Le retour de la liste

 

La raison graphique demeure dans nos environnements avec comme dernier témoignage en date, l’effervescence sur twitter autour d’une fonctionnalité banale : la liste.

 

Désormais, il faut être listé, comme signe de recommandation. Le recommandable se doit d’être listé.

Finalement, ce sont les anciens instruments de filtrage, de classements qui demeurent. Rien de révolutionnaire dans le numérique. A l’instar des systèmes de partage de signets qui présentent des ressemblances avec les lieux communs, ces carnets de note des étudiants de la fin du MA et du début de la renaissance, le numérique ne fait qu’exploiter avec une ampleur plus importante d’anciennes techniques.

Quelque part, le retour à la liste pourrait paraître étrange dans des environnements basés théoriquement sur l’hypertexte. Encore une fois, il me semble qu’il ne faut pas opposer trop strictement la linéarité avec les potentialités de l’hypertexte. Le texte est déjà hypertexte.

Le meilleur exemple est démontré par le mind mapping. Il est aisé de transformer une simple liste en carte hypertextuelle et vice versa. La plupart des logiciels de mind mapping permettent de le faire aisément.

Au commencement, était certes le verbe, mais ensuite la liste : liste de commandements, listes des récoltes, listes des impôts, liste des courses, liste de ce qu’il ne faut pas oublier, liste des exceptions, etc. Les civilisations humaines semblent toujours tourner autour de cette fameuse liste sur laquelle il faut parfois figurer quand il s’agit d’une forme de reconnaissance : qui sera sur la liste de Raymond ? (Je note d’ailleurs que je figure sur la liste des remplaçants d’@asiledefoot sur twitter)

Mais parfois, il s’agit de ne pas y figurer tant elle est associée à une mort programmée.

La liste est ainsi l’exemple de l’hypomnemata par excellence du support de mémoire de base le plus efficace tout en constituant un pharmakon, permettant les plus grandes avancées organisationnelles notamment en matière scientifique via des classifications mais en constituant inversement le summum de l’horreur, de l’individu transformé en simple donnée à traiter…et souvent à faire rayer.

update : Patrick Pecatte me signale cette interview d’Umberto Eco qui évoque longuement les listes.

Au-delà des murs

Le passage de la loi Hadopi et des autres lois de surveillance des activités des internautes témoigne de la volonté d’instaurer une société de surveillance qui ne peut inciter qu’à la création d’un cercle vicieux.

Dès lors, l’internaute lambda se sachant coupable potentiel et surveillé par les institutions et notamment des sociétés privées payées au frais du contribuable, cherchera à échapper de plus en plus à cette méfiance que porte à son encontre l’institution républicaine désormais aux mains des industries de service.

L’institution devenant peu digne de confiance, de la méfiance, le passage à la défiance s’en trouvera tout naturel.

Une défiance qui nous lancera dans une suite sans fin pour se cacher de l’œil de Sauron avec utilisations de nouveaux outils comme les VPN ou bien encore les nouveaux plugins Firefox qui nous permettront d’échanger dans un relatif anonymat.

Tout cela ne fait qu’accentuer la distance qui se creuse entre responsables politiques nationaux, chef d’entreprise du CAC 40 et autres lobbyistes qui cherchent à préserver leurs pré-carrés souvent mal acquis d’ailleurs. (Nous songeons notamment à la privatisation douteuse de TF1 et son attribution au groupe Bouygues mais à tous les autres attributions de marché qui malgré les règles font que nous ne pouvons distinguer les industriels de nos responsables politiques)

Il n’y a qu’une réponse face à une société de l’information et de la surveillance, celle de la culture et de la communauté. Communauté ne signifiant nullement communautarisme mais rassemblement de nos différentes identités au sein d’une communauté de partage de moyens et d’objectifs. La culture étant cette voie de la construction d’où l’opposition que je vois parfois entre culture de l’information et société de l’information.

Si nous ne pouvons plus avoir confiance en nos dirigeants, il nous désormais avoir confiance en nous. D’ailleurs, la nation, concept historiquement daté, ne peut constituer un cadre de réponse adéquat. Tout porte à croire d’ailleurs que depuis que le mur de Berlin est tombé, l’incapacité à penser un nouveau monde cosmopolite nous fait cruellement défaut. La chute du mur s’est transformée en triomphe des marchés financiers et nullement en triomphe de la démocratie. Sur ce point, Fukuyama s’est trompé en exagérant le pouvoir du capitalisme. Il ne s’agit donc pas non plus d’y répondre par une nouvelle internationale, mais par un au-delà des nations et des religions, un réel supranationalisme afin de pouvoir contrôler les flux financiers des multinationales et de pouvoir mettre en place des projets d’envergure mondiale.

