Retour sur la littératie- première partie. (extrait de la thèse)

Alors qu’Howard Rheingold évoque une twitter literacy, participant ainsi aux nombreuses littératies issues du numériques, il m’a semblé opportun de faire un rappel sur la notion de littératie avec un morceau extrait de ma thèse. Comme elle fait plus de 400 pages, je distillerai de temps en temps, certains passages pour éclairer quelques évènements particuliers. Le concept mérite qu’on s’y arrête plus longuement d’autant que l’association américaine de bibliothécaires, l’ACRL vient d’ouvrir un wiki qui associe littératie et science avec l’idée d’une science information literacy.
Une démarche qui démontre la volonté de rationalisation des savoirs qui s’opère dans le domaine de la formation à l’information.

 

Selon Régine Pierre, le terme apparaît pour la première fois en français en 1985 et son usage en tant que concept dans une revue scientifique n’est avéré qu’en 1991.

C’est un terme fortement utilisé notamment par les canadiens qui poursuivent beaucoup d’études dans le domaine et qui l’utilisent tel quel comme la traduction du terme literacy. La définition qu’ils en donnent nous éclaire sur l’élargissement de sens du concept :

Dans les grandes lignes, nous pouvons décrire la littératie comme un déterminant clé des chances d’une personne, que ce soit du point de vue de la carrière ou de la qualité de vie. Plus qu’une simple mesure des compétences en lecture, la littératie sert à évaluer la façon dont les adultes utilisent l’information écrite pour fonctionner en société. De fortes compétences en littératie sont étroitement liées à la probabilité d’obtenir un bon emploi, à des gains décents, et à l’accès aux possibilités de formation. (…)Traditionnellement, la littératie a fait référence à la capacité de lire, de comprendre, et d’utiliser l’information. Cependant, la signification du terme s’est élargie pour englober une gamme de connaissances, de compétences et d’habiletés qui ont trait à la lecture, aux mathématiques, aux sciences, et plus encore. Cet élargissement du sens reflète les changements profonds et généralisés qui se sont produits dans les domaines de la technologie et de l’organisation du travail au cours des 25 dernières années.

Un élargissement confirmé par la définition qu’en donne l’UNESCO en prônant une functional literacy :

A person is functionally literate who can engage in all those activities in which literacy is required for effective functioning in his group and community and also for enabling him to continue to use reading, writing and calculation for his own and the community’s development. 

Selon Eric Delamotte, la « literacy » « recèle le pari implicite, celui de réconcilier pratiques sociales et disciplines scolaires. » Eric Delamotte montre également l’étendue du concept :

Le concept a, d’abord, une assise anthropologique, car l’idée qui lui est sous-jacente est qu’il existe un lien entre l’apparition de l’écrit dans les sociétés et de nouveaux modes de pensée ou de raisonnement. Ensuite, la Literacy représente non seulement la prise en compte d’une évolution culturelle, mais elle introduit aussi une prise de position dans les débats sur l’éducation. Enfin, la Literacy est pragmatique et volontariste. Le mot important, ici, c’est évidemment « volontariste » qui indique que des objectifs précis sont définis et que des moyens et démarches sont consciemment mis en place pour les atteindre..

L’usage du terme de littératie implique un lien avec l’écriture et les rapports que la culture entretient avec la raison graphique. Mais il ne faudrait pas voir dans la littératie une vision simplement basée sur l’alphabétisme mais bel et bien sur le concept de texte tel qu’il est défini par Yves Jeanneret. L’article de Régine Pierre démontre bien les réelles ambitions du concept de littératie et de sa lente reconnaissance en français. Elle montre, en s’appuyant sur des travaux de chercheurs anglo-saxons, qu’il convient bien de la distinguer de l’alphabétisation car selon elle la littératie est une démarche qui débute bien avant l’apprentissage scolaire. Elle considère d’ailleurs que la functional literacy, évoquée d’ailleurs par l’UNESCO, n’est pas une valeur universelle mais diverge selon les lieux et les époques :

Le concept de littératie fonctionnelle englobe des réalités différentes selon les époques, les sociétés et les groupes sociaux (…). Ainsi savoir lire n’a plus la même signification pour les enfants d’aujourd’hui qui sont nés après la Révolution informatique que pour les enfants du début du XXe siècle pour qui la scolarisation primaire n’était même pas encore obligatoire.

