C’est même à ça qu’on les reconnait

Trop de nouvelles d’un coup cette semaine et plutôt des mauvaises, au bout d’un moment, la soupape saute. La goutte d’eau, c’est cet éditeur, Gallimard qui cherche par tous les moyens à déstabiliser les nouveaux acteurs en faussant l’innovation, l’expérimentation et le marché culturel en empêchant les autres d’avancer. Après avoir annoncé sa volonté d’acquérir Flammarion, voilà que l’attaque porte sur François Bon, coupable de diffuser une traduction du vieil homme et la mer pour lesquelles Gallimard disposerait  des droits numériques.
Maitre Eolas a raison de signaler qu’Ernest a bien sûr signé de sa main l’autorisation pour Gallimard de gérer ad vitam aeternam ses copies numériques. On trouvera bien quelques témoins de l’époque.
Évidemment, les gros acteurs du marché n’ont pas envie de se faire piquer la part belle par de nouveaux acteurs. Tous les coups sont permis depuis les subventions de l’état jusqu’à l’arsenal juridique.  Il est probable d’ailleurs que les deniers publics servent à ce genre de mesquinerie.
Si ce type d’acteurs commencent à venir pourrir les territoires numériques, j’encourage les bibliothèques et centres de doc à répondre de la manière la plus nette et sans équivoque : plus de commande d’aucun ouvrage de cet éditeur à partir de maintenant.  Les lecteurs seront libres d’en faire autant.  Évidemment, on va aussi pénaliser les auteurs, me dira-t-on. Sans doute, mais un boycott n’est pas fait pour durer…il s’agit juste de décaler les commandes. Hors de question qu’un acteur se permette de dicter sa loi.
 
Et s’il n’y avait que Gallimard ! Dassault vient nous pourrir aussi le territoire avec le rachat de netvibes. Par conséquence, l’univers ‘le portail des actus » que je maintenais depuis 2008 va prendre son indépendance sous Posh de portanéo.
On aura beau jeu de parler d’économie du numérique si ce n’est qu’à terme, on ne fasse qu’avantager les plus gros pour qu’ils flinguent ou rachètent les petits. Belle économie du numérique à la mode Fouquets; aux combines et aux comptes bidonnés et gonflés. En témoigne, le dernier gros arrivant sur twitter, notre président, pas le camembert, le candidat dont une bonne partie des followers sont des comptes bidons. Qu’ils reprennent donc leurs viagras numériques sous peine de voir les univers numériques se  transformer en zone de guérilla. La plupart des opportunistes repartiront heureusement après un bon coup de pied dans les urnes.
Twitter est de moins en moins une cour de récré d’ailleurs.  L’esprit qui avait accueilli l’arrivée de Frédéric Lefèbvre comme il se doit n’est plus là. C’est bien dommage.
Tout n’est pas perdu à condition d’agir en conséquences.
 

