Quelle conversion numérique ?

Les politiques numériques éducatives ou économiques offrent leur lot de convaincus et de réticents. Il peut être tentant de considérer qu’il reste évidemment à convaincre les plus obtus et les technophobes. Le concept d’une « grande conversion numérique » que décrit Milad Doueihi en effectuant notamment un parallèle avec la conversion religieuse et l’impact culturel qui en résulte, parait alors une possibilité intéressante, voire séduisante. Cette conversion qui oblige le nouveau lettré a maîtrisé désormais aussi bien les lettres anciennes que modernes, mais également le code informatique, mérite cependant une interrogation. En effet, dans cette capacité à examiner les diverses écritures, et leur signification, leurs traces et références, les schémas opérants, de quel type de conversion s’agit-il réellement ?

Quelles conversions numériques ?

Michel Foucault distingue deux types de conversion, pour schématiser rapidement : disons qu’il y en a une « platonicienne » et une autre qui est chrétienne. Chez Platon, la conversion est d’abord est une manière de se détourner des apparences en constatant notamment sa propre ignorance. À partir de là, la conversion consiste à un retour sur soi et à la prise de soi nécessaire à l’amélioration de soi et de sa propre connaissance. La conversion chrétienne est de l’ordre du changement immédiat, du renouvellement de l’esprit qui passe en quelque sorte de l’obscurité à la lumière. Dans les deux types de conversion, il y a le constat d’une nécessité d’un nouveau cheminement vers la vérité. Les deux conversions entraînent aussi la pratique de techniques de contrôle de soi voire d’ascèse. Ce n’est donc pas l’accumulation, que ce soit de richesses ou de connaissances disperses pour « fanfaronner » qui doit être recherchée, mais la qualité intrinsèque de ses actions. Un contrôle de soi peu évident, tant les mécanismes de popularité actuels incitent à l’inverse à rechercher des satisfactions personnelles. Les tentatives de mesure d’influence qui se développent en ce moment sur le web, démontre cette prépondérance.

Parler de conversion numérique finalement signifie que ce choix doit être celui d’une amélioration de soi pour son propre bénéfice, mais aussi pour celui des autres. De plus, cette conversion ne doit pas être une renonciation aux anciennes pratiques, ce n’est pas une rupture dont il s’agit. Il est en effet préférable de rechercher et de redécouvrir des méthodes et des pratiques plus anciennes qui peuvent connaitre des déploiements facilités avec les nouveaux outils. Par exemple, les signets sociaux se révèlent être une forme renouvelée des « lieux communs », ces cahiers utilisés par des étudiants à la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance pour prendre des notes durant des cours ou des lectures avec parfois la constitution d’index.

La conversion numérique a commencé avec différents évangélistes et autres prophètes du numérique qui incitent parfois à des changements trop radicaux ou qui privilégient les outils clinquants et autres objets qui ne visent qu’à valoriser son propriétaire.

Il est dès lors actuellement tentant d’envisager une véritable « réforme » plutôt qu’une refondation sans véritable fondement. Du coup, c’est un appel à ce que les enseignants, les parents et les élèves s’emparent des nouvelles thèses numériques en ne cherchant plus le miracle chez ceux qui dirigent l’institution et qui portent le dogme.

1.Milad DOUEIHI. La Grande Conversion numérique, paris, Seuil, 2008

2. Sur cette question, voir Michel FOUCAULT. L’herméneutique du sujet. Cours au collège de France. 1981-1982. Gallimard, Le Seuil, 2001, p.199, sq

Ce billet est inspiré d’un passage de notre ouvrage La formation aux cultures numériques.

La veille n’est pas homophobe

L’expression de « veilleurs » appartient à tout le monde. Toutefois, on ne peut que déplorer l’usage qui en est fait par des personnes qui n’ont rien à voir avec un champ professionnel existant, et encore moins avec une certaine éthique de la veille.

Le fait d’associer l’expression et de fait le concept de la veille avec une visée homophobe ne peut qu’ajouter de la confusion autour d’un concept qui mérite bien mieux, d’autant que des formations, des professionnels et des associations (notamment l’Adbs, l’Association des professionnels de l’information et de la documentation) tentent de valoriser la veille. Or désormais, les résultats des moteurs de recherche sont pollués par des veilleurs qui se réfèrent davantage à des veillées funèbres qu’à la traditionnelle veillée paysanne d’antan, bien décrite d’ailleurs par Noël du Fail (voir l’extrait sur wilkipédia).

