Je mets en ligne le support de mon intervention pour la journée sur les folksonomies organisées par le DICEN et Alexandre Monnin et Evelyne Broudoux.
J’espère que le public aura autant apprécié que moi la diversité et la qualité des interventions.
Vous pouvez consulter également le parcours pealtrees mis en ligne pour l’occasion.
Auteur/autrice : admin
Peut-on dire non à Tania Young ?
Un petit billet un peu hors sujet, mais comme c’est le weekend…
Je ne suis pas certain que l’émission de télévision sur le jeu de la mort ait débouché sur les bonnes questions scientifiques.
La démonstration de la culpabilité de la télévision dans le cas présent est discutable, si ce n’est que la télévision reste un vecteur de passivité évidente et qu’elle ne fait que renforcer les mécanismes de manipulation et de « normalisation des esprits ». Le problème ne vient pas seulement de la télévision mais de la formation dispensée à la fois par les institutions de programme et les institutions familiales. Ces dernières insistent particulièrement sur l’obéissance. C’est un même critère de bonne conduite. L’obéissant est celui qui se comporte bien…en suivant les règles établies. Dès lors, pourquoi les individus sélectionnés pour l’émission refuseraient d’obéir.
L’institution n’apprend pas à résister car cela n’a jamais été son but initial bien au contraire. Le moule de l’école républicaine est d’ailleurs celui de l’incorporation des règles, autant orthographiques que celle d’une prétendue morale civique ou patriotique. Il est aisé de parler d’éducation critique, mais personne ne sait réellement ce qu’elle soulève réellement. Pourtant, c’est bien l’enjeu de base de la formation, qui est plus celle de la Skholé, que de ce qui est devenue l’Ecole, de plus en plus incapable de former des individus autonomes, bien que les discours évoquent de plus en plus la question de l’autonomie. Mais comment former des étudiants et des élèves autonomes quand l’enseignement ne l’est pas ?
Comment résister aux injonctions de la télévision, à sa bêtise crasse quand nous n’y avons pas été formés ? Pour pouvoir résister, il faut en avoir les moyens. L’idéal étant évidemment une capacité d’analyse affutée et une connaissance générale qui permet de prendre ses distances dans n’importe quelle circonstance. L’autre solution moins intellectuelle est tout simplement d’être inapte… c’est-à-dire non réceptif aux injonctions d’obéissance, bref d’être délinquant, à moins qu’il ne faille être pirate. L’histoire des résistances montre d’ailleurs que ces deux types d’individus ont pu s’y côtoyer notamment au début de la formation des réseaux.
L’autre point qu’il convient d’examiner, peut paraître plus trivial mais peut expliquer la forte acceptation des ordres des participants : c’est l’effet Tania Young, comme révélateur d’un effet maitre évident. Il est difficile de résister à la présentatrice qui possède des éléments de pouvoir évidents qui sont celles d’une autorité naturelle et reconnue, qu’il faut clairement différencier de l’autoritarisme (qui aurait pu être incarnée par Arlette Charbot). Jean Noël Lafarge me signalait sur twitter qu’elle avait pourtant cherché à être la plus neutre possible. Je crois que cette attitude n’a fait que renforcer son pouvoir.
En effet, Tania Young représente dans ce cadre, « la leader » par excellence, celle qui suscite l’attrait de tous les garçons et donc par ricochet le respect des filles. Alors, forcément, si elle ne sourit pas…c’est justement le moment de ne pas lui déplaire. On pourrait croire d’ailleurs que dans le reportage, c’est le vieux professeur qui domine puisqu’il tente de lui expliquer les raisons des agissements des individus. Or, c’est une erreur car on a fortement l’impression qu’il ne lui apprend pas grand-chose tant sa théorie pèse peu vis-à-vis de sa pratique. Elle incarne sur le plateau le maître aussi de manière vestimentaire avec une veste qui rappelle autant la blouse de l’institutrice que celle du scientifique. Cela signifie qu’elle rassemble en elle, tous les pouvoirs : la légitimité des savoirs, la séduction, l’autorité naturelle et conférée. Comment dès lors les participants transformés en petits enfants (in-fans, c’est-à-dire privés de droit à la parole) pouvaient-ils réagir ? La lutte était trop inégale et pourtant ce type de relation de manière moins tranchée se produit tous les jours. L’autre point inquiétant est plutôt de se demander si en matière d’ordre, la télévision ne dispose pas d’une légitimité et d’un gain de confiance supérieur à d’autres institutions républicaines. Si c’est le cas, j’ai bien ma petite idée sur qui pourrait incarner la prochaine Marianne.
Le manuel numérique comme métaphore de l’inchangé sous couvert du voile numérique
Une expression n’est jamais neutre. Accepter sans critiques celle de « manuels numériques » ne signifie pas seulement l’agrément à une simple expression, mais bel et bien à des enjeux plus larges. En effet, l’expression recèle, bien au-delà de l’oxymore, des formes et des normes : c’est-à-dire des pouvoirs financiers et éditoriaux. Le paradoxe est donc le maintien de l’expression de manuel qui désigne un ouvrage aisément manipulable et donc pratique mais qui est surtout le symbole d’une mainmise éditoriale sur l’Education. Ce n’est pas de manuels numériques dont nous avons besoin et encore moins d’artefacts numériques améliorés issus d’une version papier. Ces manuels écrasant l’élève au sens propre comme au sens figuré, les empêchant de se construire et de s’individuer.