Intervention au Luxembourg au symposium « digital humanities »

Je mets en ligne en ligne mon intervention au symposium sur l’histoire contemporaine qui se déroule à Luxembourg.
Le colloque concerne plutôt l’histoire mais d’intéressantes pistes et réflexions ont été avancées et présentées qui intéressent les sciences de l’information et de la communication.
Mes propos concernaient surtout une position qui est celle de la culture technique quant à l’usage des nouveaux outils et notamment ceux du web 2.O

L’effet loft dans l’éducation

La logique de la captivité connaissant des difficultés puisque les élèves sont de plus en plus tentés de faire l’école buissonnière, la dernière idée en date est celle de rémunérer l’assiduité. Stratégie parfois adaptée dans quelques écoles anglo-saxonnes, l’idée fait son chemin en France désormais.
Certes Christian Jacomino perçoit que l’objectif reste collectif et que ce n’est donc pas un but individuel. D’autres y voient du positif malgré les effets désastreux de la proposition.
En fait, l’aspect collectif est en fait pire et je ne suis pas loin de penser comme David Abiker qui a annoncé par dérision sur twitter et sur facebook la création de « Children cash »
Je suis persuadé que l’Education doit sortir de la captivité avec ses règles d’assiduité, ses journées à rallonge qui n’ont pas évolué depuis un siècle. Il faut aller vers la captation de l’attention pour former les élèves à l’attention, susciter leur intérêt et les convaincre que l’effort permet de passer des obstacles et constitue le socle de réussites. Cela signifie qu’il ne suffit pas d’être présent à l’école pour apprendre. Il faut au contraire multiplier la diversité des supports de formation et varier les formes d’interventions des enseignants. Et cela ne peut se faire que par une diminution des heures de cours et de présence dans les établissements. Il faut aller vers des formes, que certains appelleraient de l’autonomie, mais que je préfère nommer projet d’individualisation (y compris collective), sous forme de projets plus ou moins longs, utilisant les possibilités du numériques et visant à mettre en oeuvre les savoirs et les notions acquis.
Or (j’avais écrit Hors dans un premier jet, comme un lapsus, merci à beverycool pour la remarque), une nouvelle fois, la direction n’est pas la bonne. C’est la logique du « pognon » qu’on nous impose, c’est le loft ou secret story qui devient le modèle avec des programmes indigents où l’objectif est celui de gagner de l’argent. Et puis cette logique collective n’est en fait que celle dénoncée depuis longtemps par Foucault, la surveillance des uns par des autres obtenus grâce à des carottes illusoires, en l’occurrence de l’argent. Celui qui déroge à la règle fait perdre le groupe. Mais ce n’est pas de sport dont il est question, mais d’argent. L’argent est la mesure de toutes choses, telle pourrait être la devise du princeps.
Aucun esprit collectif, ni sportif et encore moins éducatif dans cette mesure. Le plus tragique c’est qu’elle vient du pauvre Martin, pauvre misère… sauf que c’est l’éducation qu’il enterre.
Un esprit qui est celui du piège, du jeu pour pauvres, à l’instar de la française des jeux, comme forme d’imposition déguisée. Nous sommes très loin du prendre soin de la jeunesse et des générations de Stiegler. L’argent remplaçant le soin et la surveillance prenant le pas sur la veille.
Je ne suis pas un partisan des révolutions et des changements brusques mais je crains que désormais les années passant sans nouvelle vision éducative, il ne reste plus que la solution que de tout changer ou presque, au moins au niveau éducatif. Mais cela ne peut être que politique d’abord.
A ce propos, quand est-ce qu’on va se mettre à payer les électeurs qui auront bien voté ?

