Learning center : l’Education dans un monde meilleur parce que vous le valez bien

Au lycée de Salmon&Tacon, tout va pour le mieux. La bibliothèque du comté a été fermée afin que l’argent public soit enfin mieux utilisé. En effet, la priorité c’est désormais l’Education. Plus question de laisser les élèves s’ennuyer en cours, c’est contreproductif. La solution a été trouvée avec l’élimination de la source d’ennui : les profs. Il n’y en a pratiquement plus. Je ne sais pas combien de temps, il aura fallu pour qu’on comprenne que l’Education sans les profs, c’était beaucoup mieux. On a juste gardé, Miss Jellyfly qui est désormais chargé d’importantes responsabilités au bar interactif du nouvel équipement. Le directeur Mr. Whale est fier de sa création : son gigantesque learning center qui a remplacé l’intégralité des anciennes salles de cours.
L’argent économisé a servi pour l’acquisition des centaines de machines dernier cri qui sont régulièrement renouvelées d’ailleurs. L’éducation étant prioritaire, aucun ordinateur ne peut avoir plus de deux ans. Mr Whale y tient surtout que le partenariat avec l’équipementier rottengrany est avantageux. Le contrat type permet une uniformité des machines et des réductions sur les coûts de maintenance et surtout Mr Whale a intelligemment négocié la fourniture gratuite des uniformes des lycéens qui arborent fièrement leur t-shirts verts barrés du logo de la marque. Mr Whale très soucieux du pédagogique songe même à aller plus loin, le lycée pourrait porter le nom de la marque à la rentrée prochaine. Le rottengranny Salmon&Tacon serait un des pionniers en la matière. En échange de ce changement de nom, les locaux administratifs seront entièrement rénovés, autant d’économie pour l’école.
Car le credo, c’est investir dans une éducation rentable. Les frais de scolarité ont été certes augmentés mais les taux de réussite sont nettement meilleurs. Les tests le prouvent, quasi 100 % de réussite à tous les tests qui sont d’ailleurs mis au point par la société Troutsoft. L’avantage est évident, plus besoin d’enseignants pour produire les évaluations et les corriger.
L’ambiance au learning center est studieuse. Miss Jellyfly y veille. Chacun doit bien avoir son t-shirt avec soi et le matériel réglementaire. Pas question de ramener du matériel de l’extérieur. Les ouvrages papiers sont tous contrôlés à l’entrée, on craint la contamination par les virus contenus dans les vieux papiers. L’Education est une chose trop sérieuse pour qu’on laisse rentrer en son sein des sources de contaminations. Mr Whale a engagé Mr Orca, ancien militaire, pour réaliser ce travail très important pour la communauté éducative. Le message est passé auprès des élèves, qui n’amènent désormais plus rien de prohibé au sein des locaux. Encore une belle réussite pour Mr Whale.
Tout le monde est donc connecté en permanence dans la joie et la bonne humeur. On s’active et surtout on réussit ! Et tout cela grâce aux ordinateurs et aux nouveaux logiciels. Samantha est tout heureuse : « les ordinateurs sont de plus en plus performants, cela me permet de réussir des tests plus difficiles sans trop d’efforts ». C’est aussi le cas de Kévin qui vient d’accéder à un très haut niveau de philosophie après 7 heures passées devant le programme brainphilosopherkillers. Le programme donne envie de travailler : pas de lecture fastidieuse mais de la grande interactivité. Des élèves heureux et qui ne s’ennuient pas ! On gagne toujours aux tests, fini l’échec scolaire : l’Ecole est enfin au service de la réussite. Ici, on apprend en autonomie ou avec ses camarades…et surtout à son rythme grâce aux machines et aux programmes individualisés qui mènent chacun à la réussite pour tous les tests. De toute manière, la réussite est obligatoire, c’est dans la charte de l’établissement qui reproduit la directive gouvernementale. Les machines sont ergonomiques et étudiées pour que les élèves puissent rester connectés pendant des heures sans avoir de mal de dos. Fish&wood design est l’équipementier des learning centres. L’ amitié du président de l’entreprise avec le ministre a permis aux établissements d’importantes réductions. L’occasion de saluer l’investissement une nouvelle fois personnel du ministre et le dévouement à la cause éducative du directeur de Fish&Wood. Miss Jellyfly est aux anges, le mois a été excellent. Elle veille à ce que les temps de présence dans l’établissement soient les meilleurs possibles. Fini l’absentéisme, vive le présentéisme massif. Miss Jellyfly n’est pas rémunérée par l’établissement mais par les commissions et les ventes qu’elle réalise au bar. Les élèves ont souvent besoin de se rafraîchir et de prendre des éléments caloriques pour pouvoir réussir leurs tests. Plus ils restent connectés, plus ils consomment. Mais les prix sont très abordables et les parents conscients de l’importance des études et des sacrifices à réaliser pour leurs enfants. Cela permet aussi de financer les voyages pour les concours internationaux entre les rottengranny schools.