Le numérique nous offre au contraire l’opportunité de nous affranchir d’un système dépassé et couteux et extrêmement polluant par la même occasion. Les tonnes de papier et d’encre gaspillés sont énormes au regard de leur réel portée pédagogique et éducative. Ils sont également le symbole de la déresponsabilisation des enseignants transformés pour le coup en véritables machines à faire des photocopies…au lieu de construire eux-mêmes ce travail pédagogique (travail pour lequel ils sont pourtant rémunérés), faisant d’eux d’ailleurs les premiers véritables plagiaires du système scolaire et ce depuis fort longtemps. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas partager et récupérer des travaux de collègues, bien au contraire, mais autant que cette démarche s’opère de manière plus efficace et plus transparente via des dispositifs de cours en ligne et des plateformes de partage de documents où chaque enseignant pourrait apporter sa pierre à l’édifice, proposer de nouvelles versions. En Bref, c’est le modèle des logiciels libres dont nous avons besoin en tant qu’ingénierie pédagogique et nullement un modèle de délégation technologique qui ne profiterait guère à nos élèves au final.
Cela implique aussi de former les enseignants à s’investir dans cette voie. Outre des formations adéquates, il pourrait être opportun de récompenser ceux qui mettent le plus de travaux en ligne et qui construisent plateformes et parcours pédagogiques numériques. Cette récompense pourrait être versée sous forme de primes. Il est quand même dommageable de voir que c’est Microsoft qui cherche à se placer du côté de cette récompense. Il ne serait d’ailleurs pas difficile de trouver cette manne financière sur l’ancien budget des manuels scolaires.
Il reste cependant beaucoup de travail à faire tant les mentalités sont parfois restées bloquées dans des milieux dont il faut aujourd’hui sortir. Les enseignants sont de plus en plus prolétarisés socialement (à l’exception sans doute du corps des agrégés) mais également techniquement et pédagogiquement, se montrant rarement capables d’innover et étant souvent incités à ne pas le faire.
On pourrait imaginer que le CNDP pilote cette nouvelle vision en dégageant les enseignants d’obstacles tels que l’hébergement et la maintenance technique des applications, des Cms et des Lms. Il est fréquent que les enseignants ne peuvent continuer à maintenir un site victime de son succès et devant faire face à des coûts d’hébergements. Je songe notamment à Fabien Crégut et à bien d’autres encore. Je rappelle aussi que mon site de cours en ligne Lilit & Circé a ainsi disparu faute de repreneurs.
Les enjeux sont de taille. Soit l’institution opère ce revirement, soit elle laisse le champ libre aux prestataires privés qui finiront d’ailleurs par s’attacher les services des enseignants les plus innovants mais démotivés. Sans quoi, un jour, les écoles se videront faute d’élèves.
Ça va être folkso !
Un petit billet pour signaler une journée sur les folksonomies dans toutes ses dimensions à laquelle j’aurais le plaisir de participer.
Organisée par le CNAM et le laboratoire DICEN, cette journée sera l’occasion de réaliser un premier bilan sur le sujet et d’envisager de nouvelles pistes de recherche et d’applications.
Voici les interventions prévues :
9h30 Introduction de la journée
9h45-10h15 Fabien Gandon (INRIA) : Web sémantique et folksonomies : état de l’art
10h30-11h Freddy Limpens (INRIA) : Approche collaborative et assistée à l’enrichissement des folksonomies: entre algorithmie et ergonomie.
11h15-11h45 Alexandre Monnin (Université Paris 1) : La spécifité du tagging et sa dimension philosophique.
12h-12h30 Manuel Zacklad (Cnam) : Web socio-sémantique et recherche ouverte d’information : le SI entre participation et contrôle.
14h-14h30 Alexandre Gefen (Université de Bordeaux 3) : Fabula ou l’expérience d’une folksonomie collaborative.
14h45-15h15 Patrick Peccatte (Soft Experience) : Les Machine tags de Flickr et folksonomies catégorisées.
15h30-15h45 Dominique Besagni, Cécilia Fabri, Claire François (INIST), Evelyne Broudoux (UVSQ) : Étude comparative du partage de références scientifiques (CiteUlike, Bibsonomy, 2Collab, Connotea).
16h-16h30 Olivier Le Deuff (Université de Bretagne) : Folksonomies et hypomnemata numériques.
16h45 Conclusion de la journée
L’approche est donc également transdisciplinaire. Pour ma part, je n’ai pas totalement encore fixé les thématiques que je vais aborder.
Je mettrai en ligne le support de mon intervention et quelques réflexions.
Homme ou machine ? Qu’est-ce que la culture technique ?
L’opposition homme-machine est un leurre. Il s’agit plus d’ailleurs d’une association même si elle peut être parfois néfaste, c’est-à-dire relevant davantage d’une dissociation voire d’une prolétarisation qui se manifeste au moins par une perte de savoirs et de savoir-faire. Je reviens ici sur ces aspects en utilisant quelques passages de mon travail de recherche doctoral. La technique est part constitutive de la culture ce que plusieurs chercheurs dans diverses disciplines ont déjà entrepris de démontrer.