Elle situe d’ailleurs la confusion entre alphabétisation et littératie a un autre niveau que celui du simple problème terminologique. 

Nous sommes ici dans la nécessité de faire face à la confusion développée notamment dans les discours. Il s’agit d’opérer une distinction entre ces différents concepts pour mieux distinguer celui de littératie :


Le fait de maîtriser l’écrit pour pouvoir penser, communiquer, acquérir de nouvelles connaissances, résoudre des problèmes, réfléchir sur notre existence, partager notre culture ou se distraire est ce qui définit le type et le niveau de littératie atteint par des individus que l’on dira lettrés – litterati – au sens où l’entendait Cicéron qui posait la littératie – scientia litteratura – à la fois comme le fondement de la sagesse et de l’éloquence (…). Au plan individuel, le concept de littératie réfère à l’état des individus qui ont assimilé l’écrit dans leurs structures cognitives au point qu’il infiltre leurs processus de pensée et de communication et que l’ayant ainsi assimilé, ils ne puissent plus se définir sans lui (…). Un parallèle peut être établi, au niveau individuel, entre le concept d’intelligence qui est une mesure du degré d’assimilation par un individu des connaissances sur le monde et le concept de littératie qui est une mesure du degré d’assimilation des connaissances sur l’écrit. 

 

L’enjeu posé par la littératie est donc bien différent de celui de l’alphabétisation, plus ambitieux, au final plus proche de la définition de l’homme cultivé d’Hannah Arendt. Le concept renvoie également à ce qu’on pourrait qualifier de représentation du monde (Weltanschauung) et se trouve donc fortement lié avec le concept de culture à tel point que l’on pourrait intervertir les deux termes et dire que la littératie donne forme à l’esprit pour paraphraser Bruner. Une dimension culturelle qui nous ramène fortement avec l’adjonction du mot information à l’étymologie de cette dernière, c’est-à-dire au moule, lieu de formation et de déformations. Une transformation qui s’opère autant sur les esprits que sur les corps selon Tracy Whalen :

Tout d’abord, la littératie met les corps en jeu. La littératie, en ce sens, se rapproche beaucoup de la notion d’habitus d’Aristote, idée développée par le sociologue français Pierre Bourdieu (1991), les dispositions durablement inculquées que nous développons au cours de nos vies, qui signalent notre aisance et nos aptitudes dans le monde. 

La littératie ainsi définie, il convient de s’interroger sur la résistance du concept face aux mutations du numérique.

(la suite prochainement)

Statistique Canada. La littératie compte. In Statcan. Disp. sur : <http://www.statcan.ca/francais/freepub/81-004-XIF/200404/lit_f.htm>

2 UNESCO. Revised recommendations concerning the international standardization of educational statistics, UNESCO’s standard-setting instruments, V3 B4, UNESCO, 1986

3 Eric DELAMOTTE. « Information and knowledge literacy. ». Esquisse. Eduquer à /par l’information,
janvier 2007, no 50- 51, p.41-53

4
« Nous pouvons considérer comme des textes une affiche et le jeu qu’elle établit entre images et mots écrits, l’organisation de l’écran d’accueil de notre ordinateur (…), le découpage reconnaissable d’un journal télévisé. Parle de texte, c’est simplement indiquer qu’une forme générale doit organiser un espace d’expression pour qu’il soit lisible, que les messages ne nous parviennent que sous une forme matérielle, concrète, organisée. A cet égard, on peut dire que le texte est toujours un objet technique, mais d’une nature particulière : un objet techno-sémiotique » in Yves JEANNERET. Y a-t-il (vraiment) des technologies de l’information ? PU du Septentrion, 2007, p.106 