Face à une telle réussite : tout le monde est content. Le ministre est ravi des chiffres qui lui parviennent et qui démontrent des performances incroyables dans ces sociétés informationnelles. De tels graphiques devraient l’entrainer à de plus hautes fonctions et ce n’est que justice. Une société hautement civilisée nous attend. Il faut dire qu’il n’a pas ménagé ses efforts notamment contre ceux qui empêchaient le progrès pédagogique : les professeurs, les bibliothécaires, et pire les hybrides inclassables les professeurs-documentalistes et leurs CDI, bref ces vieilles fonctions et manières de faire aujourd’hui désuètes et dont les taux de réussite démontraient bien l’inutilité totale. Le plan :  « Get out, poor dumb teacher » a plutôt bien fonctionné. Il a été établi en plusieurs étapes, d’abord en supprimant la formation des professeurs, puis petit à petit en remplaçant les profs par des ressources en ligne. Que la marche vers le progrès fut longue et difficile mais désormais ces temps difficiles sont derrière nous !
 
Mais Mr Whale est soucieux, il aimerait bien assurer son budget pour la rentrée prochaine car les ressources en ligne de la société éducationnelle Coldfish ont augmenté et notamment les ressources de haute performance qui sont indispensables si le lycée veut conserver son label « Pédagogie de l’excellence » accordé par le ministère qui a tant fait pour le progrès éducatif ces dernières années. Heureusement, une de ses élèves est en finale pour le concours de Miss grannyschool. Si elle gagne, elle permettra au lycée d’empocher une jolie somme et surtout cela permettra de nouvelles inscriptions grâce à la publicité générée gratuitement via les médias. On comprend que pour Mr Whale la réussite de ses élèves est à terme clairement la réussite de son établissement. Les meilleurs de ses élèves contribuent beaucoup au succès de ce modèle. Ainsi les communautés d’élèves, les Rolexbrothers et les Vuittonssisters montrent bien l’importance de l’éducation. Ces groupes d’élèves ne quittent que rarement le learning center car il s’agit d’acquérir le maximum de réussite aux tests afin d’obtenir de belles récompenses grâce aux cadeaux offerts. La devise des Rolexbrothers est claire et démontre une belle motivation : « si tu n’as pas de Rolex à 17 ans, c’est que tu as un peu raté ta vie ». Ces groupes motivent fortement les autres élèves qui rêvent d’accéder aussi à ce niveau culturel. On comprend ici toute l’importance de l’émulation.
 
Le progrès est tel que les futurs élèves en âge d’aller voter feront nécessairement le bon choix. En effet, grâce à un nouveau programme « Anglebrain » prévu à cet effet qui cherche à perfectionner la démocratie, leur choix sera nécessairement le bon. Nul doute qu’ils seront également récompensés comme il se doit.
 

Nous avons de plus en plus besoin de lecteurs de crânes de licorne

J’écris peu sur le blog depuis quelques temps. Beaucoup de projets et de travaux monopolisent mon temps et mon attention. Disons ce que ce dernier billet de l’année augure l’esprit et la volonté qui m’animeront en 2011.