Bernard Stiegler rappelle ainsi le caractère éminemment technique de la culture et son rôle prépondérant dans la constitution de la mémoire :
La culture n’est rien d’autre que la capacité d’hériter collectivement de l’expérience de nos ancêtres et cela a été compris depuis longtemps. Ce qui a été moins compris, c’est que la technique (…) est la condition d’une telle transmission. [1]
Pour effectuer cet examen de la place de la technique, un retour sur les travaux de Gilbert Simondon est nécessaire. Il nous semble notamment qu’il faille retenir justement les éléments de passage de la minorité à la majorité en ce qui concerne la culture technique. Gilbert Simondon décrit deux positions dans le type de relations que nous entretenons vis-à-vis des objets techniques : une mineure et une majeure. Ces deux positions doivent être différenciées des deux écueils que souhaite éviter Simondon : la technophobie et la technophilie, positions qui ne sont que les révélatrices d’une non-intégration de la technique à la culture :
Les idées d’asservissement et de libération sont beaucoup trop liées à l’ancien statut de l’homme comme objet technique pour pouvoir correspondre au vrai problème de la relation de l’homme et de la machine. Il est nécessaire que l’objet technique soit connu en lui-même pour que la relation de l’homme à la machine devienne stable et valide : d’où la nécessité d’une culture technique. [2]
Simondon définit la culture technique comme une médiation, c’est-à-dire comme un moyen d’agir dans un milieu. Cela implique un humanisme évolutif et non figé :
De même, les techniques, invoquées comme libératrices à travers le progrès, au siècle des Lumières, sont aujourd’hui accusées d’asservir l’homme et de le réduire en esclavage en le dénaturant, en le rendant étranger à lui-même par la spécialisation qui est une barrière et une source d’incompréhension. Le centre de convergence est devenu principe de cloisonnement. C’est pourquoi l’humanisme ne peut jamais être une doctrine ni même une attitude qui pourrait se définir une fois pour toutes ; chaque époque doit découvrir son humanisme en l’orientant vers le principal danger d’aliénation. [3]
Il s’agit donc de dépasser l’opposition entre culture et technique, opposition toujours actuelle et active :
L’actuelle opposition entre la culture et la technique résulte du fait que l’objet technique est considéré comme identique à la machine. La culture ne comprend pas la machine ; elle est inadéquate à la réalité technique parce qu’elle considère la machine comme un bloc fermé. [4]
De cette opposition entre culture et technique découle une forme de mépris notamment pour ceux qualifiés de techniciens. Ces tensions se retrouvent dans beaucoup de domaines et de métiers. C’est le cas de manière régulière d’ailleurs dans les secteurs de la documentation et des bibliothèques, où il y a opposition entre les tenants de la culture générale et ceux qui plaident pour une meilleure prise en compte des savoirs-faire professionnels notamment en ce qui concerne les concours[5]. Nous remarquons que très souvent outre du mépris, il s’agit tout simplement de méconnaissance voire d’aveu d’incompétence en la matière.
Finalement, l’absence de culture technique s’explique par la difficulté à se trouver à la bonne distance. Il nous parait évident que de plus en plus, la vision surplombante et dominatrice, quasi managériale n’est plus acceptable : l’image de l’homme contrôlant l’ensemble des machinistes dans le film Metropolis de Fritz Lang nous semble être à rebours de la culture technique telle que l’envisage Simondon.
Simondon évoque des pistes quant à la mise en place de cette culture technique notamment au niveau éducatif où il plaide non pas pour une sorte de panthéon des figures historiques de la science et des plus grandes inventions, mais pour la compréhension directe de l’objet technique. Cette culture technique implique l’action, « le faire » non pas dans la seule volonté de reproduire, mais dans celle de comprendre et d’améliorer. Cette volonté de rendre meilleur[6] à la fois l’individu-humain et l’individu-machine et au travers leurs relations de permettre le progrès social, repose sur l’invention :
Comprendre Pascal, c’est faire de ses mains une machine telle que la sienne, sans la copier, en la transposant même si possible (…) pour avoir à réinventer au lieu de reproduire. [7]
Nous avons regroupé dans le tableau ci-dessous les différentes attitudes face à la technique.
| Etat | Type de relation | Type d’individu | Type de savoirs | Démarche | Parallèle informationnel |
| Etat minoritaire | Usage irréfléchi | Enfant | Intuition | Intuitive | Usage de l’information via des outils |
| Etat pré-majoritaire | Maîtrise | Artisan | Habileté | Procédurale | Maîtrise de l’information |
| Etat majoritaire | Elaboration/amélioration | Ingénieur | Connaissance | Théorique | Conceptualisation scientifique |
| Culture | Amélioration technique et sociale | Citoyen éclairé | Connaissance et distance | Associative | Stabilité conceptuelle et innovation/culture de l’information |
Tableau n°8. Les différents états par rapport à la technique.
L’opposition homme-machine doit donc être dépassée pour un examen bien plus complexe. Il convient donc de se demander si ce ne sont pas les dispositifs sociétaux en tant que mégamachine qui finissent plutôt par s’opposer à l’humain en étant écrasants, trop normalisants ou bien en devenant totalement inefficaces, sclérosés aux prises de décisions d’héritiers du système ou de diverses Cosa Nostra, économiques, politique et même universitaires.
Parfois, les mangas de notre jeunesse peuvent apporter quelques interrogations intéressantes. La figure de Cobra m’a toujours intéressé et les paroles de Paul Persavon, alias Antoine de Caunes nous sont à écouter également. Alors « Homme ou machine », c’est plutôt homme et machine, le secret de Cobra…Une réflexion bien utile, car nous sommes de plus en plus dans l’univers « Zéro » tout autant que dans l’univers « réseau ».