La veille est un secteur professionnel qui prend diverses formes depuis la veille informationnelle, la veille technologique ou bien encore la veille économique et commerciale. Mais il ne faut pas oublier des formes plus collaboratives, facilitées par de nouveaux outils de partage de l’information, et portées par des volontés individuelles de se rassembler dans un collectif plus large pour apporter un travail de sélection au plus grand nombre. Parmi ces initiatives, on peut citer dans la sphère des professionnels de l’information et de la documentation et des bibliothèques, le bouillon des bibliobsédés.

La veille est autre chose que de la simple surveillance, elle est même bien différente car il s’agit surtout de veiller sur l’information et les flux qui circulent, mais aussi sur les personnes mais pas nécessairement dans un sens d’espionnage. La veille, c’est aussi veiller les uns sur les autres et donc prendre soin, dans le sens donné par le philosophe Bernard Stiegler pour faire face à l’incurie et à la bêtise particulièrement bien portée par la télévision. Le cathodique ayant succédé d’ailleurs au catholique dans cette entreprise de contrôle des esprits.

Cette prise de soin est une attention qui n’est pas captée par des tiers, mais au contraire utilisée pour s’améliorer soi-même et surtout pour aider et conseiller les autres. Or la démarche des pseudos « veilleurs » représente un dogme inverse. Il s’agit non pas de veiller mais de rechercher à capter l’attention des médias pour continuer à diffuser des propos dénigrants ceux qui sont jugés différents et à qui on cherche par tous les moyens à limiter les droits. Ces « veilleurs » sont des usurpateurs qui nous proposent une veille sans lendemain et qui se tournent vers un passé qui n’existe pas, en détournant textes, auteurs et concepts.

Des veilleurs il en existe et ils sont bien meilleurs que ceux qui tentent de capter l’attention des médias à leur seules fins. Il s’agit ici de défendre leur image et de veiller justement à l’avenir d’étudiants et de professionnels qui ont choisi cette voie.

Il serait donc opportun que les veilleurs de l’ombre et ceux qui veillent au quotidien puissent avoir un relai médiatique au moins équivalent à ceux qui déversent leur propagande nauséabonde chaque jour dans tous les médias.

Pour un Bac H

Evoquer un bac H n’est pas totalement nouveau. L’expression a été plusieurs fois utilisée par le passé pour suggérer une nouvelle orientation pour le bac L (Littéraire). L’idée était bonne et je pense qu’il faut la poursuivre mais en la réorientant dans une perspective nouvelle : celles des humanités numériques.

Rien de très original me direz-vous, pourtant il me semble que le moment est opportun si on souhaite susciter des vocations pour les domaines des humanités. Des enseignants tentent depuis plusieurs années de faire évoluer leurs pratiques et font entrer le numérique à la fois dans leurs pratiques d’enseignement et dans celles de leurs élèves. Il serait intéressant d’officialiser le mouvement.

Il ne s’agit nullement de céder à une mode mais de davantage « délivrer » des œuvres au sens où l’entend Claire Clivaz (voir aussi cet évènement) en évitant de sacraliser l’œuvre textuel ou papier de façon excessive, ce qui nuit bien souvent à la compréhension originale de l’œuvre. Il ne s’agit pas d’ajouter du fun et de préférer des lectures raccourcies ou ciblées, c’est en fait l’inverse : ajouter différentes strates de lecture d’une œuvre en permettant d’ajouter à la lecture traditionnelle de l’œuvre qui se déroule in extenso, d’autres modes de lecture notamment quand les textes sont numérisés. Il est ainsi plus facile de jeter un regard sur l’œuvre avec de nouveaux outils pour mesurer les occurrences, les champs sémantiques avec l’outil informatique. Il est aussi possible de reconstruire et d’augmenter des passages d’œuvres classiques et donc libres de droits avec des projets d’enrichissement de métadonnées, d’annotations, de commentaires mais aussi de commentaires critiques collectifs ou individuels.

On pourrait imaginer dans ce BAC H une option qui serait davantage informatique que mathématique avec l’apprentissage des algorithmes notamment de façon à ce que certains profils soient pleinement mixtes entre sciences dures et sciences humaines. Une option type informatique appliquée aux sciences humaines et sociales serait sympathique.

