L’expression d’humanités numériques ou digitales est désormais à la mode dans une nouvelle acception. Si le territoire scientifique est sujet à débats, voire à controverses, on peut néanmoins considérer qu’il existe une forme de visions partagées entre les différents acteurs (voir aussi le manifeste du ThatCamp). Peu importe, qu’on les appelle Humanités digitales ou Humanités numériques.
Il y avait déjà le fait que depuis quelque temps, le terme d’humanités digitales ne renvoie pas seulement aux sciences humaines et sociales reliées aux outils informatiques ou du web, mais à la transformation opérée par ces technologies sur l’humain lui-même. Ce qui bien sûr concerne les questionnements et les avancées technologiques autour des NBIC, des théories de l’Homme augmenté, et du transhumanisme.
Depuis quelques années de façon assez logique, les humanités digitales se posent en matière de formation et notamment de façon plus précoce. Comment former à ces aspects au sein des cursus universitaires, mais de plus en plus au sein des cursus du secondaire. Quels outils peut-on utiliser et introduire ? Qu’est-ce qu’on fait déjà qui pourrait s’inscrire dans cette logique ? Comment mieux former de façon à ce qu’on puisse opérer une progression qui évite de devoir tout répéter une nouvelle fois à l’université ? (voir aussi ici, le colloque sur le sujet de 2016) Bref, comment faire mieux que l’affreux B2I?
J’avais esquissé par le passé l’hypothèse d’un BAC H notamment pour renouveler la filière L. L’idée avait été reprise d’une manière différente du côté du Conseil national du numérique. Il avait été envisagé fut un temps qu’une mention soit créée de façon expérimentale autour d’un MOOC. Désormais, l’idée ressurgit avec un étrange attelage. Humanités numériques et scientifiques. C’est justement sur ces aspects que je compte précisément revenir. Pourquoi accoler numérique et scientifique ? De prime abord, cela semble renforcer une vision particulière du numérique, à savoir que l’angle choisi sera scientifique plutôt que la logique des usages voire des bons usages qui a prévalu jusque-là en dehors de la réintroduction des cours d’informatique. Cela donne aussi surtout l’impression qu’il faut comprendre le numérique de façon scientifique…sous-entendue, sciences dites dures ou exactes…ce qui vient de fait tisser une opposition au premier terme. Alors qu’on pouvait imaginer une alliance, il pourrait s’agir au contraire d’une mise sous contrôle des humanités. Je ne m’attarderai pas ici sur le terme d’Humanités qui a toujours posé quelques questions depuis le début, notamment parce qu’il est peu usité si ce n’est justement dans la traduction de digital humanities. On a fait le choix notamment dans la francophonie de considérer qu’il fallait prendre en compte le concept de manière large et non pas dans son sens ancien, en élargissant le concept aux sciences humaines et sociales. Il reste cependant qu’on pourrait aussi se demander si le concept d’Études digitales (digital studies) ne serait pas plus approprié, car il passe justement outre les anciennes divisions entre sciences dites molles et sciences dites dures, car l’enjeu est justement le rapprochement plutôt que l’opposition. Plus inquiétant à mon sens est donc ce choix de scientifique qui semble finalement ouvrir la brèche comme quoi il y aurait des humanités…non scientifiques. Cela signifierait que les lettres, l’histoire, la géographie seraient peut-être dans grand nombre de cas des disciplines non scientifiques. Or, c’est ici non seulement dangereux, mais clairement scandaleux. De plus, c’est historiquement faux. Pire, cela revient à considérer le numérique comme un territoire appartenant aux sciences exactes, sous-entendu à l’informatique (computer sciences). Du coup, l’expression ne réalise par un élargissement de perspective, mais bel et bien une réduction et une prise de contrôle de l’informatique sur les humanités…et sur le concept de numérique. Je l’ai déjà expliqué à plusieurs reprises, pourquoi ce concept de numérique me paraît désormais sous l’emprise d’un enjeu de pouvoir de la part des informaticiens au niveau scientifique et pédagogique, et des industries informatiques au niveau des actions de lobbying. J’ai tenté de montrer en quoi Digital me semble meilleur. Il est vrai que ceux qui l’utilisent le plus sont des acteurs du marketing qui tentent de reprendre le pouvoir sur les mots par ce biais. Dans tous les cas, les autres acteurs notamment ceux issus des sciences humaines et sociales sont rétrogradés au second plan. Or, l’enjeu est plus celui d’une alliance voire d’une recomposition. Cédric Villani a évoqué le fait qu’il fallait sans doute dans cet enseignement expliquer davantage l’algorithme. Je suis tout à fait d’accord, à condition justement de montrer qu’il ne s’agit pas que d’une logique mathématique ou informatique, mais bien de stratégies marketing et qu’il convient d’y répondre par des logiques politiques, citoyennes et informationnelles. Il me semble que l’idée est bonne, mais que sa mise en œuvre pourrait être un échec s’il n’y avait pas une discussion équilibrée sur ces aspects. Il reste bien d’autres points obscurs sur ces questions. Quels seront les enseignants ? Si c’est pour réduire le cours à de l’informatique et du code, c’est l’échec assuré compte tenu de l’ambition qui semble être tracée. Si on envisage au contraire, différents apports disciplinaires et des projets qui les mêlent, on sera davantage dans l’esprit. Il ne faut pas réduire la formation au code, sans pour autant l’exclure. Je l’ai déjà montré, il faut autant coder, qu’encoder et décoder. C’est le leitmotiv d’une formation réussie. Avant d’esquisser un quelconque plan de formation, il faut faire des humanités numériques comme le dit Aurélien Berra, c’est-à-dire qu’il faut envisager une logique qui mêle réalisations et réflexions, savoirs et savoir-faire.