Cobra – Generique
envoyé par valentin73. – Regardez plus de clips, en HD !
[1] Gilbert SIMONDON. Du mode d’existence des objets techniques. Paris : Aubier. 1989., p.102
2 Ibid., p.145
3 Les listes de diffusion biblio-fr et les listes des professeurs-documentalistes sont fréquemment la scène de tels débats. Ainsi sur la liste e-doc, une professeur-documentation recommandait à ceux qui parlaient techniques d’aller le faire ailleurs car elle « n’y entravait rien » (sic)
4 Il ne s’agit pas pour autant de distinguer « les meilleurs »
5 Gilbert SIMONDON. Du mode d’existence des objets techniques. Op. cit., p.107
[1] Bernard STIEGLER. « Leroi-Gourhan : l’inorganique organisé » Les Cahiers de médiologie, n°6, p. 189. p.193
[2] Gilbert SIMONDON. Du mode d’existence des objets techniques. Op. cit., P.32
[3] Gilbert SIMONDON. Du mode d’existence des objets techniques. Op. cit., p.102
[4] Ibid., p.145
[5] Les listes de diffusion biblio-fr et les listes des professeurs-documentalistes sont fréquemment la scène de tels débats. Ainsi sur la liste e-doc, une professeur-documentation recommandait à ceux qui parlaient techniques d’aller le faire ailleurs car elle « n’y entravait rien » (sic)
[6] Il ne s’agit pas pour autant de distinguer « les meilleurs »
[7] Gilbert SIMONDON. Du mode d’existence des objets techniques. Op. cit., p.107
Résultats de l’Enquête sur les loisirs créatifs
Voilà les premiers résultats de l’enquête sur les loisirs créatifs.
Vous y trouverez donc plus des résultats bruts que des analyses.
J’ai dégagé toutefois quatre profils de répondants dont trois sur la question du partage des créations.
Vous y trouverez également quelques visualisations.
Je tâcherai d’analyser sur le blog quelques éléments clefs.
Sinon, pour l’analyse de pointe, il faudra attendre les articles. (à moins que sur archivesic, on trouve quelques traces de préprint…)
Voilà le document en pdf :
Résultatsloisirscrea
Et en version scribd
Résultatsloisirscrea
Résultats de l’enquête sur la bibliothèque 2.0.
Je communique donc les premiers résultats de l’enquête sur la bibliothèque 2.0.
Je les commente donc peu pour l’instant.
Ce sera le cas dans un article scientifique et peut-être dans un autre document d’analyse qui sera également mis en ligne sous les mêmes conditions.
Résultats Enquête bibliothèque 2

Bonne lecture.
Je reviendrai prochainement également sur une autre enquête d’une plus grande ampleur, celle que je mène sur les réseaux de loisirs créatifs.
Apple et ses instruments de flatterie
Je n’ai pas grand-chose à rajouter aux propos de Narvic sur le positionnement d’Apple et le fait que les ambitions mercantiles de la pomme n’ont vraiment rien à envier à celles de Windows. L’ipad n’est pas une réelle innovation.
Je reproduis juste ce texte de Gilbert Simondon qui ne manque pas de me faire songer à chaque fois à la stratégie d’Apple, qui vise sans cesse la flatterie personnelle et probablement aussi « le signe extérieur de richesse » :
« Si nous considérons l’ensemble des machines que notre civilisation livre à l’usage de l’individu, nous verrons que leurs caractères techniques sont oblitérés et dissimulés par une impénétrable rhétorique, recouverts d’une mythologie et d’une magie collective qu’on arrive à peine à élucider ou démystifier. Les machines modernes utilisées dans la vie quotidienne sont pour la plupart des instruments de flatterie. Il existe une sophistique de la présentation qui consiste à donner une tournure magique à l’être technique, pour endormir les puissances actives de l’individu et l’amener à un état hypnotique dans lequel il goûte le plaisir de commander à une foule d’esclaves mécaniques, souvent assez peu diligents et peu fidèles, mais toujours flatteurs. »
In SIMONDON, G. (2007). L’individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité. (p. 293). Editions Aubier. (p.522)
Une science de l’intelligence collective ?
L’intelligence collective peut-elle constituer un projet scientifique et si oui lequel. C’est l’entreprise qui occupe Pierre Lévy depuis plusieurs années.
Son dernier article mérite donc un examen particulier au-delà des clichés dont il est souvent victime. Il est vrai que certains ouvrages présentaient des prospectives discutables, notamment le world philosophy qui représentait surtout à mon goût une vision trop positive de l’avenir, oubliant justement les éléments malveillants (ce que remarquait fort justement Yann Leroux sur twitter). Mais c’est vraisemblablement propre à Pierre Lévy d’avoir une vision utopique de l’humanité et il faut bien avouer que ça nous change des prophètes technophobes et cela en nous oblige à penser de l’avant.
Voici donc mes quelques réflexions sur ce texte dont le but n’est pas d’en proposer un résumé mais plutôt une tentative de mise en avant de certains points qui m’ont paru importants. Cela reste donc une lecture subjective.