Outre la multiplicité des lectures possibles, c’est également une revalorisation des écritures associées. Quand je dis écriture, je songe également à toutes productions multimédia ou graphiques qui pourraient illustrer l’œuvre classique.

Mais on peut encore aller plus loin. Pourquoi ne pas en profiter aussi pour apprendre à écrire… Là aussi, le champ est vaste, tant les formes de l’écriture sont variées mais il me semble que plutôt que de demander à des élèves d’apprendre par cœur des commentaires d’une œuvre commentée en classe, il serait opportun de les placer davantage dans un champ de publication et de construction. Cette logique de l’écriture ne pourrait faire l’impasse des outils numériques et de leurs avantages et contraintes. J’aime beaucoup lorsque François Bon rappelle qu’il est utile qu’un étudiant se montre capable de prendre le contrôle de ses outils et qu’il serait intéressant que ce dernier commence par régler son traitement de texte avant de se ruer sur la page blanche en utilisant les cadres déjà prérenregistrés. Ces cadres ou architextes sont fortement présents dans le numérique. Il faudrait les enseigner pour mieux s’en défaire si besoin.

On touche ici l’intérêt évident pour former aux questions de la translittératie qui mêle EAM (éducation aux médias), éducation à l’information-documentation et éducations aux TIC. Une culture numérique qui rejoindrait pleinement la culture lettrée. Voilà l’enjeu, revenir aux Lumières, à l’essence même du projet Encyclopédique. D’où l’intérêt d’une culture technique au sens de Simondon, mais aussi dans un rapprochement lecteurs-makers. Voilà ce que pourrait être ce BAC H. Réconcilier ratio et raison, former des individus non hémiplégiques, ce que disait Michel Serres dans je ne sais plus quel texte, le tiers instruit il me semble. Il était d’ailleurs à l’époque beaucoup plus lucide qu’avec son mythe technophile de la petite poucette.

Il y a beaucoup à faire et à imaginer mais mettre un peu d’enthousiasme dans la machine scolaire serait déjà une bonne impulsion par ces temps où l’inspiration semble manquer.

Makers ou la nécessité d’une culture technique

La lecture de Makers de Chris Anderson se révèle en fait intéressante à plusieurs titres. Si le propos peut paraitre trop optimiste parfois, il a le mérite de reposer les bases d’un nouveau modèle industriel davantage participatif, plus motivant et qui laisse place à de plus grandes initiatives personnelles. J’avais longtemps hésité à me plonger dans la lecture suite à l’excellente analyse critique qu’en avait faite strabic, lecture que je recommande. Beaucoup d’éléments de l’ouvrage méritent en effet une lecture. Vous trouverez plus de renseignements dans l’article d’Hubert Guillaud qui résume parfaitement les forces et faiblesses de la théorie de Chris Anderson. Un extrait de l’ouvrage est aussi disponible sur le site d’Internet Actu.

« Makers » est assurément un plaidoyer pour le modèle open source, libéré des contraintes des excès de propriété privée. Intéressante aussi cette impression que la liberté d’entreprendre et que le libre accès à l’information et à la connaissance sont étroitement liés.

Ce qui est évident, c’est que Chris Anderson est certes un excellent conteur, mais c’est aussi un passionné qui sait transmettre de l’énergie. Il donne envie de devenir « maker ». Il y réussit aussi parce qu’il partage sa propre expérience, depuis l’histoire de son grand-père dépositaire d’un brevet pour l’arrosage automatique de jardins jusqu’à ses tentatives de bricoler des légos ou des petits avions avec ses enfants. Chris Anderson possède cet esprit d’entreprendre, cette envie de « faire » et c’est sans doute la philosophie de l’ouvrage que de donner envie de faire, de créer, d’expérimenter et d’inventer dans des périodes où on nous parle que de crise et de dettes. Peut-être faut-il y avoir une forme de trace de l’esprit américain, sans doute faut-il y percevoir un esprit du web qui tend à se distiller dans d’autres sphères.

A la lecture, ce sont les potentialités de formation qui m’ont également intéressé. En effet, cette culture des makers est pleinement une culture technique, telle que décrite par Simondon. Une capacité à comprendre, à faire et à refaire mais aussi une culture informationnelle qui témoigne d’une capacité à trouver l’information ou la personne compétente pour résoudre un problème. C’est aussi une compétence documentaire, tant il s’agit de documenter les actions réalisées, de réaliser des plans, etc. C’est évidemment une série de compétences informatiques, tant il s’agit de coder et d’utiliser des logiciels de CAO. On retrouve beaucoup de similitudes avec des pans de la culture des hackers et des adeptes de l’open source.