On a cru sans doute hâtivement que la fin de l’histoire était survenue lors de la chute du mur de Berlin tant la destinée semblait écrite et le triomphe démocratique semblait inéluctable.
20 ans après, il n’en est rien. Au contraire, la démocratie recule y compris au sein de ses bastions premiers.
Le sens de l’histoire est devenu bien incertain et il est évident que le premier réflexe est de tenter de se retourner vers le passé pour tenter de mieux « prospectiver ». Un sens à construire, une histoire à écrire de manière « poétique » en suivant Réné Char : « le passé n’éclairant plus l’avenir, l’esprit marche dans les ténèbres ». Hélas il semble que ce soit bien les ténèbres qui nous entourent désormais du fait d’une césure qui s’est produite dans notre rapport à l’espace-temps. Finalement, nous sommes comme le héros de «  la fin des temps » de Murakami, quelque peu coupé en deux, contraint d’avoir abandonné une partie de nous dans un passé de plus en plus inaccessible. Seul celui qui est capable de déchiffrer les mémoires contenues dans les crânes des licornes et seul celui qui sait trouver du sens et le chemin parmi les données (et notamment les Big Data) parvient à relier les deux mondes : l’archiviste ou le bibliothécaire qui n’est pas seulement un gardien.
En effet, l’archive semble la mieux à même de pouvoir répondre à notre situation en nous permettant de nous situer dans les méandres de nos destinées. Cette archive, c’est celle que décrit Michel Foucault :

  • « Mais l’archive, c’est aussi ce qui fait que toutes les choses dites ne s’amassent pas indéfiniment dans une multitude amorphe, ne s’inscrivent pas non plus dans une linéarité sans rupture, et ne disparaissent pas au seul hasard d’accidents externes, mais qu’elles se groupent en figures distinctes, se composent les unes avec les autres selon des rapports multiples, se maintiennent ou s’estompent selon des régularités spécifiques »
  • (Foucault, L’archéologie du savoir, 1969 p.170)

Mais nous ne distinguons plus nécessairement l’archive ou le document porteur d’une importance historique. Les crânes de licorne évoqués par Murakami sont également une belle métaphore de nos documents produits par des outils ou programmes désormais obsolètes.
On croyait que le numérique nous apporterait un accès facilité à la connaissance, il n’en est rien. La littératie se complexifie au contraire et l’illusion de la transparence dissimule délégations techniques et intellectuelles. Cela signifie qu’il est grand temps de développer une culture de l’information et une translittératie qui soit réellement durable, faite de savoirs et de savoir-faire qui puissent être réinvestis sans cesse sans quoi l’archéologie de nos savoirs est grandement menacé et sa futurologie celle décrite par Lévi-Strauss.
Par conséquent, un simple esprit « culture informationnelle » ajoutée à la marge ne saurait répondre à cette mission. La construction de learning center n’y suffira pas non plus car il ne s’agit pas de confondre le bâtiment avec l’institution. Le chantier est bien celui de la culture des esprits, une construction hautement plus ambitieuse et plus difficile. J’appelais dans ma thèse en 2009 à une reformation de la culture de l’information. En appelant à la reconstitution de l’Ecole à partir de la skholé, cette capacité d’attention qui est la base de notre capacité à comprendre, à reformuler et à écrire, je souhaitais démontrer que les compétences et savoirs exigés ne pouvaient se contenter de simples injonctions politiques et encore moins économiques. Au contraire, la culture de l’information ne doit opérer en parallèle de la prétendue société de l’information ce que tend trop souvent à faire les théoriciens de l’information literacy. Cette culture dont nous avons besoin, c’est celle qui permet l’accès à la majorité de l’entendement au sens Kantien. Cette culture demande un effort, une capacité de résistance qui permet de trouver la sortie hors de la minorité de l’entendement. Hélas, les mineurs sont de plus en nombreux, enfermés dans des cavernes qui les déforment et les privent des Lumières et se contentant de d’inter-médiaires comme directeurs de conscience. C’est donc autant d’un humanisme numérique que des Lumières numériques dont nous avons besoin.
Pour cela, il nous faut aussi sortir des évidences et des discours qui les accompagnent. Nous avons besoin de plus en plus de savants, « savant » au sens de celui qui sait lire et écrire parmi cette diversité médiatique convergente.
Nous avons de plus en plus besoin de lecteurs de crânes de licorne.

