L’autonomie fonctionne souvent comme un mirage en matière éducative. Elle n’a de fait qu’un sens sans cesse relatif. L’individu est autonome dans certaines situations et certaines circonstances avec le paradoxe que cette autonomie doit néanmoins être constatée a posteriori. Sa présence dans le socle commun est issu de constats datés voire dépassés.
L’autonomie, c’est un peu le référentiel de compétences en un seul mot magique, bref le package complet. Je serai pour lui substituer le concept de majorité, c’est-à-dire l’accès à une majorité intellectuelle, culturelle et technique. Nous ne sommes jamais totalement autonomes, c’est même en soi impossible.
L’autonomie c’est souvent la vision d’une capacité à pouvoir agir seul sans l’aide des autres. Or, il semble qu’agir avec les autres, en fonction des autres voire pour les autres est tout aussi important. Voilà pourquoi en matière éducative, je préfère entendre parler de parcours individualisé, de systèmes permettant à chacun de progresser à des rythmes différents. De plus, il s’agit de réfléchir aux autres moyens d’apprendre que la médiation directe de l’enseignant. Ce qui ne signifie pas que l’enseignant n’est pas présent de manière indirecte, notamment lorsqu’il s’appuie sur des systèmes numériques, type cours en ligne, avec progression guidée et exercices enregistrés ce qui lui permet de vérifier la réussite ou non. C’était le but de Lilit & Circé. (aujourd’hui ce projet est mort faute de repreneurs)
Ce qui importe c’est donc les méthodes, ces chemins qui permettent à l’élève et à l’individu d’apprendre, de se construire, de se forger. C’est un apprentissage sans fin, une tension qui est celle de l’individualisation comme participant à un nous, c’est-à-dire une littératie de participation.
Plutôt que d’autonomie, il s’agit d’avantage d’attention, à la fois comme capacité à pouvoir se concentrer durablement mais aussi comme moyen de pouvoir échapper à ceux qui cherchent à la capter. C’est également l’attention que l’on se porte à soi, en tant que prise de soin autant de son corps que de son esprit. Mais c’est surtout l’attention que nous portons sur les autres.
Catégorie : Education
Outils sociaux : prolétarisation ou développement des capacités ?

- Image via Wikipedia
Régulièrement, l’éclosion de nouveaux outils font apparaitre incessamment la nécessité de s’adapter, de se former aux nouvelles technologies et de développer des compétences nouvelles en la matière. Au fur et à mesure des dernières sorties technologiques, il nous faudrait sans cesse nous former, nous reformer voire nous déformer et ce dans une logique sans fin, sous peine de disparaître. Nous serions donc dans une ère d’évolution continue et perpétuelle qui mettrait nos habiletés, nos savoirs et compétences dans une perpétuelle bêta, qui outre une tératogenèse documentaire, ferait de nous des monstres et autres créatures étranges des mondes de Lovecraft, dont on finirait par percevoir de manière enfouie nos dernières traces d’humanité. C’est tout autant notre genèse que celle des objets techniques qui devient tellement complexe que nous n’en comprenons plus l’évolution voire l’archéologie et la généalogie.
Dans cette logique du toujours plus, de la rustine intellectuelle, du pharmakon technologique, nous ne pouvons plus réellement évoluer du fait d’une instabilité permanente, loin d’un idéal de métastabilité permettant l’innovation.
La question donc demeure autour des technologies de l’information ou prétendues telles et notamment des outils du web 2.0. Je suis toujours d’avis qu’elles méritent une formation mais il s’agit selon moi d’une formation critique et distancée s’appuyant sur des éléments stables.
Car le risque est celui de former sans cesse à de simples usages et à quelques bonnes pratiques sans réellement aller au fond de chose…avec la prolétarisation totale de nos activités. Réaliser un beau diaporama et où une belle mise en page sur un logiciel de PAO ne signifie pas pour autant que l’on soit expert en communication.
La formation doit donc s’appuyer sur les potentialités des nouveaux outils, non pas pour demeurer dans une simple logique d’usage qui n’aboutirait qu’à une prolétarisation, c’est à dire une dépossession de nos savoirs, savoir-faire et savoir-être, au profit de ce même outils.