5Régine PIERRE. « Entre alphabétisation et littératie : les enjeux didactiques » Revue Française de Linguistique Appliquée. 2003/1, Volume VIII, p. 121-137. p.124

6« Cette confusion entre alphabétisation et littératie déborde une simple querelle terminologique. Elle est le reflet d’une étonnante ignorance des origines de l’écriture et des mécanismes par lesquels l’Homme a développé et transmis la connaissance de cet outil qui façonne aujourd’hui nos existences. Dans tout ce débat terminologique, on confond l’écrit, l’écriture, la lecture et la littératie. » Ibid.., p.124

7
Ibid., p. 124

8 Jérôme BRUNER … car la culture donne forme à l’esprit: De la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Retz, 1991


9Tracy WHALEN. « High Stakes, Mistakes, and Staking Claims : Taking a Look at Literacy / Grosses mises, méprises, mainmises : Regard sur la littératie. » Ethnologies, vol. 26, n° 1, 2004, p. 5-34. p.23

 


 

Enquête sur les folksonomies scientifiques

Je relaie l’annonce pour cette enquête à laquelle je participe avec quelques sympathiques complices.

 

L’affectation de tags à divers contenus est une activité qui est partie prenante de l’écriture-lecture sur le web. Les collections de
tags réalisées par les internautes qui référencent des ressources (photos, vidéos, morceaux de musique, articles, billets de blogs, mais
aussi personnes, causes, événements, émotions, etc.) ont reçu le nom de folksonomies. Ce processus de marquage de l’information se matérialise
par un système d’annotation par étiquettes, personnel et partagé, permettant un repérage individualisé de ressources hétérogènes publiées
sur le Web.

Qu’en est-il de vos usages de référencement en ligne ? Quelle que soit votre pratique ou non pratique, merci de prendre quelques minutes pour
renseigner ce questionnaire afin que nous puissions commencer à faire le tour des usages actuels du tagging.

http://bit.ly/6VzYlY

Le questionnaire sera actif tout le mois de janvier.

Atelier INSI :
http://maquettewicri.loria.fr/fr.artist/index.php5?title=INSI_Folksonomies,_Introduction

Le secret de la bibliothèque 2.0 : elle fait-elle disparaître les mauvaises graisses ?

Je prépare actuellement un article sur le concept de bibliothèque 2.0, sa genèse, ses contradictions et les raisons de son relatif succès.

Par acquis de conscience, je suis allé vérifier quels étaient les premiers liens renvoyés par Google.

Le premier à partir d’une requête Google me renvoie à bibliopédia.

La publicité présente présente nous gratifie d’une magnifique explication sur le secret de la bibliothèque 2.0.

Pourtant, souvent dans les applications de la bibliothèque 2.0, il y a une tendance à en rajouter un peu de trop comme fonctionnalités issues du web 2.0.

Peut-être faut-il voir le fait que le catalogue, devient plus souple en tant que cataloblog. Dans tous les cas, c’est vrai que c’est mieux après qu’avant. Plus c’est souple, plus c’est facile d’innover et faire évoluer la bibliothèque.

Finalement, je me demande si cette publicité n’est pas encore une atteinte aux vieilles bibliothécaires ! (clin d’œil à biblio-fr)

Twitter : faut-il muscler la cour de Récré ?

Finalement, il aura fallu l’arrivée de Frédéric Lefebvre pour que le poids des listes soit le mieux compris sur twitter.

Ce dernier ne parvient pas à endiguer le flot de redocumentarisation malgré le fait qu’il bloque au maximum ceux qui le listeraient d’une manière qu’il juge inopportune. Il déplore dans son interview par Barbier (@C_Barbier c’est un peu l’intello de la cour de récré qui essaie de faire des exposés pour se faire bien voir des profs) que twitter n’est pas assez costaud notamment pour supporter des campagnes électorales. Mais est-ce le but de twitter ? Faut-il plus de contrôle …faut-il vraiment faire de Twitter, un lieu sérieux, sécurisé avec des comptes vérifiés ?