L’article pourra être lu de différentes manières. Je ne crois pas que Pierre Lévy parviendra à convaincre ses habituels détracteurs qui y projetteront (sans doute à tort) soit le voile cybernétique (que projette souvent Céline Lafontaine au point d’évoquer un empire cybernétique), soit le voile mystique qui fait sauter au plafond les scientistes les plus rigoureux (voir aussi la position de Dominique Rabeuf). Il est vrai que l’expression de noosphère qu’il prise peut être un peu agaçante. Je pense que cette expression rend mal compte du projet scientifique en marche et surtout commet une erreur qui est celle de donner l’impression d’une séparation trop nette des corps et de l’esprit ce qui n’est nullement l’objectif.
L’entreprise de Pierre Lévy est ambitieuse (trop ?) car le projet est celui d’une nouvelle lingua franca au travers du modèle IEML qui « permettrait non seulement d’élucider les mécanismes de la cognition symbolique mais encore de perfectionner notre gestion collective des connaissances et donc en fin de compte de soutenir le développement humain. »
Le texte permet de bien comprendre les objectifs d’IEML qui étaient restés parfois obscurs même si le désir d’une nouvelle langue ou idéographie est présente depuis longtemps chez Lévy.
La sortie des fausses idées sur l’intelligence collective :
Pour ma part, j’ai souvent été prudent avec l’intelligence collective du fait de son côté un peu idéaliste. Pierre Lévy apporte ici quelques réponses intéressantes notamment pour contrecarrer les discours qui voient les foules comme essentiellement porteuses de stupidité. Il est clair qu’une telle pensée se révèle fausse sans quoi nos sociétés ne seraient guère évoluées et l’homme serait demeuré « un loup pour l’homme ». Lévy retraduit bien les évolutions permises par des techniques utilisées collectivement (ce qui rejoint la fameuse culture technique de Simondon) :
« Il faut remarquer que les capacités cognitives individuelles reposent presque toutes sur l’utilisation d’outils symboliques (langues, écritures, institutions sociales diverses) ou matériels (instruments de mesure, d’observation, de calcul, véhicules et réseaux de transports, etc.) que l’individu n’a pas inventé lui-même mais qui lui ont été transmis ou enseignés par la culture ambiante. La plupart des connaissances mises en oeuvre par ceux qui prétendent que l’intelligence est purement individuelle leur viennent des autres, via des institutions sociales comme la famille, l’école ou les médias, et ces connaissances n’auraient pu s’accumuler et se perfectionner sans de longues chaînes de transmission intergénérationnelles »
En cela, l’intelligence collective est essentiellement culturelle et inscrite dans une tradition. :
« Ainsi, l’ironie facile sur la bêtise collective (qui est évidemment toujours la bêtise des « autres ») échoue à reconnaître tout ce que nos lumières personnelles doivent à la tradition et ce que nos institutions les plus puissantes doivent à notre capacité à penser et décider ensemble. Est-il besoin d’ajouter que l’adoption de l’intelligence collective comme valeur essentielle n’implique aucune abdication de la pensée critique ou de l’originalité individuelle ? »
Je remarque que l’intelligence collective ici est finalement assez proche de la culture de l’information à la fois comme tradition et comme potentialité d’individuation critique et d’innovation.
Ecriture et proto-écriture
Le projet évoque l’idée d’une écriture avant l’écriture (proto-écriture ou grammaire universelle), déjà présente dans le cortex en quelque sorte. Lévy se réfère à la grammatologie de Derrida et évoque le rôle éminemment culturel de cette capacité de codage et de manipulation symbolique. Le projet de Derrida n’a guère été suivi ce que dénonçait notamment Sylvain Auroux.
L’économie de l’information
C’est l’autre notion clef du texte de Lévy qui fait de cette dernière le pendant de l’intelligence collective. Certains n’y manqueront pas à nouveau d’y voir un monisme informationnel. Or, la notion est beaucoup plus riche que son acception actuelle voire celle qui est parfois dispensée dans des cours sur cette thématique. :
« La notion d’économie de l’information est voisine de celle de société du savoir. Il en existe plusieurs définitions possibles. Dans son acception la plus large (celle que je préfère), l’économie de l’information intègre toutes les opérations de production, d’échange, d’enregistrement, d’utilisation et d’évaluation des informations. En ce sens très général l’économie de l’information est aussi ancienne que l’espèce humaine, ou peut-être, bien au-delà, aussi ancienne que la biosphère. Dans la société humaine, l’économie de l’information est supportée et régulée par des systèmes symboliques. Or cette économie symbolique est elle-même dépendante de la médiasphère : par exemple, notre espèce a connu plusieurs réorganisations majeures de son économie de l’information, dont notamment celles qui se sont articulées successivement sur l’écriture manuscrite, sur l’usage intensif de l’imprimerie ou sur les médias électroniques. Mais les transformations de la médiasphère ne nous importent en fin de compte que parce qu’elles ont permis des réorganisations de l’économie de l’information, c’est-à-dire de l’intelligence collective. »
Cette vision est d’ailleurs tout autant celle d’une écologie de l’information, c’est-à-dire du fonctionnement d’un milieu socio-technique et pas seulement « biologique » n’opposant nullement de manière trop stricte « nature et culture ». Nous noterons d’ailleurs au passage que cela demeure souvent un des problèmes d’analyse du discours de l’écologie politique actuelle (à de rares exceptions) de ne pas avoir compris cette complexité.