Il s’agit au contraire d’en profiter pour développer de réels savoirs, des capacités de lecture et d’écriture accrues véritablement durables, l’acquisition de capacités de réflexions autour de notions même complexes ainsi que le développement d’une connaissance poussée d’un environnement informatique et programmatique riche en interfaces et langages informatiques divers.
Évidemment, cela pose des questions d’organisation de la formation et ce depuis le début de l’Ecole. Une nouvelle fois, cela impose un new deal disciplinaire et la sortie de notre découpage actuel qui impulse des césures et la tragique dichotomie sciences dures/sciences humaines qui a fait de nombreux français des hémiplégiques.
En conclusion, nous retrouvons encore le côté double de ces outils, ces pharmaka, qui sont autant des instruments de formation que de déformation. Malheureusement, il semble que nous soyons en train de les utiliser plutôt de manière négative, posés comme de simples rustines, dans une logique de certification, quelque peu rassurante, mais qui démontre une absence de vision historique et des capacités de projection nulles.
Qu’on ne s’étonne guère de l’absence de politique éducative. Il n’y a plus de politique de civilisation. Il est vrai que les discours anti-idéologiques ont fini par nous soumettre à une nouvelle forme de fatalité qui fait des aléas des marchés de la finance, les nouveaux dieux de l’Olympe.
Pourtant, il nous semble qu’il faille réveiller les titans et se mettre à construire différemment. Cela nous invite également à envisager de nouvelles politiques notamment éducatives tant que ce qui nous menace n’est pas une société sans Ecole – mais plutôt une école sans société.
Diaporama de l’intervention à Nimes
Voici le diaporama de mon intervention à Nîmes dont je garde un excellent souvenir.
L’information en déformation
Plusieurs discours et vidéos tentent actuellement de définir l’information.
Selon nous, plusieurs erreurs sont commises et ainsi véhiculées.
L’information peut être ainsi définie par son contraire…qui n’est pas en premier lieu, la désinformation mais la déformation. L’information suppose une prise de forme. C’est la théorie d’Aristote et du schème hylémorphique où le potier donne forme à la glaise. C’est aussi la vision de Simondon qui fait de l’individu (technique et humain) celui qui conserve et transforme l’information.
Cela signifie pour les individus humains, que la formation constitue une part importante de l’information et que par conséquent la vision, orientée société de l’information, qui fait de l’information une matière première, quasi préexistante et objectivée est erronée.
L’information est de plus en plus considérée comme informe (quel paradoxe!) et devant circuler sans cesse. Le fait que tout soit souvent considéré comme information s’explique par la difficulté à comprendre et distinguer les notions de document, de source et d’auteur. Même si ces notions sont parfois complexes, elles sont parfois plus aisées à circonscrire que la notion d’information éminemment polysémique.
Voilà pourquoi, je suis fortement en désaccord avec les deux vidéos ci-dessous :
Dans cette vidéo, il y a néanmoins la mise en avant de prise de forme de l’information mais la trop grande séparation entre le contenu et le contenant reste trop simpliste. (Merci à la petite passerelle qui a déniché cette vidéo)
Dans la vidéo suivante, correspondant à un processus de veille, l’information est en fait tamisée. Mais on a la désagréable impression, que l’information existe en soi. D’autre part, en ce qui concerne l’évaluation de l’information, je ne suis pas en accord avec l’intervenant qui insiste sur le caractère subjectif de l’évaluation. Il y a une confusion avec l’évaluation de la pertinence par rapport à un besoin d’information, et l’évaluation de la ressource ou du document qui ne peut être totalement subjective. On est ici au coeur du problème, si au lieu d’information, on parle de document, on peut alors faire intervenir les règles de l’évaluation avec l’identification de l’auteur, sa légitimité, la date du document, l’expression, la date, etc.
Ces visions qui n’impliquent pas une mise à distance participent fortement à la déformation des individus. Il n’y a pas d’arrêt sur image ou sur document pour procéder à son analyse et son évaluation. C’est la skholé qui s’oppose au zapping permanent.