Entretien avec David Aymonin sur le learning center

Le learning center est au centre de nombreuses interrogations. Quoi de mieux dès lors que d’interroger David Aymonin, celui qui dirigea le Rolex center et  qui est aujourd’hui en Nouvelle Calédonie au SCD de Nouméa après après avoir été conservateur de bibliothèques en Métropole mais aussi responsable de diverses structures documentaires de par le monde. Vous trouverez ici quelques éléments sur lui, même s’ils sont déjà un peu anciens. Bonne lecture et à vos réactions.
En préambule à « l’interviouwe » qui va suivre, je voulais d’abord te remercier Olivier de m’avoir contacté dans ma lointaine contrée, désormais la Nouvelle Calédonie, pour me donner l’occasion de réfléchir et de m’exprimer sur le sujet des learning centers, en l’élargissant à celui des bibliothèques scolaires appelée chez nous CDI, et en me permettant de constater à quel point le monde entier est confronté aux mêmes questions, de l’Australie à la Nouvelle Zélande, en passant par la Finlande ou la Suisse.
1. Quelle définition donnerais-tu du  learning center ?
Je dirais que c’est une bibliothèque conçue et organisée pour permettre à ses utilisateurs de mener et réussir leurs projets d’études et de recherche.
Autant que l’accès à l’information (sur place et à distance et sur tous supports) avec son propre matériel (ordi portable, tablette, cahier, crayon, etc..) sinon via le matériel mis à disposition, c’est le service personnalisé d’aide et d’assistance offert par le personnel qui compte le plus,
Auxquels s’ajoutent les dispositifs mobiliers (mobilier flexible et mobile ou au moins facile à bouger, salles de travail en groupe, tableaux blancs, systèmes d’accrochages aux murs, câblage électrique et informatique adéquat) et matériels (copieur multifonction en réseau, scanner, ordinateurs portables ou fixes accédant à internet, équipés des logiciels adéquats, acceptant clés usb et cartes SD ou la connexion bluetooth avec les téléphones, TV, lecteur de CD/DVD, massicot, relieuse, agrafeuse, etc…, bref tout équipement technique et informatique pour consulter, capturer, assembler, produire, gérer les documents, sur tous les supports),
Et bien sûr les conditions d’accessibilité adaptées aux besoins et possibilités de la population desservie (horaires ajustés aux heures où le public est disponible), accès autonome à certaines heures (les professionnels doivent pouvoir dormir 😉 ) et diversité des ambiance (silence là où c’est nécessaire, bruit là où c’est possible) et le fait d’offrir un certain confort (zones de détente, boissons)
Pour mesurer le changement que cela peut représenter le learning center, par rapport à une bibliothèque plus traditionnelle qui se conçoit comme ayant d’abord une offre de documents, la phrase type que prononcerait un professionnel en y voyant entrer un lecteur serait : Puis-je vous aider ? au lieu de Que cherchez-vous ?
Bref, rien de très nouveau sous le soleil, mais cela nous pose de vrais problèmes d’adaptation de l’existant dans nos bibliothèques, notamment celui des moyens financiers nécessaires pour assumer ces transformations. Au niveau humain cela ne me semble pas très compliqué, les bibliothécaires ont déjà largement prouvé dans tous les pays qu’ils portent déjà cette mission, et savent réagir face aux changements induits par le numérique (et la société de consommation).
2. Que penses-tu de la volonté actuelle de  transformer les CDI en  learning centers ?
Dans un contexte où l’Etat se déclare lui-même quasiment en faillite – et de nombreux pays ont le même discours, il n’y a pas qu’en France qu’il faille “couper dans les dépenses publiques, alors que le PIB mondial n’a jamais été aussi élevé selon les statistiques… – il devient nécessaire pour certaines autorités de trouver des solutions à des problèmes anciens, tout en faisant des économies.
Pour ce que j’en ai compris et entendu, il me semble que la démarche actuelle visant à transformer les CDI en learning centers est motivée par ce double objectif.
Et j’ai comme l’impression que le problème à régler en France est double :
1.    Tout d’abord l’identité professionnelle des professeurs documentalistes n’est pas reconnue par leurs pairs (principaux et proviseurs, professeurs des autres disciplines, IGEN).
2.    Le monde de l’enseignement a par ailleurs un besoin urgent de trouver des moyens pour mieux accueillir les élèves pendant les absences des profs, de trouver des locaux accessibles pour le travail en groupe, d’avoir enfin des gestionnaires de l’informatique et du réseau.
3.    Et donc, en dehors du monde des professeurs documentalistes, l’équation se résout d’elle même si l’on transforme le CDI en espace d’appui à la vie scolaire et les documentalistes en assistants de la vie scolaire.
Ce n’est pas forcément idiot ni inutile, mais c’est sans doute un changement radical et prendre le risque de nier le rôle des enseignants documentalistes en tant qu’enseignants en charge de la transmission de la compétence informationnelle aux jeunes de12 à 18 ans.
Mais je ressens que c’est surtout très peu honnête de cacher cette volonté derrière l’expression “learning center” et de vouloir faire croire que la modernisation du métier de documentaliste est l’objectif de ces changements.
Peut être est-on en train d’essayer de déshabiller Pierre pour habiller Paul, sur le dos de Gérard. Mais Gérard, s’il est fin tacticien, pourrait en profiter ….
Car si l’on met le learning center au centre de l’établissement en diversifiant ainsi les missions du CDI, le travail sera pour nos collègues beaucoup plus varié et concret, avec des résultats tangibles et d’une grande ampleur.
Cela pourrait apporter un niveau de réalisation personnelle des documentalistes plus élevé, grâce aussi à de plus nombreux contacts de contacts avec le reste du monde, administration, proviseur ou principal, enseignants, élèves, entreprises fournisseurs, etc.
A la condition de récupérer non seulement la mission mais aussi le pouvoir de décision correspondant, comme par exemple le budget informatique de l’établissement.
Une certaine déconcentration administrative serait le corollaire de cette réforme.
3. La démarche de transformation des CDI en LC te semble-t-elle pertinente, faisable, réalisable, adéquate, adaptée au système éducatif français? (adaptée à l’enseignement secondaire français notamment)
Au vu de ce que j’ai dit juste avant, à moins d’un changement déjà mené et de moi inconnu, je ne vois pas comment l’administration française et notamment l’éducation nationale avec sa culture centralisatrice et ses processus administratifs et comptables si particuliers – et que le monde regarde avec étonnement et incrédulité parfois 😉 – arriverait à jouer le jeu.
Lors d’un récent déplacement à Auckland en Nouvelle Zélande, j’ai eu un échange passionnant avec les responsables de la bibliothèque nationale néo zélandaise, qui aujourd’hui travaillent ENORMEMENT avec les bibliothèques scolaires et ont réfléchi à l’avenir de ces bibliothèques.
Selon eux, ensemble avec les enseignants de toutes les disciplines, les bibliothèques scolaires doivent donner non seulement la capacité mais aussi le goût et même l’AMOUR de la lecture à tous les enfants. Ce projet se base sur les résultats de la recherche qui indiquent que ce facteur est très important dans la réussite des études ultérieures.
Dans le système néo zélandais, les bibliothécaires des écoles ne sont pas bien formés à la bibliothéconomie et ne sont pas enseignants. De ce fait, historiquement la bibliothèque nationale a beaucoup contribué au développement de la lecture et des bibliothèques scolaires. Ils ont développé un service universel, centralisé et individualisé pour chaque école et chaque enseignant, basé sur les ressources papier (un enseignant ou une bibliothèque scolaire peut commander des livres sur un sujet) et online, poser des questions, demander un conseil ou obtenir les ressources documentaires  : http://schools.natlib.govt.nz/curriculum-service-online-request-form.
Ce système, fort éloigné du nôtre, donne cependant des pistes de réflexions intéressantes sur ce qui doit être mutualisé et géré à un niveau collectif en dehors du CDI, et en remplacement des CDDP en voie d’extinction. Remplacer des services locaux toujours en sous effectif ou ouverts aux mauvaises heures par un service universel à distance et gérés par des pros pour les pros ! Pas mal hein !
En Australie par contre le modèle professeur documentaliste est implanté, comme chez nous, http://www.asla.org.au/policy/school.libraries.Australia.htm, mais le manque de moyens (ou les économies souhaitées) font que le système est aussi remis en cause.
Les collègues néozélandais m’ont signalé qu’ils étaient proches de ce que faisait la Finlande en matière de soutien à la lecture et aux bibliothèques scolaires. Originalité du modèle finlandais semble-t-il et qui peut alimenter la réflexion : selon les documents mis en ligne, l’associations des bibliothécaires scolaires essaie de de discuter avec les PRINCIPAUX de collège et les PARENTS : http://www.oph.fi/download/47629_good_school_library.pdf
Les américains semblent à la recherche de la pierre philosophale dans le même domaine et sont allés voir dans le monde ce qui se passait. On trouvera une vidéo intéressante de l’American Library Association qui présente le système finlandais http://www.youtube.com/watch?v=X8-TK8BR-I8. Et une page web qui recense les associations de bibliothécaires scolaires dans le monde et décrit leurs actions : http://connect.ala.org/node/76430
4. Quelles compétences (spécifiques ?) s’avèrent nécessaires pour les professionnels exerçant dans les learning center universitaires ?
En BU la fonction des bibliothécaires évolue à mon sens vers une plus grande polyvalence afin de répondre à toutes les attentes de nos publics et les nécessités de nos métiers, en face d’un monde massivement numérique, mais qui garde une grande partie de sa mémoire encore sur papier.
La BU elle même évolue du « tout posséder au cas où » au « avoir accès à tout, quand c’est nécessaire », ce qui change la manière de constituer et traiter les collections. Ensuite, du fait de la charge de service public, et du travail en équipe sur des améliorations, des innovations ou simplement la résolution de problèmes du quotidien, les bibliothécaires deviennent des gens très ouverts qui fonctionnement en mode projet, tout en gérant leurs tâches de spécialistes, et en faisant face aux imprévus du quotidien.
La formation à la recherche documentaire devient une activité quotidienne pour de plus en plus d’agents dans les BU. Chacun contribue un peu, ou beaucoup, selon son emploi du temps et son profil, via les cours donnés, les pages web alimentées, les renseignements donnés sur place ou via le guichet virtuel, etc…
Pour les recrutements, il est souhaitable de diversifier les profils des agents pour avoir des équipes capables de tout faire, de la gestion doc à la communication en passant par l’animation ou les nouveaux services via le web, ou surtout le contact direct avec les enseignants chercheurs, mais qui restent soudés par un métier commun de spécialiste de l’information, acquis par la formation sur le terrain ou par un diplôme.
Une tendance lourde est à mon avis la maîtrise des disciplines pour les acquéreurs et les bibliothécaires qui viennent en appui aux chercheurs : un bibliothécaire en fac de droit rend un meilleur service si il est (au moins presque) juriste. Il ou elle peut ainsi approcher sans complexe les enseignants et les chercheurs, et répondre à leurs besoins.
En BU la difficulté vient aujourd’hui du fait que les équipes sont souvent assez importantes et hiérarchisées, ce qui fait que les cadres A ou B sont moins concernés par les services au public que les agents de catégorie C. La polyvalence vaut pour tous et je crois indispensable que tous les agents soient face au public, d’une manière ou d’une autre. Cela demande un gros travail de réorganisation des équipes, avec des freins structurels et conceptuels forts.
En CDI c’est l’inverse, on a plutôt des « OPL, one person libraries » (cf http://en.wikipedia.org/wiki/One-Person_Library) et la polyvalence n’est pas un problème. Par contre la capacité à développer des projets, mener des chantiers importants de transformation, ou même simplement partir en formation, est très limitée. Un soutien collectif par un travail en collaboration entre plusieurs CDIstes d’une même ville est à mon avis indispensable.
5. Les étudiants que tu as pu observer en contexte sont-ils autonomes dans leur appréhension des ressources ?
Oui, suffisamment pour apprécier ce mode d’accès libre à l’information. En cas de besoin ils peuvent approcher les bibliothécaires pour demander de l’aide ou des conseils.
Cette satisfaction générale s’explique aussi par des raisons moins avouables :
–    l’illusion de compétence : c’est si facile avec google et wikipedia, n’est-ce pas….
–    L’absence d’exigence académique : si le professeur ne prescrit pas une recherche documentaire poussée qu’il évaluera et même notera, l’étudiant se contente de lire le polycopié ou le livre que le prof aura indiqué comme étant la référence utile.
La prescription enseignante joue donc un rôle essentiel pour amener les étudiants à vouloir développer leurs compétences informationnelles.
6. Quel(s) modèle(s) d’apprentissage, s’il en existe de solide(s), fonde(ent) le premier terme de l’expression “learning center” ?
Je ne suis pas qualifié en pédagogie, mais je crois pouvoir dire que c’est l’apprentissage par résolution de problèmes. Qui s’applique aussi bien en sciences exactes qu’en SHS ou en DEG.
7. Que demandent les documentalistes, bibliothécaires aux enseignants ? Que demandent les enseignants aux bibliothécaires ?
Cette question serait-elle le nœud du problème français ? Enseignants et documentalistes bibliothécaires ont-ils formulé clairement et précisément ces attentes à un niveau collectif ?
Aujourd’hui on pourrait penser qu’il y a un malentendu et même le dernier rapport moral de la FADBEN  n’arrive pas  à le dissiper car c’est comme si l’on voulait convaincre l’IGEN du rôle des documentalistes alors que ce sont les proviseurs, principaux et enseignants et même les parents, qu’il faut convaincre.
Je n’en dis pas plus, là je joue mon joker, si tu es d’accord.
8. L’ouverture aux partenaires économiques pour subvenir à leurs besoins ne participe-t-il pas de l’entrée du marché dans les institutions éducatives ? Peut-on prévoir les conséquences d’une adaptation d’un tel modèle ?
Dans mon précédent poste à l’EPFL à Lausanne on m’a demandé une fois si « R… Learning Center » ne me gênait pas. Ce n’est pas R… qui me gêne mais l’usage de l’anglais pour désigner la bibliothèque d’aujourd’hui.
Le marché est déjà dans les cours d’école avec les marques sur les vêtements et sur les portables et les mp3 des enfants. La question est selon moi : comment ne pas brader les intérêts publics en période de sous investissement de l’état et du collectif. Si la ressource manque pour faire correctement ce qu’il y a à faire, et si l’on ne veut pas que notre système éducatif ressemble à ceux du tiers monde (on en est si proche déjà), alors invitons à la table les partenaires économiques, mais prudemment, et voyons sur quoi on peut s’entendre.
9. Quels sont les coûts pour la constitution d’un LC…et sa gestion et sa pérennité ?
Les mêmes que ceux d’une bibliothèque universitaire bien dotée comme on en voit dans les pays voisins que sont l’Allemagne, le Danemark, les Pays bas, la Suisse, ou bien d’autres. C’est un peu plus cher que ce que l’on met en France en général dans le budget des BU, mais avec une bonne organisation, ouvrir tard le soir ne coûte pas beaucoup plus cher et cela rend un tel service aux étudiants que la société en bénéficie.
La documentation, une fois achetée ne coute pas non plus cher si elle est utilisée, c’est évident. Donc là aussi une mutualisation et une optimisation des collections peuvent permettre d’élargir l’offre sans en augmenter nécessairement le coût.
La conclusion à laquelle je suis arrivé au cours de la lecture des différents documents signalés, en réfléchissant à tes questions, en repensant à mon expérience dans les BU, c’est que si les enfants n’acquièrent pas au primaire et au secondaire la compétence informationnelle, ce sera une catastrophe à l’université et nos BU n’auront pas la capacité de rattraper ces années de formation perdues. Il est donc essentiel pour la société de maintenir cet enseignement d’une manière ou d’une autre, et même de le renforcer, car pour l’instant il n’est dispensé par aucune autre institution ni par les familles.