Des besoins scientifiques
Seulement voilà, cette complexité est difficile à analyser et Pierre Lévy déplore notre incapacité à comprendre et analyser la formation de l’intelligence collective. Ill y a un déficit de mesure scientifique en la matière :
« Il n’échappe à personne, en effet, que l’on ne dispose aujourd’hui d’aucune unité de mesure sérieuse ni de méthodes scientifiques rigoureuses pour évaluer la puissance d’une intelligence collective. Les quelques efforts qui ont été tentés dans cette direction se contentent généralement de choisir une batterie d’indicateurs et de mesurer des quantités (un « quotient d’intelligence collective »), alors qu’il faudrait pouvoir décrire des dynamiques de systèmes, des patterns d’évolution, des modèles de transformations de quantités et de valeurs dans l’univers des significations. Et au cas où l’on s’imaginerait disposer d’une telle méthode scientifique, la distinction classique entre l’objet étudié et le sujet de l’étude serait bien difficile à maintenir. Il ne peut jamais être garanti – par exemple – que le prétendu « objet » étudié (un groupe humain) n’a pas développé une dimension cognitive qui échappe radicalement à ceux qui se prétendent les spécialistes de sa mesure ou de son évaluation. La science de l’intelligence collective à laquelle j’aspire ne pourra être que radicalement ouverte, dialogique et symétrique (ou réciproque
: l’objet et le sujet échangeant régulièrement leurs rôles). »
Pierre Lévy ne s’inscrit donc pas ici dans une lignée totalement computationnelle et marque ici sa distance avec l’idée d’indicateurs uniquement chiffrés. Il plaide pour une mise en évidence de phénomènes et de formations souvent invisibles et peu évidentes à mesurer. Cela pose aussi la question de savoir s’il faut mieux considérer la science de l’intelligence collective comme une science dure ou une science humaine. La réponse est en fait assez évidente, l’objectif de Lévy est clairement de ne pas opposer les deux.
Il reste que nous avons un peu de mal à être d’accord (pour les raisons exposés plus haut) avec l’affirmation suivante :
« L’économie de l’information est à la noosphère ce que l’écologie est à la biosphère. »
Plus intéressant est en revanche, la défense des biens communs comme support d’une économie de l’information et comme garantie du développement humain et de la réussite de l’intelligence collective. Lévy souhaite donc la préservation des deux types de biens communs, les biologiques et les intellectuels.
Dès lors, l’exercice d’un travail pour le développement d’un capital devient possible :
« En quoi consiste le « travail » d’entretien et de développement des connaissances ? Les communautés de savoir et de pratique accomplissent des opérations réglées et socialement coordonnées sur des symboles. Il dépend des circonstances que ces opérations consistent à poser ou à résoudre des problèmes, à exécuter strictement des instructions ou à modifier des manières de faire, à inventer de nouvelles règles ou à répéter quelques coups joués déjà mille fois. Il importe peu, par ailleurs, que ces opérations s’inscrivent principalement dans des environnements de messages, de relations sociales, de rapports techniques ou – le plus souvent – d’un mixte des trois. Ce qui compte, c’est que l’interaction entre ces opérations de manipulation de signifiants accomplies par des personnes, en des lieux et des moments déterminés, compose quelque chose comme l’activité d’une intelligence
collective. Le travail qui donne vie au capital des connaissances communes est un processus de cognition sociale qui s’étend forcément dans une aire spatio-temporelle plus vaste que celle des opérations individuelles. »
Il faut probablement ici prendre le travail dans une acception qui ne soit pas celui du travail salarié mais autant du travail sur soi. De même, en ce qui concerne le capital de connaissances qui n’est pas nécessairement « marchandable ».
Internet comme medium unificateur
« Or si l’internet constitue à l’évidence aujourd’hui le médium unificateur sur le plan des techniques de communication matérielle des messages, nous ne disposons toujours pas de médium symbolique ou de langage commun qui nous permette de partager les savoirs sur un mode computable (pour exploiter la puissance de calcul du cyberespace) et transparent et de faire vivre ainsi une économie de l’information à l’échelle mondiale, avec tous les bénéfices que l’on peut en attendre sur le plan du développement humain. Or on ne pourra parler en toute rigueur de la connaissance comme d’un bien commun, effectivement exploitable par tous et chacun et selon les finalités et les points de vue
respectifs de toutes les communautés, qu’à la condition de disposer d’un tel medium symbolique. »
Internet peut-il donc héberger une nouvelle « lingua franca » ? On s’interrogera d’ailleurs avec le possible développement d’un internet chinois qui va dans la tendance opposée, celle du séparatisme.
IEML (Information Economy Metalangage) comme métalangage et les potentialités d’augmentation
Pierre Lévy évoque Douglas Englebart et ses travaux sur l’augmentation des facultés cognitives. Le projet IEML s’inscrit clairement dans cette lignée. Il reste toujours selon moi un problème avec l’augmentation qui peut devenir parfois une prolétarisation par processus de délégation technique. Toutefois, il faut rappeler ici que le projet n’a rien à voir avec les théories transhumanistes ou post-humanistes. Il n’est donc pas question de cyborg. D’ailleurs, Pierre Lévy raconte une anecdote particulièrement intéressante démontrant que l’intelligence collective constitue une voie différente voire opposée à celle de l’intelligence artificielle :
« Lors d’un colloque sur le thème Philosophy and computing dont il était l’invité spécial, j’ai eu le privilège de discuter du thème de l’intelligence collective avec ce pionnier. Un professeur de philosophie qui écoutait notre conversation laissa échapper l’objection habituelle sur « la bêtise collective ». Je lui répondis que l’intelligence collective était un programme de recherche scientifique et technique et non pas une approbation béate de n’importe quelle expression collective. Ainsi comprise comme un programme de recherche, le contraire de l’intelligence collective n’était pas la bêtise collective mais bel et bien l’intelligence artificielle (IA). »
Pierre Lévy montre ainsi une voie nouvelle, davantage culturelle, celle d’une culture de la convergence et s’inscrit dans la lignée des travaux d’Henry Jenkins.