Le livre constitue aussi un important document pour la défense des enseignements de technologie :

« Les enfants d’aujourd’hui apprennent à utiliser Powerpoint et excel en cours d’informatique, et ils apprennent encore à dessiner et à sculpter en cours d’initiation artistique. Mais ne serait-il pas mieux qu’une troisième option leur soit offerte : le cours de conception ? Imaginez un cours dans lequel les enfants apprendraient à utiliser des outils de CAO 3d comme Google Sketchup ou Autodesk123D. Certains d’entre eux dessineraient des immeubles et des structures fantastiques, comme ils le font aujourd’hui sur leur cahier. D’autres créeraient des jeux vidéos perfectionnés à plusieurs niveaux, avec leurs paysages et leurs véhicules. Et d’autres encore, des machines. »p.68

Pour cela Anderson recommande d’investir dans des imprimantes 3D et des découpeuses lasers dans les établissements. Bref : créer des Fablabs au sein des établissements. Il ne s’attarde finalement que peu sur les aspects éducatifs.

Je pense qu’on peut envisager cette philosophie du « Faire », bien au-delà de la seule conception « machine » tant il s’agit de faire aussi dans les disciplines des sciences sociales et humaines. Aurélien Berra évoquait la nécessité de « faire des humanités numériques ». Je crois que ça ne doit pas s’arrêter aux seuls territoires des chercheurs mais cela doit investir des terrains plus larges dont ceux de l’Education toute entière.

Car le « Faire » n’est pas une simple action commandée, il implique la capacité à raisonner et à comprendre. La séparation entre la réflexion et l’action, entre l’intellectuel et le technicien n’existe pas.

J’y reviendrai prochainement car on besoin urgemment de revoir toute la formation littéraire et notamment le BAC L qui doit devenir un BAC H.

La commission Haddock des 3C et l’avenir radieux de nos CDI.