Personal Branding : on solde ?

J’ai toujours été contre la position du personal branding d’une part car elle est dangereuse pour l’individu d’autre part car elle relève de l’escroquerie pure et simple bien souvent. Ceux qui y adhèrent sont surtout des consultants qui font du personal branding une démarche commerciale pour faire vivre leur entreprise. Evidemment, les critiques existent déjà. La position du blog personal branling est une excellente réponse à cette situation car nous sommes tous aux frontières du culte de l’égo. Mais je crois qu’hélas, ça ne suffit pas tant cette mode prend de l’essor en grande partie parce que cela repose sur des discours assez simplistes et aussi car le web facilite grandement cet état de fait avec la prédominance de plus en plus grande de la popularité sur l’autorité qui ne cesse de s’accroitre depuis l’avènement du web 2.0.
Je rejoints donc assez fortement Olivier Blanchard dans son article de blog aux résonances funèbres pour un concept nauséabond et bidon. Ses conseils sont également bons car hormis pour des stars qui effectivement vendent leur marque personnelle, pour la plupart d’entre nous, c’est une bêtise absolue. Il reste que le concept de marque, non pas au sens marketing, mais au sens premier est très intéressant à creuser.

Le fantasme du gros Klout

Le personal branding c’est travailler l’image renvoyée, une représentation parfois faussée qui s’éloigne de la vérité intrinsèque. C’est le dopage pour avoir un gros Klout, le culte de l’égo plutôt que la prise de soin de soi.