L’IEML n’est donc pas qu’un langage informatique (même s’il est évident qu’aucun langage informatique ne peut être considéré comme uniquement du code) :
« En première approximation, IEML est un système de codage du sens (ou des concepts) à vocation universelle dont la principale propriété est de permettre une automatisation des opérations sur le sens. Et je souligne que ces opérations ne se limitent pas à l’automatisation des raisonnements logiques qui est la marque de fabrique de l’intelligence artificielle. Ce métalangage est censé être développé et utilisé de manière collaborative en vue d’une exploitation optimales des possibilités du cyberespace pour l’augmentation de l’intelligence collective humaine. La finalité immédiate d’IEML est de résoudre le problème de l’interopérabilité sémantique – le « chaos numérique » – qui vient de la multitude des langues naturelles, des systèmes de classifications et des ontologies. IEML fonctionne comme un « langage pivot », un système d’adressage des concepts capable de connecter différents systèmes de catégorisation et d’organisation des données qui resteraient sans cela incompatibles. »
Pierre Lévy souhaite son projet comme étant ouvert culturellement et en potentialités. Il ne s’agit donc pas d’un totalitarisme intellectuel même s’il est évident que la mise en place d’une telle grammaire ne peut qu’interroger sur d’évenutuels effets de grammatisation bien montrée notamment par Sylvain Auroux en ce qui concerne la grammaire latine.
L’IEML est donc un langage transculturel et translinguistique. Nous sommes évidemment tentés de le raccrocher avec les réflexions autour d’une translittératie.
Le projet IEML est alors décrit par Pierre Lévy de manière théorique et sans doute quelque peu idéale :
« Chaque point, carrefour ou noeud de la noosphère IEML est au centre d’une multitude de chemins de transformation calculables. Le long de ces chemins de transformation, chaque « pas » d’un carrefour à l’autre est la variable d’une fonction discrète. Pas à pas et de proche en proche, ces chemins relient chaque point à l’ensemble immense des autres points. Dans la direction centrifuge, un point-carrefour est donc l’origine singulière d’une étoile de transformation qui génère la totalité de la sphère. Dans la direction centripète, un point-carrefour fonctionne comme un point de fuite universel de la noosphère, puisqu’il existe un chemin de transformation calculable qui mène vers lui à partir de n’importe quel autre point. En somme, la noosphère IEML est une sphère dont le centre est partout, la circonférence nulle part et dont chaque singularité organise de manière originale un immense circuit sémantique. »
Les symbolistes n’y manqueront pas d’y voir une proximité avec les sefirots qui m’avaient un temps également inspirées avec l’idée du projet SEFIRA.
IEML reste donc surtout un chantier en construction :
« La noosphère IEML n’est en 2010 qu’une idée philosophique : une simple construction théorique de type mathématico-linguistique. Mais son implantation informatique « libre » et son usage collaboratif pourrait nous permettre de relever deux défis liés à l’intelligence collective : celui de la modélisation de la cognition symbolique et celui d’un perfectionnement de la gestion des connaissances dans le cyberespace. »
Unité de la nature et de la culture
Le travail est celui d’une quête scientifique de l’unité de la nature :
« La « matière » et « l’esprit », le monde des corps sensibles et celui des idées intelligibles, les objets des sciences exactes et ceux des sciences humaines interagissent de manière évidente et font certainement partie de la même et
unique réalité. Le fait de l’unité de la nature peut faire assez facilement l’objet d’un consensus. Mais la véritable difficulté vient de l’absence d’un modèle scientifique commun de cette unité. »
Pierre Lévy remarque l’absence de réelle métrie de l’Internet et les difficultés qu’il y a à cartographier des relations un peu plus complexes :
« Aucun moteur de recherche, aucun medium social ne nous propose actuellement de représentation dynamique et explorable de la distribution relative et de l’interrelation des concepts dans les recherches, les messages échangés ou
les documents affichés dans le réseau. Or le minimum que l’on puisse demander à une représentation scientifique utile de l’intelligence collective qui s’investit dans le cyberespace est de cartographier des relations entre significations. »
Conclusion :
J’ai retrouvé dans le texte des éléments enthousiasmants qui m’ont rappelé la découverte des premiers textes de Pierre Lévy. Même si certains points demeurent discutables, il est évident que le projet de Pierre Lévy est aussi celui de susciter débats et nouvelles idées car le projet est clairement d’essence collective. On saluera aussi un texte qui contraste avec les velléités conservatrices actuelles, notamment politiques qui visent à instaurer péages, censures et autres barrières. L’enjeu de l’intelligence collective est aussi celle d’une reconstruction politique et institutionnelle.