L’individualisation plutôt que l’autonomie

L’autonomie fonctionne souvent comme un mirage en matière éducative. Elle n’a de fait qu’un sens sans cesse relatif. L’individu est autonome dans certaines situations et certaines circonstances avec le paradoxe que cette autonomie doit néanmoins être constatée a posteriori. Sa présence dans le socle commun est issu de constats datés voire dépassés.
L’autonomie, c’est un peu le référentiel de compétences en un seul mot magique, bref le package complet. Je serai pour lui substituer le concept de majorité, c’est-à-dire l’accès à une majorité intellectuelle, culturelle et technique. Nous ne sommes jamais totalement autonomes, c’est même en soi impossible.
L’autonomie c’est souvent la vision d’une capacité à pouvoir agir seul sans l’aide des autres. Or, il semble qu’agir avec les autres, en fonction des autres voire pour les autres est tout aussi important. Voilà pourquoi en matière éducative, je préfère entendre parler de parcours individualisé, de systèmes permettant à chacun de progresser à des rythmes différents. De plus, il s’agit de réfléchir aux autres moyens d’apprendre que la médiation directe de l’enseignant. Ce qui ne signifie pas que l’enseignant n’est pas présent de manière indirecte, notamment lorsqu’il s’appuie sur des systèmes numériques, type cours en ligne, avec progression guidée et exercices enregistrés ce qui lui permet de vérifier la réussite ou non. C’était le but de Lilit & Circé. (aujourd’hui ce projet est mort faute de repreneurs)
Ce qui importe c’est donc les méthodes, ces chemins qui permettent à l’élève et à l’individu d’apprendre, de se construire, de se forger. C’est un apprentissage sans fin, une tension qui est celle de l’individualisation comme participant à un nous, c’est-à-dire une littératie de participation.
Plutôt que d’autonomie, il s’agit d’avantage d’attention, à la fois comme capacité à pouvoir se concentrer durablement mais aussi comme moyen de pouvoir échapper à ceux qui cherchent à la capter. C’est également l’attention que l’on se porte à soi, en tant que prise de soin autant de son corps que de son esprit. Mais c’est surtout l’attention que nous portons sur les autres.

Sainte thèse

Me voilà officiellement docteur en sciences de l’information et de la communication depuis hier.
Une aventure pleine d’apprentissages et de découvertes mais aussi semée d’embûches diverses et variées qui ont eu quelques incidences au niveau santé.
La thèse, avec tous ses défauts et ses éventuelles polémiques devraient être en ligne d’ici peu.
Je livre le support que j’ai utilisé pour la soutenance…et qui ne suit pas le plan de la thèse, histoire de ménager le suspens.

Je reviendrai sur le blog, sur certains enseignements de ce travail.
Mais désormais, d’autres chantiers m’attendent.

Doukipudonktan!

Kairos ~ 96
Image by Angélique ~ via Flickr

Doukipudonktan ! Je ne vois aucune autre interjection pour qualifier la fin possible de zazieweb.
C’est en fait toujours la même histoire qui se répète. Il y avait déjà eu mauvais genres. Moi même, j’ai échoué à faire reprendre d’autres projets que j’avais mené, notamment une base de cours en ligne à destination des professeurs documentalistes. J’ai échoué d’ailleurs dans la reprise de pas mal d’autres projets du même type. L’institution finit par démotiver les meilleures volontés qui finissent par aller ailleurs.
L’institution n’est pas la hauteur, ou plutôt ceux qui les dirigent. Ces derniers sont trop souvent  des managers qui présentent de forts déficits de compétences de terrain. Résultat, les bonnes idées sont souvent là, développées à la marge par des personnes motivées et intéressantes mais qui ne peuvent totalement suivre le mouvement dès que leur idée connait un certain succès, surtout si l’objectif n’est pas commercial. Pourtant la richesse est là, mais il est à craindre que plus ça va, plus le champ semble laisser libre à Google et compagnie.
Le problème, c’est qu’on ne prête qu’aux riches. Votre projet rapporte et reçoit d’autres financements, tant mieux, on va vous en donner d’autres. Si votre objectif est d’améliorer la connaissance, de faire progresser le partage de savoirs ou le partage tout court, vous ne rentrez pas dans la logique du toujours plus, des statistiques qui font plaisir aux dirigeants mais qui laissent la réalité bien loin des jolies courbes des données souvent bidonnées.
C’est dommage car il arrive parfois que des 40 000 euros soient mal dépensés.
Olivier Ertzscheid déplore à raison cette situation, tout comme Hubert Guillaud.
Cependant, cela ne peut que durer tant que l’on n’aura pas répondu à la question de Zazie dans le métro. Sinon les lamentins neurasthéniques vont envoyer Isabelle Aveline et beaucoup d’autres au cimetière des éléphants. En même temps, il est à craindre que beaucoup ne se préoccupent guère que Zazie ne finisse dans le caniveau.

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Outils sociaux : prolétarisation ou développement des capacités ?