Je n’en suis pas certain car twitter demeure pour beaucoup de ses usagers une cour de récré plutôt agréable. Twitter présente beaucoup de réminiscences de ces lieux entre les cours où s’effectue la vie des établissements. Cour de récré, machine à café, in between difficile à cerner notamment des dirigeants qui sont quelque peu dépossédés de leur pouvoir en ces lieux. Il y a des modes sur twitter, les nouveaux hashtags c’est peu comme l’arrivée de nouveaux gadgets ou le port de badges dans les années 80. On commente tel ou tel évènement comme on le faisait le jeudi matin à propos du film du mardi soir. De plus les listes de twitter ce n’est rien parfois rien d’autre que le fait de figurer dans les listes des préférés des filles à l’école primaire. Je note qu’un phénomène similaire se développe sous Facebook à l’heure actuelle. Il y a sans doute aussi des logiques de bande également. Il faut en être comme dans «  le best-of de @Silvae » (Silvère Mercier)

Finalement, tout cela prouve qu’il demeure chez nous une part d’enfance. Etymologiquement, nous sommes tous un peu in-fans, c’est-à-dire incapables de pleinement exprimer le monde qui nous entoure et surtout de plus en plus incapables à en prendre le contrôle. Même si la plupart des twitteriens français rêvent de virer le dirlo et toute sa clique.

Twitter, ce n’est donc pas si sérieux que cela, mais cela peut être un instrument de veille, voire de bienveillance mais aussi de vigilance. Cela signifie aussi que dans la cour de Récré de twitter, on a bien envie de laisser enfermer dans les toilettes, la petite Edwige, le méchant Hadopi et le sournois Loppsi.

Redocumentarisation des individus et (bon) usage de la liste

Un cas qui ne déplairait pas à Umberto Eco qui aime beaucoup les listes.

Celui d’un petit nouveau qui débarque sur twitter et qui se voit d’emblée listé :

https://twitter.com/FLefebvre_UMP/lists/memberships

update : 2 minutes après
Olivier Ertzscheid d’Affordance nous en parle également.

Militer pour une culture technique…à nouveau

Bruno Devauchelle a raison de souligner que la culture numérique est absente une nouvelle fois des projets de réforme du Lycée. Et avec elle, la culture de l’information et la culture informatique, une nouvelle fois reléguées dans les oubliettes.

Ce n’est pas seulement la faute des responsables politiques, d’ailleurs tant le rapport de force au sein de l’Education Nationale est encore au favorable à une culture littéraire normée et qui méprise la culture technique. La culture mathématique semble plus proche des aspects techniques mais la conceptualisation à l’œuvre laisse parfois trop de côté les aspects de manipulation.

Le poids historique est important et la technique a été souvent jugée comme néfaste :
La répulsion qu’affiche la Culture pour la technique remonte très loin en France, en dépit d’efforts successifs et réitérés depuis ceux des Encyclopédistes pour l’y intégrer. Répulsion plus que dédain ou ignorance, car dans l’attitude des intellectuels vis-à -vis de la technique, il y a aussi l’impression justifiée qu’elle a contribué à asservir les hommes, tout en étant soutenue par un discours de propagande affichant qu’il s’agit de les libérer.
(Jacques Perriault, 1998)
Jacques Perriault a beaucoup milité pour la culture technique parmi d’autres intellectuels et philosophes dont notamment Gilbert Simondon sur lequel nous allons revenir sur ce blog avec notamment des extraits de notre thèse sur le sujet de la culture technique.

Evaluation de l’information : l’éducation traditionnelle est-elle un obstacle ?

Dans le cadre d’un cours consacré à la méthodologie de la note de synthèse, j’en ai profité pour introduire quelques notions d’évaluation de l’information de documents présents sur le web et notamment les blogs en demandant aux étudiants d’essayer d’analyser la fiabilité de l’auteur.

L’exercice devient plus difficile quand il s’agit d’évaluer le contenu et là les réflexes sont ceux de l’éducation traditionnelle ou plutôt des dogmes éculés : les blogs c’est mauvais, wikipédia, il faut s’en méfier.