Plusieurs fois, j’ai songé pour ma part, que l’apport de la pensée de Gilbert Simondon pourrait être utile à la démarche au même titre que celle de Bernard Stiegler notamment en ce qui concerne la notion de « milieu associé ».
C’est d’ailleurs en cela, que l’étude de communautés de pratiques est intéressante et notamment celle qui permettent l’innovation et l’individuation. Les communautés « hackers » et celles de loisirs créatifs ont beaucoup à nous apprendre.
Car, c’est un point sur lequel Lévy n’insiste pas assez, la réussite du projet collectif passe par des réussites également individuelles. Les réflexions autour du PKM constituent des pistes à creuser. Il en va de même pour les pistes didactiques et la culture technique nécessaire à cette réussite.
De même, il faut saluer la volonté de Pierre Lévy pour que la science se saisisse d’objets et de domaines qu’elle a tendance à abandonner fautes de moyens ou de réflexions théoriques suffisantes. Le web et l’Internet mérite bien une analyse plus ambitieuse, en effet sans quoi les sphères marchandes ne tarderont pas à y imposer également leurs manières de voir vers une économie de la déformation. Le projet de Pierre Lévy est donc celui aussi de mettre un peu d’autorité scientifique face à la montée en puissance des mécanismes de popularité.
Il est aussi vraisemblable que l’intelligence a toujours eu une portée collective en constituant ce nous entre-lie mais surtout ce qui nous entre-lit (cf. stiegler)
Sur IEML, pour approfondir :
L’article de wikipédia sur IEML
La proposition d’Olivier Auber
Le débat autour d’IEML avec Dominique Rabeuf en farouche opposant notamment ici.
Crise de la lecture ou de la littératie ?… la crise de la culture permanente

- Image via Wikipedia
A l’heure où l’on évoque une crise de la lecture ou qu’on s’interroge sur la pertinence du classement Pisa, j’en profite pour revenir sur certains aspects autour de la littératie (voir aussi ici) et la notion de crise qui lui est souvent associé.
Malgré les critiques que l’on peut faire au classement Pisa, je crois quand même qu’il s’agit d’un faux procès et que le modèle finlandais est nullement imaginaire car il a probablement davantage travaillé d’autres manières de lire et d’écrire et chercher à relier les connaissances plutôt qu’à les éclater. D’autres part, la Finlande ne constitue pas une imaginaire réformateur mais reformateur ce qui implique une reconstruction institutionnelle et organisationnelle.
J’évoque donc dans ce passage le problème de la crise de la littératie :
Harvey Graff (1) a mis en évidence une crise de la littératie. Il distingue trois grandes tendances qui sont toutes les trois liées historiquement avec la notion de crise.
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Les habiletés essentielles (lire, écrire, compter) et leurs mesures en fonction des résultats des élèves sont sans cesse l’enjeu de discours catastrophistes ou alarmistes et rejoignent la crainte perpétuelle de la baisse de niveau.
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L’étroite relation qu’entretiennent la littératie et les compétences de base avec l’éducation morale et la citoyenneté. Les discours font de ces habiletés un préalable nécessaire à la bonne marche de la société.
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L’émergence incessante et croissante de nouvelles littératies sur lesquelles nous reviendrons longuement ici. Ces littératies sont parfois liées à des effets de mode et nullement durables. Graff (2) cite ainsi la « geographical literacy », « cultural literacy » ainsi que la « teleliteracy », etc.
Graff considère que dernière la notion de littératie se projettent de nombreuses représentations très souvent liées à l’Education, ce qui explique les discours de crise qui l’accompagne. La notion est souvent peu expliquée et les réflexions se concentrent surtout autour des enjeux éducatifs, culturels et sociaux. Nous constatons en effet une obsession de l’évaluation et de la mesure de ces littératies. Or, il semble justement que les limites et les définitions sont trop floues pour en réaliser une mesure, ce qui aboutit à la crise de l’Education dont parle Hannah Arendt en 1960:
La crise générale qui s’est abattue sur tout le monde moderne et qui atteint presque toutes les branches de l’activité humaine se manifeste différemment suivant les pays, touchant des domaines différents et revêtant des formes différentes. En Amérique, un de ses aspects les plus caractéristiques et les plus révélateurs est la crise périodique de l’éducation qui, au moins pendant ces dix dernières années, est devenue un problème politique de première grandeur dont les journaux parlent presque chaque jour. (…) C’est que le problème ici ne se limite sûrement pas à l’épineuse question de savoir pourquoi le petit John ne sait pas lire. (3)
Une crise de la littératie qu’il est bien sûr tentant de rapprocher de la crise de la culture. Or la littératie se situe entre la culture et l’éducation selon les définitions. Elle est à la fois éducative car elle repose sur l’enseignement des savoirs de base, et culturelle dans le sens où il s’agit à la fois de s’intégrer à une culture et de s’inscrire en quelque sorte dans une tradition. Par conséquent, c’est bien en cela que le problème va bien au-delà de l’explication de l’incapacité à lire du petit John. La question de la tradition et de la transmission est donc posée.
[1]Harvey J. GRAFF. The Legacies of Literacy: Continuities and Contradictions in Western Culture and Society. Indiana University Press, 1987
2 Harvey J. GRAFF. The Labyrinths of Literacy: Reflections on Literacy Past and Present. Pittsburgh, PA: University of Pittsburgh Press., 1985, p.321
3 Hannah ARENDT. La crise de la culture. Op. cit. , p.223-224
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