L’inspection générale chargée de la documentation va bientôt diffuser dans les prochains jours la liste des bonnes œuvres et bonnes théories à connaitre pour tout professeur-documentaliste et aspirant à cette profession. Un travail qu’il faut saluer, si on désire que les fonctionnaires puissent agir en bons fonctionnaires d’état.  Une liste noire sera diffusée par voie hiérarchique. La mise à l’index s’est faite avec  beaucoup de lucidité. Fort heureusement déjà, des bons éléments sur le terrain  appliquent avec détermination la politique de développement nécessaire et ont anticipé avec efficacité ce besoin d’éliminer les éléments inopportuns.
La commission ad-hoc qui travaille avec grand efforts depuis des années pour nous débarrasser des scories paralysantes notamment de la didactique de l’information est enfin parvenue à produire une liste des textes et personnes qui devront être désormais considérés comme persona non grata. La liste ne sera pas indicative mais fort heureusement obligatoire.
Il était temps ! Ces pensées néfastes sèment le trouble dans les esprits notamment sur le terrain, ce qui nuit à la mission émancipatrice que vont permettre les centres de culture et de connaissances, modèle innovant qui garantit le développement de futurs esprits de qualité, telle que les conçoit la noble commission.
Il est temps en effet de se débarrasser de ces archaïsmes didactiques, trop complexes. Plaçons l’ambition de nos établissements avant celle des personnels et des disciplines ! Le documentaliste doit servir au mieux les usagers et tel est l’objectif du travail d’éclaircissements pour le développement rapide des 3C, seule entreprise capable de moderniser profondément les CDI.
Le documentaliste devient gestionnaire de ressources numériques et il doit tout mettre en oeuvre pour en faciliter un accès immédiat. Mais il n’est pas seul. Il peut s’appuyer sur les institutions des Crdp et des Cddp, mais surtout il pourra bénéficier de  la coopération efficace et hautement appréciée de nos partenaires éditoriaux et informatiques. Sortons des logiques d’opposition ! En effet, on peut travailler aussi bien avec Apple et Microsoft ! On peut aussi travailler avec Samsung d’ailleurs. Les 3c ne sont pas dogmatiques, eux ! Ils prônent une liberté d’usage fort intéressante.
Les élèves ont besoin de moyens pour travailler et pour faire de bons choix en matière de matériel d’ailleurs.
L’animateur de 3c se doit d’être polyvalent et à l’écoute des besoins des usagers.  Cette écoute repose aussi sur une convivialité importante. Il est ainsi beaucoup plus opportun à l’heure des réseaux sociaux de savoir échanger quelques mots de courtoisie, pouvoir faire une référence avec les élèves aux anges de la téléréalité par exemple, car il s’agit de s’appuyer sur la culture des élèves qui est parfois d’une grande qualité dans le domaine. N’oublions pas qu’ils passent des heures devant leurs écrans comme beaucoup de leurs parents et qu’il serait bon de légitimer ces aspects. La capacité de certains à enchaîner des heures de vidéo et d’activités diverses sur des plateformes de jeux doit être reconnue et valorisée largement.
Il s’agit aussi de faire connaissance avec eux, avec les nouveaux usagers du centre qui ont besoin d’être mis en confiance et valorisés. L’important ce n’est  de savoir chercher l’information mais d’en trouver ! Et ils sont remarquables dans ce domaine. Les expériences le démontrent ainsi que la recherche : les élèves trouvent toujours de l’information. Alors pourquoi vouloir leur apprendre à en chercher ?  Tout cela est ridicule et la commission l’a bien compris.
Ce qui importe c’est qu’ils prennent plaisir à voir leur progression s’afficher. Le personnel du 3c doit savoir encourager les succès des élèves quand ils passent des niveaux. Un tableau affichant les meilleures scores à bubble shooter pour des élèves de sixième constitue une émulation plus que louable.
La commission tient à souligner également que le serveur du 3C doit étancher la soif de ses usagers. Là aussi, la diversité est de mise. Aucune idéologie!  S’il y a pepsi, il y aura coca!  Et osons le Loch Lomond ! Le merchandising center, enfin le learning center,  euh … enfin le 3C, c’est la modernité, l’inscription de la culture et des connaissances dans notre époque et une innovation incontestablement tournée vers l’avenir.
Débarrassons nous rapidement de ceux qui nuisent à l’épanouissement pédagogique et aux bons résultats de nos établissements. Mettons les à laver des vitres ou à compter les bovins ou les cochons, mais ne les laissons plus pervertir collègues et élèves.
L’innovation est en marche. L’élève n’a pas besoin de savoir ce qu’est un document. L’intérimaire du 3C doit avant tout savoir lui servir à boire.
 