Besoin d’affirmation versus besoin d’information (et de formation)
Les jeunes générations ne conçoivent pas les objets techniques dans une perspective pédagogique ou d’acquisition d’informations et de connaissances. Ce n’est en aucun cas, l’objectif premier de l’usage des blogs, des réseaux sociaux, des messageries instantanées ou du portable chez beaucoup d’usagers. Il s’agit d’une nécessité de s’intégrer et de montrer à la fois sa présence et son apport individuel au sein d’un collectif. Pour autant, il ne s’agit pas d’intelligence collective ou collaborative, mais davantage de sociabilité juvénile pour reprendre l’expression de Cédric Fluckiger (1). Les adolescents notamment cherchent à se distinguer également de la culture parentale ainsi que de la culture scolaire, démarche essentielle à la construction du jeune adulte. Pour autant, nous ne pouvons adhérer à une vision qui fait du jeune, un individu auto-formé par l’entremise des objets techniques et encore moins comme des experts du web 2.0 comme le qualifie de manière absurde un récent rapport (2) sur les européens entre 15 et 25 ans. Il ne faut donc pas confondre les différents besoins des jeunes générations. Les études sociologiques relèvent donc principalement le besoin d’affirmation qui repose notamment sur l’exhibition de son capital relationnel, et de son affiliation au groupe, partie intégrante de la définition de soi adolescente.
Il faut donc ne pas oublier les autres besoins et notamment les besoins d’information qui sont tout autant des besoins de formation.
Le besoin d’information n’est pas toujours perçu par les jeunes générations. Finalement ce n’est pas tant le besoin d’information qui devient préoccupant mais son dénuement. La conscience d’un besoin d’information n’est pas automatique. Nous observons à l’inverse plutôt un dénuement.
Faut-il pour autant parler de misère informationnelle au risque de retomber dans les discours quasi eschatologiques de la société de l’information ou bien dans certains textes revendicatifs de l’information literacy y voyant le kit de la survie dans un environnement informationnel souvent hostile ?
Qu’importe qu’elles soient négligentes (3) ou homo zappiens (4), ou digital natives, les jeunes générations ont un besoin de formation préalable au besoin d’information. Il n’est pas étonnant que des universitaires hollandais(4) constatent que la surinformation ne dérange pas les jeunes générations. Leur relation à la technique est fort différente, l’information est négligée car l’objectif est d’abord celui du besoin d’affirmation. Nous pensons qu’au contraire cette surcharge d’information n’est pas perçue du fait d’un manque de connaissance et de formation qui aboutit à un dénuement informationnel. Le fait de considérer l’institution scolaire comme désuète face à des adolescents branchés se trouve fortement accentué avec les enjeux institutionnels autour du phénomène web 2.0.
Nous songeons notamment aux mécanismes de popularité qui prennent le pas sur l’autorité. Nous constatons d’ailleurs que le besoin d’affirmation est le moteur de la popularité et que ce phénomène devient de plus en plus désagréable et observable sur la blogosphère, les réseaux sociaux, mais aussi twitter et…les incessantes manifestations diverses et variées sur le web 2.0 et ses dérivés divers selon les domaines :la mode des discussions sur l’identité numérique, les forums d’enseignants innovants où il faut sans cesse s’affirmer…C’est épuisant, lassant et cela ne fait que témoigner de cette prédominance du prophète sur le prêtre.
Quand va-ton enfin sortir de l’âge de la vitesse !
Il est au contraire grand temps de revaloriser la skholé, cette nécessaire prise de distance, cet arrêt pour se concentrer et réflèchir. Une formation à l’attention qui constitue une démarche d’éducation tout autant parentale qu’institutionnelle et qui repose sur la veille et la prise de soin et non l’agon (5)incessant qui nous guette au sein des communautés du web, c’est à dire cet échange-combat où il faut toujours s’affirmer par rapport à l’autre.
Comme disait Baschung, il faut savoir dire « STOP »
1. Cédric Fluckiger. L’évolution des formes de sociabilité juvénile reflétée dans la construction d’un réseau de blogs de collégiens. Doctoriales du GDR TIC & Société, Marne-la-Vallée.15-16 janvier 2007 < http://gdrtics.u-paris10.fr/pdf/doctorants/2007/papiers/Fluckiger_C.pdf
2. Wainer Lusoli, Caroline Miltgen. (2009) Young peopl and emerging digital services. An exploratory survey on motivations, perceptions and acceptantce of risk.JRC. European Commision < http://ftp.jrc.es/EURdoc/JRC50089.pdf>
3. Sur le concept de négligences, voir notre article :
Le document face aux négligences, les collégiens et leurs usages du document » InterCDI n° 2002, juillet 2006, p87-90