Étiquette : humanités digitales
Parution : les humanités digitales, historique et développements
J’ai le plaisir d’annoncer la parution d’un nouvel ouvrage chez Iste Editions, intitulé Les Humanités digitales, historique et développements.
Cet ouvrage s’inscrit dans une poursuite des travaux entamés depuis Le Temps des humanités digitales (avec un chapitre consacré à la petite histoire du domaine écrit avec Frédéric Clavert), à la suite de l’atelier du ThatCamp « pour une histoire longue des humanités digitales » et deux ans après l’article sur les fait que les humanités digitales précèdent le numérique.
L’ouvrage tente une nouvelle manière de concevoir l’évolution des humanités digitales que j’appelle volontairement ainsi plutôt qu’humanités numériques. Ce travail a été réalisé à la suite d’une sorte de défi lancé par Jean-Max Noyer. J’ai tenté d’effectuer ce travail historique et épistémologique, difficile, complexe et assurément imparfait.
Vous pourrez trouver de plus amples renseignements sur le site de l’éditeur. Une version ebook est proposée à partir de 9,90 euros. Pour l’ouvrage papier, ce sera un peu plus onéreux.
Pour vous faire une idée, le site de l’éditeur met en ligne la table des matières et le premier chapitre introductif.
Au menu, vous trouverez donc des références à des chercheurs et personnages impliqués depuis la période médiévale jusqu’au vingtième-siècle. On rentrer dans l’histoire longue et cet ouvrage se veut une tentative pour impulser des recherches dans une telle perspective. Mais la suite de l’aventure ne pourra désormais être que collective.
A noter qu’une version en anglais va également paraître prochainement.
Les humanités digitales : un renouveau pédagogique ?
Je publie ici ce travail initialement destiné à une revue de vulgarisation de la recherche, mais qui a finalement été refusé pour des motifs inconnus. Je préfère le mettre ici en ligne : il s’adresse à un public élargi car les initiés des humanités digitales n’y apprendront rien de particulier. J’espère néanmoins que l’année 2016 verra davantage de publications et de manifestations sur cette thématique (d’après mes infos, cela devrait être davantage le cas !)
Le contexte des humanités est d’abord celui d’une interrogation des processus et méthodes de recherche avec l’utilisation de plus en plus fréquente d’outils issus de l’informatique. Parmi les définitions les plus générales et consensuelles, celle issue du manifeste du ThatCamp[1] de Paris 2010 apparaît comme étant la plus claire et la plus efficace :
« 1. Le tournant numérique pris par la société modifie et interroge les conditions de production et de diffusion des savoirs.
- Pour nous, les digital humanities concernent l’ensemble des Sciences humaines et sociales, des Arts et des Lettres. Les digital humanities ne font pas table rase du passé. Elles s’appuient, au contraire, sur l’ensemble des paradigmes, savoir-faire et connaissances propres à ces disciplines, tout en mobilisant les outils et les perspectives singulières du champ du numérique.
- Les digital humanities désignent une transdiscipline, porteuse des méthodes, des dispositifs et des perspectives heuristiques liés au numérique dans le domaine des Sciences humaines et sociales »[2]
Si la dimension orientée recherche et les réflexions épistémologiques qui l’entourent sont dominantes, la question pédagogique a été évoquée également en parallèle, tant il s’agit de faire évoluer l’ensemble des fonctions académiques. La question pédagogique souvent mise au second plan dans les mondes universitaires possède cependant des aspects intéressants d’autant qu’ils mêlent plus aisément justement recherche et enseignement. En effet, une des pistes les plus opportunes porte sur l’inclusion d’outils numériques au sein des cours et des dispositifs. Mais c’est principalement la question de la formation précoce des étudiants à des questions de recherche qui mérite d’être également évoquée. Si cet aspect est abordé dans le temps des humanités digitales[3], nous souhaitons ici présenter quelques actions potentielles. Le sujet a donné lieu à un ouvrage sur cette question[4] et a intéressé quelques ThatCamp dédiés à cette question[5]. A suivre également sur GitHub, la plateforme de gestion des projets informatiques, un travail collectif qui vise à publier des ressources réutilisables et remixables pour des projets pédagogiques liés aux humanités digitales[6] mais qui est encore en cours de constitution.