Tout, tout, vous saurez tout sur le Klout

Terrible est également ce titre symptomatique d’un livre sur le sujet : MOI 2.0… il recèle en peu de signes, le maximum de bêtise et de danger. Il surfe sur cette idée que c’est l’individu qui est pleinement au centre du système et notamment du web. Il colporte le discours stratégique du web 2.0 dont on sait qu’il est faux : les gros leaders du web sont restés les mêmes et sont devenus plus forts. Contrairement à ce qu’avançait le Times il y a quelques années, l’individu ne contrôle pas l’âge de l’information…hélas. Ajouter 2.0 au MOI démontre bien la farce absurde tant le 2.0 accolé sans cesse à des concepts doit être réalisé avec prudence, les guillemets sont souvent de circonstance. D’autre part, le 2.0 est daté et on se demande quelle opportunité peut-il y avoir à sortir un bouquin avec du 2.0 inside en 2011 ?
Il est inadmissible qu’un tel positionnement puisse être mis en avant avec ce que démontre chaque jour les excès d’un capitalisme financier. Le personal branding ne fait qu’accroître le risque de faillite personnelle.
L’Ego face au soi.
La culture du Moi face à la culture du soi. Deux cultures différentes. L’une est vouée à un échec évident, cela va donner beaucoup de boulots au psy de gérer ses faillites personnelles suite au dopage réalisé sur les conseils des docteurs folamour du personal branding. J’espère que ces marchands du temple ne vont pas se ramener dans l’institution scolaire, on a déjà eu assez des Calysto et autres action innocence.
Je ne rejette pour autant pas le fait qu’on a tous besoin d’être valorisé et d’obtenir de la reconnaissance. C’est tout à fait humain et souhaitable. Je regrette simplement le fait que cela en devienne l’obsession avec tous les risques de frustration que ça génère en cas d’échec ou de dégonflage soudain. Combien de baudruches sur nos réseaux dont on ne sait réellement quelles sont leurs compétences ?
Combien ne prennent d’ailleurs aucun risque de peur de fâcher et tente d’obtenir des suffrages réticulaires pour faire gonfler leur nombre de suiveurs (followers) et ainsi arborer un Klout turgescent ? On peut avoir un gros Klout sans corones. A noter que l’entreprise gagne des sous désormais. Jusque là, on testait le service plutôt pour rigoler, mais constater que cela puisse devenir sérieux est inquiétant. Mais il est vrai  que quand un service est gratuit, c’est que quelque part  le produit, c’est nous. C’est vrai aussi que c’est le besoin d’être toujours noté qui revient avec ces palmarès et autres TOP auxquels il est difficile de résister. Moi aussi j’aime bien les classements, mais bon dans le TOP 50, j’aimais bien Toesca surtout car il me faisait marrer. Hélas, les mécanismes de classement prennent de l’ampleur et manquerait plus que ça devienne sérieux.
Ce mouvement est d’autant plus facilité que la reconnaissance des institutions et au sein des entreprises devient nulle voire totalement absente. Même les profs sont en recherche de reconnaissance à l’extérieur. Il suffit d’aller au forum des enseignants innovants pour y rencontrer ce besoin de reconnaissance.
Ce n’est pas l’échelon individuel qu’il faut remettre en cause. Le PKM (gestion personnelle de son information et de ses connaissances) et la formation de l’individu à la culture de l’information sont nécessaires et un bien meilleur choix que celui d’imposer des règles et des mesures imposées d’en haut. De même, il n’est pas choquant qu’on puisse conseiller des personnalités ou des individus qui ont besoin de revoir leur stratégie et leur présence en ligne, mais qu’on ne leur prétende pas la lune qu’on ne leur vende pas n’importe quoi. La présence en ligne et hors ligne, c’est aussi savoir (où) donner comme le disait Bruno Grimaldi :  sinon à « retour de manivelle, tu te retrouves en bas de l’échelle ».
Plaidons davantage pour un travail sur soi, une amélioration et une remise en cause personnelle plutôt qu’une stratégie de la gonflette. La culture du soi implique un passage au collectif plus aisé. La progression personnelle peut servir le collectif, la culture du moi réside dans le sens inverse, c’est-à-dire dans l’utilisation du collectif à ses propres fins. Encore une fois la culture de l’information face à la déformation qui atteint de plus en plus nos identités numériques.
Vanter les mérites du personal branding, c’est bien le dernier élément d’une consumérisation à outrance qui commence à polluer le web de manière irrémédiable. Peut-être plus qu’une révolte des indignés, c’est celles des « vauriens » face aux vendeurs d’EPO en E-réputation qu’il faut réaliser.

Education Nationale : la dangereuse empreinte administrative comme substitut disciplinaire

Sous couvert de réformes, l’Education Nationale part en vrille depuis plusieurs années.  Cette descente aux enfers s’effectue sous la houlette d’un ministre dont le tribunal de l’histoire se chargera d’un réquisitoire sans concession.
La nouvelle évaluation des enseignants du secondaire se fera principalement selon la vision du chef d’établissement, ce dernier étant lui-même évalué. Il s’agit en gros d’évaluer surtout la conformité avec les projets décidés en haut lieu. Et qu’on ne se méprenne pas, ces projets n’ont rien de pédagogique, c’est tout au plus du bidouillage lié à une culture du résultat qui cherche à remonter de bons chiffres pour flatter l’égo du premier dirigeant du ministère. Cette culture du résultat chiffré et bidouillé n’a aucun sens et aucune réalité concrète sur le terrain.
L’objectif est de mettre en place un système moins couteux et qui parait plus clinquant en apparence notamment en substituant les recrutements d’enseignants par des moyens informatiques plus performants. L’objectif étant aussi de  faire plaisir aux dirigeants d’entreprises informatiques. Pas de pédagogie dans tout cela mais des instruments de flatterie et du mensonge.
Depuis quelques années, le poids des enseignants et des formateurs au sein de l’EN a fortement diminué (désintégration de l’IUFM)  au profit de profils administratifs qui bien souvent constituent des freins à l’innovation, mais qui sous couvert justement de cette dernière, cherchent à imposer leurs vues malgré les réticences et les autres voies offertes par le terrain et par la recherche.
On critique parfois à raison, une trop forte crispation et attachement des enseignants à leur discipline d’origine. Cependant, la logique actuelle est de poursuivre une logique disciplinaire de plus en plus rude et stricte au sens foucaldien qui est celle du contrôle sur les corps et les esprits : un biopouvoir qui s’exerce sur les élèves et les personnels. Ce contrôle disciplinaire devient essentiellement politique et administratif et n’a que peu d’effets pédagogiques si ce n’est de considérer que des évaluations forcées et bidonnées relève de la pédagogie.  Le premier dirigeant du ministère transforme le ministère en une armée avec des généraux et des sous-chefs contraints d’obéir  à des ordres que d’aucuns trouvent souvent idiots. Mais plus personne n’ose rien dire, la peur gagne les rangs à tous les niveaux : l’Education Nationale devient la grande muette !
En ce qui concerne les professeurs-documentalistes, c’est le même effet : rien ne semble se produire tant le terrain escompte sur la lassitude de l’administration a égrené des nouveaux projets peu convaincants et surtout dangereux.
Pascal Duplessis a bien décrit les manœuvres et les dangers qui guettent le corps des professeurs-documentalistes. Or, le terrain reste muet notamment sur les listes de diffusion où l’inertie voire la banalité prend peu à peu le pas. Chacun semble se préoccuper de soi ; l’intérêt général si ce n’est au moins l’impression d’appartenance à un corps en danger devient  peu mis en avant. En grande partie, parce que plus grand monde n’ose s’exprimer publiquement de peur…de représailles. Les mails privés, les discussions en aparté dominent mais personne n’ose.
Comment peut-on imaginer que le lieu où doit se forger l’esprit critique et la capacité à exprimer son opinion argumentée telle que le nécessite une démocratie soit devenu à ce point censuré et auto-censuré ?
Clairement, pour les professeurs-documentalistes, une des solutions possibles peut se construire dans l’espoir d’une alternance politique. Cette solution est simple : c’est la sortie pure et simple et définitive de l’égide de la vie scolaire pour aller vers la création d’un corps d’inspecteurs dédiés.  Sans cette sortie, il n’y a aucun espoir car ce serait rester sous le contrôle direct d’une administration exécutive qui n’a plus rien de pédagogique. C’est la seule perspective pour le développement réel d’une culture de l’information et de son volet didactique.
Le learning center par opposition constituerait le tombeau définitif du mandat pédagogique et ferait sortir les professeurs-documentalistes du corps des enseignants.  Mais il n’y a pas que les professeurs-documentalistes. Il apparait de plus en plus clairement que c’est d’ailleurs une commande du ministère de supprimer un maximum de corps d’enseignants et de faire disparaître un grand nombre de disciplines.
Alors pour finir, j’ai envie d’inviter à renverser la tendance.  C’est maintenant qu’il faut s’exprimer.  Soit l’alternance se concrétise et on pourra placer des espoirs si on l’a bien préparée, soit elle ne se fait pas et la fin de l’EN sera alors inéluctable d’une manière téléologique.  Mais au moins, on sera mort les armes (intellectuelles ?) à la main.
Mais j’ai bon espoir dans un renouveau pour ma part et j’ai envie de renverser les menaces.  En cas d’alternance, on saura parfaitement se souvenir de qui aura joué lamentablement double-jeu et aidé le premier dirigeant dans ses bas desseins. C’est donc l’heure de l’ouvrir et de proposer des pistes de renouveau.
Mise à jour :  A lire aussi cet article sur Slate.