Synthèse des projets innovants

J’avais fait un appel à vos projets innovants pour l’année scolaire et universitaire.
Voici venu le temps de la synthèse !

Ici en pdf
Un document dédicacé à Richard Peirano qui sera peut-être le plus innovant d’entre nous…s’il réussit à organiser son concert au CDI. On vérifiera!
Voilà, en espérant que cela vous donne des idées.
Pour rappel, les précisions données sur le café pédagogique au sujet de cette initiative.

Tutoyer ou vouvoyer ses élèves au lycée ?

J’avoue que cette rentrée me pose quelques petits problèmes. En effet, j’avais pris l’habitude de vouvoyer mes étudiants de la première année jusqu’au master 2.

Le problème, c’est que je reviens dans le secondaire en lycée. Au collège, je les tutoyais. J’aurais donc tendance logiquement à vouloir tutoyer les lycéens mais j’ai pris mes habitudes universitaires et j’ai du mal à m’en départir. Il faut aussi prendre en compte le fait que certains sont majeurs. Sans compter qu’il y a des élèves qui sont d’ailleurs en BTS.

Là où ça se complique, c’est que certains sont en fait en troisième au sein du lycée. Je devrais donc les tutoyer ceux-là d’autant que j’y ai retrouvé un ancien élève que je tutoyais lorsqu’il était en sixième.

Je remarque que je tutoie plus les garçons que les filles aussi ce qui n’arrange rien à mon analyse. J’aurais tendance à tutoyer aussi plus facilement les élèves que je vois plus régulièrement.

En fait, c’est totalement irrationnel.

Ce serait encore facile si ne se rajoutait pas un autre problème. La plupart des surveillants (internat et externat) étudient…en BTS dans le lycée. C’est réglé : je les tutoie…et je leur serre la main. Mais comment je fais quand ils sont avec des camarades mais qui ne sont pas surveillants ?

Et toi tu ferais comment ? Enfin, vous !

Partagez vos idées, vos projets et vos innovations pour la rentrée

 

Histoire de se motiver et d’inciter à tenter et à expérimenter pour la rentrée scolaire et universitaire, j’ouvre un google doc sur lequel vous allez pouvoir ajoutez vos différents projets.

Le but est de décrire succinctement votre projet innovant en utilisant des technologies du numérique.

Je produirai une synthèse au final d’ici une semaine.

Le but est de faire un peu comme dans ce billet de blog (en anglais) où sont recensées 140 idées de projets. Le projet avait été essentiellement diffusé sur twitter.

C’est aussi l’occasion pour moi de signaler mon retour dans le secondaire après deux ans de détachement en université. J’exercerai désormais au CDI du Lycée professionnel de Vinci à Mayenne.

 

Le manuel numérique comme métaphore de l’inchangé sous couvert du voile numérique

Une expression n’est jamais neutre. Accepter sans critiques celle de « manuels numériques » ne signifie pas seulement l’agrément à une simple expression, mais bel et bien à des enjeux plus larges. En effet, l’expression recèle, bien au-delà de l’oxymore, des formes et des normes : c’est-à-dire des pouvoirs financiers et éditoriaux. Le paradoxe est donc le maintien de l’expression de manuel qui désigne un ouvrage aisément manipulable et donc pratique mais qui est surtout le symbole d’une mainmise éditoriale sur l’Education. Ce n’est pas de manuels numériques dont nous avons besoin et encore moins d’artefacts numériques améliorés issus d’une version papier. Ces manuels écrasant l’élève au sens propre comme au sens figuré, les empêchant de se construire et de s’individuer.

Le numérique nous offre au contraire l’opportunité de nous affranchir d’un système dépassé et couteux et extrêmement polluant par la même occasion. Les tonnes de papier et d’encre gaspillés sont énormes au regard de leur réel portée pédagogique et éducative. Ils sont également le symbole de la déresponsabilisation des enseignants transformés pour le coup en véritables machines à faire des photocopies…au lieu de construire eux-mêmes ce travail pédagogique (travail pour lequel ils sont pourtant rémunérés), faisant d’eux d’ailleurs les premiers véritables plagiaires du système scolaire et ce depuis fort longtemps. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas partager et récupérer des travaux de collègues, bien au contraire, mais autant que cette démarche s’opère de manière plus efficace et plus transparente via des dispositifs de cours en ligne et des plateformes de partage de documents où chaque enseignant pourrait apporter sa pierre à l’édifice, proposer de nouvelles versions. En Bref, c’est le modèle des logiciels libres dont nous avons besoin en tant qu’ingénierie pédagogique et nullement un modèle de délégation technologique qui ne profiterait guère à nos élèves au final.

