s, a cry from a generation without a future. Cyberpunk was a reaction to formulaic, modernistic SF and its inability to recognise the transformation of Western societies into a new postmodern condition.” [13]

Le mouvement cyberpunk apparaît donc comme un mouvement contestataire que Dodge n’hésite pas à qualifier de postmoderne. Un terme de postmoderne qui est repris d’ailleurs sur le site du projet cyberpunk.[14] Pour le sociologue américain Fred Jameson, (cyberpunk et notamment les écrits de William Gibson représentent 'the supreme literary expression if not of postmodernism, then of late capitalism itself[15]'. Le cyberpunk s’inscrit ici comme l’accomplissement du capitalisme. Ce qui nous paraît étrange encore une fois c’est que cet accomplissement nous semble en aucun cas idyllique et nous sommes souvent plus prêt de la dystopie à la 1984 que de l’utopie dont nous parlait Musso. Il est vrai qu’il avait employé le terme de science-fiction plutôt que celui de cyberpunk. Utopie, faut-il le répéter est étymologiquement le lieu qui n’existe pas. En est-il de même pour Internet et le cyberespace ? Comment mesurer dès lors ce qui n’existe pas ? Il nous faut analyser le cyberpunk non pas comme une utopie mais comme une théorie politique et sociale comme le préconise RJ Burrows [16]:

“The relationship between cyberpunk and sociology takes three broad forms. First, some analysts view cyberpunk as a poetics culturally and philosophically emblematic of a new epoch – late capitalist, postmodernist or whatever. Second, others have begun to treat the nascent realities of the fictional world of cyberpunk – the Internet, Virtual Reality and technological body modifications in particular – as viable and important objects of sociological inquiry. Third(…) some have begun to treat the cyberpunk literature as an analytic resource which can be utilised in the service of social theory.”

Selon nous, il faut voir le cyberpunk à la fois comme une critique sociale contemporaine et en même temps comme une volonté de s’opposer à un cyberfascisme réalisable. C’est sans doute la cause de cette plausibilité dont parlait Potvin. Le futur décrit est crédible et fortement lié au présent. La technologie est au centre des mutations et nous pouvons dire que les cyberpunks se servent de cette technologie pour développer une contre-culture. Une « subculture » étant le terme le plus fréquemment employé. Il s’agit aussi du développement de nouvelles idées et théories post-humaines. La question du corps et du sujet est au centre du problème. Le corps qui mute ou qui est nié chez les cyberpunks à tel point que l’on peut y voir une hiérarchie entre l’humain et l’ange.

La tendance est alors à la décorporalisation de l’homme ou mutation organique du réseau comme le décrit de Joel de Rosnay[17]. Pierre Musso parle alors de dissolution du corps et décrit une transformation où le religieux est présent [18]:

« Ultime étape de l’ascèse cyberspatiale : le complément du branchement cerveau-ordinateur sur la matrice, c’est la désincarnation du corps. Dans les cerveaux du cyberespace, le statut du corps se modifie : l’esprit domine (comme cerveau-réseau-ordinateur), il s’immerge, navigue t disparaît « dans » les mailles du filet. Ce sont des « anges » désincarnés qui communiquent. (…) Ainsi est restaur&eacu
te; le dualisme qui survalorise l’esprit-cerveau, au détriment du « corps-viande ». Il s’agit de devenir des « purs esprits », vieux rêve mystique réalisé par l’ordinateur en réseau. »

Ces propos deviennent quasi mystiques. Nous ne développerons pas les liens qui existent avec les théories de Teilhard de Chardin et sa noosphère. Nous retrouvons fréquemment des conceptions a peu près similaires de l’Internet. L’existance d’une hiérarchie semble apparaître avec l’état d’ange comme but ultime. Ces théories se font plus fréquentes mais demeurent encore rares, toutefois, il est évident que l’argument de ceux qui voient un mysticisme dans le réseau Internet est facile, nous ne pouvons voir les échanges angéliques justement parce qu’ils constituent l’invisible. Nous avons tenté d’établir une hiérarchie à partir des désirs (délires) cyberpunks[19] :

Tableau 3 : Hiérarchie des êtres du cyberespace.

Humain               Lien avec son corps.

Cyborg                Lien transitoire.