Je crois que la gestion de l’identité numérique est proche de l’évaluation de l’information notamment par le biais de la réputation, qui signifie étymologiquement évaluation. Dans les deux cas, il faut sans souvent laisser de côté des jugements rapides et des préjugés notamment ceux importés des sphères écrites.

Rien de plus énervant d’entendre dire des étudiants qu’un blog ce n’est pas fiable car « c’est ce qu’on nous a dit »… La veille école n’est plus dans le coup. La critique et l’évaluation doit donc se renouveler et il faut donc à nouveau à apprendre à lire.

Encore une fois, il ne s’agit pas de faire table rase du passé mais je crains qu’une bonne partie des formateurs ne soient tout simplement pas au niveau sur les aspects du numérique, à la fois techniquement mais aussi en matière informationnelle. Cela ne semble d’ailleurs pas prêt de changer. J’en appelle toujours à un sérieux new deal disciplinaire mais tant que la bonne vieille dichotomie et le partage du pouvoir entre les lettres et les mathématiques continuera d’écraser le système scolaire français, je ne vois aucune porte de sortie.

Un dualisme qui a souvent fait de nous des hémiplégiques d’ailleurs. Il y a bien des tentatives pour changer la donne, le système d’évaluation par compétences en était une. Mais souvent, elle n’est guère mieux pensée du fait qu’une compétence est très difficile à évaluer réellement lorsqu’on atteint des niveaux un peu plus complexes comme c’est le cas en ce qui concerne les aspects informationnels du B2I. Il reste toutefois qu’il est possible d’évaluer des compétences en tant que savoirs et savoir-faire sur des travaux de longue durée et de plus grand ampleur.

Je suis de plus en plus convaincu qu’au niveau de l’Education qu’à force de ne rien faire depuis plusieurs années si ce n’est quelques petits changements à la marge, de peur de froisser certains corporatismes notamment le fait que chacun considère sa discipline comme légitime et extrêmement importante, nous n’avons fait que conforter la puissance des lettres et des mathématiques. Or, au des évaluations PISA, c’est un échec, voire un échec total.

En conclusion, c’est quand qu’on se bouge ? L’évaluation de nos méthodes d’enseignement et de stratégies pédagogiques ne peut que nous inciter à revoir la donne, seulement nous ne sommes pas prêts. Dommage, car il est déjà trop tard pour certaines générations d’élèves.