Le choix d’évoquer des humanités digitales permet également de mieux prendre en considérant des aspects matériels que les discours simplistes de la matérialisation ont pu minimiser. Si beaucoup des possibilités proposées dans cet article se déroulent à l’Université, il est fort possible de les envisager également au niveau secondaire. Kelly Mills [7]qui a intégré la pédagogie numérique vis-à-vis de ses étudiants en histoire insiste sur la nécessité d’offrir une liberté d’expérimenter pour augmenter leur engagement et leur motivation. Dans tous les cas, il s’agit de concevoir les aspects pratiques des humanités digitales en encourageant à faire et à pratiquer[8] pour développer des compétences qui doivent s’intégrer de façon plus précoce. Le projet Humanlit[9] (Humanités numériques et littératies) mettait en avant le besoin d’intégrer les humanités digitales au plus tôt dans les cursus, c’est-à-dire au niveau de la licence. L’enquête mettait également en avant le besoin de pouvoir s’appuyer sur une culture numérique en construction qui repose sur des compétences et littératies acquises au niveau du secondaire.
Nous pouvons lister quelques pistes évoquées dans des projets de recherche avec des déclinaisons pédagogiques :
La participation à la transcription. Dans le cas du fameux projet Bentham[10] qui a consisté à numériser l’œuvre du philosophe, il a été nécessaire de faire appel à un collectif d’amateurs pour les inciter à transcrire les documents du fait des limites de l’océrisation[11]. Le projet de recherche s’est appuyé sur une communauté de passionnés qui a pu trouver des éléments de motivation supplémentaires via un processus de gamification qui recense et quantifie toutes les actions effectuées avec notamment un classement final avec des récompenses. On retrouve ces possibilités de transcription sur wikipédia où la communauté est telle qu’elle peut opérer rapidement des opérations de transcription ou de correction du texte numérisé comme ce fut le cas pour le traité de documentation de Paul Otlet en janvier 2015 suite à son arrivée dans le domaine public. Cette opération de transcription apparaît intéressante dans la mesure où il s’agit d’un bon moyen de se confronter au document original numérisé pour vérifier la qualité de la transcription ou le transcrire intégralement. L’étudiant apporte alors son travail à l’ensemble du collectif tout en travaillant sur des sources originales. De façon pratique, il est possible d’effectuer des projets de ce type avec le logiciel Omeka[12] (qui permet de gérer des collections de documents et des expositions virtuelles) et son plugin Scripto[13].
La cartographie : Le but est d’utiliser les techniques de cartographie avec des outils type openstreetmap ou google maps pour cartographier par exemple l’ensemble des lieux cités dans un œuvre littéraire. Ce travail a par exemple été réalisé pour l’œuvre Ulysse de James Joyce[14]. Ces possibilités cartographiques sont décrites dans le chapitre de Chris Johanson and Elaine Sullivan Teaching Digital Humanities through Digital Cultural Mapping[15] dans l’ouvrage dirigé par Hirsch. Le but est d’apprendre aux étudiants à utiliser toutes les possibilités offertes par les systèmes d’information géographique. Plusieurs objectifs pédagogiques sont mis en avant :
- Enseigner aux étudiants comment comprendre, utiliser et critiquer les outils et les technologies liées au web, les systèmes d’information géographique plus particulièrement et ce afin de développer une culture numérique.
- Fournir aux étudiants les outils technologiques afin d’évaluer et de contribuer à des projets de cartographie numérique dans les sciences humaines
- Enseigner une visée professionnelle qui permette de développer des capacités d’analyse critique au sein d’espace de visualisation complexe tout en comprenant les questions liées aux formats des données.
Mathieu Noucher[16] en France travaille particulièrement sur les enjeux de la participation à la fabrique cartographique pour en montrer notamment ses apports citoyens. La cartographie peut aussi être évoquée dans l’utilisation de logiciels qui travaillent sur les aspects réseaux sociaux et les liens du web notamment en récupérant des outils de crawl pour réaliser des cartes sur le logiciel gephi. Cependant, ce type de cartographie requiert des compétences plus avancées. Toutefois, il est possible de faire participer les étudiants à la collecte des sites sur une thématique précise notamment en utilisant des outils de signets sociaux comme diigo où il sera possible d’ajouter des tags, des annotations et des commentaires. La participation à des recueils de données constitue une étape clef car cela permet aux étudiants de prendre part à la réalisation d’un corpus. Le lien est donc possible avec les outils d’annotation qu’offrent déjà les signets sociaux.