Circulez

Circulez..

Le projet de circulaire couplé avec la diffusion du Pacifi ne peut qu’interroger voire au final inquiéter une profession en quête de légitimité permanente : les professeurs-documentalistes. Le projet éclaire quelque peu le but réel du pacifi que Pascal Duplessis tente de décortiquer depuis quelques semaines. Vous retrouverez également sur son blog des textes intéressants dans la partie invité en ce qui concerne le pacifi et la circulaire.

Vu que nous sommes sommés de répondre avant le 24 janvier, on va faire de l’écho numérique… la circulaire se nommant « Missions des professeurs documentalistes à l’ère du numérique »

Il ne suffit pas de placer l’expression de culture de l’information dans un texte pour la rendre concrète d’autant plus lorsqu’elle se trouve mise en parallèle avec des expressions contradictoires notamment celle d’ « ère numérique » ou pire celle de « société de l’information ».

Si la première (« ère numérique ») est ridicule, car elle donne l’impression d’un passage d’une ère quasi préhistorique – dans laquelle le prof-doc en était resté à se consacrer au Dieu Dewey et ne parvenait que très rarement à produire une étincelle- à une ère nouvelle … du prof-doc new age dont les qualités ne sont pas celles d’un homo sapiens mais d’un mutant.

La seconde expression est celle de société de l’information. Ce n’est pas faute d’avoir critiqué voire démontrer les présupposés d’une expression qui s’est imposée comme une évidence. La culture de l’information s’oppose même à la société de l’information.

C’est même sa différence principale avec l’information literacy qui repose sur une idéologie qui est celle de l’informationalisme et de la société de l’information. Sur ces aspects, sans vouloir faire d’autopromo, j’en parle longuement dans ma thèse. Alors autant que ce soit utile…

Il est vrai que j’ai émis parfois l’hypothèse que « culture de l’information » pouvait être une traduction possible d’information literacy… seulement et seulement s’il s’agit d’assumer un héritage et de porter de nouvelles ambitions. Sans quoi, il convient  de ne pas tenter de traduire information literacy tant le concept affiche ses proximités avec la société de l’information dans ses objectifs d’adaptabilité.

Or, il semble que le pacifi a fait ce choix du rapprochement information literacy/culture de l’information sans pour autant développer une vision plus ambitieuse. En clair, ce n’est pas de la culture de l’information. La meilleure preuve en est que le concept dominant du pacifi demeure… en l’occurrence le fameux besoin d’information…qui est le fondement  même des travaux de l’information literacy des années 80.

Le paradigme de la culture de l’information est différent,même s’il ne s’agit pas de figer une définition de la culture de l’information.  Il repose davantage sur le besoin de formation. Certes on trouve dans la circulaire encore la fameuse éducation critique, qui est toujours portée comme une évidence, mais dont les moyens pour y parvenir sont indéfinis. La circulaire ne précise guère comment y parvenir et avec quels moyens. C’est ici que l’on comprend que la liberté pédagogique réitérée aux enseignants n’est en fait qu’un « démerdez-vous », que  le dynamitage façon puzzle de la formation des enseignants ne vient que confirmer.

Quelque part, le renforcement pédagogique affiché par la circulaire est illusoire : il s’agit surtout d’une évacuation didactique au profit d’une instance de mise en œuvre déléguée. Le professeur-documentaliste devient un maître d’ouvrage délégué (soumis à des injonctions hiérarchiques) tandis que la mise en œuvre concrète est directement exercée par ses collègues enseignants dont les compétences dans le domaine de la culture de l’information sont parfois douteuses.

A l’heure où l’on a de cesse de parler de développement durable, il serait bon de ne pas céder aux impératifs de la maîtrise des techniques usuelles de l’information et de la communication pour privilégier le développement d’une culture et pas seulement de compétences procédurales.

Mais pour cela, il faudrait changer de politique.

Olivier Le Deuff, professeur-documentaliste et définitivement empêcheur de tourner en rond.
PS :
Vous pouvez signer la pétition de retrait de la circulaire.
Je joints aussi le message paru sur une liste professionnelle :
Pour alimenter le débat et manifester nos désaccords de fond et de forme, sur la dernière mouture de la circulaire de missions des professeurs documentaliste, voici en fichier joint l’analyse critique de ce texte par l’ANDEP (association des professeurs documentalistes de l’enseignement privé).

Nos critiques se portent notamment sur :

le déni de la didactisation des savoirs info-documentaires,

le désaveu de toutes les publications universitaires en SIC (GRCDI entre autre),

la promotion des diverses publications institutionnelles (PACIFI en tête) érigées comme texte officiel,

les inégalités d’apprentissages dans les établissements scolaires face au credo d’une pédagogie de collaboration.

Qui va légiférer sur la bonne mesure, la validité, les modalités et la mise en œuvre de la formation info-documentaire des élèves si elle est seulement incorporée aux programmes disciplinaires ? Qui va fixer les priorités de collaboration, notamment en dehors des dispositifs interdisciplinaires ou transversaux ? Quels vont être les critères pour asseoir ce parcours de formation ?

Nous trouvons là les limites d’un modèle non-didactisé axé sur une compilation d’usages et pratiques méthodologiques, bien loin d’une réflexion autour d’un véritable curriculum garant de la formation des élèves à la culture informationnelle.

Bonne lecture et bon débat

Pour l’ANDEP

Emmanuelle Mucignat

présidente de l’ANDEP


Nous avons de plus en plus besoin de lecteurs de crânes de licorne

J’écris peu sur le blog depuis quelques temps. Beaucoup de projets et de travaux monopolisent mon temps et mon attention. Disons ce que ce dernier billet de l’année augure l’esprit et la volonté qui m’animeront en 2011.