4. Wim Veen et Ben Vrakking, Homo Zappiens : growing up in a digital age (London: Network Continuum Education, 2006).
5. Olivier Galibert. (2002) Quelques réflexions sur la nature agonistique du lien communautaire. In Actes du colloque. Ecritures en ligne : pratiques et communautés. Sous la dir de Brigitte Chapelain. p.378-395 <http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/12/67/19/PDF/Actes_2_collo_ecritures_def2.pdf>
« Par moments, l’Homme a besoin de prendre le temps et de s’arrêter pour réfléchir… et cela, seul l’Homme est capable de le faire... » (Masamune Shirow faisant parler Daisuke Aramaki dans le manga Ghost In the shell)
Cours en ligne : blogues versus Plateformes ? Quand l’auteur n’est pas l’éditeur
Je travaille actuellement sur un article sur les cours en ligne et les enjeux d’autorité et d’éditorialité qui en découlent.
Je suis persuadé que bien souvent les dispositifs leurrent les enseignants en ce qui concerne les aspects éditoriaux.
En effet, les marges de liberté ne sont pas totales du fait de formes préétablies à l’avance que ce soit sur moodle, claroline, spirale et même sur les blogs. Je ne développerai pas ici ces aspects d’héritages, de formes héritées et transformées qui peuvent d’ailleurs également déformer.
Quand on est un peu doué, on parvient à bricoler via une culture technique et on demeure à peu près maitre de la situation, c’est à dire, dans un état de majorité face à la technique comme le décrit bien Gilbert Simondon. Mais pour cela, il vaut mieux être le patron de la situation en étant à la fois l’hébergeur, et celui qui installe et maintient la solution technique..sans quoi, vous pouvez être auteur de votre cours, vous n’en serez pas l’éditeur. Je ne parle pas nécessairement en terme juridique mais en terme pratique voire pédagogique.
Vous n’êtes pas à l’abri d’une panne technique, si ça plante et que c’est vous qui gérer :
-soit vous avez fait des sauvegardes car vous êtes prévoyant.
– soit vous n’en avez pas faites et c’est de votre seule responsabilité mais vous saviez à quoi vous vous exposiez.
Le problème c’est que la majorité des enseignants se font héberger, soit sur des blogs, soit sur des plateformes.
En clair, la chaine éditoriale demeure et se transforme et la possibilité de diffuser en ligne n’y change rien. Vous êtes sous la dominante en fait d’une chaine de responsabilités techniques parfois éloignées du pédagogique sans compter que se créent d’autres intermédiaires dans cette chaine, certains pédagogiques comme les tuteurs, d’autres techniques même s’ils se font appeler parfois ingénieurs pédagogiques ( et même si ces derniers n’ont jamais donné de cours bien souvent!)
En clair, vous n’êtes pas l’éditeur et cela devient très agaçant quand les plateformes deviennent des usines à gaz et vous n’avez pas l’impression de pouvoir effectuer une construction pertinente et une scénarisation optimale.
Mais le pire n’est pas là, c’est qu’il faut songer à sauvegarder votre cours et à en faire des sauvegardes si vous souhaitez le réimplanter ailleurs. Cela ne vous empêchera pas d’avoir certaines pertes et notamment tout le processus éditorial de scénarisation et de mise en page le plus souvent, notamment si vous changez de plateformes!
Voilà pourquoi, parfois, je préfère réaliser ces derniers temps des cours en ligne simplement avec wordpress, hébergé par mes soins ou par wordpress.com sachant qu’une sauvegarde en xml me suffit. Le blogue semble mieux répondre à mes intérêts éditoriaux.
Sinon, vous n’avez aucune garantie…et notamment le fait de voir votre cours disparaître purement et simplement comme ce fut mon cas sur la plateforme cursus de Rennes 2. Le cours qui est un prolongement d’un cours en présentiel datait effectivement d’il y a deux ans. J’avais effectué une sauvegarde mais ce qui m’intéressait justement, c’était la mise en page effectuée et tout le travail éditorial pour donner un sens au contenu.