Lovecraft Mythos
Image via Wikipedia

Régulièrement, l’éclosion de nouveaux outils font apparaitre incessamment la nécessité de s’adapter, de se former aux nouvelles technologies et de développer des compétences nouvelles en la matière. Au fur et à mesure des dernières sorties technologiques, il nous faudrait sans cesse nous former, nous reformer voire nous déformer et ce dans une logique sans fin, sous peine de disparaître. Nous serions donc dans une ère d’évolution continue et perpétuelle qui mettrait nos habiletés, nos savoirs et compétences dans une perpétuelle bêta, qui outre une tératogenèse documentaire, ferait de nous des monstres et autres créatures étranges des mondes de Lovecraft, dont on finirait par percevoir de manière enfouie nos dernières traces d’humanité. C’est tout autant notre genèse que celle des objets techniques qui devient tellement complexe  que nous n’en comprenons plus l’évolution voire l’archéologie et la généalogie.
Dans cette logique du toujours plus, de la rustine intellectuelle, du pharmakon technologique, nous ne pouvons plus réellement évoluer du fait d’une instabilité permanente, loin d’un idéal de métastabilité permettant l’innovation.
La question donc demeure autour des technologies de l’information ou prétendues telles et notamment des outils du web 2.0. Je suis toujours d’avis qu’elles méritent une formation mais il s’agit selon moi d’une formation critique et distancée s’appuyant sur des éléments stables.
Car le risque est celui de former sans cesse à de simples usages et à quelques bonnes pratiques sans réellement aller au fond de chose…avec la prolétarisation totale de nos activités. Réaliser un beau diaporama et où une belle mise en page sur un logiciel de PAO ne signifie pas pour autant que l’on soit expert en communication.
La formation doit donc s’appuyer sur les potentialités des nouveaux outils, non pas pour demeurer dans une simple logique d’usage qui n’aboutirait qu’à une prolétarisation, c’est à dire une dépossession de nos savoirs, savoir-faire et savoir-être, au profit de ce même outils.
Il s’agit au contraire d’en profiter pour développer de réels savoirs, des capacités de lecture et d’écriture accrues véritablement durables, l’acquisition de capacités de réflexions autour de notions même complexes ainsi que le développement d’une connaissance poussée d’un environnement informatique et programmatique riche en interfaces et langages informatiques divers.
Évidemment, cela pose des questions d’organisation de la formation et ce depuis le début de l’Ecole. Une nouvelle fois, cela impose un new deal disciplinaire et la sortie de notre découpage actuel qui impulse des césures et la tragique dichotomie sciences dures/sciences humaines qui a fait de nombreux français des hémiplégiques.
En conclusion, nous retrouvons encore le côté double de ces outils, ces pharmaka, qui sont autant des instruments de formation que de déformation. Malheureusement, il semble que nous soyons en train de les utiliser plutôt de manière négative, posés comme de simples rustines, dans une logique de certification, quelque peu rassurante, mais qui démontre une absence de vision historique et des capacités de projection nulles.
Qu’on ne s’étonne guère de l’absence de politique éducative. Il n’y a plus de politique de civilisation. Il est vrai que les discours anti-idéologiques ont fini par nous soumettre à une nouvelle forme de fatalité qui fait des aléas des marchés de la finance, les nouveaux dieux de l’Olympe.
Pourtant, il nous semble qu’il faille réveiller les titans et se mettre à construire différemment. Cela nous invite également à envisager de nouvelles politiques notamment éducatives tant que ce qui nous menace n’est pas une société sans Ecole – mais plutôt une école sans société.

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Les naïfs du numérique

Je suis de plus en plus convaincu que l’expression les natifs du numérique est une hérésie et si l’expression peut être opportune, c’est essentiellement de manière négative. Finalement, les naïfs du numérique sont bien plus nombreux que les natifs.
J’en tiens à nouveau pour preuve mes étudiants de deuxième année en IUT à Lyon qui suivent pourtant une formation en documentation.
La plupart ne sont pas du tout au fait des technologies liées au web 2.0, netvibes étant à peine connu.
De plus, il serait tentant d’imaginer qu’en la matière, ils disposent de qualité d’adaptation. Mais non, l’usage de netvibes n’est pas du tout instantané.
Peu connaissent également twitter, un seul usager sur 23 élèves mais le plus notable est encore cette méconnaissance historique.
Mes étudiants sont nés en même temps que la création du Web. Cependant, aucun n’est capable de situer historiquement la création de l’Internet et la mise en place du web.
Ils admettent d’ailleurs que l’expression de digital natives est ridicule et qu’elle ne leur correspond guère. Ils s’interrogent également sur l’expression « génération Y ».
Tout cela démontre que nos naïfs du numérique présentent un fort besoin de formation y compris dans les usages du numérique.
Je dois avouer que je ne suis guère surpris, ayant pu cotoyer ces générations quand j’étais au collège.
Je note que cela démontre amplement l’échec des politiques administratives de style B2I et probablement la nouvelle illusion des politiques de certification à la chaine C2I.
La culture de l’information et la culture technique sont très loin d’être acquises. La culture de l’information s’acquiert et se réalise via la formation. Je ne partage donc pas l’idée d’une culture de l’information quasi native ou symbiotique comme nous pouvons le voir dans cet article. Nous ne vivons pas dans une culture de l’information mais plutôt dans un environnement de données diverses qui ne se transforment pas en connaissances nécessairement et qui sont autant déformantes que formantes.
Creative Commons License photo credit: Philippe Guillaume
cueva del tiburón