Eduquer ou éduquer, il faut choisir

Durant cette période dite de « refondation » de l’Ecole, j’ai du mal à trouver le temps d’écrire et de réagir. Le fait que certains apparatchiks et zélateurs de la politique de Chatel soient demeurés n’incite qu’à une confiance modérée. Et puis, on a l’impression de se répéter dans les propositions. Il est clair qu’on a perdu 10 ans depuis 2002. Du coup, le problème c’est que les solutions proposées semblent souvent au mieux propices à la décennie catastrophique qui vient de s’écouler, au pire à ce qu’il fallait faire il y a 20 ans. J’avais promis sur twitter que je m’exprimerai. Voici le temps venu.
Il me semble que le projet de refondation n’est pas monté assez haut au niveau des exigences et des politiques publiques et en même temps pas assez descendu dans le concret sur les méthodes. Bref, on a oublié le pourquoi et le comment.
A quoi sert l’Ecole dans la société ? A chaque fois, on a l’impression qu’on cherche à reproduire d’anciens modèles qui semblaient mieux fonctionner. Or, il s’agit d’avenir. On peut quand même déplorer que la majorité des experts sur ces questions ait souvent été des futurs retraités ou des retraités. Je n’ai rien contre qu’ils puissent se prononcer, mais c’est tout de même gênant qu’une gérontocratie soit amenée à se prononcer sur le futur de générations dont ils ne connaitront pas tous les développements.
Mais le plus important n’est pas là. J’ai le sentiment qu’on ne parle pas de la même éducation. Et c’est logique, car il existe étymologiquement deux éducations :
– Celle qui provient d’educare qui renvoie au vocabulaire de l’allaitement, de la nourriture mais aussi de l’élevage.
– Celle qui provient d’educere, qui signifie conduire hors de.
L’étymologie est en fait plus complexe comme nous le démontre cette page du gaffiot qui met bien en évidence des dérivation à partir du même mot.
Je privilégie la seconde un peu à l’instar de ce que disait Albert Jacquard. Mais l’hypothèse educere est en fait plus complexe que la traduction par mettre dehors. C’est en fait exactement, la même construction que l’Ausgang de Kant, cette sortie vers les Lumières. Comme souvent, c’est surtout le sens figuré qu’il faut prendre en compte dans un concept. Tandis qu’educare renvoie surtout aux aspects matériels et au côté disciplinaire dénoncé par Michel Foucault, educere nous en fait sortir et surtout nous rappelle la véritable définition de l’école.
Car l’Ecole, ce n’est pas seulement un lieu, un endroit avec des classes, des chaises et des bureaux. Et ce n’est pas parce qu’on augmente le temps de présence des enfants qu’ils seront nécessairement meilleurs. Il faut distinguer le lieu et l’institution. L’école et l’Ecole. Il est probable d’ailleurs que l’Ecole va au-delà désormais de l’institution.
En effet, L’Ecole ne s’arrête pas une fois qu’on est sorti de l’école.
Je suis donc un peu inquiet sur le fait qu’on risque de renforcer cette séparation à nouveau. Et puis, finissons-en avec un mythe une fois pour tout : l’Ecole ne pourra pas lutter contre l’inégalité de cette manière, car ce qui fait la différence, c’est surtout l’éducation parentale au sens large. Et il faut bien constater que c’est dans ce domaine que se produisent les gros écarts et qu’ils ne vont avoir de cesse de se creuser du fait des discours résolument tournés en ce moment sur les « élèves en difficulté », catégorie fourre-tout qui marque surtout un « échec scolaire » de l’institution elle-même mais surtout de la société dans son ensemble.
Il y a comme une culpabilisation permanente de l’Ecole à ce niveau face à une réalité socioculturelle. Or elle n’a pas les armes pour lutter. La bêtise télévisuelle a été encouragée par les différents gouvernements et l’Ecole n’y peut pas grand-chose. On pourrait au moins souhaiter qu’un véritable programme de formation aux médias et à l’information soit développé.
Que veut-on faire de nos élèves ? Des citoyens, des futurs travailleurs, créateurs, innovateurs ? Sans doute un peu tout cela. Dans ce cas, il faut bien être honnête : on n’est plus au niveau du tout. La somme des savoirs a continué à augmenter depuis 20 ans et nos programmes et nos méthodes n’ont guère évolué. Cela signifie qu’il faut développer des temps de formation différents et bien plus individualisés. Il faut aussi utiliser sciemment le numérique mais pour l’instant les compétences professorales et la capacité à produire et à imaginer de nouvelles scénarisation est très faible. Trop faible.
J’ai l’impression qu’on veut encore que les élèves soient dans un moule, qu’on puisse les contrôler, qu’ils obéissent et respectent des consignes parfois absurdes ou pédagogiquement nulles.
Plus de temps de présence à l’école, pourquoi pas, mais il s’agit d’imaginer de nouvelles méthodes de formation plus motivantes et plus individualisées. Si je prends l’exemple de mon fils, la césure est flagrante entre le niveau de l’Ecole et ce qu’il peut apprendre à domicile. En deux heures à la maison, il en apprend bien plus qu’en une semaine de classe. Un enfant curieux qu’on accompagne dans ses lectures et ses processus et qui commencera à développer un peu d’autonomie dans sa curiosité va en apprendre dix fois plus qu’un élève moyen ou médiocre qui passera sa vie devant la télé ou à passer son temps devant des applications débilisantes. Ce ne sont pas les écrans qu’il faut juger, mais bien ce qu’on y fait. Et en la matière les pratiques sont fort diverses.
Le problème, c’est que l’Ecole ne sait toujours pas gérer l’hétérogénéité et au niveau primaire, il est impensable qu’on continue cette logique d’un prof par classe qui conduit du fait de l’effet-prof à des années complètement ratées pour de nombreux élèves du fait d’une relation mauvaise avec l’enseignant. Le nombre d’élèves par classe au primaire rendant la mission parfois impossible également. Là aussi, il faudrait faire des choix financiers. Si on prétend que le primaire est si important, pourquoi ceux qui y enseignent sont moins bien payés que des agrégés ? Pourquoi a-t-on gardé une agrégation qui n’a pas de sens pédagogiquement et encore moins au niveau universitaire ? Les questions qui fâchent semblent trop souvent évitées…
J’entends parler de renforcer les disciplines artistiques ou sportives. Dans l’état actuel, ça ne sert à rien, d’une part car d’autres savoirs méritent également d’avoir leur place et que les bases ne sont pas acquises, d’autre part car on ne met pas les moyens pour les enseigner. Du sport et des activités sportives, oui mais avec de vrais professionnels qui savent organiser une progression. Idem pour les disciplines artistiques qui méritent bien mieux que ces ateliers d’expression libre qui ne sont en fait que des garderies.
On a pourtant les personnes diplômées. Il y a encore d’autres savoirs et d’autres renforts à envisager, sans doute parmi les parents.
L’Ecole c’est avant tout la skholé, cette capacité d’étude et d’analyse : la vraie école. Et je crains qu’en l’état actuel, elle soit davantage transmise en dehors des écoles…
Du coup, le paradoxe est que parfois l’Education finit par s’opposer à une éducation relativement médiocre et ça en devient très inquiétant.