A la poubelle tout cela, sans un mot. Autant dire qu’on n’est mieux servi que par soi-même et que les enseignants ont intérêt à veiller à ne pas se faire déposséder dans ces domaines…
Je m’en remets donc à vos avis et vos préférences entre blogues et plateformes. Je suis également intéressé par tous types de blogs servant de supports à des cours, du primaire à l’université.
Le Ka documentarisé sur archivesic
Mon texte sur le Ka documentarisé est désormais accessible sur archivesic.
résumé :
Le Ka documentarisé est le double numérique constitué de nos activités volontaires ou non sur les divers réseaux et qui se voient de plus en plus indexées. L’individu devenu document est utilisé ainsi à divers usages notamment liés à la surveillance ou à l’exploitation commerciale et publicitaire. Le double numérique se joue entre une identité passive difficile à contrôler et une identité active qu’il convient de construire. L’enjeu de la culture de l’information est de former à la bonne gestion de ce double qui véhicule la réputation de l’individu. Par conséquent, les objectifs et les ambitions de cette dernière se rapprochent de la voie amorcée par la translittératie. Il s’agit donc de former non seulement à la recherche d’information mais également à la conscience de ses activités numériques, à l’identification du besoin de communication et au bon usage communicationnel.
L’ensemble des articles de la conférence est également disponible dans l’ouvrage Traitements et pratiques documentaires : vers un changement de paradigmes. Actes de la deuxième conférence. Document numérique et société, 2008 aux éditions de l’Adbs.

Pour rappel, le document de présentation est disponible ici
Repost : L’éducation doit sortir de la captivité
C’est les vacances, et je n’ai pas le temps de bloguer véritablement. Je donne donc une nouvelle chance aux billets peu lus cette année et qui méritaient peut-être mieux. Voici donc le premier qui mérite cette remise au premier plan:
L’idéal d’une société de surveillance telle que celle que je décris sous le nom d’Arcadie pourrait être la possibilité de contrôler avant l’acte via un système de pré-voyance à la minority report c’est-à-dire sanctionnant avant la réalisation de l’hypothétique acte criminel. Ce fonctionnement pourrait être réalisé soit pas la détection précoce assistée par la génétique, soit par des processus normatifs conduisant à une autodiscipline.
Or l’institution scolaire doit faire face aux mêmes dilemmes et se trouve divisée par une ligne de divergences avec d’un côté les velléités de l’industrie de services et la vision managériale éducative basée principalement sur des critères, compétences, l’imposition de politiques diverses et plus ou moins cohérentes et de l’autre ce qu’on pourrait qualifier de vision pédagogique et éthique. Chacun d’entre nous piochant d’ailleurs de l’un ou l’autre côté.
La première se voudrait réaliste, la seconde idéaliste. Or, il est probable qu’aucune ne parvient véritablement à atteindre ses objectifs, la première confondant la réalité et les chiffres, la seconde en étant incapable de réagir et d’évoluer en partie parce qu’elle repose sur des a priori, des dogmatismes, voire des visions dépassées.
Mais notre propos est de montrer que toutes ces oppositions reposent sur un même principe : celui de la captivité et de la volonté disciplinaire qui en découle. Foucault affirmait :
« Quoi d’étonnant si la prison ressemble aux usines, aux écoles, aux casernes, aux hôpitaux, qui tous ressemblent aux prisons. » (Foucault. P.264 Surveiller et punir.Ed. Gallimard)
Si les industries de programme sur lesquelles reposent la télécratie et probablement la culture du pitre a depuis longtemps changé de stratégie en parvenant à gagner d’années en années du temps de captation de l’esprit, qu’en est-il de l’éducation qui repose toujours des systèmes contraignants, inhibants et inefficaces au possible. Que l’on soit plutôt pro méthodes traditionnelles ou pro méthodes pédagogiques, le modèle demeure au final celui de « la petite écolière qui suit les consignes ». Bref, rien n’a véritablement changé entre les cours qui commencent vers 8h du matin et qui se termine vers 17-18h. Que dire si ce n’est que ce système de captivité devient dépassé, débilisant et qu’il est très loin de conduire à l’autonomie prisée dans le socle commun. Il n’est guère étonnant dès lors de voir des élèves réfractaires, d’autres peu motivés et un ensemble d’acteurs dont les enseignants qui au final ne semble guère heureux dans ce système. Les esprits de nos élèves sont souvent ailleurs : leur capacité d’attention ne pouvant tenir un tel rythme de manière optimale. D’autant que les médias sont déjà parvenus à récupérer une grande partie de cette attention en rendant captifs nos élèves de manière mentale et sensorielle. Tel est d’ailleurs le but de l’économie de l’attention dont les velléités se poursuivent sur le web, la téléphonie mobile et tout autre hypomnemata des technologies de contrôle. Or l’Ecole continue de procéder par captivité physique principalement et n’obtient qu’au final un fort rejet psychologique.