L’annotation
L’annotation reste historiquement une des bases du travail sur document et des premières logiques historiques des humanités digitales. Évidemment, l’objectif est d’envisager un système d’annotations collaboratives. Si le plus simple est de pouvoir travailler à partir de dispositifs type google doc, il existe des outils comme co.ment[17] qui permettent d’annoter un document type mémoire ou un article afin de faire travailler un collectif d’étudiants. Pour l’instant, ces dispositifs sont bien souvent expérimentaux et intéressent plutôt les chercheurs eux-mêmes. Nous pouvons citer dans ce cadre l’expérimentation menée autour de la version numérique de l’ouvrage debates in digital humanities[18] qui est accessible gratuitement en ligne et qu’il est possible d’annoter de façon collaborative via le logiciel open source disponible sur github[19].
Par le passé, on se rappellera que les textes collaboratifs du collectif Rtp-doc (Roger Pédauque) avaient fonctionné sur des dispositifs quasi similaires pour produire les réflexions autour du document numérique. L’écriture collaborative fait pleinement partie des potentialités pédagogiques des humanités digitales qu’il faudrait davantage développer.
La description documentaire.
La description des documents via des systèmes de métadonnées en TEI ou en Dublin Core. Là aussi, tout dépend du niveau de compétences que l’on souhaite transmettre, mais il apparaît plus motivant pour les étudiants de participer à un travail d’indexation de corpus existant que de demeurer sur de simples exercices. Les corpus en humanités digitales sont souvent encodés avec des systèmes de métadonnées élaborées. Outre des métadonnées Dublin Core qui sont plus aisément interopérables et qui sont relativement faciles à appréhender, le plus célèbre système de métadonnées dédiées à l’indexation des corpus et œuvres notamment littéraires est la fameuse Texte Encoding Initiative (TEI)[20]. On songe ici notamment aux élèves de l’école des Chartes qui travaillent sur de tels dispositifs depuis bien longtemps, ce qui explique d’ailleurs que le président Hollande a choisi d’évoquer la question des humanités numériques dans ces lieux en octobre 2015.
La fouille de texte
Les outils de textométrie sont très utilisés pour traiter des corpus massifs de données et offrent des lectures distanciées qui mettent en avant certains points que la lecture exhaustive ne repère pas toujours. Les outils comme TXM, Alceste, Iramuteq sont parfois enseignés dans les cursus mais de façon souvent tardive. Pourtant, leur utilisation permettrait de réaliser des analyses intéressantes notamment pour montrer aux étudiants l’intérêt des occurrences et des co-occurrences. Si beaucoup connaissent des outils comme Wordle, d’autres logiciels bien plus puissants permettent de traiter des corpus bien plus vastes. On mesure aussi ici l’intérêt de former également de nombreux enseignants des séries littéraires à ces questions si on veut véritablement concrétiser l’hypothèse d’un futur bac H, pour humanités digitales.
La valorisation.
Le logiciel Omeka (qui vous l’aurez compris permet de faire beaucoup de choses !) permet aisément d’organiser des expositions virtuelles[21]. Cet aspect permet d’inclure les étudiants dans la logique de la valorisation du travail scientifique via sa communication à un public élargi. Mieux encore lorsque les documents de base sont dans le domaine public, la meilleure piste est alors celle du hacking et donc de la transformation des collections dans un esprit proche de celui de Muséomix[22].
Les pistes sont celles d’une recherche en action qui permet de rendre la recherche plus attractive en l’intégrant davantage aux cursus, ce qui permet une formation précoce et une meilleure relation entre théorie et pratique. En cela, les humanités digitales posent la question d’une formation davantage technicienne dans des domaines où la tendance était de se situer dans l’apprentissage théorique. Il faut également songer que les pistes de manipulation d’objets 3D, depuis des logiciels dédiés pour des reconstitutions historiques jusqu’à leurs impressions pour la réalisation de maquettes sont également des éléments qui allient théorie, pratiques et un fort engagement et une forte motivation. Les récents travaux autour du port de Nantes dans le projet Nantes 1900[23] mené entre autres par Jean Louis Kerouanton constituent un bon exemple.
[1] Les ThatCamp (The Humanities and Technology Camp) sont des manifestations qui veulent renouveler l’organisation traditionnelle des colloques scientifiques en incitant les inscrits à participer davantage.