L’audition qui file la pêche

Rien à redire. Simplement, regarder et écouter Silvère et Lionel qui proposent de manière claire et cohérente des politiques alternatives en matière culturelle et éducative. Pour la première fois depuis longtemps, j’ai le sentiment qu’ils pourraient parvenir à obtenir des avancées.
Une vidéo à partager et à diffuser largement, la vidéo est sous licence creative commons, vous pouvez donc en faire un remix ou une jolie redocumentarisation.
Rappel, tout le projet est ici sur SavoirsCom1

Savoirscom1

Peu de temps à consacrer au blog, mais il faut saluer cette initiative à laquelle je participe : Savoirscom1
Il s’agit d’un projet mené par Silvère Mercier et Lionel Maurel pour proposer des alternatives aux lobbys industriels qui sont présents dans le monde de la culture et qui nuisent au développement d’espaces culturels et participatifs dans lesquels il est possible de créer, de partager, de transmettre sans que ces domaines ne soient placés nécessairement dans le domaine du marché.
Tout est expliqué dans le manifeste ici.
Vous pouvez soutenir l’initiative, l’approuver et proposer des idées, des pistes, des réalisations concrètes.

Adbs : le changement c’est maintenant…

Des élections se déroulent en ce moment à l’ADBS, qu’on voit parfois qualifiée dans d’anciens textes de puissante association.
On aimerait bien que ce soit à nouveau le cas, mais pour cela l’association a besoin d’un nouveau projet, d’un nouveau leadership et de nouvelles manières de gouverner.
Les adhérents sont appelés à voter pour élire au conseil d’administration de nouveaux élus. Nouveaux, c’est bien ce que je vous engage à faire tant l’association a besoin de renouvèlement et non d’une poursuite des positions tenues ces derniers temps. L’association n’a pas pu se positionner en faveur du manifeste fadben par exemple. Un projet de réseau social a échoué ce qui a abouti au départ de Silvère Mercier.  Avec une autre politique, il aurait pu réussir.
Aux adhérents de faire leur choix, je les enjoints à choisir celui du renouvèlement.

L’association a développé depuis quelques mois à l’initiative de la direction un prisme pro learning center que soutiennent fortement ceux qui sont contre le manifeste Fadben. Ce modèle peut être assez aisément synonyme de disparition des prérogatives des professionnels de l’information au profit d’animateur en tous genres.
Il me semble que l’association devrait davantage s’intéresser aux  professionnels de l’information et leurs capacités à être davantage décideurs tant les stratégies informationnelles, documentaires et archivistiques prennent place dès le début des processus. Professionnels, cela veut dire aussi étudiants et personnes en recherche d’emploi autant que professionnels chevronnés.
Aujourd’hui, on a clairement besoin d’une vision qui fasse de nos professions des acteurs et des « managers de connaissance » dans le bon sens du terme, en se montrant capable de ménager autant les ressources informationnelles que humaines.
Le learning center et ses autres politiques décidés par des personnes qui ne connaissent rien à la doc méritent pour ma part un grand rejet. Soit on sort définitivement de la vassalité, et on assume une vision ambitieuse, soit on reste des second couteaux à la botte de pouvoirs politiques ou d’autres métiers. J’ai déjà appelé à une documentation libre ici. Il me semble que l’association doit porter un regard neuf qui ne soit pas attentiste mais au contraire pro-actif en se montrant capable de prendre également position.
L’adbs a besoin de se remettre sur les rails, ce ne sera possible qu’avec les adhérents.