Que faut-il donc faire ?
L’Ecole doit procéder d’une autre manière c’est évident sans pour autant faire table rase du passé. Il faut imaginer des processus plus actifs, plus participatifs, co-contructifs, à la fois individualisés mais aussi collaboratifs notamment grâce aux nouvelles technologies. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans l’utopie, qui dit suivi individualisé, évoque également la possibilité technique de surveiller plus efficacement le réel travail de l’élève. Les plateformes d’enseignement en ligne sont ainsi très efficaces. Une démarche éthique et d’information des élèves devra donc s’opérer mais elle aura le mérite d’alerter les élèves sur la gestion de leurs traces en dehors de la sphère scolaire où l’éthique sera moindre. C’est pourquoi, je prône plus d’usages pédagogiques des outils informatiques et ce de manière non artificielle comme cela demeure encore trop le cas dans les dispositifs b2I. Pédagogique n’exclut pas non plus le ludique à condition que ce dernier nous permette de faire acquérir de manière plus agréable et efficace ce qui relève du fastidieux et de l’effort indispensable (tables, grammaire, conjugaison, rigueur, etc.)
Il convient de réagir vite avant que les industries de service n’opèrent le glissement vers la captivité virale qui fait de chacun de nous un instrument de la dé-formation collective. Il suffit d’observer les blogs de skyrock.com pour être conscient de l’avancée du phénomène. Le prochain objectif est de transformer les cibles passives en acteur prosélyte, diffuseur viral de la culture du pitre, privé de sa libido et de son individuation.
Les hypomnemata actuels évoluent. Il convient donc qu’ils soient avant tout le socle d’un milieu associé garant d’une individuation psychique et collective, d’une avancée privilégiant l’avancée vers une communauté de savoirs privilégiant la durée face à une société de l’information entropique sans cesse adaptionniste.
Il donc grand temps de réformer ou plutôt de re-former.
Remarques sur le rapport Assouline
Il y a des éléments fortement intéressants dans le rapport Assouline. Certes, on déplorera le choix d’emblée de commencer par des propositions négatives (et peu convaincantes ?) dans le genre interdiction des webcams dans les messageries instantanées. J’ai toujours la crainte que ça ne finisse par cacher le reste.
La première partie tente de faire le point sur les relations entre les jeunes générations et les technologies de l’information. Le rapport reste parfois sur des lieux communs qui ne permettent pas toujours de bien saisir la complexité de la situation. Il aurait été opportun de retrouver en plus quelques analyses d’ars industrialis mais il est vrai que l’exhaustivité en la matière est impossible. Néanmoins, le rapport cite quelques sources fiables notamment celles de Mimi Ito entre autres. Nous pouvons aussi remarquer que l’importance des enseignants-documentalistes a été bien perçue et qu’outre évidemment le Clemi, la Fadben, Pascal Duplessis et Jean Louis Durpaire sont cités. Le rapport parait donc assez équilibré et propose des pistes concrètes.
Quelques constats semblent consensuels et nous ne pouvons que les partager :
Alors que les jeunes jouissent d’une réelle liberté grâce à leur maîtrise des nouvelles technologies, l’absence frappante de la famille et de l’école les laisse abandonnés, sans repères, dans un monde multimédiatique omniprésent. A cet égard, les autorités ont donc un rôle d’émancipation à jouer afin de libérer les jeunes en leur donnant un regard critique et distancié sur leurs pratiques.