[2] Manifeste des digital humanities. http://tcp.hypotheses.org/318
[3] Olivier Le Deuff (dir.)(2014) Le temps des humanités digitales (dir.) Fyp éditions
[4] Hirsch, B. D. (2012). Digital Humanities Pedagogy: Practices, Principles and Politics. Open Book Publishers. (version en ligne disponible ici : http://www.openbookpublishers.com/htmlreader/DHP/toc.html)
[5] http://pedagogy2011.thatcamp.org/
[6] https://github.com/curateteaching/digitalpedagogy/blob/master/description.md
[7] Kelly, T. M. (2013). Teaching History in the Digital Age. University of Michigan Press.
[8] Berra, A. (2012). Faire des humanités numériques. OpenEdition Press. Disponible sur : http://books.openedition.org/oep/238
[9] Les résultats de l’enquête sont consultables et librement réutilisables ici : http://humanlit.hypotheses.org/206
[10] http://blogs.ucl.ac.uk/transcribe-bentham/
[11] Causer, T., & Wallace, V. (2012). Building A Volunteer Community: Results and Findings from Transcribe Bentham, 6(2). Retrieved from http://www.digitalhumanities.org/dhq/vol/6/2/000125/000125.html
[12] https://omeka.org/
[13] https://omeka.org/codex/Plugins/Scripto
[14] https://sites.google.com/site/notesonjamesjoyce/home
[15] http://www.openbookpublishers.com/htmlreader/DHP/chap05.html#ch05
[16] Par exemple, dans cet article : Matthieu Noucher. De la cartographie critique à la cartographie participative, de la carte à la fabrique cartographique. Journées d’étude de géographie critique, Apr 2015, Lyon, France. <halshs-01187076>
[17] http://www.co-ment.com/fr/
[18] Gold, M. K. (2012). Debates in the Digital Humanities. University of Minnesota Press.
Disponible sur : http://dhdebates.gc.cuny.edu/
[19] https://github.com/castiron/didh
[20] Burnard, L. (2014). What is the Text Encoding Initiative? : How to add intelligent markup to digital resources. Marseille: OpenEdition Press. Retrieved from http://books.openedition.org/oep/426
[21] Nous menons un projet de ce type avec l’équipe du projet Mauriac en ligne. http://mauriac-en-ligne.u-bordeaux-montaigne.fr/
[22] http://www.museomix.org/
[23] http://www.chateaunantes.fr/fr/nantes-1900
Le temps des humanités digitales est arrivé !
J’ai le plaisir de vous annoncer la parution du temps des humanités digitales chez Fyp éditions. Un ouvrage qui vient marquer plusieurs mois de travaux autour des humanités digitales de mon côté ainsi que pour l’ensemble des participants à l’ouvrage. La logique de l’ouvrage s’inscrit dans la poursuite des objectifs du projet Humanlit.
L’ouvrage n’est pas une fin en soi, mais plutôt un début pour d’autres aventures auxquelles vous allez peut-être pouvoir vous aussi participer à l’avenir. Pour mieux comprendre le mouvement actuel débuté depuis quelques années déjà, le livre pourra vous éclairer.
J’aurais plaisir à vous annoncer très prochainement une autre parution autour de la documentation.
Le temps des humanités digitales est venu. Il promet de ne pas être bref.
Sommaire
Préface : Milad Doueihi
Introduction : Olivier Le Deuff
Première partie : Histoire et frontières d’un concept en vogue
Petite histoire des humanités digitales. Olivier Le Deuff, Frédéric Clavert
Vers de nouveaux modes de lecture des sources. Frédéric Clavert
L’historien et l’algorithme. Frédéric Kaplan, Mélanie Fournier, Marc-Antoine Nuessli
Deuxième partie : Réalisations et potentialités
Les chercheurs en SHS rêvent-ils de code informatique ? Jean-Christophe Plantin
En deçà des images. Logique informatique et recherches en esthétique. Nicolas Thély
Le long, le bref et le truchement numérique. René Audet
Les digital humanities ont-elles existé ? Stéphane Pouyllau
Troisième partie : Enjeux, débats et transformations
Le temps des changements. Olivier Le Deuff
Humanités digitales et (ré)organisation du savoir.Franck Cormerais
Bibliothèques et lieux de production de savoirs. Olivier Le Deuff
Quelle place pour les bibliothèques dans les digital humanities ? L’exemple de Bordeaux Montaigne. Sylvain Machefert
Conclusion : L’humain dans les humanités digitales. Olivier Le Deuff
Humanités digitales versus Humanités Numériques, les raisons d’un choix
Récemment sur twitter, des remarques m’ont été faites sur l’expression d’Humanités digitales et notamment en ce qui concerne l’emploi du mot digital pour la création de la nouvelle revue « Études digitales » dont je fais partie du comité éditorial. Digital semble un barbarisme ou un terrible anglicisme notamment pour certains de mes amis et collègues québécois. Me voilà donc obligé de tenter d’expliquer ce choix qui est celui d’un parti-pris pour digital. Initialement, je penchais plutôt en faveur de numérique, pour des raisons simples : le mot était davantage usité et je ne percevais pas encore très bien la portée du mot digital. Mais j’ai changé finalement d’avis après avoir été un temps favorable à une non-traduction et la conservation de l’expression anglaise de Digital humanities.