Les 10 ans du Guide des Egarés

10 ANS.
Déjà 10 ans que le guide des égarés a surgi dans l’espace du web.
A l’origine, une initiative personnelle, une volonté de proposer de nouvelles visions dans le monde des bibliothèques notamment via les nouvelles technologies web et une stratégie de valorisation personnelle dans l’espoir d’une future embauche en bibliothèque. Je venais en effet tout juste de réussir le concours de bibliothécaire territorial.
J’avais imaginé le projet du guide des égarés dans les heures qui précédèrent les oraux, le titre, référence à Maimonide, avait résonné dans mon esprit comme l’écho idéal à une nouvelle vision des bibliothèques et du monde de l’information et des différents égarés au sein des bibliothèques mais aussi parmi le cyberespace.
J’étais fortement influencé par des lectures et un environnement théorique autour des sciences de l’information, découverte permise par le cours d’Alexandre Serres deux ans auparavant lors de la mention documentation qui accompagna fort judicieusement ma licence d’histoire.
Je n’avais jamais songé à la pérennité du projet et pour plusieurs raisons. J’étais relativement convaincu que j’allais pouvoir concrétiser mes idées au quotidien au sein d’une bibliothèque. Ce ne fut jamais véritablement le cas puisqu’en dépit d’une vingtaine d’entretiens, aucune collectivité ne me recruta, moi qui figurais parmi les lauréats les plus jeunes du concours…mais sans doute aussi parmi les plus rénovateurs. J’appris que mon profil « nouvelles technologies » faisait parfois peur. Je sentis en effet plusieurs frilosités quant à ma propre personnalité surtout lorsque les recruteurs souhaitaient une poursuite de ce qui se faisait avant : l’archétype de la vieille bibliothécaire perdurait et j’envoyais une autre image. Parfois, ma présence aux entretiens n’était que pour donner le change, parfois j’avais une véritable chance mais la concurrence était rude.
J’avais écrit à l’époque qu’il y avait quelque chose de pourri au royaume des bibliothèques, je ne sais si guère mieux actuellement mais j’ai pu voir les changements. Je me rappelle avoir été successivement qualifié d’utopiste par ceux qui se voulaient gardien de l’orthodoxie de la notice puis au contraire de techniciens lorsque je faisais référence à des technologies web. J’avais essuyé pas mal de critiques au début des apôtres des techniques documentaires, c’est-à-dire des épigones de Dewey et des obsédés du catalogage. J’avais plusieurs fois sur la liste biblio-fr suscité la polémique sur ce sujet. Je crois qu’aujourd’hui, il n’y a plus vraiment lieu de polémiquer.
Tout cela ne fait que démontrer la nécessité d’une culture technique au-delà des imaginaires technophiles et technophobes.
Le blog a donc pu voir des réussites. Mes idées jugées farfelues, impossibles, utopiques ont en grande partie pu être réalisées sous l’expression de bibliothèque 2.0. 10 ans après, quand je vois ces portails et catalogues nouvelle génération, je vois se concrétiser beaucoup de mes aspirations d’origine. Et je suis content que tout cela ne soit pas demeuré que de simples aspirations et que d’autres partageaient mes envies et mes points de vue et que certains sont même parvenus à les réaliser.
Les portes des bibliothèques s’étant peu ouvertes, j’avais orienté ma barque vers les eaux de l’Education Nationale et le projet du guide des égarés a naturellement suivi pour s’intéresser un peu plus à un aspect déjà présent dans mes premiers textes : la formation et les aspects pédagogiques. Les deux faces du document, à la fois preuve et objet d’apprentissage.
De fil en aiguille, la volonté de continuer à chercher tout en étant sur le terrain a placé le guide sur des territoires plus vastes que sont ceux des sciences de l’information et de la communication.
Un des mes premiers textes concernait le labyrinthe et je crois que moi comme ce site qui est devenu blog ne cesse de le parcourir, ne pouvant connaître à l’avance la fin. Le guide des égarés fut donc initialement totalement en html, puis passa successivement de Spip à Joomla avant de demeurer depuis quelques années sous wordpress qui correspond mieux à mes attentes et mes objectifs. Le blog est donc un laboratoire, un lieu d’expériences et d’expressions voire de provocations. Il continuera donc de voguer encore…jusqu’à quand ?
Il constitue pleinement un hypomnemata, un support de mémoire qui permet une introspection souvent critique et une mise au regard des autres, permettant à la fois la contagion des idées mais aussi l’épreuve du jugement. Je n’ai jamais vraiment songé à arrêter l’aventure, j’ai plutôt cherché au contraire d’autres pistes pour développer de nouvelles initiatives.
Sans doute, le plus grand changement en 10 ans est le sentiment de ne plus voguer seul mais d’être désormais au sein d’une communauté active, un réseau en action qui obtient quelques réussites, un milieu associé qui permet l’individuation. Le sentiment aussi qu’il y a toujours du pain sur la planche, une variété de projets à imaginer et à mener.
Le guide des égarés constitue pleinement une part de moi, une forme d’excroissance qui a contribué quelque peu à ma réputation, plutôt bonne que mauvaise, j’ose l’espérer.
Pour finir sur une note historique, le blog a débuté 10 ans après la chute du mur de Berlin, ce n’est pas totalement un hasard. J’ai toujours eu le sentiment que nous n’avions pas pleinement saisi les opportunités qui se présentaient en grande partie par déficit d’analyse, de compréhension et d’imagination. Ce blog est donc également une volonté politique. Le premier texte commençait par une mise en garde « ce n’est pas par volonté messianique ». Je crois que c’était quelque peu faux. Il y avait bien une volonté sans doute pas messianique, mais assurément politique et prospectiviste.
C’est donc dans ce cadre, que je continuerai encore à écrire…

Tisser sa toile sur le réseau.