Cela implique aussi de former les enseignants à s’investir dans cette voie. Outre des formations adéquates, il pourrait être opportun de récompenser ceux qui mettent le plus de travaux en ligne et qui construisent plateformes et parcours pédagogiques numériques. Cette récompense pourrait être versée sous forme de primes. Il est quand même dommageable de voir que c’est Microsoft qui cherche à se placer du côté de cette récompense. Il ne serait d’ailleurs pas difficile de trouver cette manne financière sur l’ancien budget des manuels scolaires.

Il reste cependant beaucoup de travail à faire tant les mentalités sont parfois restées bloquées dans des milieux dont il faut aujourd’hui sortir. Les enseignants sont de plus en plus prolétarisés socialement (à l’exception sans doute du corps des agrégés) mais également techniquement et pédagogiquement, se montrant rarement capables d’innover et étant souvent incités à ne pas le faire.

On pourrait imaginer que le CNDP pilote cette nouvelle vision en dégageant les enseignants d’obstacles tels que l’hébergement et la maintenance technique des applications, des Cms et des Lms. Il est fréquent que les enseignants ne peuvent continuer à maintenir un site victime de son succès et devant faire face à des coûts d’hébergements. Je songe notamment à Fabien Crégut et à bien d’autres encore. Je rappelle aussi que mon site de cours en ligne Lilit & Circé a ainsi disparu faute de repreneurs.

Les enjeux sont de taille. Soit l’institution opère ce revirement, soit elle laisse le champ libre aux prestataires privés qui finiront d’ailleurs par s’attacher les services des enseignants les plus innovants mais démotivés. Sans quoi, un jour, les écoles se videront faute d’élèves.

 

Crise de la lecture ou de la littératie ?… la crise de la culture permanente

Hannah Arendt
Image via Wikipedia

A l’heure où l’on évoque une crise de la lecture ou qu’on s’interroge sur la pertinence du classement Pisa, j’en profite pour revenir sur certains aspects autour de la littératie (voir aussi ici) et la notion de crise qui lui est souvent associé.
Malgré les critiques que l’on peut faire au classement Pisa, je crois quand même qu’il s’agit d’un faux procès et que le modèle finlandais est nullement imaginaire car il a probablement davantage travaillé d’autres manières de lire et d’écrire et chercher à relier les connaissances plutôt qu’à les éclater. D’autres part, la Finlande ne constitue pas une imaginaire réformateur mais reformateur ce qui implique une reconstruction institutionnelle et organisationnelle.
J’évoque donc dans ce passage le problème de la crise de la littératie :

Harvey Graff (1) a mis en évidence une crise de la littératie. Il distingue trois grandes tendances qui sont toutes les trois liées historiquement avec la notion de crise.

  • Les habiletés essentielles (lire, écrire, compter) et leurs mesures en fonction des résultats des élèves sont sans cesse l’enjeu de discours catastrophistes ou alarmistes et rejoignent la crainte perpétuelle de la baisse de niveau.
  • L’étroite relation qu’entretiennent la littératie et les compétences de base avec l’éducation morale et la citoyenneté. Les discours font de ces habiletés un préalable nécessaire à la bonne marche de la société.
  • L’émergence incessante et croissante de nouvelles littératies sur lesquelles nous reviendrons longuement ici. Ces littératies sont parfois liées à des effets de mode et nullement durables. Graff (2) cite ainsi la « geographical literacy », « cultural literacy » ainsi que la « teleliteracy », etc.