Mon esprit de contradiction renforce aussi l’envie de rejoindre la position minoritaire (voir les résultats de l’enquête humanlit) tout en rejoignant ma position institutionnelle à Bordeaux où le choix de l’expression d’humanités digitales a été fait par Valérie Carayol en 2008 pour lancer une dynamique de projet en ce sens. On sait que depuis l’expression est restée ancrée sur Bordeaux tandis que la dynamique helvète en a fait une inscription forte depuis quelques années également avec notamment Claire Clivaz qui a bien su défendre cette acception. Vous pouvez également l’entendre dans cette vidéo à ce propos.
L’accusation la plus fréquente vient de ceux qui pensent que digital est impropre, car il s’agit d’un anglicisme. C’est à mon sens un peu rapide. D’une part parce qu’il n’a rien de scandaleux à employer des anglicismes à mon avis, d’autant que bien souvent l’étymologie se trouve être en fait latine. Dans le cas du digital, ce n’est pas un anglicisme, mais un latinisme ! Le digitus est ce doigt qui nous permet finalement de remettre finalement un peu le corps en jeu, là où les discours sur le numérique ont tendance à privilégier une sorte d’instantanéité de l’information. Reste cependant à savoir de quel doit il s’agit ? C’est à mon sens un des principaux enjeux du digital… une discussion qui m’avait occupé dans du Tag au Like qui est en fait une histoire digitale du passage de l’index au pouce. Cette histoire qui est aussi celle de l’indexation a le mérite d’être double, entre l’histoire de l’indexation des connaissances et celle de l’indexation des existences.
Dès lors, le digital désigne bien un pharmakon, un côté double, tantôt remède, tantôt poison beaucoup moins évident avec le mot numérique. Cette empreinte du pharmakon souvent expliquée dans ces travaux par Bernard Stiegler pour définir la technique. Un pharmakon bien symbolisé par la fameuse digitale, qui illustre le côté potion/poison en étant un médicament mais qui peut devenir un poison pour tuer que connaissent bien les fans d’Agatha Christie. En ce sens, digital est intéressant, car il oblige à une position mesurée et réfléchie… une position rationnelle et surtout raisonnable alors que numérique apparaît comme étant surtout du côté du ratio, c’est-à-dire du calculable… de l’idéologie de la société de l’information et que la vérité serait dans les Big Data. La position digitale apparaît plus poétique, et cela suffit pleinement déjà à me convaincre.
On voit ici que les deux adjectifs ne sont pas tout à fait synonymes et que leur emploi évolue et leur portée également. J’ai le sentiment que numérique subit une invasion gênante, notamment des sphères de l’informatique et des lobbys associés qui tentent de s’emparer du phénomène pour placer leurs propres intérêts. J’avais déjà émis de sérieux doutes quant à la position de l’INRIA de se proclamer « sciences du numérique ». C’est clairement une réduction dangereuse dont la menace continue de planer jusqu’au conseil national du numérique et sans doute au sein de l’Education Nationale. On ne peut résumer le numérique au code, cela peut être une condition parfois nécessaire, mais certainement pas suffisante.
Tout n’est pas calculable, voilà ma position. Je plaide plutôt pour une position issue des Lumières et reprise par les philosophes de la technique depuis Simondon (l’état de majorité), voilà pourquoi finalement, si je devais désormais faire un choix, ce serait celui de digital. Ce choix se verra prochainement avec la sortie de l’ouvrage Le temps des Humanités digitales.
Quelque part, je serai tenté de dire qu’humanités digitales pourrait apparaître davantage comme une french touch ou plutôt une position peut-être plus européenne, même si les entreprises les plus critiques en la matière sont initialement américaines. Alors, s’il faut faire des humanités digitales, il faut clairement mettre en avant les rapports avec la matérialité et symboliser plus fortement les alliances qui se nouent depuis des siècles entre l’homme et la machine, entre le corps et l’esprit.