Depuis plusieurs années, la volonté de créer des graphes globaux du web s’amenuise en grande partie du fait que la somme de données devient trop importante. De plus, il existe plusieurs visualisations possibles tandis que le mythe du web interconnecté et équilibré est tombé depuis la publication du graphe du nœud papillon.

Les visualisations se reportent de plus en plus sur des communautés d’utilisateurs notamment en ce qui concerne les réseaux sociaux.

Néanmoins, malgré les nouveaux outils, les difficultés méthodologiques et d’interprétations demeurent. Cependant nous partageons l’analyse de Bernhard Rieder quant aux potentialités d’examen de corpus massifs qui permettraient d’allier les sciences mathématiques de l’étude des réseaux sociaux et leur étude socio-technique.

Il est clair aussi que le parallèle vie réelle/reproduction sur les réseaux sociaux n’existe pas. Notre réseau social de la vie quotidienne n’est pas celui de notre réseau social sur le web notamment car il s’agit plutôt d’excroissance, d’élargissement de nos « connaissances » dans les deux sens du terme, c’est-à-dire de systèmes et stratégies qui répondent pleinement à deux besoins, celui d’affirmation et celui d’information.

Dans les deux cas, les habitués des réseaux et notamment de twitter savent qu’il s’agit d’une prise de risque car on met sa réputation en jeu. Mais celui qui n’y est pas actif n’existe pas. Etre ou ne pas être, l’aporie existentielle est celle des réseaux sociaux.

Tel est le but de l’expression sur les réseaux, cela semble parfois utile, parfois futile mais il est souvent difficile de mesurer d’emblée la portée ou le poids d’un message. L’archéologue des savoirs ne peut connaître à l’avance la trace marquante, celle qui va faire date. Il est même probable qu’il va devoir lui-même se mouiller. Je ne crois pas au chercheur à l’abri. Ce dernier n’est qu’à la surface des choses, sur la face visible. Il ne voit que ce qu’on lui donne à voir.

Les systèmes de veille et nos réseaux d’amis et de followers correspondent à autant de casiers jetés à la mer voire de bouteilles dans l’espoir d’un retour gagnant. Sur twitter, l’usager-initié tisse sa toile avec patience, lentement. Il est une mygale. A moins que la métaphore qui ne convienne le mieux soit celle du corail, fonctionnant de manière fractale.


Une stratégie de réseau en mygale via twitter. (visualisation obtenue avec Nodelxl, en fruchteman-Rheingold à partir de notre réseau twitter)

La course aux suiveurs est une erreur qui témoigne surtout d’un hubris qui ne peut que conduire à l’inefficacité du dispositif au mieux et à l’affaissement sur soi même en un trou noir au pire. Nul ne peut incarner à lui tout seul le réseau.

Mais la prise de risque implique aussi le fait de pouvoir contrarier le réseau. Une expression provocatrice, un défi mal calculé et l’usager se trouve poursuivit par la pieuvre du réseau, le Kraken impardonnable qui ne demande qu’à vous avaler tout cru. Une erreur d’appréciation et vous envoyez le même DM (direct message) à l’ensemble de vos amis sur twitter et vous voilà assimilé à un spammeur ou un pénible infopollueur et votre réputation en prend un coup. Un moment d’égarement et vous laissez entrer une application néfaste et vous contaminez tout votre réseau de messages publicitaires notamment pour cette mafia family qui en a piégé plus d’un et pas des moindres d’ailleurs puisque des grands pontes du réseau et des grands penseurs du web s’y sont laissés prendre.

Cette prise de risque implique donc de tester mais aussi et surtout de faire des erreurs. Des erreurs qui vont nous amener à défendre outre le droit légitime à avoir accès au réseau Internet, celui de pouvoir garder un contrôle sur ses propres données ainsi que celui de pouvoir exercer un droit à l’oubli.

Le web et l’internet n’est sans doute pas une toile mais il nous faut néanmoins tisser la nôtre, lentement en étant conscient de la fragilité de cette construction.