Une culture de l’information biaisée :
L’expression est donc employée dans le rapport et montre que cette culture de l’information des jeunes générations comporte des lacunes :
Les jeunes n’ont pas forcément conscience que les conditions de production de l’information, le support ou le canal de diffusion ne sont pas neutres sur Internet et qu’ils conditionnent la forme des messages, induisent une série de choix et donc surdéterminent leur contenu.
C’est donc fort logiquement que le rapporteur en arrive à cette conclusion :
Ce qu’il faut donc, en France, c’est une éducation aux médias qui soit un enseignement à l’analyse critique de l’image
Nous ne pouvons que partager cette nécessité de distance critique à enseigner. Les problèmes liés à la formation (et donc à la déformation) par les images notamment de la télévision et de l’ensemble des médias sont décrits :
Il est également sociétal en ce que les images façonnent la représentation que l’enfant se fait du monde : surévaluation de la violence dans la réalité, vision négative de l’avenir, tolérance plus grande à l’égard de comportements agressifs et sexistes.
Ici, nous serions tentés de dire que cela ne concerne pas que les jeunes et que les plus grandes victimes des médias sont de loin les plus âgées…Certes ce n’était pas l’objectif du rapport, mais la méconnaissance des médias des générations qui restent scotchés devant leur télé et qui sont ainsi objets de manipulation est un point qui est trop souvent oublié selon nous. Or ce sont les parents et les grands-parents de nos élèves et de nos étudiants…ce qui explique l’inconsistance de la transmission dans ces domaines. Nous serions tentés de dire que l’état de minorité face aux médias ne concerne pas que les jeunes générations.
Le rapport propose de prolonger les étiquetages et les labels sur tous les médias. Si l’idée de label et d’autres moyens de distinction positive peuvent être encouragés, je ne suis pas convaincu par les stratégies d’interdiction comme à la télévision. Je crains qu’à l’inverse, le fait d’interdire aux moins de 18, 16 ou 12 ans ne produit qu’un effet de séduction renforcée, fortement courant chez les adolescents. Le rapport n’est pas naif et est conscient qu’il existe des moyens d’échanges qui échappent aux filtres. Sur ces questions de pornographie, de violence et autres désinformations, il nous semble que le problème est d’abord est extérieur à l’Internet : où et qui sont les pédophiles (qui sévissent plus souvent d’ailleurs au sein des familles ce qu’oublie Action Innocence)
Internet n’est donc pas la seule donnée à prendre en compte dans ces questions.
Le rôle des professeurs-documentalistes dans l’Education aux médias
Assouline souligne que désormais cette prise en compte des nouveaux médias ne peut résider dans les mêmes apprentissages qui s’effectuent depuis des décennies. C’est une critique à l’immobilisme de l’Education Nationale ou tout au moins à l’incapacité à réellement éduquer par et avec les médias :
La question qui se pose dès lors est de savoir si l’esprit critique développé par l’analyse de texte peut s’exercer sur les nouveaux médias. Votre rapporteur ne le pense pas. Convaincu de l’intérêt d’un enseignement spécifique à la compréhension des médias contemporains, il a établi un état des lieux de l’éducation aux médias puis dégagé quelques pistes de modernisation.
Institutionnellement, David Assouline propose donc de clairement de revaloriser le métier de professeur-documentaliste :
Le rapport recommande la rédaction d’une nouvelle circulaire de définition du métier de documentaliste.
– il appelle en premier lieu à une revalorisation forte du métier de professeur documentaliste qui passe par l’attribution claire de responsabilités en matière d’éducation aux médias1. La Fédération des enseignants documentalistes de l’Éducation nationale (FABDEN) propose à cet égard la mise en place de modules spécifiques à l’éducation aux médias confiés aux documentalistes, ce que souhaite également votre rapporteur
Comme le préconise le rapport de l’IGEN, votre rapporteur milite pour qu’un temps et un espace bien identifiés soient définis pour cet enseignement, au moins pour les années de collèges. Sur deux niveaux de classe choisis au collège, une dizaine d’heures annualisées d’éducation aux médias en demi-groupe seraient ainsi prévue. Cette initiative permettrait notamment de mettre en valeur la capacité des élèves à créer un discours médiatique, et pourrait s’intégrer dans un projet d’accompagnement à la semaine de la presse. Ce projet associerait obligatoirement des professeurs de plusieurs matières, le lieu serait le CDI et l’animateur principal en serait le professeur documentaliste.