Graff considère que dernière la notion de littératie se projettent de nombreuses représentations très souvent liées à l’Education, ce qui explique les discours de crise qui l’accompagne. La notion est souvent peu expliquée et les réflexions se concentrent surtout autour des enjeux éducatifs, culturels et sociaux. Nous constatons en effet une obsession de l’évaluation et de la mesure de ces littératies. Or, il semble justement que les limites et les définitions sont trop floues pour en réaliser une mesure, ce qui aboutit à la crise de l’Education dont parle Hannah Arendt en 1960:

La crise générale qui s’est abattue sur tout le monde moderne et qui atteint presque toutes les branches de l’activité humaine se manifeste différemment suivant les pays, touchant des domaines différents et revêtant des formes différentes. En Amérique, un de ses aspects les plus caractéristiques et les plus révélateurs est la crise périodique de l’éducation qui, au moins pendant ces dix dernières années, est devenue un problème politique de première grandeur dont les journaux parlent presque chaque jour. (…) C’est que le problème ici ne se limite sûrement pas à l’épineuse question de savoir pourquoi le petit John ne sait pas lire. (3)


Une crise de la littératie qu’il est bien sûr tentant de rapprocher de la crise de la culture. Or la littératie se situe entre la culture et l’éducation selon les définitions. Elle est à la fois éducative car elle repose sur l’enseignement des savoirs de base, et culturelle dans le sens où il s’agit à la fois de s’intégrer à une culture et de s’inscrire en quelque sorte dans une tradition. Par conséquent, c’est bien en cela que le problème va bien au-delà de l’explication de l’incapacité à lire du petit John. La question de la tradition et de la transmission est donc posée.

[1]Harvey J. GRAFF. The Legacies of Literacy: Continuities and Contradictions in Western Culture and Society. Indiana University Press, 1987

2 Harvey J. GRAFF. The Labyrinths of Literacy: Reflections on Literacy Past and Present. Pittsburgh, PA: University of Pittsburgh Press., 1985, p.321

3 Hannah ARENDT. La crise de la culture. Op. cit. , p.223-224

Reblog this post [with Zemanta]

Développer l’analyse des clips musicaux : il nous faut des profs de littératie

Je pense de plus en plus que l’étude des clips musicaux mériterait une plus grande part dans l’Education. Les possibilités éducatives et culturelles sont multiples et permettent d’effectuer facilement des liens avec des œuvres de la littérature, avec d’autres références notamment cinématographiques.

Une telle étude permettrait de motiver la découverte de divers horizons et permettraient aux élèves d’aiguiser le regard critique face à la diversité des images qu’ils peuvent rencontrer.

Il ne s’agit pas de remplacer l’étude d’œuvres littéraires par des clips mais de procéder à un rééquilibrage ainsi qu’à de nouvelles méthodes pour tisser des liens entre les supports.

Il s’agit d’ouvrir davantage les élèves aux différentes lectures qui existent car comme nous l’avions évoqué précédemment avec notre définition de la littératie.

Rien qu’à partir d’un clip, il est parfois possible de réaliser des séquences assez poussées et motivantes pour les élèves. Evidemment, cela demande des connaissances variées qui nécessitent une culture générale variée (et pas seulement normée) mais aussi celle d’une culture numérique (au sens d’une maitrise des usages des objets numériques avec la capacité à manier cette matière numérique pour former et in-former -et non pas déformer les élèves).

Il est possible de partir de clips relativement populaires pour réaliser ce genre de travail. Je songe ainsi notamment aux clips de Mika qui résultent de syncrétisme musicaux divers et qui fourmillent de références intéressantes. C’est-à-dire qu’il faut réaliser à partir d’un clip, un examen hypertextuel –je rappelle que le texte dans la définition d’Yves Jeanneret est ce qui nécessite une lecture- qui peut nous mener à réaliser des éléments historiques de la musique disco, des comparatifs avec des œuvres cinématographiques, des séries TV, l’étude de texte notamment ceux de Lewis Caroll, les éléments mythologiques (le dieu cerf et ses éventuels prolongements dans les jeux de rôle), les feux d’artifices (histoire et propriété de la poudre), etc.