Le choix que je fais ici, est surtout un choix de raison, et en cela j’espère être parvenu à convaincre Guillaume d’Ockham, hostile à tout néologisme alors qu’il existe un concept préexistant efficace. D’ailleurs l’esprit de Guillaume se prend à être hilare en me soufflant à l’oreille « et quid d’électronique ? »… En effet, pourquoi ne pas parler d’humanités électroniques finalement à l’instar de nos anciens jeux électroniques portatifs des années 80 ou bien encore de la gestion électronique des documents ? On voit que tout cela n’est sans doute pas si important sur le long terme, tant nous sommes créateurs de néologismes en tout genre. Simplement, derrière les mots se cachent parfois des pouvoirs et des positions qu’il faut tenter d’éclairer. Le choix est de privilégier la recherche de la vérité à la façon d’un Guillaume de Baskerville, plutôt que de traquer l’hérésie à la Bernard Gui.
Je crois que ce cher Guillaume me rejoindrait quand il s’agirait aussi d’évoquer la transmission qui peut se manifester par cette main réconfortante sur l’épaule pour nous encourager à poursuivre le travail. Une main tendue qui est celle du passage de témoin pour penser le monde à deux mains.
Finalement, quelque part, j’ai toujours su que j’étais un digital boy…
Entre information et formation, les enjeux d’une reformation des esprits
Je mets en ligne ici le texte de mon intervention d’hier à la journée transverses de l’Université Bordeaux Montaigne. Je n’ai pas eu le temps d’exposer toutes mes idées, par conséquent le texte est un bon moyen de le faire a posteriori. j’étais intervenu à la demande de Franck Cormerais et en compagnie de plusieurs intervenants tels qu’Alain Giffard, Didier Paquelin et Clément Dussarps.
Le numérique est présenté comme une nouvelle condition des modes d’enseignement et de transmission des savoirs et des compétences. Il reste cependant à mieux cerner les modalités et circonstances d’une reformation des esprits,alors que le numérique a effectué sa démocratisation par une logique davantage basée sur la sphère des loisirs que celle de l’apprentissage.
Évoquer une reformation implique deux choses. La première c’est qu’il existe ou qu’il a existé une formation digne de ce nom, notamment dans son objectif de former des citoyens. L’idée d’une re-formation renvoie au fait qu’il s’agit de la repenser et notamment de prendre en compte les spécificités actuelles du numérique. Reformation également quand il s’agit aussi de répondre aux phénomènes de déformation à l’œuvre.
Le contraire de l’information et de la formation est finalement cette déformation des esprits qui s’exerce souvent à notre insu en court-circuitant les mécanismes traditionnels de l’apprentissage. Les industries de services sont également les mieux placées dans le domaine de la formation des esprits, sauf qu’il ne s’agit pas de la valeur esprit de Valéry, mais davantage d’un esprit de la valeur, de celle que l’on peut plus aisément comptabiliser. Finalement la dette n’est pas uniquement celle de nos finances. Bien plus importante est celle de la valeur esprit. La réduction des Lumières à une rationalisation uniquement comptable place au second plan l’exercice de la raison.
Une logique comptable qui privilégie le calculable au raisonnable, l’impulsion à la réflexion, le tag au like. Le web de Tim Berners Lee et de Robert Cailliau a bien changé. Le projet initial visait à partager des données, des news et de la documentation. C’est encore le cas aujourd’hui, mais le sens est quelque peu différent, tant nous sommes passés d’une indexation des connaissances à une indexation des existences.
On comptabilise, on place dans des cases, parfois on ajoute les choux et les carottes (les likes et les retweets par exemple) pour tenter d’obtenir des indices d’influence ou de popularité. Alors, certains sont tentés par acheter justement des likes pour augmenter leur indice. Les discours des consultants en personal branding considèrent l’individu comme une marque qu’il faudrait gérer à la manière d’une entreprise. La déformation va désormais trop loin nous semble-t-il.
Face à des logiques court-termistes, c’est au contraire des perspectives plus longues qui sont nécessaires pour la construction des individuations personnelles et collectives qui ne peuvent être soumises à des logiques de Top 50, sous peine de ringardisation rapide.
Une ringardisation qui touche évidemment l’ensemble des institutions à tort et à raison. Les enseignants sont parmi les premières victimes de ces phénomènes qui les placent en concurrence avec les industries de l’attention qui désormais viennent la concurrence jusque dans la salle où il tente de professer. Il est bien sûr possible d’adopter la politique du refus. Mais elle n’est pas viable à long terme. On peut aussi céder aux discours de l’adaptation et du retard technologique. A l’échelle de l’humanité, le retard n’est pas celui d’être équipé du dernier pc haute performance, mais là où le retard ne cesse de s’accroître, c’est celui de la réflexion autour de ces nouveaux environnements. On reste au niveau superficiel des usages, tandis que les projections pédagogiques restent largement insuffisantes, au point qu’il convient de se demander bien souvent où se trouve réellement l’innovation ? Faire un cours en utilisant twitter, est-ce innovant ?