On a cru sans doute hâtivement que la fin de l’histoire était survenue lors de la chute du mur de Berlin tant la destinée semblait écrite et le triomphe démocratique semblait inéluctable.
20 ans après, il n’en est rien. Au contraire, la démocratie recule y compris au sein de ses bastions premiers.
Le sens de l’histoire est devenu bien incertain et il est évident que le premier réflexe est de tenter de se retourner vers le passé pour tenter de mieux « prospectiver ». Un sens à construire, une histoire à écrire de manière « poétique » en suivant Réné Char : « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Hélas il semble que ce soit bien les ténèbres qui nous entourent désormais du fait d’une césure qui s’est produite dans notre rapport à l’espace-temps. Finalement, nous sommes comme le héros de «  la fin des temps » de Murakami, quelque peu coupé en deux, contraint d’avoir abandonné une partie de nous dans un passé de plus en plus inaccessible. Seul celui qui est capable de déchiffrer les mémoires contenues dans les crânes des licornes et seul celui qui sait trouver du sens et le chemin parmi les données (et notamment les Big Data) parvient à relier les deux mondes : l’archiviste ou le bibliothécaire qui n’est pas seulement un gardien.
En effet, l’archive semble la mieux à même de pouvoir répondre à notre situation en nous permettant de nous situer dans les méandres de nos destinées. Cette archive, c’est celle que décrit Michel Foucault :

  • « Mais l’archive, c’est aussi ce qui fait que toutes les choses dites ne s’amassent pas indéfiniment dans une multitude amorphe, ne s’inscrivent pas non plus dans une linéarité sans rupture, et ne disparaissent pas au seul hasard d’accidents externes, mais qu’elles se groupent en figures distinctes, se composent les unes avec les autres selon des rapports multiples, se maintiennent ou s’estompent selon des régularités spécifiques »
  • (Foucault, L’archéologie du savoir, 1969 p.170)

Mais nous ne distinguons plus nécessairement l’archive ou le document porteur d’une importance historique. Les crânes de licorne évoqués par Murakami sont également une belle métaphore de nos documents produits par des outils ou programmes désormais obsolètes.
On croyait que le numérique nous apporterait un accès facilité à la connaissance, il n’en est rien. La littératie se complexifie au contraire et l’illusion de la transparence dissimule délégations techniques et intellectuelles. Cela signifie qu’il est grand temps de développer une culture de l’information et une translittératie qui soit réellement durable, faite de savoirs et de savoir-faire qui puissent être réinvestis sans cesse sans quoi l’archéologie de nos savoirs est grandement menacé et sa futurologie celle décrite par Lévi-Strauss.
Par conséquent, un simple esprit « culture informationnelle » ajoutée à la marge ne saurait répondre à cette mission. La construction de learning center n’y suffira pas non plus car il ne s’agit pas de confondre le bâtiment avec l’institution. Le chantier est bien celui de la culture des esprits, une construction hautement plus ambitieuse et plus difficile. J’appelais dans ma thèse en 2009 à une reformation de la culture de l’information. En appelant à la reconstitution de l’Ecole à partir de la skholé, cette capacité d’attention qui est la base de notre capacité à comprendre, à reformuler et à écrire, je souhaitais démontrer que les compétences et savoirs exigés ne pouvaient se contenter de simples injonctions politiques et encore moins économiques. Au contraire, la culture de l’information ne doit opérer en parallèle de la prétendue société de l’information ce que tend trop souvent à faire les théoriciens de l’information literacy. Cette culture dont nous avons besoin, c’est celle qui permet l’accès à la majorité de l’entendement au sens Kantien. Cette culture demande un effort, une capacité de résistance qui permet de trouver la sortie hors de la minorité de l’entendement. Hélas, les mineurs sont de plus en nombreux, enfermés dans des cavernes qui les déforment et les privent des Lumières et se contentant de d’inter-médiaires comme directeurs de conscience. C’est donc autant d’un humanisme numérique que des Lumières numériques dont nous avons besoin.
Pour cela, il nous faut aussi sortir des évidences et des discours qui les accompagnent. Nous avons besoin de plus en plus de savants, « savant » au sens de celui qui sait lire et écrire parmi cette diversité médiatique convergente.
Nous avons de plus en plus besoin de lecteurs de crânes de licorne.

La perte d’influence de l’intellectuel français

L‘article sur la perte d’influence des intellectuels français et notamment sur les réseaux sociaux m’a intéressé à plus d’un titre. Je crois que le problème ne vient pas du manque de spécialiste français dans le domaine mais de deux obstacles principaux. Je m’attarde principalement ici sur les sciences humaines et sociales.

Premier obstacle de taille : la langue.

C’est la principale raison pour laquelle les principaux « penseurs » et leaders dans de nombreux domaines et encore plus sur les thématiques du web sont anglo-saxons. Ils ont l’avantage du terrain. Vous publiez en anglais, votre potentialité d’influence et de relai est à peu près dix fois supérieure qu’en français. Vous vendez un ouvrage 1000 exemplaires en français, son potentiel de vente est souvent 10 fois supérieur en anglais. De même, pour le nombre de visites sur les blogs. La réponse est donc évidente : il faut écrire en anglais en allant jouer sur un terrain extérieur. Mais bon, il va falloir s’y mettre. D’ailleurs, je suis persuadé que seul le multilinguisme défendra le français et les autres langues, et aucunement une défense stérile et chauvine. Au diable l’identité nationale qui est devenue du reste totalement inverse de la conception révolutionnaire qui faisait de la nationalité française une identité universelle et non pas une identité saucisson-tf1-rolex.

 

Second obstacle : la difficulté de la pensée complexe et non dichotomique.

Je note que la tendance est quand même au succès de pensée et de théorie parfois provocatrice et souvent proche du consulting. En clair, ce n’est pas toujours pleinement scientifique. Je songe par exemple à la théorie des digital natives et même à Clay Shirky qui joue souvent la provoc de même que Chris Anderson. Certes, ça fait bouger les lignes et réfléchir mais en aucun cas, rétrospectivement, c’est si génial et si cohérent. Mais leur objectif n’était pas scientifique mais davantage commercial et stratégique. Dans ce domaine, ils sont plutôt bons d’autant qu’ils sont de véritables praticiens prêts à innover.