 

Bref, à partir du clip de Rain de Mika, il est possible par liaisons et rebonds d’étudier une variété de sujets à l’infini. Je tenterais d’en donner quelques pistes sur cactus acide dans le courant du mois de Janvier. L’occasion pour moi de rappeler que toutes les bonnes volontés sont acceptées pour cactus acide qui va sur ses deux ans. J’aimerais bien développer l’idée de séances de travail à partir de clips musicaux ou de publicités voire des courts extraits de films et de séries.

Selon moi, nous avons désormais davantage besoin de professeurs de littératie que de français ou de toute autre discipline. Or, depuis des années, nous avons fait l’inverse en cloisonnant et formant des spécialistes de leur domaine, estampillés d’une certification et d’une agrégation. Or, ce dont nous avons de plus en plus besoin, ce sont des tisseurs et des passeurs de savoirs qui incitent l’élève à mieux retenir en reliant des éléments avec d’autres, voire en les opposant pour développer des analyses critiques puis en les recomposant pour éventuellement commencer à créer et à innover. C’est alors seulement, que l’intérêt pour les disciplines et ses spécialisations peuvent apparaître. Les spécialisations didactiques doivent faciliter la compréhension et l’articulation des notions. Mais dans les faits, ce sont les éléments institutionnels qui ne font que séparer les connaissances au travers d’emplois du temps divisés par disciplines et classes de travail pour tenter non pas de faire progresser l’élève mais pour mieux le surveiller.

L’Education a donc perdu peu à peu ses bases essentielles que sont celles de l’étude et de la capacité à étudier à l’abri d’autres sollicitations que sont celles du neg-otium, du négoce ou du travail au service des autres.

Certes on peut certes déclamer qu’il faut changer de «  logiciel » ou affirmer l’importance de l’Ecole- ce que n’ont de cesse à répéter certains discours politiques- mais il n’y a bien souvent aucune vision concrète de ce qu’il faudrait faire. En grande partie, parce que beaucoup n’en ont aucune idée, et que d’autre part, un réel changement de logiciel nécessiterait un changement organisationnel massif et une reformation institutionnelle qui ne pourrait s’effectuer sans affronter les bastions institutionnels qui se sont constitués et qui sont bien loin d’avoir la malléabilité du numérique. Tout le monde veut bien que ça change, surtout si ça concerne l’autre.

Evaluation de l’information : l’éducation traditionnelle est-elle un obstacle ?

Dans le cadre d’un cours consacré à la méthodologie de la note de synthèse, j’en ai profité pour introduire quelques notions d’évaluation de l’information de documents présents sur le web et notamment les blogs en demandant aux étudiants d’essayer d’analyser la fiabilité de l’auteur.

L’exercice devient plus difficile quand il s’agit d’évaluer le contenu et là les réflexes sont ceux de l’éducation traditionnelle ou plutôt des dogmes éculés : les blogs c’est mauvais, wikipédia, il faut s’en méfier.

Je crois que la gestion de l’identité numérique est proche de l’évaluation de l’information notamment par le biais de la réputation, qui signifie étymologiquement évaluation. Dans les deux cas, il faut sans souvent laisser de côté des jugements rapides et des préjugés notamment ceux importés des sphères écrites.

Rien de plus énervant d’entendre dire des étudiants qu’un blog ce n’est pas fiable car « c’est ce qu’on nous a dit »… La veille école n’est plus dans le coup. La critique et l’évaluation doit donc se renouveler et il faut donc à nouveau à apprendre à lire.

Encore une fois, il ne s’agit pas de faire table rase du passé mais je crains qu’une bonne partie des formateurs ne soient tout simplement pas au niveau sur les aspects du numérique, à la fois techniquement mais aussi en matière informationnelle. Cela ne semble d’ailleurs pas prêt de changer. J’en appelle toujours à un sérieux new deal disciplinaire mais tant que la bonne vieille dichotomie et le partage du pouvoir entre les lettres et les mathématiques continuera d’écraser le système scolaire français, je ne vois aucune porte de sortie.