Évidemment non, l’enjeu est donc de privilégier une redéfinition des littératies qui nous semblent essentielles dans la fabrique du citoyen. Plusieurs approches sont possibles, mais il apparait que le temps est à la nécessité d’une convergence des littératies pour mieux former les jeunes générations aux potentialités de la convergence du numérique. Littératies informationnelles, médiatiques et numériques rassemblées autour d’une translittératie pouvant s’exercer sur une variété de supports et une diversité d’objets comme les smartphones, les liseuses et les ordinateurs portables ou de bureau.
Les discours optimistes et technophiles prétendaient que le numérique nous apporterait un accès facilité à la connaissance. Face aux apparences simples, la complexité à l’œuvre dans le numérique implique dès lors de repenser l’écriture et la lecture autour de ces dispositifs en portant l’ambition à une maîtrise relative, et non à un simple usage. Cela ne signifie pas seulement de considérer le numérique comme un simple apprentissage informatique, trop de tentatives actuelles réduisent le numérique au code.
Les enjeux sont bien plus vastes. Je les ai évoqués plus longuement dans la formation aux cultures numériques.
Une des pistes possibles serait de se pencher sur l’opportunité d’une formation aux écritures de soi en considérant les supports numériques, comme autant de supports externes, des hypomnemata au sens de Foucault et de Stiegler, hypomnemata et metadata dont la plupart des individus sont devenus aujourd’hui producteurs, parfois de façon inconsciente. Or c’est ici qu’une telle formation mériterait une attention longue et prolongée, ce qui implique par conséquent une reformation importante de l’École elle-même, au-delà d’une refondation.
Un caractère disciplinaire à remobiliser en allant au-delà de la vision négative exprimée par Foucault. . Ce n’est pas une refondation sur des bases d’un espace-temps essentiellement physiques : l’école comme institution entre quatre murs, c’est une reformation des esprits sur des espaces de formation élargis. C’est pleinement l’exercice de la skholé qui a donné le mot école. Mais l’école, c’est ne pas seulement le fait de se rendre dans un établissement. C’est la possibilité de se former en s’accordant des temps dédiés, pendant lesquels maintenir son attention suffisamment de temps pour comprendre, mémoriser et avoir envie éventuellement d’appliquer, de faire et de redécouvrir encore.
Or réduire l’école à un dispositif restreint dans l’espace et le temps rend impossible une formation réellement ambitieuse. Ouvrir les écoles les mercredis matins n’est finalement que l’exercice traditionnel disciplinaire que dénonce Foucault : celui qui vise à discipliner les corps à des moments dédiés.
Pourtant, il ne faudrait pas rejeter l’intégralité de la formation disciplinaire dispensée par l’École. Elle doit former aux cadres et aux méthodes de l’exercice de la pensée et de la raison. Cela implique une logique quelque peu contrainte qui oblige l’écolier a exercé sa raison en disciplinant son corps et son esprit pour rester concentré. Et cet exercice doit également s’apprendre avec de nouvelles méthodes et stratégies sur les dispositifs numériques. La production de résumés avec les signets sociaux pourrait constituer des éléments opportuns, de même que la capacité à s’accorder des temps de lecture succédant à des temps de collecte. L’importance d’une culture de l’information rejoignant une culture technique dans la conception de Simondon apparait alors essentielle. Si l’incurie et la bêtise déforment l’esprit, la culture lui donne forme.
Il y a donc encore plein de pistes d’espoir qui devraient nous faire éviter un spleen documentaire. Une des pistes qui occupe les universités actuellement est celle des humanités digitales. Le but est d’utiliser le numérique pour améliorer les possibilités de recherche et les façons d’enseigner. Plusieurs projets se déroulent dans cet esprit dans cnotre université.
Réunir l’esprit des lumières et l’esprit premier du web en alliant le faire et le savoir me parait être également souhaitable. Une des pistes potentielles serait de rapprocher les lieux de documentation des lieux de production au sens large. On peut bien sûr imaginer des fablabs, mais il s’agit surtout de repenser les modes de production de la recherche avec une meilleure prise en compte du public étudiant dans la formation, mais aussi du public amateur afin que l’université puisse contribuer à jouer un rôle d’acteur dans la société et pas seulement celui d’un observateur.
Finalement, cette reformation passe d’abord par une reformation des Universités et de leur rôle dans la société, une transformation essentielle qui doit faire le choix d’ADOPTER le numérique et surtout pas de s’y ADAPTER sous la contrainte.
« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle sur l’esprit gémissant en proie aux … courts-circuits…. Il est temps pour les esprits de soulever le couvercle…