Il est dommage qu’en France, le rapport soit assez dichotomique. Les discours positivistes sont souvent portés par des consultants ou des acteurs commerciaux. Leurs discours ne sont pas mauvais en soi, mais ce ne sont pas des discours émanant d’intellectuels proprement dits ou tout au moins de scientifiques. Je rappelle que la définition d’intellectuel suppose un engagement politique, ce qui ne signifie pas qu’on a pris en douce sa carte à un parti ou qu’on va chercher des enveloppes chez des mamies, mais qu’on prend position dans des discours et des écrits et notamment au niveau médiatique. Mais c’est là, le problème, c’est qu’on ne convoque que dans ses sphères les penseurs les plus rétrogrades et anti-internet pour répondre aux discours branchés. Dès lors, la naphtaline fait pâle effet à côté. De même, il serait quand même important que les médias renouvèlent leurs prétendus intellectuels qui sont les mêmes depuis 30 ou 40 ans. La couverture du nouvel obs sur les intellectuels français cette année aurait pu être la même il y a 20 ans…il faut dire qu’un nouvel obs de 2010 ressemble à un nouvel obs de 1990 : même rédaction, mêmes éditorialistes et…mêmes éditoriaux à quelque chose près. Mais les nouveaux acteurs médiatiques du web devraient peu à peu changer la donne.

Mais en général sur les grands médias, les discours les plus complexes sont moins entendus parce qu’ils ne sont pas médiatiques d’une part et parce qu’il suppose des capacités de réflexion et de pratique de la part de l’auditoire. Dans le genre, les fidèles de Jean Pierre Pernaut ne peuvent pas suivre depuis longtemps même s’ils ont essayé de faire attention à la marche. Certes, la radio se démarque à ce niveau de la télévision du fait de journalistes compétents et plus engagés dans les médias sociaux. La télé à l’inverse poursuit son autarcie. L’évacuation d’arrêt sur images est en ce point un exemple évident. Mais l’émission a sans doute gagné au final en pertinence et en puissance en passant sur le web.

Revenons, donc sur l’obstacle de la complexité car il tend d’ailleurs à gagner du poids au sein des sciences humaines et sociales qui privilégient de plus en plus une simplicité d’étude et d’analyse dont les résultats ne seront qu’éphémères face à une pensée conceptuelle qui dérange ou est tout simplement incomprise. L’idéal devenant la production scientifique à peu près normée mais dont les conséquences scientifiques, politiques et éducatives seront nulles et donc sans risque.

Face à la pensée conceptuelle, l’argument méthodologique est alors utilisé comme seul contre-argument, qui place le discours scientifique conceptuel dans la lignée de l’essai. Il est vrai que la pensée complexe, celle qui mobilise autant concepts que des résultats est parfois inopérante aussi dans des articles trop brefs. En ce qui me concerne, j’ai une valise pleine de concepts qui fonctionnent ensemble, il est impossible de tous les convoquer dans un article et cela devient parfois difficile voire mission impossible quand il s’agit de les transposer en anglais.

 

En conclusion, l’intellectuel français ou francophone n’est pas mort, pas autant que le web au final (pour rappel après le web 2.0, le web 3.0, le web au carré, le web qui mène 3-1 contre le psg, voici désormais le web mort-vivant qui se multiplie jusque dans vos frigos ce qui devrait inspirer Roméro ou Véronique C.) mais il n’est plus dans la presse classique et pas du tout sur les chaînes grand public même si Mister Affordance a failli y faire une apparition sur le nouvel ortf.

Je crois aussi que l’intellectuel est surtout une identité collective, un réseau pensant (et guère dépensant d’ailleurs) qui produit des documents et des réflexions sous des modes différents.

Finalement, il faut différencier le fait de ne pas voir l’intellectuel et celui de le croire invisible. Bien souvent, le regard ne se porte pas aux bons endroits.

 

Voilà pour ce premier billet de rentrée. Je suis parvenu à rendre plus compliqué un problème qui l’était déjà à la base. Mais je crois que ça devrait la devise et le credo de l’intellectuel : montrer que lorsqu’un problème apparaît compliqué, c’est bien parce qu’il est encore plus en réalité.

La désinformation par l’omission : Jean Pierre Pernaut en fossoyeur du journalisme

Le journal du 1er juillet 2010 de 13 de Jean Pierre Pernaut est un modèle du genre dans la désinformation par omission.
Symbole de la médiocrité et de l’incompétence de son présentateur, il s’agit un cadavre journalistique.
L’autopsie est facile à réaliser grâce à Tf1.fr qui nous propose le découpage du journal :
http://videos.tf1.fr/jt-13h/paroles-de-francais-rien-n-a-change-pour-jean-georges-5903871.html
Aucun sujet de politique ou de politique international et aucun sujet sur les affaires actuelles… bien évidemment.
Le comble du talent consiste à introduire le journal par …de la météo ! Et d’enchaîner ensuite par des sujets sur les vacances.
Un journal pendant lequel on n’apprend strictement rien et qui s’adresse à un public de retraités ou de vacanciers.
Exit donc également la marée noire, la réforme des retraites, le doute sur la rentrée prochaine dans l’Education Nationale. Aucun sujet de fond n’y est traité. Même plus belle la vie pourrait sembler aborder davantage de problèmes que le journal de Pernaut.
L’affaire Woerth est expédiée en 20 secondes avec un gros mélange avec l’autre affaire, l’affaire Banier. Du coup, le spectateur n’y comprend rien, et en plus Pernaut semble gêné d’en parler. Il est probable aussi que comme Pernaut ne parle pas très fort et avec un ton monocorde, les plus âgés n’entendent rien car le son est moindre que pendant les reportages.
Vous allez me dire que ce n’est pas une vraie omission puisqu’il en parle un peu. Mais c’est une omission dans la mesure où il n’y a pas d’enquête approfondie, pas de reportage, rien de fouillé. D’ailleurs, les autres reportages « plans plans » sont similaires, aucune donnée concrète, on reste sur du journalisme d’opinion. On est donc loin du journalisme et encore plus loin du journalisme tout court.
Finalement, 40 minutes de publicité pour l’Oréal ne seraient pas pires…
Il y a donc de quoi travailler pour réaliser l’éducation aux médias des jeunes générations avec ce genre de documents. Pour les autres, spectateurs avachis et autant déformés que désinformés, c’est déjà trop tard.

Chevalier, prof ou gourou ? Pierre Bellanger et la discrétisation des industries de services au sein de nos existences