Hé M’sieur, ils vont rien faire que copier !

Et oui, c’est l’évènement ! La copy party va avoir lieu très bientôt en France, en exclusivité intergalactique ! Elle se déroule certes dans une ville qu’il ne vaut mieux pas copier, mais vous y retrouverez pleins de copains copieurs.  Le menu de la BU promet d’être copieux également. Et la bonne nouvelle, c’est qu’il n’y aura pas JF. Coppé qui a piscine, ni ses potes d’ailleurs qui préfèrent les enveloppes. Je devine que l’ambiance sera licencieuse (mais surtout creative commons bien sûr) tant il est vrai que « c’est grâce à la copie qu’on forme ! »
A défaut d’être présent, n’hésitez pas à copier le texte suivant. En effet, tout est dit dans le communiqué de presse suivant :
QU’EST-CE QU’UNE COPY-PARTY ? Un évènement permettant aux usagers équipés de scanners, de téléphones ou d’ordinateurs portables de les amener et de copier des livres, cd, ou dvd en provenance des collections des bibliothèques !
A QUELLES CONDITIONS PEUT-ON PARTICIPER A UNE COPY-PARTY ?
●    Ces copies doivent être réservées pour votre usage personnel
●    Chaque personne doit faire ses propres copies avec son propre matériel de reproduction (appareil photo, téléphone portable, etc.)
●    Elles doivent être réalisées à partir des documents originaux consultés dans une bibliothèque
●    L’acte de copie ne doit pas briser une mesure de protection technique (DRM)
QUEL EST L’OBJECTIF D’UNE COPY-PARTY ? Au travers d’une action symbolique, militante et festive, il s’agit :
●    de sensibiliser les usagers à la législation sur le droit d’auteur et la copie privée ainsi qu’aux problématiques du partage des oeuvres aujourd”hui
●    d’attirer l’attention sur l’intérêt et le rôle des bibliothèques dans la diffusion, le partage et l’accès aux connaissances au XXI ème siècle.
●    de questionner les acteurs politiques nationaux et locaux sur l’essor des politiques de criminalisation des pratiques numériques et sur l’urgence de maintenir une libre circulation des savoirs dans le cadre d’une offre légale.
DE QUOI A-T-ON BESOIN POUR PARTICIPER ?
D’un peu de matériel. Au choix, un smartphone équipé d’un appareil photo et ou d’une application permettant de scanner des documents, et/ou un ordinateur portable avec un scanner, et/ou un appareil photo numérique, de quelques DVD vierges si vous souhaitez copier des DVD.
Et d’un peu d’engagement : à votre arrivée, vous devrez signer un document par lequel vous vous engagez à ne réutiliser le produit de cette copy-party qu’en conformité avec le code de la propriété intellectuelle, dans le cadre d’un usage strictement personnel.
QUEL EST LE CADRE JURIDIQUE D’UNE COPY PARTY ? 100% légal :-)

●    Les contrats conclus entre les bibliothèques et les ayants-droits des oeuvres, pour pouvoir les mettre à disposition des usagers dans les rayonnages
●    L’exception de représentation dans le cercle de famille prévue par l’alinéa 1 de l’article L  122-5 du CPI (Code de la propriété intellectuelle / CPI)
●    La nouvelle rédaction de l’alinéa 2 du même article 122-5 du CPI sur l’exception de copie privée
●    Le règlement intérieur de la bibliothèque
C’EST QUAND LA 1ère COPY PARTY ?  Le 7 Mars 2012. A 18h. A la bibliothèque universitaire de La Roche sur Yon (85). Une première mondiale. Tout simplement.
CONTACTS PRESSE.

  • Baptiste Sorin. baptiste.sorin@univ-nantes.fr 02 51 45 93 75 / 06 71 94 00 01
  • Olivier Ertzscheid – olivier.ertzscheid@gmail.com ou olivier.ertzscheid@univ-nantes.fr – 06 12 50 60 07
  • Lionel Maurel – calimaq@gmail.com
  • Silvère Mercier – bibliobsession@gmail.com

Baptiste Sorin est Chargé de communication du Pôle universitaire Yonnais.// Olivier Ertzscheid est Maître de conférences à l’université de Nantes //.Lionel Maurel est juriste et Conservateur des bibliothèques, en poste à la Bibliothèque Nationale de France.// Silvère Mercier est bibliothécaire. Chargé de la médiation numérique à la BPI.
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