Un dualisme qui a souvent fait de nous des hémiplégiques d’ailleurs. Il y a bien des tentatives pour changer la donne, le système d’évaluation par compétences en était une. Mais souvent, elle n’est guère mieux pensée du fait qu’une compétence est très difficile à évaluer réellement lorsqu’on atteint des niveaux un peu plus complexes comme c’est le cas en ce qui concerne les aspects informationnels du B2I. Il reste toutefois qu’il est possible d’évaluer des compétences en tant que savoirs et savoir-faire sur des travaux de longue durée et de plus grand ampleur.

Je suis de plus en plus convaincu qu’au niveau de l’Education qu’à force de ne rien faire depuis plusieurs années si ce n’est quelques petits changements à la marge, de peur de froisser certains corporatismes notamment le fait que chacun considère sa discipline comme légitime et extrêmement importante, nous n’avons fait que conforter la puissance des lettres et des mathématiques. Or, au des évaluations PISA, c’est un échec, voire un échec total.

En conclusion, c’est quand qu’on se bouge ? L’évaluation de nos méthodes d’enseignement et de stratégies pédagogiques ne peut que nous inciter à revoir la donne, seulement nous ne sommes pas prêts. Dommage, car il est déjà trop tard pour certaines générations d’élèves.

L’effet loft dans l’éducation

La logique de la captivité connaissant des difficultés puisque les élèves sont de plus en plus tentés de faire l’école buissonnière, la dernière idée en date est celle de rémunérer l’assiduité. Stratégie parfois adaptée dans quelques écoles anglo-saxonnes, l’idée fait son chemin en France désormais.
Certes Christian Jacomino perçoit que l’objectif reste collectif et que ce n’est donc pas un but individuel. D’autres y voient du positif malgré les effets désastreux de la proposition.
En fait, l’aspect collectif est en fait pire et je ne suis pas loin de penser comme David Abiker qui a annoncé par dérision sur twitter et sur facebook la création de « Children cash »
Je suis persuadé que l’Education doit sortir de la captivité avec ses règles d’assiduité, ses journées à rallonge qui n’ont pas évolué depuis un siècle. Il faut aller vers la captation de l’attention pour former les élèves à l’attention, susciter leur intérêt et les convaincre que l’effort permet de passer des obstacles et constitue le socle de réussites. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’être présent à l’école pour apprendre. Il faut au contraire multiplier la diversité des supports de formation et varier les formes d’interventions des enseignants. Et cela ne peut se faire que par une diminution des heures de cours et de présence dans les établissements. Il faut aller vers des formes, que certains appelleraient de l’autonomie, mais que je préfère nommer projet d’individualisation (y compris collective), sous forme de projets plus ou moins longs, utilisant les possibilités du numériques et visant à mettre en oeuvre les savoirs et les notions acquis.
Or (j’avais écrit Hors dans un premier jet, comme un lapsus, merci à beverycool pour la remarque), une nouvelle fois, la direction n’est pas la bonne. C’est la logique du « pognon » qu’on nous impose, c’est le loft ou secret story qui devient le modèle avec des programmes indigents où l’objectif est celui de gagner de l’argent. Et puis cette logique collective n’est en fait que celle dénoncée depuis longtemps par Foucault, la surveillance des uns par des autres obtenus grâce à des carottes illusoires, en l’occurrence de l’argent. Celui qui déroge à la règle fait perdre le groupe. Mais ce n’est pas de sport dont il est question, mais d’argent. L’argent est la mesure de toutes choses, telle pourrait être la devise du princeps.
Aucun esprit collectif, ni sportif et encore moins éducatif dans cette mesure. Le plus tragique c’est qu’elle vient du pauvre Martin, pauvre misère… sauf que c’est l’éducation qu’il enterre.
Un esprit qui est celui du piège, du jeu pour pauvres, à l’instar de la française des jeux, comme forme d’imposition déguisée. Nous sommes très loin du prendre soin de la jeunesse et des générations de Stiegler. L’argent remplaçant le soin et la surveillance prenant le pas sur la veille.
Je ne suis pas un partisan des révolutions et des changements brusques mais je crains que désormais les années passant sans nouvelle vision éducative, il ne reste plus que la solution que de tout changer ou presque, au moins au niveau éducatif. Mais cela ne peut être que politique d’abord.
A ce propos, quand est-ce qu’on va se mettre à payer les électeurs qui auront bien voté ?