Cela impose d’inscrire l’éducation aux médias en tant que telle dans les missions des documentalistes.
Il demeure l’idée française que l’éducation et le service public peuvent éduquer via la télévision :
Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, votre rapporteur souhaite que soit imposée une émission sur le décryptage des images, non pas seulement dans le cahier des charges de France 5, mais aussi dans celui de France 2.
Il semble quand même que dans ce domaine, une tendance se dégage avec des services comme lesite.tv, france5éducation ou Ina.fr
Au final, il en ressort donc la nécessité d’une nouvelle circulaire des professeurs-documentalistes qui prenne en compte clairement l’éducation aux médias. En ces temps de masterisation, voilà qui sera un objet de négociation à mettre en place dans les mois qui viennent.
Il s’agira ensuite de travailler à une didactique de cette « translittératie » qui soit un moyen de sortir de la logique du B2I dont le rapporteur a noté les nombreuses critiques qui lui sont faites.
Nous notons que ce rapport a le mérite d’insister sur la revalorisation institutionnelle du métier de professeur-documentaliste et constitue un premier texte de confiance entre élus et professionnels. Le rapport met donc également en avant la nécessité intergénérationnelle.
Evidemment, il n’est pas parfait mais qui pourrait prétendre réaliser un rapport parfait sur la question de l’éducation aux médias ?
Il ne reste plus qu’à attendre les faits concrets au niveau institutionnel et à continuer nos travaux en la matière, aussi bien sur les plans de la recherche, qu’au niveau pédagogique et tous les jours sur le terrain avec les élèves.
Séminaire GrCDI du 12 septembre
Le GrCdi (groupe de recherche sur la culture et la didactique de l’information) dont je suis membre a tenu récemment un séminaire de haute tenue sur la culture de l’information.
Olivier Ertzscheid qui a l’art de couper les cheveux en quatre (la tétrapilectomie) a avancé l’idée de technologies de la capillarité qui prendrait le dessus quelque peu sur les technologies de l’intelligence et de la collaboration. Cette théorie s’appuie sur notamment l’indexation de plus en plus fréquente de nos activités personnelles. Vous pouvez retrouver sa présentation sur son site. De là, à affirmer qu’il s’agit du versant des technologies de contrôle, il n’y a qu’un pas ce que dénonce d’ailleurs Armand Mattelart dans son ouvrage sur la globalisation de la surveillance. Voilà qui fait écho également à l’article de Christian Fauré sur la nécessaire prise de soin des données au sein de l’entreprise.
Marie Dominique Le Guillou a brillamment exposé le projet de banques images auquel elle a participé. J’espère d’ailleurs qu’elle nous fera part de cette expérience pour les lecteurs de cactus acide.
Alexandre Serres a tenté de résumer l’abondante pensée de Bernard Stiegler que nous avions déjà essayé de schématiser. Des réflexions intéressantes permettent de faire avancer ceux qui se préoccupent de la culture de l’information. J’ai d’ailleurs plusieurs fois avancé ici l’idée d’une veille basée sur le fait de prendre soin par rapport à la veille-surveillance facilitée notamment par les technologies de la capillarité avancées plus haut.
L’après midi a vu un débat autour de la didactique de l’information qui a permis de lever certaines ambigüités avec les intervention de Muriel Frisch et de Pascal Duplessis notamment autour des approches bottom-up et top down et des représentations. En ce qui me concerne, je conçois la didactique de l’information comme une écologie de l’esprit constituant le volet pédagogique de la culture de l’information. Par conséquent, la démarche didactique s’appuie sur un cercle vertueux au sein duquel s’effectue le triangle didactique sans qu’aucunement ne s’effectue un gavage notionnel peu fécond.
Si ces questions vous intéressent, n’hésitez pas à vous reporter au site et notamment à l’abondante bibliographie collective des membres de l’équipe ainsi que sur les interventions réalisées récemment.
Les débats ayant tourné également autour de la redocumentarisation et des évolutions technologiques, j’en profite pour vous rappeler la lecture de mon article sur la permance du texte.
Le site du grcdi devrait recenser prochainement l’ensemble des résumés des interventions. En attendant, vous pouvez regarder les documents du séminaire précédent.
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