Esprit                  Esprit encore prisonnier de la machine.

Ange                   Etat supérieur.

 

Faut-il pour autant adhérer à une thèse qui nous empêche toute mesure scientifique ? Finalement si nous avons choisi de présenter la vision cyberpunk c’est qu’elle garde une influence sur les représentations classiques du cyberespace. Cependant, si nous devons admettre qu’elle peut être séduisante, elle n’opère pas moins des réductions fallacieuses qui peuvent conduire non pas à l’impossible mesure mais à une mauvaise mesure. Il semble donc qu’il faille se prémunir contre les théories mystiques sur l’Internet qui sont sans cesse reprises. Finalement nous rencontrons un problème similaire avec l’idée comme quoi Internet serait avant tout une création de l’armée américaine. Une hypothèse dont la fausseté a été démontrée par Alexandre Serres[20] . Il nous faut éviter de tomber dans la mythologie d’Internet (même si tout n’est pas faux ou à exclure) et privilégier une vision plus globale mettant en scène les acteurs réellement actifs. Nous nous intéresserons donc plus aux machines qu’aux anges, plus aux hommes qu’aux esprits.


[1] Il nous faut donc quelque part devenir un exégète du Web, chercher du sens là où d’autres ne voient que l’apparent. Il nous faut devenir un cabaliste du cyberespace pour pouvoir en prendre la mesure. Quel est donc cet ars occultis pour ne pas dire cet ars magna, cette poésie, cette complexité ésotérico-poétique que définit Lévy :

« Plus le code est ésotérique, plus il est poétique, car il instaure un petit univers de signes se désignant eux-mêmes, agissant les uns sur les autres, un monde de symb
oles d’autant plus efficaces qu’ils sont illisibles (par nous), jusqu’à toucher la frontière
 entre les noms et les choses, entre l’opération et la signification. »

Citation extraite de : Pierre Levy. – De la programmation considérée comme un des beaux-arts. La Découverte, Paris,1992. p. 55

[2] extrait de l’interview de william gibson par les humanoides associés :

 Saga cyberpunk / entretien exclusif dans le cybermonde. William Gibson vagabond des limbes. (dernière modification ; le 10 mai 2001)

[en ligne] http://www.humains-associes.org/JournalVirtuel2/HA.JV2.Gibson.html

[3] ibid.

[4] André Claude Potvin. L'apport des récits cyberpunk à la construction sociale des technologies du virtuel. Mémoire de maîtrise. Université de Montréal. 2002

[5] Martin Dodge. Op. cit. Un chapitre entier de l’ouvrage est consacré à l’influence de l’imaginaire sur les représentations et notamment sur l’importance du mouvement cyberpunk. (imaginative mappings of cyberspace)

[6] André Claude Potvin. Op. cit.

[7] William Gibson. Op. cit.

[8] Interview de William Gibson par les humains associés. [en ligne]

http://www.humains-associes.org/JournalVirtuel2/HA.JV2.Gibson.html

[9] André Claude Potvin. Op. cit. p. 19

[10] Cité par Dodge. Op. cit. p. 186

[11] André Claude Potvin. Op. cit. p. 34

[12] Pierre Musso. Op. cit p. 52

[13] Martin Dodge. Op. cit. p

[14] The cyberpunkt project. A cyberspace well of files, related to those aspects of being, formed by modern life and culture. [en ligne]

 http://project.cyberpunk.ru/

[15] Cité par Dodge. Op. cit. p. 184

[16] RJ burrows. Cyberpunk as Social and Political Theory. Mars 1995 [en ligne]

http://project.cyberpunk.ru/idb/cyberpunk_as_socpolitical_theory.html

[17] Joël de Rosnay. L’homme symbiotique. Paris : Seuil. 1998

[18] Pierre Musso. Op. cit p. 45

[19] Cette hiérarchie ne provient pas que de l’étude des cyberpunks et des cyborgs. Les derniers ouvrages de certains auteurs comme Lévy, nous songeons à World Philosophy. Nous sommes en pleine légende des anges pour citer l’ouvrage de Michel Serres.

[20] Alexandre Serres. Aux sources d'Internet : l'émergence d'ARPANET. Thèse de Doctorat Sciences de l’Information et de la Communication : Université Rennes 2, 2000. 2 vol.