Portrait de Pierre Bellanger
Image via Wikipedia

Je n’avais guère envie de bloguer depuis quelques temps, mais là, j’ai craqué après la découverte d’une information sur twitter me renvoyant au site d’owni qui évoquait une conférence qui ne pouvait me laisser de marbre.
On croit rêver quand l’Ecole normale supérieur prend l’initiative d’inviter un individu, Pierre Bellanger, qui n’a rien à envier à Patrick Le Lay pour vendre du temps de cerveau disponible sur les ondes radiophoniques et sur le pire réseau de blogs à la fois au niveau technique, esthétique et en terme de contenus : les skyblogs. Ces derniers qui ont longtemps fait du mal à l’image même du blog.
La conférence est parfois, notamment au début, d’une médiocrité incroyable avec des banalités et des métaphores à peine digne d’une mauvaise copie du bac. Evidemment, on n’y apprend rien et on est consterné avec la récurrente métaphore de la toile, métaphore depuis longtemps rendue caduque notamment par l’étude du « nœud-papillon ».
Bellanger évoque une pensée « web native » et ressort toutes les visions stéréotypées sur le papier. On croirait parfois revoir des réflexions d’il y a 10 ans, du moins au début…car il est du coup tentant de ne pas tout écouter et pourtant ! Internet et ses boîtes invisibles et un modèle « réseau-centrique » sont parmi les pseudos concepts scientifiques utilisés. Mais s’il faut trouver un intérêt à la démonstration, c’est la réflexion qui repose sur la volonté de capter l’attention des usagers à des fins publicitaires qui est bien le but recherché.
« La marque devient une personne », étonnante phrase à l’heure du personal branding. Mais c’est justement l’objectif du rapprochement, l’égalité de façade. Evidemment, le discours peut paraître séduisant avec ce renouveau publicitaire.
La « publicité active » qu’il évoque, devient un service intégré…soit disant pour être plus utile notamment pour faciliter les relations mais en fait c’est le summum des rétentions tertiaires et de la délégation technologique. Ce marketing relationnel que nous présente Bellanger, c’est l’étape suivante du triomphe des industries de service qui vont chercher à s’immiscer davantage dans nos vies, à devenir de plus en plus discrètes voire invisibles. Cette discrétisation est une forme de grammatisation publicitaire qui prolétarisera davantage l’individu qui n’aura plus les moyens de distinguer ce qui relève de la publicité avec cette marque devenue personne. Le pire de tout c’est que cette entreprise vise à nous transformer en outils publicitaires, ce n’est plus l’individu-citoyen qui devient l’objectif de la formation, mais l’individu-marque. Pour ma part, c’est un cauchemar, le summum de la culture de la déformation, la poursuite du paradigme informationnel. Sur tous ces aspects de grammatisation, de pharmaka, de discrétisation, etc. il faut aller voir au moins le site d’ars industrialis et bien sûr lire les travaux de Bernard Stiegler.
Le plus étonnant chez Bellanger, c’est le discours mensonger qu’il utilise en mettant toujours en avant les idées de liberté d’expression ou de services aux usagers. Or, il ne fait rien qu’enfermer intellectuellement et parfois davantage. Ce qui est intéressant, c’est que désormais les attaques de ce type vont se multiplier sur le web et l’Internet. Cela démontre l’extrême complexité à l’œuvre et l’enjeu urgent autour d’une culture des hypomnemata. Cependant, vu que la formation est désormais passée sous la coupe de l’Oréal, il est à craindre que les stratégies présentées puissent avoir le champ libre pendant pas mal de temps. Les Jedis des différentes littératies tenteront de veiller néanmoins.
La présence des poissons rouges est étonnante : au niveau feng shui, le placement d’un tel aquarium vise à capter les mauvaises ondes à la place des habitants. Si on se voulait sinistre, les poissons rouges dans leur pauvre bocal nous font surtout penser à notre future situation sur les réseaux.
J’en profite pour rajouter un extrait de ma thèse qui évoquait les skyblogs et les jeunes générations.

Le site skyrock.com et les blogs qui y sont associés ne sont pas conçus pour une lecture approfondie mais surtout pour attirer l’œil et l’envie de cliquer. Le zapping instinctif y est privilégié par rapport à une lecture réfléchie. Si la page d’accueil des blogs est plus fournie en textes, la qualité orthographique se trouve supplantée par un style proche du Sms. Le fond de page des sites de skyrock est un fonds publicitaire qui change quotidiennement. Pour un peu, voilà un système qui exploite au maximum les négligences, en incitant à cliquer sans réfléchir et en ne lisant que très succinctement.

Voilà qui démontre le fort éloignement de la skholé, ce qui a priori apparaît logique puisque la plateforme est justement à l’extérieur du domaine de l’étude (studium) et donc du studium legendi. Cependant, il ne s’agit pas pour autant du loisir de l’homme libre que constitue l’otium, car l’exercice d’écriture de soi que peut constituer le blog se trouve emprisonné dans des démarches de conformisme et d’invasion publicitaire. Nous sommes surtout dans le domaine du neg-otium, celui du des sphères marchandes.


Figure n°24. La prédominance publicitaire sur la page http://www.skyrock.com/blog/

Alain Giffard a également observé ce type de blogs et en conclut qu’il s’agit de systèmes non ouverts vers l’extérieur mais au contraire essentiellement tournés sur eux-mêmes et donc contraire à l’esprit du web :

Sur Skyblog, on recherche l’inverse : on met les jeunes à l’écart. On les sépare de l’ensemble du web en les empêchant de se mettre en relation avec cet espace.

Le milieu est donc celui d’un milieu dissocié où l’individuation ne peut se produire car elle se trouve court-circuitée par des modèles qu’il faut suivre, impulsés notamment par la publicité. Ce qui est recherché est la captation de l’attention à des fins publicitaires. Seulement, les jeunes utilisateurs de skyrock n’en sont pas conscients, tant le discours est celui de la libre expression. Or c’est pourtant tout l’inverse qui se produit. Les productions des adolescents sur les skyblogs se ressemblent énormément avec les mêmes processus d’écriture et d’utilisation des photos des autres. Finalement, la plateforme skyblog enferme l’adolescent dans des schémas préétablis.

<http://www.skyrock.com/> Sur la page d’accueil du site, il n’y pas de textes longs, que des mots courts ou des images animées qui donnent envie de cliquer à l’adolescent.

2 <http://www.skyblog.com/>

3 Ivan ILLICH. Du lisible au visible : La Naissance du texte, un commentaire du «Didascalicon» de Hugues de Saint-Victor. Op. cit.

4Interview d’Alain GIFFARD. Skyblogs, la grande secte molle. In L’école des parents N°577- Hors-série mars 2009 – Adolescents : Confidences sur Internet. Disp. Sur :
<http://www.ecoledesparents.org/revue/N577_libreacces.html>

update : Je trouvais guère novateur l’idée d’une networked literacy, mais après tout, ce n’est peut-être pas si idiot au vu des risques exposés.

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Apple et ses instruments de flatterie

Je n’ai pas grand-chose à rajouter aux propos de Narvic sur le positionnement d’Apple et le fait que les ambitions mercantiles de la pomme n’ont vraiment rien à envier à celles de Windows. L’ipad n’est pas une réelle innovation.

Je reproduis juste ce texte de Gilbert Simondon qui ne manque pas de me faire songer à chaque fois à la stratégie d’Apple, qui vise sans cesse la flatterie personnelle et probablement aussi « le signe extérieur de richesse » :

« Si nous considérons l’ensemble des machines que notre civilisation livre à l’usage de l’individu, nous verrons que leurs caractères techniques sont oblitérés et dissimulés par une impénétrable rhétorique, recouverts d’une mythologie et d’une magie collective qu’on arrive à peine à élucider ou démystifier. Les machines modernes utilisées dans la vie quotidienne sont pour la plupart des instruments de flatterie. Il existe une sophistique de la présentation qui consiste à donner une tournure magique à l’être technique, pour endormir les puissances actives de l’individu et l’amener à un état hypnotique dans lequel il goûte le plaisir de commander à une foule d’esclaves mécaniques, souvent assez peu diligents et peu fidèles, mais toujours flatteurs. »

In SIMONDON, G. (2007). L’individuation psychique et collective : A la lumière des notions de Forme, Information, Potentiel et Métastabilité. (p. 293). Editions Aubier. (p.522)